LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu les articles 1249 et 1251 du code civil, ensemble l'article 706-11 du code de procédure pénale ;
Attendu qu'il résulte de ces textes que le débiteur d'indemnisation peut opposer au Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, subrogé dans les droits d'une victime qu'il a indemnisée, les exceptions dont il aurait disposé contre cette victime ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'un instituteur a, entre 1985 et 1994, commis des viols et atteintes sexuelles sur des élèves ; qu'il a été condamné le 2 avril 2010 par un arrêt d'une cour d'assises d'appel pour les faits commis sur cinq mineures et par un jugement d'un tribunal correctionnel du 6 mai 2009 pour les faits commis sur six autres enfants ; que le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (le FGTI) leur a versé des indemnités en 2009 et 2010 ; que le 27 mai 2011, le FGTI a assigné le préfet des Côtes-d'Armor en remboursement de ces sommes, sur le fondement de l'article L. 911-4 du code de l'éducation ; que le tribunal de grande instance, après avoir rappelé que le moyen tiré de la prescription applicable à l'action engagée contre l'Etat par la victime est opposable au FGTI, subrogé dans les droits de cette dernière, a constaté que l'action du FGTI sur le fondement de l'article L. 911-4 du code de l'éducation avait été engagée plus de trois ans après la majorité des victimes et en a déduit qu'elle était prescrite ;
Attendu que pour infirmer ce jugement et déclarer recevable l'action du FGTI, l'arrêt énonce que la subrogation transmet au subrogé les droits et actions relatifs à la créance du subrogeant, de sorte que l'action du FGTI, subrogé dans les droits des victimes des agissements de l'instituteur, contre l'Etat dont la responsabilité est substituée à celle de ce dernier, est soumise à la prescription applicable à l'action directe des victimes ; que cependant, la subrogation trouvant sa cause dans le paiement, la prescription de l'action du FGTI, fondée sur cette subrogation, ne pouvait commencer à courir avant ce paiement ;
Qu'en statuant ainsi, alors que, si la prescription invoquée par le préfet était acquise antérieurement au paiement, quelle qu'en soit la date, elle pouvait être opposée au FGTI, subrogé dans les droits des victimes, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 16 décembre 2014, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Rennes, autrement composée ;
Condamne le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, le condamne à payer au préfet des Côtes-d'Armor la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze janvier deux mille seize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Meier-Bourdeau et Lécuyer, avocat aux Conseils, pour le préfet des Côtes-d'Armor
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR déclaré le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et des autres infractions recevable en son action ;
AUX MOTIFS QUE, la subrogation transmet au subrogé les droits et actions relatifs à la créance du subrogeant, de sorte que l'action du FGTI, subrogé dans les droits des victimes des agissements de Jean-Louis X..., contre l'Etat dont la responsabilité est substituée à celle de ce dernier, est soumise à la prescription applicable à l'action directe des victimes ; mais que la subrogation trouvant sa cause dans le paiement, la prescription de l'action du FGTI, fondée sur cette subrogation, ne pouvait commencer à courir avant ce paiement ; qu'il est constant que le FGTI a versé : - à Isabelle Y..., la somme de 18.700 € le 28 juillet 2010, - à Angélique Z...
A..., la somme de 18.000 € dont 10.000 € le 18 décembre 2009, - à Chrystelle B..., la somme de 18.000 € dont 10.000 € le 4 décembre 2009, - à Caroline C..., la somme de 15.000 € dont 8.000 € le 4 décembre 2009, - à Caroline D..., la somme de 21.440 € dont 10.000 € le 4 décembre 2009, - à Laetitia E..., la somme de 8.000 € le 13 octobre 2009, - à Rosemary F..., la somme de 5.000 € le 14 décembre 2009, - à Nathalie G..., la somme de 5.000 € le 6 novembre 2009, - à Sandrine H..., la somme de 3.000 € le 6 novembre 2009, - à Aline I..., la somme de 9.000 € le 29 octobre 2009, - à Caroline G..., la somme de 8.000 € le 14 octobre 2009 ; que le premier paiement a ainsi eu lieu le 13 octobre 2009, et l'action engagée par le FGTI contre le préfet des Côtes d'Armor par les assignations du 27 mai 2011, soit moins de trois ans après celui-ci, était en conséquence recevable ;
ALORS, d'une part, QUE celui qui, par son paiement, est subrogé dans les droits du créancier, ne peut avoir plus de droits que ce dernier à l'égard du débiteur ; que la prescription de la dette du subrogeant au moment du paiement par le subrogé est alors efficacement opposée par le débiteur à une action en paiement fondée sur la subrogation ; qu'en affirmant au contraire que la prescription de l'action du Fonds de garanti, subrogé dans les droits des victimes de dommages réparés par l'Etat, ne pouvait commencer à courir avant le paiement dans lequel la subrogation trouvait sa cause, la cour d'appel a violé les articles 1249 et 1251 du code civil et 706-11 du code de procédure pénale ;
ALORS, d'autre part, QUE la subrogation transmet la créance au subrogé à la date du paiement qu'elle implique ; que celui qui, par son paiement, est subrogé dans les droits du créancier, ne peut avoir plus de droits que ce dernier à l'égard du débiteur ; que la prescription de la dette du subrogeant au moment du paiement par le subrogé est alors efficacement opposée à ce dernier par le débiteur ; qu'en écartant toute prescription de l'action en remboursement du Fonds de garantie, subrogé dans les droits de victimes de dommages dont la réparation pèse sur l'Etat en vertu de l'article L. 911-4 du code de l'éducation, en se bornant à constater que l'action engagée par le Fonds de garantie l'avait été moins de trois ans après le paiement subrogatoire de l'indemnisation au profit des victimes, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si, à la date de la subrogation, la créance des victimes n'était pas déjà prescrite pour avoir commencé à courir à leur majorité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1249 et 2235 du code civil et de l'article 706-11 du code de procédure pénale.