Statuant sur les pourvois formés par :
- La société O. X... pharmacie du Vallat, - M. Olivier X...,
contre l'arrêt de la cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE, 5e chambre, en date du 6 mai 2014, qui, pour infractions à la législation sur les contributions indirectes, les a condamnés solidairement à des pénalités fiscales ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 9 décembre 2015 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, Mme Chaubon, conseiller rapporteur, M. Soulard, conseiller de la chambre ;
Avocat général : M. Lacan
Greffier de chambre : Mme Zita ;
Sur le rapport de Mme le conseiller CHAUBON, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, de la société civile professionnelle FOUSSARD et FROGER, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LACAN ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu le mémoire commun aux demandeurs, le mémoire en défense et le mémoire en réplique produits ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 288 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, 27 de la loi n° 2012-354 du 14 mars 2012, 302 D bis, du code général des impôts, 27 de la directive 92/ 83/ CEE du Conseil du 19 octobre 1992, 591 et 593 du code de procédure pénale, violation du principe de l'égalité des délits et des peines, défaut de motifs et manque de base légale ;
" en ce que'arrêt attaqué a déclaré M. X... et la société X..., coupables des infractions aux lois et règlements sur les contributions indirectes ayant pour but ou résultat de frauder ou compromettre des droits sur les alcools visées par la prévention, les a condamnés solidairement au paiement d'une amende de 400 euros et d'une pénalité proportionnelle de 6 287 euros et a prononcé le paiement solidaire de la somme de 18 863 euros représentant le montant des droits fraudés pour les années 2008, 2009 et 2010 ;
" aux motifs que sur l'infraction aux lois et règlements sur les contributions indirectes, les premiers juges ont relaxé les prévenus aux motifs que serait inopérant l'argument tiré de l'incompatibilité entre l'article 27 de la loi de finances rectificative pour 2012 et la directive communautaire n° 92/ 83/ CEE, d'une part, et que les contingents annuels calculés selon un pourcentage du chiffre d'affaires n'ont jamais été publiés, d'autre part, privant ainsi la procédure de base légale puisque les procès-verbaux établis ne font nullement mention des chiffres d'affaires réalisés au cours des années redressées ; que l'administration des douanes conclut à la réformation du jugement déféré ; les prévenus sollicitent la confirmation de leur relaxe sur le fondement de l'article 27 de la loi de finances rectificative pour 2012, lequel n'a pas créé de nouveau cas d'exonération de droits et s'avère compatible avec la directive communautaire ; que les décrets d'application de cette loi n'ayant pas été publiés, ils sollicitent de la cour l'annulation des poursuites pour défaut de base légale ; que la directive 92/ 83/ CEE du 19 octobre 1992 qui pose en principe la taxation de l'alcool pur prévoit des exonérations en son article 27, § 2, : « les Etats membres peuvent exonérer les produits couverts par la présente directive de l'accise... utilisés... c) à des fins médicales dans les hôpitaux et les pharmacies » ; cette directive a été transposée en droit interne par ordonnance n° 2001-7 68 du 29 août 2001 créant l'article 302 D bis du code général des impôts ; que la cour déduit des termes dépourvus d'ambiguïté de la directive communautaire susvisée qu'elle permet aux Etats membres de ne détaxer que l'alcool pur utilisé par les pharmaciens à des fins médicales au sein de leur officine mais, ne leur permet pas d'étendre cette exonération à l'alcool pur vendu par les pharmaciens à leurs clients et destiné à être utilisé en dehors de la pharmacie, la préposition « dans » excluant l'usage de l'alcool à l'extérieur du lieu visé par la directive, à savoir la pharmacie ; que l'article 27 de la loi de finances rectificative pour 2012 promulguée le 14 mars 2012 et invoqué par les prévenus au soutien de la relaxe dispose : « 1- Le g) de l'article 302 bis du code général des impôts est complété par les mots : « et dans la limite d'un contingent annuel fixé par l'administration, l'alcool pur acquis par les pharmaciens d'officine ».... III-... l'alcool pur acquis par les pharmaciens d'officine entre le 31 mars 2002 et le 12 Mai 2011, dans la limite d'un contingent annuel fixé par l'administration... est exonéré des droits... » ; que la cour constate que la disposition susvisée a ajouté un cas supplémentaire d'exonération de droit que la directive communautaire n'avait pas prévu et en déduit, sans qu'il soit besoin de poser la question préjudicielle sollicitée par les douanes, qu'elle n'est pas conforme au droit communautaire ; qu'il y a donc lieu de l'écarter et de faire application de l'article 27 de la directive communautaire du 19 octobre 1992 qui subordonne l'exonération des droits sur l'alcool acquis par les pharmaciens à son seul usage médical ou pharmaceutique dans les pharmacies ; que le défaut de mesures d'application par l'administration de l'article 27 de la loi de finances rectificative pour 2012-4 promulguée le 14 mars 2012 est donc sans incidence sur la validité des poursuites fondées sur la directive communautaire ; que les prévenus n'ayant pu justifier que les quantités d'alcool acquises en exonération de droits au cours de la période visée par la prévention avaient été utilisées dans leur officine à des fins pharmaceutiques ou médicales, ils seront déclarés coupables de fraude des droits sur les alcools ; que, contrairement à ce qu'ils ont soutenu, les dispositions de l'article 110-0 G annexe 3 du code général des impôt, s'il impose aux contribuables la tenue d'une comptabilité matière seulement s'ils reçoivent des quantités annuelles d'alcool supérieures ou égales à 100 litres ne signifie pas qu'ils ne sont tenus de s'acquitter des droits qu'au delà de l'achat de 100 litres d'alcool par an ; qu'en conséquence, la cour retiendra le montant des droits fraudés évalué par les douanes à la somme de 18 863 euros à partir des quantités acquises en exonération de droits au cours de la période visée par les poursuites par les prévenus et dont ils n'ont pas été en mesure de justifier en avoir fait usage dans les conditions leur ouvrant droit à ladite exonération » ;
" 1°) alors qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (notamment CJCE, 26 février 1986, Marshall, aff. 152/ 84) qu'une directive ne peut pas, par elle-même, créer d'obligations dans le chef d'un particulier et ne peut donc être invoquée en tant que telle à son encontre ; qu'en particulier, dans le contexte spécifique d'une situation où une directive est invoquée à l'encontre d'un particulier par les autorités d'un Etat membre dans le cadre de procédures pénales, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit qu'une directive ne peut pas avoir comme effet, par elle-même et indépendamment d'une loi prise pour sa mise en oeuvre, de déterminer ou d'aggraver la responsabilité pénale de ceux qui agissent en infraction à ses dispositions (notamment CJCE, 8 octobre 1987, Kolpinghuis Nijmegen BV, aff. 80/ 86) ; que, cependant, pour condamner la pharmacie et son gérant à une amende, à une pénalité proportionnelle et au paiement du montant des droits prétendument fraudés, la cour d'appel a écarté l'article 27 de la loi n° 2 012-354 du 14 mars 2012 et fait directement application de l'article 27 de la directive 92/ 83/ CEE du Conseil du 19 octobre 1992 ; qu'en statuant ainsi, la cour a violé les textes susvisés et excédé ses pouvoirs ;
" 2°) alors au demeurant que, selon l'article 302 D bis du code général des impôts, issu de l'article 27 de la loi n° 2012-354 du 14 mars 2012, sont exonérés de droits de consommation les alcools utilisés « à des fins médicales ou pharmaceutiques dans les hôpitaux et établissements similaires ainsi que dans les pharmacies et, dans la limite d'un contingent annuel fixé par l'administration, l'alcool pur acquis par les pharmaciens d'officine » ; que cette disposition est conforme à l'article 27 de la directive 92/ 83/ CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant l'harmonisation des structures des droits d'accises sur l'alcool et les boissons alcooliques aux termes duquel « les Etats membres peuvent exonérer les produits couverts par la présente directive de l'accise harmonisée dans les conditions qu'ils fixent en vue d'assurer l'application correcte et directe de ces exonérations et d'éviter toute fraude, évasion et abus, lorsqu'ils sont utilisés : ¿ c) à des fins médicales dans les hôpitaux et les pharmacies » ; qu'en décidant le contraire pour écarter l'article 27 de la loi n° 201 2-354 du 14 mars 2012, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; que l'infraction ne pouvant être caractérisée, la cassation interviendra sans renvoi ;
" 3°) alors qu'en toute hypothèse, en l'état de la disposition précitée de l'article 27 de la loi n° 2012-354 du 1 4 mars 2012, aucune condamnation pénale ne pouvait être prononcée à raison d'un fait expressément autorisé par la loi ; que la cassation interviendra sans renvoi " ;
Vu l'article 288 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
Attendu que les directives ne peuvent produire un effet direct à l'encontre des particuliers ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que M. Olivier X... et la société O. X..., exploitant la pharmacie du Vallat, ont été cités par l'administration des douanes devant le tribunal correctionnel pour avoir, courant 2008 et jusqu'au 31 octobre 2010, omis de tenir une comptabilité matière et commis une infraction aux lois et règlements sur les contributions indirectes en s'abstenant d'acquitter les droits sur les alcools commercialisés auprès de destinataires non identifiés ; que le tribunal les a relaxés par un jugement dont l'administration des douanes a interjeté appel ;
Attendu que, pour déclarer les prévenus coupables, l'arrêt énonce que l'exonération de droits instituée par l'article 302 D bis II g) du code général des impôts, applicable au moment des faits, tel qu'il est issu de l'article 27 de la loi 2012-354 du 14 mars 2012, en faveur de l'alcool pur acquis par les pharmaciens d'officine entre le 31 mars 2002 et le 12 mai 2011, est contraire à l'article 27 de la directive 92/ 83/ CEE du Conseil du 19 octobre 1992 qui subordonne l'exonération des droits sur l'alcool acquis par les pharmaciens au seul usage médical ou pharmaceutique dans les pharmacies ;
Mais attendu qu'en appliquant ainsi directement les dispositions d'une directive à l'encontre des prévenus, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ; qu'elle aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure de s'assurer que par application de l'article 27 de la loi 2012-354 du 14 mars 2012 aucun droit n'était dû ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 6 mai 2014, en ses seules dispositions relatives à la condamnation de la société O. X... pharmacie du Vallat et M. Olivier X... pour infraction aux contributions indirectes, toutes autres dispositions, notamment celles relatives à l'omission de tenir une comptabilité matière, étant expressément maintenues ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel d'Aix-en-Provence et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le trois février deux mille seize ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.