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03/11/2015 | FRANCE | N°14-83419

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 03 novembre 2015, 14-83419


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur les pourvois formés par :
- M. Philippe X...,- Le Syndicat des dentistes solidaires et indépendants, civilement responsable,- Le Conseil national de l'ordre des chirurgiens dentistes, partie civile,
contre l'arrêt n° 6 de la cour d'appel de PARIS, chambre 2 -7, en date du 10 avril 2014, qui, dans la procédure suivie contre le premier du chef de diffamation publique envers particulier, a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 22 septem

bre 2015 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur les pourvois formés par :
- M. Philippe X...,- Le Syndicat des dentistes solidaires et indépendants, civilement responsable,- Le Conseil national de l'ordre des chirurgiens dentistes, partie civile,
contre l'arrêt n° 6 de la cour d'appel de PARIS, chambre 2 -7, en date du 10 avril 2014, qui, dans la procédure suivie contre le premier du chef de diffamation publique envers particulier, a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 22 septembre 2015 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, M. Monfort, conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Randouin ;
Sur le rapport de M. le conseiller MONFORT, les observations de la société civile professionnelle LYON-CAEN et THIRIEZ et de la société civile professionnelle GATINEAU et FATTACCINI, avocats en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général référendaire CABY ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires en demande, en défense, additionnel et en réplique produits ;
Sur la recevabilité du pourvoi formé par M. X... et le Syndicat des dentistes solidaires et indépendants :
Attendu que l'arrêt attaqué a prononcé, en son dispositif, le débouté de la partie civile et la mise hors de cause de M. X... et des personnes morales poursuivies en qualité de civilement responsables ; que dès lors, cette décision ne faisant pas grief à M. X... et au syndicat des dentistes solidaires et indépendants, leur pourvoi n'est pas recevable ;
Sur le pourvoi formé par le Conseil national de l'ordre des chirurgiens dentistes :
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure qu'à la suite de la publication, le 5 février 2010, sur le site www.syndicatsdentaires.fr d'un texte comportant le passage suivant :"...Ce n'est pas tant que votre condamnation par le tribunal correctionnel de Paris, le 15 septembre 2006, pour vos agissements délictueux, ne vous ait pas servi de leçon...", le Conseil national de l'ordre des chirurgiens dentistes, s'estimant atteint en son honneur et en sa considération, a fait citer directement devant le tribunal correctionnel, du chef de diffamation publique envers particulier, M. X... et le Syndicat des dentistes solidaires et indépendants ; que le prévenu ayant été renvoyé des fins de la poursuite, la partie civile a relevé appel de cette décision ;
En cet état :
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 13 du décret n°2005-790 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat, L. 2131-3 et R. 2131-1 du code du travail, 2, 3, 415, 459, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a refusé de faire droit à la demande d'écarter des débats toutes les pièces produites au nom du syndicat des dentistes solidaires et indépendants (DSI) entre le 4 février 2012 et le 12 février 2013 ;
"aux motifs que, sur la demande de la partie civile, d'écarter des débats les actes de procédures accomplis par le civilement responsable DSI, entre le 4 février 20 12 et le 12 février 2013, au motif que ce syndicat ne justifierait pas d'avoir eu à l'époque un dirigeant en charge de le représenter, que la cour, précise que cette demande concerne les écritures présentées à l'audience du 8 novembre 2012, et sa représentation aux audience de fixation des 22 mars, 21 juin, 20 septembre 2012, et lors du prononcé de l'arrêt du 20 décembre 2012, que cette demande n'est pas fondée, cette personne morale pouvant être représentée comme au cas d'espèce par son avocat, selon l'article 415 du code de procédure pénale, d'une part, et aucune pièce n'établissant que cette personne morale était alors dissoute ou alors frappée d'une incapacité, à être intimée sur l'action engagée contre M. X... ;
"alors qu'un syndicat, comme toute personne morale, ne peut agir que par l'intermédiaire de ses représentants ; qu'en n'expliquant pas en quoi les pièces produites par la partie civile, selon lesquelles la présidence du syndicat DSI était de trois ans en vertu des statuts de ce syndicat, M. X... en ayant été désigné président par procès verbal du 4 février 2009, sans qu'il résulte d'aucun procès-verbal déposé en mairie qu'un nouveau président ait été désigné entre le 4 février 2012 et le 12 février 2013, au sein du syndicat, conformément à ses statuts, n'établissaient la vacance de la présidence du syndicat pendant cette période et l'impossibilité pour le syndicat d'exprimer une quelconque volonté de voir ledit syndicat défendu par l'avocat de M. X..., notamment sur la nullité de la citation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 2131-3 et R. 2131-1 du code du travail, 415 du code de procédure pénale et 13 du décret n°2005-790 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat" ;
Attendu que l'exception de nullité de la poursuite, soulevée par le prévenu, ayant été rejetée par la cour d'appel, et le pourvoi de M. X... et du Syndicat des dentistes solidaires et indépendants étant irrecevable, le demandeur est sans intérêt à critiquer des dispositions de l'arrêt qui ne lui font pas grief ;
D'où il suit que le moyen est irrecevable ;
Mais sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 29, 32 de la loi du 29 juillet 1881, 15 de la loi n°2002-1062 du 6 août 2002 portant amnistie, 459, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a jugé que les faits poursuivis n'étaient pas constitutifs de diffamation, après avoir fait droit à l'exception de vérité de ces faits, et a débouté les parties civiles de leurs demandes ;
"aux motifs que, sur le sens diffamatoire, est diffamatoire le fait d'énoncer qu'une personne morale a été condamnée car imputer à cette personne d'avoir commis une infraction est contraire à l'honneur ou à sa considération selon l'article 29, alinéa 1, de la loi du 29 juillet 1881 modifiée ; que le jugement sera sur ce point réformé en ce qu' il ne s'agit pas de la formulation d'une réflexion " excessivement polémique" mais d'un fait précis susceptible de faire l'objet du débat probatoire de l'article 35 de la loi sur la presse ; que sur la portée de l'offre de preuve signifiée le 9 avril 2010, la cour précise qu'en conséquence de la décision du Conseil constitutionnel du 13 juin 2013, l'offre de preuve d'un fait amnistié est recevable ; qu'au cas d' espèce, l'intimé M. X... produit le jugement de condamnation prononcée, le 15 septembre 2006, contre le conseil national de l'ordre des chirurgiens dentistes à la peine de 1 500 euros d'amende avec sursis pour le délit de recel de violation du secret professionnel ; qu'il résulte de la lecture du jugement, définitif faute d'appel que le conseil national de l'ordre a été reconnu coupable d'avoir adressé au conseil de l'ordre des avocats du barreau de paris ¿diverses lettres', l'une, datée du 15 juin 1997 ne pouvant être ainsi acheminée, sans méconnaître le secret professionnel ; qu'il résulte de la lecture de la pièce une de l'offre de preuve établit la réalité de la transmission par cette personne morale de ce courrier, ce qui signifie qu'au reçu de cette lettre, premier fait matériel, s'est rajoutée la décision de la transmettre au conseil de l'ordre des avocats (deuxième temps de la commission de l'infraction) suivie de sa réalisation matérielle (deuxième fait consommant l'infraction) ; qu'ainsi le prévenu a apporté la preuve de la pluralité de faits délictueux, mentionnée dans la phrase incriminée; qu'en ayant joint la photocopie (pièce deux), du chèque par lequel le conseil national de l'ordre a exécuté le jugement au plan des intérêts civils, le prévenu est fondé à affirmer avoir rapporté la preuve de ce fait diffamatoire de façon parfaite et corrélative ; que la mise hors de cause de l'intimé sera prononcée selon l'article 35 de la loi sur la presse ; que le jugement sera pour ce motif substitué à ceux du tribunal, confirmé le prévenu étant jugé comme ayant rapporté la preuve du fait diffamatoire unique poursuivi ;
"1°) alors qu'en vertu de l'article 15, alinéa 3, de la loi du 6 août 2002 portant amnistie, « toute référence à une sanction ou à une condamnation amnistiée sur le fondement de la présente loi est punie d'une amende de 5 000 euros »; qu'il en résulte nécessairement que la preuve de la vérité des faits diffamatoire exonératoire de toute responsabilité ne peut être rapportée lorsque les faits poursuivis consistent dans le rappel d'une condamnation amnistiée et non seulement dans le seul rappel des faits ayant donné lieu à une telle condamnation ; qu'en jugeant que si le rappel d'une condamnation amnistiée était diffamatoire, la preuve de la réalité de cette condamnation était un fait justifiant les propos poursuivis, la cour d'appel a méconnu l'article 15 de la loi du 6 août 2002 portant amnistie et l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ;
"2°) alors que la preuve de la vérité d'une condamnation amnistiée ne peut être constitutive d'un fait justificatif de la diffamation que pour autant que le rappel d'une telle condamnation est justifié par un sujet d'intérêt général ; que, dès lors, en ne recherchant pas si le sujet abordé dans l'article incriminé justifiait le rappel d'une condamnation amnistiée, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale ;
"3°) alors que la preuve de la vérité du fait diffamatoire n'exclut pas de devoir rechercher la bonne foi de la personne qui faisant état d'une condamnation, procède ainsi également à un jugement de valeur ; que la bonne foi ne peut résulter du rappel d'une condamnation amnistiée, sans méconnaître l'interdiction de rappeler une condamnation pénale prévue par les lois d'amnistie ; qu'en cet état, la cour d'appel qui a déduit de la seule preuve de la vérité de la condamnation, l'irresponsabilité de son auteur, a encore méconnu l'article 15 de la loi du 6 août 2002, incriminant le rappel d'une condamnation pénale ;
"4°) alors que la preuve de la vérité du fait diffamatoire n'exclut pas de devoir rechercher la bonne foi de l'auteur qui rappelle cette condamnation pour exprimer un jugement de valeur ; que, dès lors en ne recherchant pas, comme le demandait la partie civile, si le rappel de cette condamnation amnistiée permettait de considérer que les propos en cause répondaient à un but légitime, avaient une base factuelle, étaient exprimés avec prudence et sans animosité personnelle dans le cadre d'un article soutenant que le conseil national de l'ordre avait été condamné dans différentes procédures pénales, les cotisations ordinales servant à payer ses erreurs, quand son auteur ne pouvait invoquer qu'une condamnation portant sur des faits anciens et amnistiés et sans lien avec la procédure en cours, qu'il prétendait discuter, ne portant aucunement sur une condamnation pénale, contrairement à ce qu'affirmait l'article incriminé, la cour d'appel a privé sa décision de base légale" ;
Vu les articles 15, alinéa 3, de la loi du 6 août 2002 et 35 de la loi du 29 juillet 1881 ;
Attendu que, selon le premier de ces textes, toute référence à une sanction ou à une condamnation amnistiée est punie d'une peine d'amende de 5 000 euros ;
Attendu que, si, en application du second de ces textes, et après abrogation par le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2013-319 QPC du 7 juin 2013, du paragraphe c) de l'article 35 de la loi du 29 juillet 1881, la vérité des faits diffamatoires peut à présent être prouvée lorsque l'imputation se réfère à un fait constituant une infraction amnistiée, cette preuve ne peut être rapportée lorsque l'imputation consiste dans le rappel de la condamnation amnistiée elle-même ;
Attendu que, pour admettre la preuve de la vérité du fait diffamatoire, et débouter la partie civile, l'arrêt retient que le prévenu produit le jugement de la condamnation, dont le propos litigieux faisait état, prononcée le 15 septembre 2006 contre le Conseil de l'ordre des chirurgiens dentistes, à la peine de 1 500 euros d'amende avec sursis pour recel de violation du secret professionnel, et qu'il résulte de ce jugement que ledit conseil a été reconnu coupable d'avoir adressé au conseil de l'ordre des avocats du barreau de Paris une lettre qui ne pouvait être acheminée sans méconnaître le secret professionnel ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, et en admettant, à titre de fait justificatif, la preuve de la vérité de l'imputation d'une condamnation amnistiée, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de cassation proposés :
I - Sur le pourvoi de M. X... et du Syndicat des dentistes solidaires et indépendants :
Le DÉCLARE IRRECEVABLE ;
II - Sur le pourvoi du Conseil national de l'ordre des chirurgiens dentistes :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 10 avril 2014, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Versailles à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le trois novembre deux mille quinze ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 14-83419
Date de la décision : 03/11/2015
Sens de l'arrêt : Irrecevabilité
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

PRESSE - Diffamation - Intention coupable - Preuve contraire - Bonne foi - Exclusion - Imputation se référant à une condamnation amnistiée - Abrogation - Conseil constitutionnel - Effets - Détermination

PRESSE - Diffamation - Intention coupable - Preuve contraire - Bonne foi - Détermination - Imputation se référant à une condamnation amnistiée - Domaine - Rappel de la condamnation amnistiée elle-même - Exclusion AMNISTIE - Textes spéciaux - Loi du 6 août 2002 - Effets - Interdiction de rappeler une condamnation à une peine amnistiée - Cas - Production du jugement de condamnation

Si, en application de l'article 35 de la loi du 29 juillet 1881, et après abrogation par le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2013-319 QPC du 7 juin 2013, du paragraphe c de cet article, la vérité des faits diffamatoires peut à présent être prouvée lorsque l'imputation se réfère à un fait constituant une infraction amnistiée, cette preuve ne peut être rapportée lorsque l'imputation consiste dans le rappel de la condamnation amnistiée elle-même. Encourt la cassation l'arrêt qui, pour admettre la vérité du fait diffamatoire, et débouter la partie civile, retient que le prévenu produit le jugement de la condamnation dont le propos litigieux faisait état, alors que cette condamnation était amnistiée par la loi du 6 août 2002, dont l'article 15, alinéa 3, interdit toute référence à une sanction ou une peine amnistiée


Références :

article 35 de la loi du 29 juillet 1881

article 15, alinéa 3, de la loi du 6 août 2002

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 10 avril 2014

Sur l'interdiction de prouver la vérité de faits diffamatoires par le rappel d'une condamnation amnistiée, à rapprocher :1re Civ., 16 mai 2013, pourvoi n° 12-19783, Bull. 2013, I, n° 101 (cassation).Sur l'abrogation par le Conseil constitutionnel du paragraphe c de l'article 35 de la loi du 29 juillet 1881 relatif à l'exception de vérité des faits diffamatoires constituant une infraction amnistiée, à rapprocher :Cons. const., 7 juin 2013, décision n° 2013-319 QPC (abrogation)


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 03 nov. 2015, pourvoi n°14-83419, Bull. crim. 2016, n° 839, Crim., n° 453
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle 2016, n° 839, Crim., n° 453

Composition du Tribunal
Président : M. Guérin
Avocat général : Mme Caby
Rapporteur ?: M. Monfort
Avocat(s) : SCP Gatineau et Fattaccini, SCP Lyon-Caen et Thiriez

Origine de la décision
Date de l'import : 16/12/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2015:14.83419
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