Statuant sur le pourvoi formé par :
- M. Kamal X...,
contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de VERSAILLES, en date du 17 juin 2016, qui, dans l'information suivie notamment contre lui des chefs d'enlèvement et séquestration aggravés et d'extorsion, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention rejetant sa demande de mise en liberté ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 4 octobre 2016 où étaient présents : M. Guérin, président, M. Buisson, conseiller rapporteur, M. Straehli, Mme Durin-Karsenty, MM. Larmanjat, Ricard, Parlos, Bonnal, conseillers de la chambre, MM. Barbier, Talabardon, Ascensi, conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Desportes ;
Greffier de chambre : Mme Bray ;
Sur le rapport de M. le conseiller BUISSON, les observations de la société civile professionnelle GASCHIGNARD, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DESPORTES ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 3 et 5 de la Convention européenne des droits de l'homme, 137, 143-1, 144, 147-1, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de base légale, contradiction de motifs, dénaturation des pièces du dossier ;
" en ce que l'arrêt attaqué a confirmé l'ordonnance entreprise et ordonné le maintien en détention de M. X... ;
" aux motifs qu'il existe des raisons plausibles de soupçonner que la personne mise en examen a commis les faits pour lesquels elle est poursuivie qu'elle ne reconnaît que partiellement ; que, compte tenu du quantum de la peine criminelle encourue, il est particulièrement susceptible d'user de manoeuvres fallacieuses, tant pour tenter de faire obstacle à la manifestation de la vérité, en faisant pression sur la victime, adulte handicapé, ou sur les coauteurs, que pour se soustraire aux suites de la procédure, risque non négligeable, l'intéressé étant sans travail et sans ressources, et n'ayant que de très faibles garanties réelles de représentation en justice, étant de nationalité algérienne, laissant craindre la fuite dans son pays au regard du quantum de la peine criminelle encourue ; que seule l'interpellation des mis en examen a pu mettre fin aux crimes reprochés, si ceux-ci sont avérés ; qu'en raison du sentiment d'insécurité provoqué par les agressions crapuleuses de personnes vulnérables à leurs domicile, les agissements pour lesquels il a été mis en examen ne peuvent manquer de heurter au plus haut point, et encore à ce jour, la conscience publique ; que, ni les contraintes d'un contrôle judiciaire, ni celles d'une assignation à résidence avec surveillance électronique ne permettraient de prévenir avec certitude les risques énoncés plus haut et de garantir la présence du mis en examen à tous les actes de la procédure ; qu'en effet, ces mesures quelles qu'en soient leurs modalités, ne présentent pas un degré de coercition suffisant pour atteindre ces finalités et ne permettraient pas d'empêcher des pressions, qui pourraient être faites par un moyen de communication à distance, ni faire obstacle à une concertation qui, même en cas d'assignation à résidence sans possibilité de sortie, pourrait se réaliser par la venue des co-auteurs chez le mis en examen, ni d'éviter une réitération des faits, sauf à interdire toute sortie du domicile ; qu'il n'est pas établi par les documents produits au soutien du mémoire que l'état de santé de l'intéressé soit incompatible avec la détention, au contraire puisque l'hôpital pénitentiaire de Fresnes assure les soins nécessaires à son état, ce qui ne serait pas certain en cas d'élargissement non préparé avec le personnel médical de la personne mis en examen ; qu'il convient donc surtout de le protéger contre lui-même ; que seule la détention est, en l'état, de nature à satisfaire à ces exigences ;
" 1°) alors que, sauf s'il existe un risque grave de renouvellement de l'infraction, la mise en liberté d'une personne placée en détention provisoire peut être ordonnée lorsque son état de santé est incompatible avec le maintien en détention ; qu'en se prononçant par des motifs inopérants tirés de l'absence de garanties de représentation du demandeur, de l'effet d'une mise en liberté du demandeur sur la « conscience publique » et du risque de prise de contact avec ses co-auteurs, sans caractériser la gravité du risque de renouvellement de l'infraction, ni rechercher si, comme le faisait valoir le demandeur, ce risque n'était pas nécessairement inexistant au regard de son état de totale dépendance, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision ;
" 2°) alors que figurait au dossier un certificat médical établi par M. Y..., docteur de l'hôpital pénitentiaire de Fresnes, d'où résultait que M. X... « nécessite une prise en charge sur le plan périnéal et urinaire que nous n'avons pas la possibilité de réaliser à l'EPSNF » cependant qu'une hospitalisation à l'hôpital de Garches est « indispensable », « celle-ci étant totalement inconcevable dans le cadre de l'incarcération » ; que la cour d'appel ne pouvait sans se contredire ou mieux s'en expliquer, affirmer qu'il n'est « pas établi par les documents produits que l'état de santé de l'intéressé soit incompatible avec la détention, au contraire même puisque l'hôpital de Fresnes assure les soins nécessaires à son état ;
" 3°) alors que, comme l'avait constaté le premier juge, l'état de santé de M. X... s'était « gravement détérioré » depuis son admission au centre hospitalier de Fresnes dans le cadre de la détention provisoire ; que cet état se caractérisait notamment « par une dénutrition prononcée et une incontinence urinaire et fécale », et « exige une aide complète à l'occasion de la plupart des gestes de la vie quotidienne » ; que le corps médical avait conclu à l'incompatibilité de l'état de santé du mis en examen avec une mesure de détention et indiqué qu'il était « absolument nécessaire » d'organiser un transfert dans une unité de soins adaptée ; qu'en refusant d'accéder à la demande présentée en ce sens, sans rechercher si le maintien du prévenu dans une situation de dépendance extrême susceptible de s'aggraver ne caractérisait pas un traitements inhumain et dégradant prohibés par l'article 3 de la Cour européenne des droits de l'homme, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision et méconnu l'interdiction conventionnelle des traitements inhumains ou dégradants " ;
Vu les articles 147-1 et 593 du code de procédure pénale, 3 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
Attendu que, selon le premier de ces textes, en toute matière et à tous les stades de la procédure, sauf s'il existe un risque grave de renouvellement de l'infraction, la mise en liberté d'une personne placée en détention provisoire peut être ordonnée, d'office ou à la demande de l'intéressé, sur le fondement d'une expertise médicale établissant que cette personne est atteinte d'une pathologie engageant le pronostic vital ou que son état de santé physique ou mentale est incompatible avec le maintien en détention ou, en cas d'urgence, d'un certificat médical établi par le médecin responsable de la structure sanitaire dans laquelle cette personne est prise en charge ou par le remplaçant de ce médecin ;
Attendu que, selon le second de ces textes, tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que M. X..., a été mis en examen le 20 octobre 2015 des chefs d'extorsion, enlèvement et séquestration aggravés ; que s'étant défénestré lors de son interpellation, il présente un état de santé gravement détérioré, caractérisé notamment par une dénutrition ainsi que par une incontinence urinaire et fécale ; que, selon un certificat médical établi par le docteur Y..., praticien hospitalier de l'Etablissement public de santé national de Fresnes (EPSNF), il demeure très dépendant de l'entourage pour la plupart des actes de la vie quotidienne, que l'EPSNF organise sa rééducation et l'appareillage nécessaires pour une reprise de la marche, mais qu'il nécessite une prise en charge sur le plan périnéal et urinaire qui, ne pouvant être assurée dans cet établissement, impose une hospitalisation d'environ deux semaines à l'hôpital de Garches, totalement inconcevable dans le cadre de l'incarcération ; que M. X... a, le 30 mai 2016, déposé une demande de mise en liberté arguant d'un état de santé physique incompatible avec le maintien en détention provisoire, qui a été rejetée par ordonnance du juge des libertés et la détention en date du 3 juin 2016, dont il a formé appel ;
Attendu que, pour confirmer l'ordonnance entreprise, l'arrêt attaqué prononce par les motifs reproduits au moyen ;
Mais attendu qu'en se déterminant par ces seuls motifs, sans avoir fait vérifier au préalable par des investigations complémentaires au sens de l'article 194 du code de procédure pénale si, contrairement à ce qu'avait indiqué le praticien hospitalier de l'EPSNF, l'état de santé de M. X... était compatible avec sa détention, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 17 juin 2016, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de PARIS à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix-huit octobre deux mille seize ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.