LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen relevé d'office après avis donné aux parties en application des dispositions de l'article 1015 du code de procédure civile :
Vu l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 ;
Attendu que, selon ce texte, l'assignation doit, à peine de nullité, préciser et qualifier le fait incriminé et énoncer le texte de loi applicable ; qu'est nulle une assignation qui retient pour les mêmes faits une double qualification fondée sur la loi du 29 juillet 1881 et sur l'article 9-1 du code civil ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que le journal " La Marseillaise " édité par la société d'édition et d'impression du Languedoc Provence sous la direction de M. X..., ayant publié les 15 décembre 2011, 4 janvier et 15 février 2012 trois articles mentionnant notamment le " réseau Y..." du nom de l'expert-comptable " qui tenait une comptabilité bidon et validait des faux ", M. Y..., mis en examen ainsi que la société Gestion, ingénierie, comptabilité audit (GICA) dont il est l'associé gérant, estimant que ces titres étaient diffamatoires ou constituaient une atteinte à la présomption d'innocence, ont saisi le juge des référés sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881 et de l'article 9-1 du code civil ;
Qu'en statuant sur les mérites de l'assignation alors que celle-ci, fondée sur une double qualification, était nulle, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Vu l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire ;
Attendu que la cassation n'impliquant pas qu'il soit à nouveau statué sur le fond, il n'y a pas lieu à renvoi ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 11 avril 2013, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Annule l'assignation du 13 mars 2012 ;
Condamne M. Y...et la GICA aux dépens lesquels incluent ceux exposés devant les juges du fond ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre février deux mille quinze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Boullez, avocat aux Conseils, pour M. Y...et la société Gestion ingénierie comptabilité audit.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Le pourvoi fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué D'AVOIR écarté les demandes que M. Jean-Claude Y...avait formées contre la SOCIETE D'EDITION ET D'IMPRESSION DU LANGUEDOC PROVENCE et M. Paul X...;
AUX MOTIFS PROPRES QUE la diffamation consiste dans l'allégation ou l'imputation d'un fait précis et déterminé de nature à porter atteinte à l'honneur ou à la considération d'une personne identifiée ou identifiable sauf pour son auteur à démontrer l'exactitude du propos et qu'il a agi de bonne foi ; que trois articles de presse sont incriminés par les appelants étant rappelé qu'ils interviennent dans le but légitime d'informer le public sur une instruction pénale intéressant l'activité d'artisans-taxi ; que le premier en date du 15 décembre 2011 figurant sur le site internet de la Marseillaise mentionne : « la première instruction touche à sa fin, c'est celle dite du réseau Y...du nom de l'expert-comptable de beaucoup de taxis locaux qui tenait une comptabilité bidon et validée avec des faux » ; que le terme de « réseau » que critiquent les appelants ne constitue pas une atteinte directe présentant M. Jean-Claude Y...comme coupable, la diffamation reposant sur l'imputation de faits précis ; que les intimés font justement valoir que le terme « réseau » n'est pas associé à une connotation illicite ou pénale telle « réseau mafieux » ; que le positionnement de M. Jean-Claude Y..., mis en examen, en tant que personnage central d'une instruction en cours dont l'internaute est informé de l'évolution ne révèle aucun fait précis, celui-ci n'étant pas présenté comme le gestionnaire de tous les adhérents du syndicat des artisans-taxi impliqués ; qu'il en va de même des termes généraux de « comptabilité bidon et validée par des faux » employés par les enquêteurs de police et qui doivent être nécessairement rapprochés de l'information pour escroquerie, faux et usage de faux dans laquelle M. Y...est mis en examen, aucun des termes employés n'excédant le compte-rendu de l'avancement d'une procédure judiciaire ; que l'article papier du 4 janvier 2012 concerne exclusivement le syndicat et particulièrement son « patron », M. L. Z...dit « A... » ; que le rappel de la mise en examen de M. Jean-Claude Y...dans l'affaire dite des taxis et de sa situation de personnage central en raison de sa qualité d'expert-comptable en référence à l'article précédent du 15 décembre 2011 n'apporte pas plus d'imputation de faits précis ; que de même ceux imputés à M. Z...n'y sont pas pour autant étendus à M. Jean-Claude Y...dont le rappel de la fonction d'expert-comptable n'est pas attentatoire en soi à l'honneur ou la réputation ; qu'enfin l'article papier du 15 février 2012 intitulé « Les huit tentacules du poulpe clientéliste » ne mentionne aucunement le nom de Jean-Claude Y...et par conséquent aucune atteinte directe, les seuls termes « incontournable expert-comptable » étant insuffisants à caractériser une atteinte à sa réputation ; qu'ainsi ces articles, au demeurant de taille modeste, ne procèdent à aucune outrance inutilement blessante, ne révèlent aucun fait prématuré ou dénaturé et sont la synthèse des informations recueillies auprès des services de police en charge de l'enquête ; qu'en définitive et ainsi que l'a considéré le premier juge la preuve d'un trouble manifestement illicite n'est pas rapportée ;
AUX MOTIFS ADOPTES QUE dans le premier article il est fait référence au « réseau Y...» du nom de l'expert comptable de beaucoup de taxis locaux « qui tenait une comptabilité bidon et validait avec des faux », les deux mentions entre guillemets sont nettement insuffisantes pour caractériser une diffamation de même que la mention de M. Y...comme personnage central des trois affaires en cours, un troisième dossier pendant sur Aix-en-Provence étant simplement évoqué ; que l'article du 4 janvier 2012 concerne presque exclusivement M. Louis Z..., une seule référence étant faite à M. Jean-Claude Y...comme étant l'expert-comptable conseillé par " A... " qui avait un poste à la Mairie, un bureau officieux dans les locaux des TUPP à Plombières et que l'article qualifie de personnage central ; que dans le résumé des épisodes précédents qui suit, le dossier des taxis de la gare St Charles est évoqué en liaison avec la faillite des taxis TUPP et la plainte de quatre vingt deux adhérents ; que les éléments constitutifs de la diffamation par voie écrite à l'égard de la personne de M. Y...ne sont pas caractérisés dans l'un ou l'autre des articles susvisés qui retracent des faits ou événements correspondant à des dossiers d'instructions, les connotations « mafieuses » étant induites par M. Y...dans le cadre d'une lecture globale et de son interprétation personnelle des trois articles susvisés, étant constaté qu'il n'a pas sollicité de droit de réponse ;
1. ALORS QUE pour être diffamatoire, une allégation ou une imputation doit se présenter sous la forme d'une articulation précise de faits de nature à être, sans difficulté, l'objet d'une preuve et d'un débat contradictoire ; qu'il résulte des termes de l'arrêt attaqué que le premier article du 15 décembre 2011 était ainsi libellé : « la première instruction touche à sa fin, c'est celle du réseau Y...du nom de l'expert-comptable de beaucoup de taxis locaux qui tenait une comptabilité bidon et validée avec des faux » ; qu'en retenant, pour décider que les termes de cet article n'étaient pas diffamatoires et ne comporteraient l'imputation d'aucun fait précis, que le positionnement de M. Y..., mis en examen, en tant que personnage central d'une instruction en cours ne le présente pas comme le gestionnaire de tous les adhérents du syndicat des artisans-taxi impliqués, quand l'allégation de la tenue d'une comptabilité bidon et validée par des faux constituait un fait précis et susceptible de preuve, la cour d'appel a violé l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ;
2. ALORS QU'en s'abstenant de répondre à l'un des moyens des conclusions de M. Y...qui rappelait que l'article du 15 décembre 2011 était diffamatoire en tant qu'il lui imputait un fait précis résultant de son implication dans l'une des magouilles consistant à surfacturer les courses aux gros clients (conclusions, p. 11, § 25), la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ;
3. ALORS QUE l'imputation ou l'allégation d'un fait déterminé portant atteinte à l'honneur ou à la considération d'une personne entre dans les prévisions de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881, même si elle est présentée sous forme d'insinuation ; qu'en retenant que la mention du « réseau Y...» et celle de la tenue « d'une comptabilité bidon et validait avec des faux » étaient insérées entre des guillemets pour décider qu'elles n'étaient pas diffamatoires, la cour d'appel a violé l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ;
4. ALORS QUE le compte-rendu, pour être couvert par l'immunité des débats judiciaires, doit mettre en regard les prétentions contraires des parties et permettre, par une narration générale ou partielle, d'apprécier l'ensemble des débats judiciaires en s'abstenant de toute dénaturation des faits et de toute imputation malveillante, spécialement à l'égard des membres de la juridiction ; qu'il s'ensuit que le compte-rendu d'une information pénale est incompatible avec l'expression d'un avis ou d'un sentiment de son auteur, doit au contraire tenter de prétendre à l'objectivité et doit aussi s'abstenir de toute dénaturation des faits et de tout commentaire malveillant ; qu'en décidant cependant qu'aucun des termes employés n'excédait le compte-rendu de l'avancement d'une procédure judiciaire quand l'imputation à M. Y...de la tenue d'une comptabilité bidon et validée par des faux ne satisfait pas à l'exigence de ce texte dès lors qu'elle est malveillante et dépourvue de toute objectivité, la cour d'appel a violé l'article 41, alinéa 3, de la loi du 29 juillet 1881 ;
5. ALORS QU'il résulte des termes du deuxième article du 4 janvier 2012 que le nom de M. Y...est expressément mentionné avec celui de l'ancien patron des taxis comme n'ayant « pas encore été entendus par la police qui passe au peigne fin leur patrimoine, grandes propriétés, bateaux, chevaux, bagnoles » ; qu'en décidant que le rappel de la fonction d'expert-comptable de M. Y...dans le deuxième article du 4 janvier 2012 n'était pas diffamatoire, à défaut de comporter l'imputation de faits précis à son encontre, quand une telle allégation d'un fait précis et de nature à porter atteinte à son honneur et à sa considération est donc diffamatoire, la cour d'appel a violé l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ;
6. ALORS QU'il n'est pas nécessaire que la personne soit désignée dès lors que son identification soit rendue possible par les termes du discours ou de l'écrit ou par des circonstances extrinsèques qui éclairent et confirment cette désignation de manière à la rendre évidente ; qu'en retenant, dans le dernier article paru le 15 février 2012 sous l'intitulé « les huit tentacules du poulpe clientéliste » que M. Y...n'y était pas nommément désigné pour exclure toute diffamation, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, s'il n'était pas rendu identifiable par les termes de l'article et son contexte (conclusions, p. 12, § 32 et 33), la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ;
7. ALORS QU'en considérant que la teneur de l'article n'était pas attentatoire à l'honneur de M. Y..., quand il était présenté comme le premier tentacule du poulpe clientéliste qui fut la première à sauter, la cour d'appel a violé l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ;
8. ALORS QU'il résulte des trois articles précités que M. Y...est systématiquement présenté comme un personne malhonnête ou comme la personne centrale d'un réseau taxé d'escroquerie dont il a été le bénéficiaire ; qu'en décidant qu'ils ne procèdent à aucune outrance inutilement blessante, qu'ils ne révèlent aucun fait prématuré ou dénaturé et qu'ils sont la synthèse des informations recueillies auprès des services de police en charge de l'enquête, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations ; qu'ainsi, elle a violé l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ;
9. ALORS QUE le but légitime d'information du public ne dispense pas le journaliste des devoirs de prudence et d'objectivité dans l'expression de sa pensée ; qu'en retenant que les articles précités sont inspirés par le but légitime d'informer le public sur une instruction pénale intéressant l'activité d'artisans-taxis, la cour d'appel a violé l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ;
10. ALORS QUE l'existence d'une diffamation n'est pas subordonnée à l'exercice préalable par la victime d'un droit de réponse ; qu'en relevant incidemment, pour écarter l'existence d'une diffamation, que M. Y...n'avait pas exercé un droit de réponse, la cour d'appel a violé l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
(subsidiaire)Le pourvoi fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué D'AVOIR écarté les demandes que M. Jean-Claude Y...et la société GESTION INGENIERIE COMPTABILITE AUDIT (GICA) avaient formées contre la SOCIETE D'EDITION ET D'IMPRESSION DU LANGUEDOC PROVENCE et M. Paul X...;
AUX MOTIFS PROPRES QUE l'atteinte à la présomption d'innocence n'est pas le succédané d'une action infondée sur les dispositions de la loi du 29 juillet 1881 ; que le premier juge a rappelé que les appelants ne pouvaient attraire les intimés sur ces deux fondements qui n'ont aucun caractère subsidiaire pour des faits identiques ;
ALORS QUE les abus de la liberté d'expression prévus par la loi du 29 juillet 1881 et portant atteinte au respect de la présomption d'innocence peuvent être réparés sur le fondement unique de l'article 9-1 du Code civil ; qu'ainsi, lorsque sont visés indistinctement et sans hiérarchie plusieurs fondements juridiques dont celui-ci, au soutien de prétentions uniques, il est du devoir du juge, sinon de considérer qu'il n'est en réalité saisi que d'une demande fondée sur ce texte, du moins d'envisager les faits dont il est saisi sous toutes les qualifications juridiques proposées et spécialement sous l'angle de l'atteinte à la présomption d'innocence ; qu'en retenant que M. Y...et la société GESTION INGENIERIE COMPTABILITE AUDIT (GICA) ne pouvaient pas agir sur le double fondement de l'article 9-1 du Code civil et de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 qui n'ont aucun caractère subsidiaire pour des faits qui sont identiques, la cour d'appel a violé l'article 9-1 du Code civil.