LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu les articles 101 et 102 du code des marchés publics ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 9 octobre 2014), que le conseil général d'Eure-et-Loir a confié à la société Chobriat le lot gros oeuvre/maçonnerie du programme de réhabilitation d'un collège ; que la société BTP Banque a consenti une garantie à première demande au profit du maître de l'ouvrage ; qu'après abandon du chantier, la société Chobriat a été mise en liquidation judiciaire ; que, se prévalant de cette garantie, le conseil général d'Eure-et-Loir a émis un titre exécutoire à l'encontre de la société BTP Banque, qui l'a assigné en annulation de ce titre ;
Attendu que, pour rejeter cette demande, l'arrêt retient que l'obligation découlant de la garantie à première demande est une obligation totalement autonome du marché, pesant sur le garant de manière distincte, que la banque a renoncé par avance à toute contestation dès lors qu'elle aura reçu les pièces visées à la convention, soit le jugement de liquidation judiciaire et le certificat administratif indiquant, du fait des réserves formulées, le montant des surcoûts d'achèvement des travaux et qu'à ce titre le surcoût d'achèvement des travaux relève indissociablement des réserves auxquelles il est lié, de sorte que la distinction que tente d'opérer la banque entre surcoût et réserves est contraire à la lettre du contrat ;
Qu'en statuant ainsi, alors que la garantie à première demande, susceptible d'être substituée à la retenue légale de garantie, vise à garantir l'exécution des travaux de levée des réserves et non la bonne fin du chantier, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande d'annulation du titre exécutoire formée par la société BTP Banque, l'arrêt rendu le 9 octobre 2014, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;
Condamne le conseil général d'Eure-et-Loir aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande du conseil général d'Eure-et-Loir et le condamne à payer à la société BTP Banque la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre février deux mille seize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat aux Conseils, pour la société Banque du bâtiment et des travaux publics
Il est fait grief à l'arrêt d'AVOIR débouté la banque de sa d'annulation du titre exécutoire émis à son encontre par le Conseil général d'Eure-et-Loir ;
AUX MOTIFS QUE : « que selon l'article R 3342-8-1 CGCT, les produits des départements des établissements publics départementaux et interdépartementaux et de tout organisme public résultant d'une entente entre départements ou entre départements et toute autre collectivité publique ou établissement public, qui ne sont pas assis et liquidés par les services fiscaux de l'Etat en exécution des lois et règlements en vigueur, sont recouvrés soit en vertu de jugements ou de contrats exécutoires, soit en vertu de titres de recettes ou de rôles émis et rendus exécutoires en ce qui concerne le département par le président du conseil général et en ce qui concerne les établissements publics par l'ordonnance de ces établissements ; que les mesures d'exécution forcée pour le recouvrement de ces produits sont effectuées comme en matière de contributions directes ; qu'un titre émis par une personne morale de droit public doit nécessairement être notifié en un document précisant les modalités de recours ; que le conseil général d'EURE et LOIR a versé aux débats un titre de recette exécutoire, d'un montant de 83.087,35 ¿ TTC émis à l'encontre de la société BTP BANQUE, daté du 31 décembre 2010, ainsi qu'un avis de sommes à payer accompagné des indications sur les modalités de contestation, cet avant étant parvenu dans les services de la société BTP BANQUE le 17 février 2011 ; qu'aucun délai n'a été imparti à la demanderesse pour contester ce titre ; qu'il faut en déduire que la société BTP BANQUE est toujours recevable à le faire ; que conformément à l'article 101 du code des marchés publics, le montant de la garantie à première demande ou de la caution personnelle et solidaire ne peut être supérieur à celui de la retenue de garantie qu'elles remplacent, leur objet est identique à celui de la retenue de garantie qu'elles remplacent ; que le défendeur fait valoir à juste titre que la garantie à première demande remplace la retenue de garantie de 5 % et que ces deux mécanismes ne peuvent être assimilés l'un à l'autre, même si le montant de la garantie à première demande était plafonné à 5 % du marché initial ; que le contrat conclu entre le conseil général d'EURE et LOIR et la société BTP BANQUE le 31 octobre 2008, intitulé « garantie à première demande », stipulait que la société BTP BANQUE s'engageait à payer à première demande, dans la limite du montant garanti, les sommes que la personne publique pourrait demander afin de couvrir les réserves à la réception des travaux, fournitures ou services ainsi que celles formulées pendant le délai de garantie du marché ; qu'il était prévu que le paiement interviendrait dans un délai de quinze jours à compter de la réception d'un dossier justifiant que l'entreprise (ie la SARL CHOBRIAT) était placée en redressement judiciaire ou en liquidation judiciaire, la pièce à fournir étant un certificat administratif indiquant le montant estimé, du fait des réserves formulées, du surcoût d'achèvement des travaux ou services ou des livraisons de fournitures ; qu'il est constant que la SARL CHOBRIAT a été placée en liquidation judiciaire selon jugement du tribunal de commerce de CHARTRES en date du 10 novembre 2009, tandis que le conseil général d'EURE et LOIR a adressé à la société BTP BANQUE le 21 janvier 2010 un certificat administratif aux termes duquel la somme de 166.244 ¿ TTC était due ; qu'à la différence de la caution qui s'oblige à payer la dette d'un débiteur principal, le garant s'oblige à exécuter une obligation qui lui est propre ; que l'obligation du garant est une obligation principale et indépendante alors que celle de la caution n'est que subsidiaire et accessoire ; qu'il suffit qu'il résulte des termes utilisés dans la convention une volonté de s'obliger de manière distincte sans que le rapport juridique de base puisse avoir d'incidence sur l'exécution de la garantie ; que celle-ci doit s'exécuter indépendamment du contrat de base dont elle est indépendante même si ce dernier en constitue la base ; que d'autre part, la jurisprudence interdit au garant de rejeter la demande d'exécution de la garantie que lui présente le bénéficiaire en opposant, soit spontanément, soit sur instruction du donneur d'ordre, une exception née du rapport de base ; qu'il n'en serait autrement que s'il avait été fait réserve expresse dans l'engagement de certaines exceptions, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ; qu'il apparaît ainsi que c'est le principe d'inopposabilité qui marque le plus nettement l'originalité de la garantie, et la société BTP BANQUE tente de dénaturer la convention en prétendant que le Tribunal doit opérer les comptes entre les parties et vérifier le quantum des sommes réclamées ; que si le principe susvisé est quelque peu tempéré en cas d'abus manifeste ou de fraude, et que la jurisprudence considère, par exemple, qu'à un comportement frauduleux justifiant le rejet de l'appel de la garantie, le bénéficiaire qui prétend en obtenir le paiement alors qu'il n¿a manifestement aucune créance à faire valoir au titre du contrat de base, c'est-à-dire lorsque l'obligation couverte par la garantie (-et à laquelle la lettre de garantie fait toujours référence) est inexistante ou éteinte, une telle situation n'est aucunement caractérisée au cas d'espèce ; que c'est donc en vain que la société BTP BANQUE conteste la demande de garantie dont elle fait l'objet ; qu'elle sera déboutée de l'ensemble de ses prétentions ; qu'à l'appui de sa demande de dommages et intérêts le conseil général d'EURE et LOIR ne rapporte pas la preuve d'un préjudice de sorte qu'il en sera déboutée ; que l'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit du conseil général d'EURE et LOIR ; que la société BTP BANQUE sera condamnée aux dépens » ; (jugement p.3 et 4) ;
ET AUX MOTIFS PROPRES QUE : « que sur la validité du titre exécutoire du 31 décembre 2010 : aux termes d'un acte du 31 octobre 2008 constituant garantie à première demande, la société BTP BANQUE sollicitée par la société CHOBRIAT, attributaire du lot gros-oeuvre maçonnerie du marché des travaux de réhabilitation du collège Marcel Proust à ILLIERS COMBRAY, s'est engagée envers le conseil général d'Eure et Loir, maître d'ouvrage bénéficiaire, à lui payer dans la limite du montant garanti, les sommes que celui-ci pourrait demander afin de couvrir les réserves à a réception des travaux, fournitures ou services ainsi que celles formulées pendant le délai de garantie du marché, et ce à hauteur d'un montant maximal de 83.087,35 ¿ ; qu'il était précisé à l'acte que : « le paiement interviendra dans un délai de quinze jours à compter de la réception par nos services d'un dossier comportant la photocopie des pièces suivantes : 1/ si l'entreprise est en redressement ou liquidation judiciaire : jugement prononçant le redressement judiciaire ou la liquidation judiciaire ¿ 2/ Autre cas ¿ 3/ Pièces à fournir dans les cas 1 et 2 : certificat administratif indiquant le montant estimé du fait des réserves formulées, du surcoût d'achèvement des travaux ou services ou des livraisons de fournitures. Le montant qui nous sera réclamé ne pourra pas être supérieur au montant indiqué dans le certificat administratif, sans pouvoir dépasser le montant garanti. BTP BANQUE procédera au paiement dès lors qu'elle aura reçu l'ensemble des pièces énumérées ci-dessus sans soulever aucune contestation quant à leur contenu » ; qu'au soutien de son appel, la société BTP BANQUE revendique la recevabilité du garant à première demande à contester son obligation : - soit en démontrant que les demandes d'exécution sortent de ou excèdent l'objet de la garantie ce qu'il serait en droit de faire en application des articles 1134 et 1135 du code civil, par référence aux termes de son engagement ou à la matière dans le cadre de laquelle il a été souscrit, - soit en démontrant par tous moyens que les demandes d'exécution constituent un abus manifeste ; qu'elle reproche au conseil général d'opérer une confusion entre l'étendue maximale de l'obligation de couverture instituée par la garantie, et l'effectivité des conditions de naissance de l'obligation de règlement constituant l'objet de la garantie ; que faisant valoir que les droits à paiement de l'attribution n'excédaient pas 1.578.360,64 ¿, la banque affirme que son obligation de représentation ne pouvait aller au-delà de 78.918,03 ¿ et qu'une retenue en nature de 16.000 ¿ ayant été pratiquée, le plafond théorique des droits à représentation ne pouvait dépasser 62.988,53 ¿ TTC, soit 50.642,77 ¿ HT ; que prétendant calquer en tous points le régime de la garantie à première demande sur celui de la retenue de garantie, elle reproche au conseil général de n'avoir pas fourni de justificatifs des règlements opérés au profit de l'entreprise attributaire à concurrence de ses droits à paiement pour 1.578.360,74 ¿, soit le montant total du marché adjugé à cette dernière ; qu'il n'est pas inutile de relever que l'article 101 du code des marchés publics, qui définit la retenue de garantie, son objet, son plafond, et les modalités de son prélèvement, est suivi de l'article 102 du même code, aux termes duquel la retenue de garantie peut être remplacée par une garantie à première demande, ce texte n'assimilant la garantie à première demande à la retenue de garantie qu'en ce qui concerne son objet et son plafond, l'identité de ces deux éléments permettant seule le remplacement du premier de ces modes de garantie par l'autre ; que contrairement à l'interprétation erronée qui en est faite par la SA BTP BANQUE, l'article 102 du CMP ne dit pas que les conditions de mise en oeuvre de la garantie à première demande doivent être les mêmes que celles de la retenue de garantie ; que c'est à juste titre que le premier juge a relevé que l'obligation découlant de la garantie à première demande est une obligation totalement autonome du marché, pesant sur le garant de manière distincte sans que le rapport juridique de base ait d'incidence sur l'exécution de la garantie, et qui doit être exécutée par elle-même en vertu de la force obligatoire des contrats édictée par l'article 1134 du code civil ; que le premier juge a pertinemment rappelé, pour en exclure l'application à la cause, les exceptions à l'inopposabilité au bénéficiaire de la garantie du contrat de base, tenant aux hypothèses d'abus manifeste ou de fraude, lorsque l'obligation couverte par la garantie est inexistante ou éteinte ; que sous réserve de respecter le plafond de garantie, qui est bien de 83.087,35 ¿, la banque a renoncé par avance à toute contestation dès lors qu'elle aura reçu les pièces visées à la convention, soit le jugement de liquidation judiciaire et le certificat administratif indiquant du fait des réserves formulées, le montant des surcoûts d'achèvement des travaux et services et des livraisons de fournitures ; qu'à ce titre le surcoût d'achèvement des travaux relève indissociablement des réserves auxquelles il est lié, de sorte que la distinction que tente d'opérer la banque entre surcoût et réserves est contraire à la lettre du contrat ; que c'est également à tort que l'appelante prétend que sa garantie ne serait due tout au plus qu'à hauteur de 78.918 ;03 ¿ moins une retenue en nature de 16.000 ¿ ramenant le plafond théorique des droits à représentation à la somme de 62.988,53 ¿ TTC ; que la distinction faite par la société BTP BANQUE entre une garantie HT et une garantie TTC est dépourvue d'intérêt dès lors que le contrat litigieux prévoit un plafond de garantie de 83.087,35 ¿ TTC ; qu'enfin la société BTP BANQUE n'est pas fondée à exiger la communication du procès-verbal de réception ni de l'ensemble des pièces du marché, et ce n'st que pour démontrer devant la cour que la mise en oeuvre de la garantie à première demande n'est entachée ni d'abus ni de fraude, que le conseil général a consenti à communiquer le 20 mai 2011 la copie du marché de travaux du juin 2008, le C.C.A.P., les certificats de paiement, le procès-verbal de réception, les décomptes général et final, le bilan des révisions du marché et le bilan provisoire du coût des malfaçons et défauts d'exécution imputables à l'entreprise CHOBRIAT pour un coût de 166.244 ¿ ; que la BTP BANQUE ne démontrant pas que le conseil général poursuit un paiement indu au regard de la convention de garantie et des on cadre juridique légal ou réglementaire, le jugement entrepris, qui a rejeté les contestations de la banque, est confirmé en son intégralité sur le fond » ; (arrêt p.3, 4 et 5) ;
ALORS QUE : la retenue légale vise à garantir l'exécution des travaux de levée des réserves, et non la "bonne fin" du chantier ; qu'il en va de même de la garantie à première demande susceptible d'être substituée à la retenue de garantie ; qu'en considérant en l'espèce que la garantie était due au titre du surcoût d'achèvement des travaux qui relève indissociablement des réserves auxquelles il est lié, la cour d'appel a méconnu les dispositions des articles 101 et 102 du code des marchés publics.