Statuant sur le pourvoi formé par :
- M. Pascal X..., partie civile,
contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de PARIS, 4e section, en date du 8 octobre 2014, qui a confirmé l'ordonnance du juge d'instruction refusant d'informer sur sa plainte du chef d'atteinte à la liberté individuelle par personne dépositaire de l'autorité publique ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 18 février 2016 où étaient présents : M. Guérin, président, M. Monfort, conseiller rapporteur, MM. Pers, Straehli, Castel, Soulard, Finidori, Fossier, Raybaud, Mme Caron, M. Steinmann, Mmes Chaubon, Schneider, conseillers de la chambre, Mme Harel-Dutirou, MM. Laurent, Barbier, Mme Pichon, conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Liberge ;
Greffier de chambre : M. Bétron ;
Sur le rapport de M. le conseiller MONFORT, les observations de la société civile professionnelle TIFFREAU, MARLANGE et DE LA BURGADE, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LIBERGE ;
Vu le mémoire et les observations complémentaires produits ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 6-1, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a dit n'y avoir lieu à informer sur la plainte avec constitution de partie civile de M. X...;
" aux motifs que le 17 octobre 2011, M. X..., domicilié à Boulogne-Billancourt, déposait plainte avec constitution de partie civile devant le doyen des juges d'instruction du tribunal de grande instance de Bobigny à l'encontre de M. J..., officier de police judiciaire au commissariat de police d'Aubervilliers ; qu'il ne précisait pas l'infraction incriminée mais contestait son placement en garde à vue le 29 novembre 2010 à compter de 17 heures, jusqu'au 30 novembre 2010 à 16 heures 50, pour selon lui, des motifs illégaux, à savoir la détention, d'une part, d'un procès-verbal d'audition de Mme Samia L..., née le 14 décembre 1971 à Chiraga (Algérie), de M. Hamed L... et de Mme Raymonde M...qui avait porté plainte contre lui le 24 juin 2005 à Entraigues pour des faits de harcèlement, et d'autre part, de deux actes de naissance sans filiation dont l'un en provenance de l'état civil de Nantes au nom de Mme Samia L... née le 17 juillet 1968 à Tizi Ouzou (homonymie) et l'autre émanant de la mairie de Soissons concernant Mme Raymonde Lucienne M...; qu'il expliquait avoir obtenu l'ensemble de ces documents de manière régulière ; qu'il ajoutait avoir déposé plainte contre M. J...auprès du procureur de la République de Bobigny le 25 février 2011, plainte restée sans suite ; que concernant la procédure diligentée par le parquet de Privas, il s'avérait que M. X...avait été poursuivi pour des faits de violence sans ITT sur une personne vulnérable au préjudice de Mme L... ; que M. X...indiquait au juge d'instruction avoir été condamné pour ces faits à la peine de quatre mois d'emprisonnement avec sursis ; que le 13 juin 2012, le ministère public requérait l'ouverture d'une information contre M. J...des chefs d'atteinte arbitraire à la liberté individuelle par dépositaire de l'autorité publique ; qu'entendu par le juge d'instruction, M. X...déclarait avoir téléphoné au commissariat d'Aubervilliers le 26 novembre 2010 pour connaître l'état d'avancement de la procédure relative à la dénonciation qu'il avait faite à la préfecture de Seine-Saint-Denis concernant l'obtention indue de documents administratifs par son ex-amie Mme L... ; qu'à la demande de M. J..., il s'était présenté au commissariat de police le 29 novembre et avait été placé en garde à vue en raison de la détention des documents administratifs susmentionnés qu'il avait apportés au soutien de sa dénonciation ; qu'il indiquait avoir subi une fouille à corps et avoir été entendu sur les faits qui lui étaient reprochés, dont il lui avait été notifié qu'il s'agissait d'obtention indue de documents ; qu'il déclarait avoir été victime d'une infraction pénale dans la mesure où pouvant régulièrement obtenir des extraits de naissance sans filiation, il ne pouvait être placé en garde à vue pour ces faits ; qu'il avait été remis en liberté après avoir été avisé que le parquet classait sans suite la procédure, l'infraction ne semblant pas caractérisée ; que le 8 avril 2014, l'avocat de M. J...convoqué chez le juge d'instruction le 11 avril 2014, écrivait à ce dernier que les dispositions de l'article 6-1 du code de procédure pénale semblaient s'opposer à la mise en examen de son client pour des faits d'atteinte à la liberté individuelle par personne dépositaire de l'autorité publique ; qu'il expliquait que l'exception préjudicielle contenue dans cet article interdisait toute poursuite tant que n'avait pas été constatée, par une décision définitive, l'illégalité de l'acte reproché, ce qui était le cas en l'espèce ; que le 9 avril 2014, le ministère public délivrait des réquisitions de non informer au motif que M. X...placé en garde à vue dans le cadre de la procédure de violences sur personne vulnérable avait été condamné et n'avait pas fait appel et que de ce fait la légalité de la mesure de garde à vue ne pouvait plus être remise en cause puisqu'elle n'avait pas été contestée ou constatée lors des poursuites ; que le 11 avril 2014, le juge d'instruction rendait une ordonnance de refus d'informer au motif que la partie civile contestait une mesure de garde à vue dont l'illégalité n'avait pas été constatée par une juridiction répressive et qu'ainsi, au regard de l'article 6-1 du code de procédure pénale l'action publique ne pouvait être exercée ; qu'il rendait le même jour, en raison de l'ordonnance de refus d'informer, une ordonnance de refus de mesures d'instructions sollicitées le 6 mars 2014 par l'avocat de M. X...; qu'en l'absence d'une décision définitive ayant statué sur l'irrégularité de la garde à vue, les faits ne peuvent légalement comporter une poursuite ; que l'ordonnance de refus d'informer doit être confirmée ;
" 1°) alors que les dispositions de l'article 6-1 du code de procédure pénale, qui font obstacle à l'exercice de l'action publique pour un crime ou un délit commis à l'occasion d'une poursuite, tant que la juridiction répressive saisie n'a pas constaté le caractère illégal de la poursuite ou de l'acte accompli à cette occasion, ne sont applicables que si la victime a la possibilité légale de saisir ladite juridiction pour procéder à cette constatation ; que tel n'est pas le cas lorsque, comme en l'espèce, le plaignant dénonce des infractions commises à l'occasion d'une garde à vue qui n'a pas eu de suite ; qu'en faisant néanmoins application de l'article 6-1 du code de procédure pénale dans de telles circonstances, pour refuser d'examiner la constitution de partie civile, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés ;
" 2°) alors que le droit de recours juridictionnel doit être effectif ; qu'en refusant d'examiner la plainte avec constitution de partie civile du demandeur, qui dénonçait des infractions commises par un officier de police judiciaire à l'occasion d'une garde à vue n'ayant pas eu de suite, au prétexte que l'article 6-1 du code de procédure pénale y aurait fait obstacle tant qu'une juridiction répressive n'aurait pas constaté le caractère illégal de la poursuite ou de l'acte accompli à cette occasion, quand aucune juridiction ne pouvait être légalement saisie pour procéder à une telle constatation, la chambre de l'instruction a porté une atteinte excessive et injustifiée au droit de M. X...de se constituer partie civile et donc à son droit d'accès effectif au juge pénal " ;
Vu l'article 6-1 du code de procédure pénale ;
Attendu que si, aux termes dudit article, lorsqu'un crime ou un délit prétendument commis à l'occasion d'une poursuite judiciaire implique la violation d'une disposition de procédure pénale, l'action publique ne peut être exercée que si le caractère illégal de la poursuite ou de l'acte accompli à cette occasion a été constaté par une décision devenue définitive de la juridiction répressive saisie, ces dispositions ne sauraient trouver application lorsque la procédure à l'occasion de laquelle l'acte dénoncé aurait été commis n'a donné lieu à la saisine d'aucune juridiction pénale habilitée à constater le caractère illégal de la poursuite ou de l'acte accompli ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que M. X...a déposé une plainte assortie de constitution de partie civile auprès du juge d'instruction, en dénonçant l'atteinte à la liberté individuelle dont il aurait été victime du fait de son placement en garde à vue par un officier de police judiciaire, lors d'une enquête ouverte du chef d'obtention frauduleuse de documents administratifs, finalement classée sans suite ; que le juge d'instruction a rendu une ordonnance de refus d'informer, au visa de l'article 6-1 du code de procédure pénale, en relevant que la mesure de garde à vue prise à l'encontre de l'intéressé n'avait pas fait l'objet d'un constat préalable d'illégalité par une juridiction répressive, et que l'action publique ne pouvait être mise en mouvement ; que la partie civile a relevé appel de cette décision ;
Attendu que, pour confirmer l'ordonnance entreprise, l'arrêt retient qu'en l'absence d'une décision définitive ayant statué sur l'irrégularité de la garde à vue, les faits dénoncés ne peuvent légalement comporter une poursuite ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, alors que la garde à vue dont se plaint M. X...est intervenue dans une procédure d'obtention frauduleuse de documents administratifs finalement classée sans suite, et qu'aucune juridiction pénale n'a été saisie, la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé ;
D'où il suit que la cassation est encourue ; qu'elle aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 8 octobre 2014 ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
ORDONNE le retour du dossier au président du tribunal de grande instance de Bobigny aux fins de désignation, en application de l'article 83 du code de procédure pénale, d'un magistrat instructeur autre que celui initialement saisi ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge où à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le trente mars deux mille seize ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.