N° U 13-81.903 F-P+B+I
N° 3008
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l'arrêt suivant :
REJET du pourvoi formé par M. Erdem X..., contre l'arrêt de la cour d'appel de Douai, 6e chambre, en date du 4 décembre 2012, qui, pour transfert de capitaux sans déclaration, l'a condamné à une amende douanière et à la confiscation des sommes saisies ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 14 mai 2014 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel, président, Mme Labrousse, conseiller rapporteur ; Mme Nocquet, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Leprey ;
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire LABROUSSE, les observations de la société civile professionnelle CÉLICE, BLANCPAIN et SOLTNER, de la société civile professionnelle BORÉ et SALVE DE BRUNETON, avocats en la Cour, et les conclusions de M .l'avocat général BONNET ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 464 et 465 du code des douanes, 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 1 du protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
"en ce que l'arrêt attaqué a ordonné la confiscation de la somme de 112 465 euros et rejeté en conséquence la demande de M. X... tendant à la restitution de la somme de 112 465 euros ;
"aux motifs que la Cour est également saisie d'une requête en mainlevée de la saisie de la consignation sous scellés de la somme de 112 465 euros et subsidiairement à la levée sous déduction de la somme de 28 116 euros ; qu'eu égard à la condamnation prononcée et à la confiscation ordonnée aux termes de la présente décision, la demande de restitution présentée par Erdem X... sera intégralement rejetée ;
"alors qu'en cas de manquement à l'obligation déclarative, les agents des douanes peuvent consigner la somme sur laquelle a porté l'infraction pour une durée ne pouvant excéder six mois ; qu'en se fondant, pour rejeter la requête de M. X... tendant à la restitution de la somme consignée, sur le fait qu'elle en avait ordonné la confiscation, quand il lui appartenait de rechercher uniquement si la consignation n'avait pas excédé la durée légale, ce qui suffisait à commander la restitution des sommes consignées, la cour d'appel a statué par un motif inopérant en violation de l'article 465 du code des douanes" ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 464 et 465 du code des douanes, 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 1 du protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. X... coupable de transfert non déclaré de sommes, titres ou valeurs d'au moins 10 000 euros entre la France et l'étranger sans l'intermédiaire d'un établissement autorisé à effectuer des opérations de banque, l'a condamné au paiement d'une amende de 28 116 euros et a ordonné la confiscation de la somme de 112 465 euros ;
"aux motifs que le prévenu a été interpellé alors qu'il conduisait une berline de forte cylindrée immatriculée en Espagne dans laquelle avait pris place un ressortissant portugais qui s'est déclaré propriétaire de ce véhicule ; que cet équipage réalisait un trajet entre deux pays connus comme étant des plaques tournantes du trafic de stupéfiants ; que lors du contrôle et de l'enquête, les chiens du service des douanes et de la police judiciaire dressés pour la recherche de produits stupéfiants ont marqué des arrêts francs sur les liasses découvertes cachées dans les trappes latérales du coffre ; qu'une expertise pratiquée sur un échantillon de trente billets a révélé que 29 billets réagissaient à la cocaïne et vingt et un billets à l'héroïne ; que l'expert conclut, au vu des ses constatations, que les devises ont un lien avec le trafic de cocaïne et d'héroïne ; que lors du contrôle Erdem X... était en possession de quatre téléphones portables et, comme son équipier, de la même somme de 1 000 euros en espèce ; que l'enquête a établi que le prévenu, ressortissant turc résidant aux Pays-Bas depuis trente et un ans, ne disposait d'aucun moyen de subsistance et qu'il vivait épisodiquement avec son épouse qui, quant à elle, disposait des aides sociales ; que lors de son audition en retenue douanière et en garde à vue, alors qu'il bénéficiait de l'assistance d'un interprète en langue néerlandaise, il a déclaré que le 26 janvier 2008 il était à Madrid, qu'il s'était rendu ensuite en Turquie et qu'il était revenu à Madrid le 31 janvier pour investir dans un restaurant en Espagne, pays dans lequel il n'a pourtant aucune attache particulière et dont il ne connaît pas la langue ; que lors du contrôle, il revenait de ce pays pour rejoindre la Hollande ; qu'il avait obtenu cette somme grâce à son oncle, son beau-frère et d'autres membres de sa famille, emprunts garantis par un héritage ; que M. Y... dont il connaissait l'épouse de longue date l'avait aidé pour les traductions espagnoles et qu'il se rendait en Hollande avec lui pour acheter du matériel de plomberie ; que pourtant, en première comparution et devant la cour, il devait déclarer que l'argent venait de plusieurs bureaux de change ; que ses déclarations quant à l'origine licite des fonds et leur destination sont dépourvues de crédibilité, même si elles ont été confirmés partiellement et évasivement par celles de son épouse et sa famille turque ; qu'il n'est pas sans intérêt de relever que ces dernières ont été faites par des personnes qui connaissaient les circonstances de la cause et qui étaient nécessairement solidaires du prévenu pour de multiples raisons ; qu'il convient de relever qu'aucun élément du dossier ne permet de confirmer l'origine précise des fonds et d'établir que ceux-ci proviendraient d'opérations de change en Turquie et que le prévenu aurait, comme il le prétend, rencontré ses bailleurs de fond à la fin du mois de janvier 2008 lors du voyage en Turquie dont il justifie ; qu'au demeurant devant la cour, le prévenu a affirmé qu'il détenait les fonds avant ce séjour ; que M. Y..., lors de son audition par les douanes et en garde à vue, a déclaré que le but de ce voyage avec un véhicule acheté 20 500 euros, aussi grâce à un héritage, était de l'accompagner pour le protéger et qu'il savait que Erdem X... voulait acheter une maison à Amsterdam pour ses trois enfants et envoyer de l'argent en Turquie ; qu'il avait fait la connaissance de M. Erdem X... tout à fait par hasard six mois auparavant à côté d'un hôtel aux Pays-Bas et qu'il avait revu le jour de l'acquisition du véhicule ; que ce transport transfrontalier, dans de telles circonstances par un tel équipage, d'une importante somme d'argent en petites coupures imprégnées d'héroïne et de cocaïne justifie que le prévenu soit condamné au paiement du maximum de l'amende douanière prévue par l'article 465 du code de douanes et donc à une amende de 28 116 euros ; que les mêmes circonstances permettent à la cour de considérer, nonobstant le non-lieu prononcé du chef des poursuites pour blanchiment, qu'il existe à l'encontre du prévenu, déclaré coupable du délit prévu et réprimé par l'article 465 du code des douanes, des raisons plausibles de penser qu'il a participé, comme auteur ou complice, à une autre infraction douanière telle que le délit douanier de première classe de contrebande de marchandises prohibées, dont les sommes saisies sont de manière plausible le produit ; qu'en conséquence, il convient, par application de l'article 465 II, alinéa 2, du code des douanes, d'ordonner la confiscation de la somme de 112 465 euros actuellement consignée" ;
1°) "alors que les sommes consignées à la suite de la constatation d'un manquement aux obligations déclaratives ne peuvent être confisquées que s'il est établi, pendant la durée de la consignation - laquelle ne peut excéder six mois -, que l'auteur dudit manquement a commis d'autres infractions douanières ; qu'en se bornant, pour prononcer la confiscation des sommes saisies, à relever qu'il existait des raisons plausibles de penser que M. X... aurait "participé, comme auteur ou complice, à une autre infraction douanière telle que le délit douanier de première classe de contrebande de marchandises prohibées, dont les sommes saisies sont de manière plausible le produit", sans constater que cette infraction aurait été caractérisée pendant la durée de la consignation, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes visés au moyen ;
2°) "alors qu'une somme consignée à la suite de la constatation d'un manquement à l'obligation déclarative ne peut être confisquée que s'il existe des raisons plausibles de penser que l'auteur de ce manquement a commis une ou plusieurs autres infractions douanières ; que la cour d'appel ne pouvait retenir, pour prononcer cette confiscation, qu'il existait des raisons plausibles de penser que M. X... aurait "participé, comme auteur ou complice, à une autre infraction douanière telle que le délit douanier de première classe de contrebande de marchandises prohibées, dont les sommes saisies sont de manière plausible le produit", quand M. X..., qui avait bénéficié d'un non-lieu des chefs de blanchiment, n'avait jamais été mis en mesure de s'expliquer sur ce délit de contrebande de marchandises prohibées ;
3°) "alors que, porte une atteinte disproportionné au droit de chacun au respect de ces biens la cour d'appel qui, au seul motif qu'il existerait des raisons plausibles de penser que M. X... aurait "participé, comme auteur ou complice, au délit douanier de première classe de contrebande de marchandises prohibées, dont les sommes saisies sont de manière plausible le produit", prononce, outre une amende correspondant au quart de la somme sur laquelle aurait porté cette infraction, la confiscation de l'intégralité de cette somme" ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que, le 8 février 2008, les agents des douanes en poste au péage de Thun Lévèque ont procédé au contrôle d'un véhicule immatriculé en Espagne circulant en direction de la Belgique, conduit par M. Erdem X..., de nationalité turque ; qu'après que ce dernier et son passager, de nationalité portugaise, résidant en Espagne et se déclarant propriétaire de ce véhicule, eurent précisé qu'ils étaient chacun porteurs d'une somme de 1 000 euros, ils ont découvert, dissimulés dans les trappes de rangement du coffre, plusieurs sacs poubelles contenant des billets de banque d'un montant total de 112 465 euros ; qu'un test de dépistage a révélé la présence de traces de cocaïne et d'héroïne sur les billets ; que cette somme a été consignée et saisie ; que M. X..., mis en examen des chefs de blanchiment d'infractions à la législation sur les stupéfiants, blanchiment douanier et transfert sans déclaration de capitaux, a été renvoyé devant le tribunal correctionnel de ce dernier chef ;
Attendu que, pour rejeter la requête en restitution de la somme saisie formée par M. X..., déclaré coupable de transfert de capitaux sans déclaration, et en prononcer la confiscation, l'arrêt énonce que le transport frontalier d'une importante somme d'argent en petites coupures imprégnées d'héroïne et de cocaïne permet de considérer qu'il existe à l'encontre du prévenu des raisons plausibles de penser qu'il a participé, comme auteur ou complice, au délit douanier de contrebande de marchandises prohibées dont les sommes saisies sont vraisemblablement le produit ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et dès lors que l'article L. 152-4 du code monétaire et financier, auquel renvoie l'article 465 du code des douanes, n'exige pas que les sommes saisies soient restituées de plein droit à l'expiration de leur durée de consignation, la cour d'appel, qui a déduit des éléments recueillis lors du contrôle et de la rétention douanière qu'il existait des raisons plausibles de penser que le prévenu avait participé à la commission d'une infraction douanière autre que le transfert de capitaux sans déclaration et qui n'avait pas à mettre le prévenu en mesure de s'expliquer sur cette infraction, pour laquelle il n'a été ni poursuivi ni condamné, a, sans méconnaître les dispositions conventionnelles invoquées aux moyens, fait une exacte application des articles précités ;
D'où il suit que les moyens ne peuvent être accueillis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
DIT n'y avoir lieu à application, au profit de M. X..., de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-cinq juin deux mille quatorze ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;