LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- M. Philippe X..., partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, chambre 4-11, en date du 10 avril 2014, qui l'a débouté de ses demandes après relaxe de Mme Catherine Y... et de M. Alain Z... des chefs d'abus de confiance et destruction du bien d'autrui ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 12 novembre 2015 où étaient présents : M. Guérin, président, M. Sadot, conseiller rapporteur, MM. Soulard, Steinmann, Mmes de la Lance, Chaubon, M. Germain, Mmes Planchon, Zerbib, conseillers de la chambre, Mmes Chauchis, Pichon, conseillers référendaires ;
Avocat général : Mme Guéguen ;
Greffier de chambre : Mme Randouin ;
Sur le rapport de M. le conseiller SADOT, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, de la société civile professionnelle GARREAU, BAUER-VIOLAS et FESCHOTTE-DESBOIS et de Me LE PRADO, avocats en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général GUÉGUEN ;
Vu les mémoires en demande, en défense et les observations complémentaires produits ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 1382 du code civil, 314-1 et 322-1 du code pénal, L. 111-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué, après avoir relaxé Mme Y... du chef d'abus de confiance et M. Z... du chef de dégradation de bien, a débouté M. X... de l'ensemble de ses demandes ;
"aux motifs que les délits poursuivis, l'abus de confiance reproché à Mme Y... ou la destruction du bien d'autrui reprochée à M. Z..., exigent que la chose détournée ou détruite, en l'espèce, l'enregistrement vidéo d'une interview de M. E..., soit susceptible d'appropriation ; qu'ils supposent donc, au cas d'espèce, que ledit enregistrement soit qualifié d'oeuvre de l'esprit au sens des dispositions du code de la propriété intellectuelle, et partant protégeable par le droit d'auteur ; qu'il résulte en effet des articles L. 111-1 et suivants dudit code que l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous, comportant des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que d'ordre patrimonial ; que l'enregistrement vidéo d'une interview peut parfaitement recevoir la qualification d'oeuvre de l'esprit et, comme telle, se voir accorder la protection du droit d'auteur ; qu'une oeuvre conceptuelle bénéficie de la protection du droit d'auteur dès lors cependant que l'approche de l'auteur s'est formellement exprimée dans une réalisation matérielle originale ; qu'en l'espèce, la cour ne peut en effet que constater que la partie civile n'a fourni aucun élément permettant de connaître précisément la teneur de l'interview litigieuse, tel par exemple le script des questions posées par M. X... à M. E... et des réponses apportées par ce dernier, voire même les thèmes de ces questions, les instructions éventuelles données au cameraman, ou tout document accréditant la préparation sérieuse et originale de cette interview, de sa mise en scène et de son déroulement, témoignant d'une véritable activité créatrice ; que la partie civile, procédant par affirmations, n'établit pas que l'oeuvre litigieuse puisse recevoir la qualification d'oeuvre de l'esprit, faute d'établir une réalisation matérielle originale, qui en constitue le critère essentiel ; que, de plus, la partie civile, qui affirme sans le démontrer, que cette interview était destinée à devenir "la pièce maîtresse" du film documentaire projeté - dont seul le titre, "le pire n'est pas certain", est dévoilé, n'apporte pas de précision tant sur les autres éléments de ce film que sur la façon dont ladite interview devait s'y insérer ; qu'en outre, les déclarations des parties et témoins concernant la durée de l'interview litigieuse sont discordantes, celle-ci oscillant de cinq minutes à une heure, les premiers juges, dont l'analyse est sur ce point partagée par la cour, l'estimant "à une dizaine de minutes ou un quart d'heure maximum'' ; que, dans ces conditions, l'empreinte de la personnalité de M. X... n'étant aucunement établie sur l'interview litigieuse, faute de rapporter la preuve de son originalité, celle-ci, dont il ne peut être considérée qu'elle a été mise en forme, ne saurait être considérée comme une oeuvre de l'esprit au sens des dispositions du code de la propriété intellectuelle précitées, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, dont la décision sera infirmée ; que la prévention ne vise que « l'enregistrement vidéo d'une interview de M. E... », qui ne saurait être qualifié d'oeuvre de l'esprit, le projet de film documentaire, à tout le moins non explicité et qui apparaît très embryonnaire, en étant parfaitement détachable ; que l'enregistrement vidéo de l'interview litigieuse n'emportant pas la protection du droit d'auteur, tant au regard du droit patrimonial que du droit moral, et n'étant pas susceptible d'appropriation, ne peut donc donner lieu à une quelconque incrimination ; que la partie civile n'établit pas davantage que les cassettes vidéo elles-mêmes pourraient lui avoir appartenu, de sorte que n'étant pas à même d'en revendiquer la propriété, fût-ce partiellement, les éléments constitutifs de l'infraction prévue et réprimée par l'article 322-1 du code pénal font défaut ;
"1°) alors que les dispositions de l'articles 314-1 réprimant l'abus de confiance s'appliquent au détournement d'un bien quelconque au préjudice d'autrui ; qu'en subordonnant l'application de ces dispositions à l'exigence que le bien incorporel détourné, une interview réalisée par la partie civile, soit qualifié d'oeuvre de l'esprit au sens des dispositions du code de la propriété intellectuelle et protégeable par le droit d'auteur, la cour a ajouté à la loi et violé ce texte ;
"2°) alors qu'en affirmant que la partie civile procède par affirmations, que seul le titre du documentaire était dévoilé et que le projet de film-documentaire n'est pas explicité ni la teneur de l'interview bien que M. X... ait précisé, dans ses écritures, offres de preuves à l'appui, le sujet et le contenu de cet interview s'appuyant notamment sur les propres déclarations de l'interviewé, explicité le scénario du film et comment l'interview en cause s'y intégrait, s'appuyant sur une note d'intention versée aux débats et les déclarations de M. Gilles F... accréditant ses dires, la cour a dénaturé ces écritures ;
"3°) alors qu'en s'abstenant dès lors de rechercher si, s'agissant d'une oeuvre démesurée à raison de sa destruction par les prévenus, la preuve de l'originalité de l'interview ne pouvait être déduite des éléments susmentionnés et non examinés, la cour a privé sa décision de base légale ;
"4°) alors qu'en s'abstenant, encore, de rechercher, comme elle y était invitée, si la qualification d'oeuvre de l'esprit ne bénéficiait pas à l'interview en cause, non pas prise isolément, mais en tant qu'élément s'intégrant dans un film-documentaire et le concrétisant, fût-il demeuré inachevé, la cour a, derechef, privé sa décision de toute base légale ;
"5°) alors que l'infraction de destruction ou dégradation de biens appartenant à autrui est caractérisée dès lors qu'ont été détruits des biens qui n'appartenaient pas à l'auteur des faits ; qu'en affirmant que les éléments constitutifs de cette infraction font défaut, aux seuls motifs que la partie civile n'établit pas que les cassettes vidéo elles-mêmes pourraient lui avoir appartenu et n'est pas à même d'en revendiquer la propriété, fût-ce partiellement, ce qui n'établissait nullement la propriété du prévenu sur ces biens, la cour n'a pas légalement justifié sa décision" ;
Vu les articles 314-1 et 322-1 du code pénal ;
Attendu que peut faire l'objet d'un abus de confiance et du délit de destruction tout bien susceptible d'appropriation ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que M. X... a réalisé, avec l'assistance de Mme Y..., dans les locaux de l'établissement d'enseignement dirigé par M. Z..., une interview de M. E... et que, sur la pression de ce dernier, Mme Y... a réussi, ultérieurement, à l'insu de M. X..., à se faire confier les cassettes vidéo, support de l'ouvrage ainsi réalisé, pour les remettre à M. Z..., qui a fait effacer l'enregistrement ;
Attendu que, pour relaxer Mme Y... du chef d'abus de confiance et M. Z... du chef de destruction d'un bien appartenant à autrui, l'arrêt énonce que, pour être susceptible d'appropriation, il faut que ledit enregistrement soit qualifié d'¿uvre de l'esprit au sens des dispositions du code de la propriété intellectuelle, et partant protégeable par le droit d'auteur, et que la partie civile n'ayant pas établi une réalisation matérielle originale, qui en constitue le critère essentiel, cet enregistrement ne présente pas le caractère d'une oeuvre originale pouvant recevoir une telle qualification ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'un enregistrement d'images et de sons constitue un bien susceptible d'appropriation, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus énoncé ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 10 avril 2014, en ses seules dispositions civiles, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le seize décembre deux mille quinze ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.