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28/01/2014 | FRANCE | N°12-88430

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 28 janvier 2014, 12-88430


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :

- Mme Béatrice X..., partie civile,

contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, chambre 2-7, en date du 28 novembre 2012, qui l'a déboutée de ses demandes après relaxe de Mme Marie Y... et de M. Marc Z... du chef de publication d'actes de procédure pénale avant leur lecture en audience publique ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 17 décembre 2013 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procé

dure pénale : M. Louvel, président, M. Maziau, conseiller rapporteur, Mme Guirimand, c...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :

- Mme Béatrice X..., partie civile,

contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, chambre 2-7, en date du 28 novembre 2012, qui l'a déboutée de ses demandes après relaxe de Mme Marie Y... et de M. Marc Z... du chef de publication d'actes de procédure pénale avant leur lecture en audience publique ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 17 décembre 2013 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel, président, M. Maziau, conseiller rapporteur, Mme Guirimand, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Leprey ;
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire MAZIAU, les observations de Me HAAS, de la société civile professionnelle GATINEAU et FATTACCINI, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DESPORTES ;
Vu les mémoires en demande et en défense produits ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 13 et 38 de la loi du 29 juillet 1881, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a renvoyé M. Z... et Mme Y..., prévenus, des fins de la poursuite et a débouté Mme X..., partie civile, de ses demandes ;
"aux motifs que, sur les faits, directrice de publication du site internet et de la publication imprimée le Parisien Libéré, Mme Y... a diffusé auprès du public, le 16 mars 2010, l'article de M. Z... comprenant les conclusions du rapport d'expertise ordonnée par l'un des juges d'instruction du tribunal de grande instance de Paris en charge de la procédure d'instruction ouverte à la suite du décès de M. A... ; qu'à la date de diffusion (16 mars 2010), l'information judiciaire était en cours ; que, sur l'infraction de l'article 38 de la loi sur la presse, toute reproduction même partielle d'un acte de procédure avant qu'il ait été lu en audience publique est incriminée par ce texte ; (...) qu'a été publié et diffusé sur le réseau internet le point de vue technique d'un expert à propos de la commission, par le docteur X..., de deux infractions alors que l'information, à laquelle les prévenus n'étaient pas parties, n'est pas clôturée et qu'aucune juridiction n'avait été saisie ; que les textes poursuivis sont appréciés pour ces motifs comme entrant dans les prévisions de l'article 38, alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881 modifiée ; qu'il incombe ensuite au juge répressif d'apprécier si l'ingérence dans l'exercice du droit à la liberté d'expression des appelants, consacré par l'article 10.1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que constitue l'application de l'article 38 de la loi du 29 juillet 1881, est en l'espèce justifiée comme étant en mesure de restriction à l'exercice de ce droit nécessaire, conformément à l'article 10.2, à la protection de la réputations et des droits d'autrui et de garantie de l'autorité et de l'impartialité de la justice, et proportionnée au but de protection de ces intérêts ; (...) que l'article en cause, qui ne concernait pas un sujet d'intérêt général, est paru alors qu'aucune juridiction n'était saisie et que l'information n'était pas arrivée à son terme ; qu'en droit, il incombe au cas d'espèce pour le juge pénal d'évaluer la probabilité qu'un juge lise l'article et soit influencé par ce dernier ; qu'au stade de l'information judiciaire, le juge d'instruction tenu d'informer à charge et à décharge et dont l'obligation consiste, lorsqu'il estime ses investigations terminées, à décider de l'issue du dossier dont il est saisi n'est pas investi du pouvoir juridictionnel de se prononcer sur la culpabilité des personnes qu'il a mises en examen ; que, si les conclusions du rapport, intégrées dans l'article, donnent au lecteur le point de vue technique d'un expert sur l'implication de Mme X... dans le décès de M. A..., le point de vue, contraire, de Mme X..., est mentionné à l'article et il convient de préciser que, dix jours plus tard, le quotidien Le Parisien Libéré a publié le droit de réponse de cette personne, qui est la réfutation précise et argumentée de l'article dont deux extraits sont attaqués ; qu'en définitive, au vu de ces éléments d'appréciation, la publication, unique, de deux extraits d'un rapport d'expertise mesure technique soumise à la contestation des parties à la procédure d'instruction et ne valant pas appréciation sur la culpabilité de la partie civile alors mise en examen, suivie du démenti de cette personne, puis dix jours plus tard de la parution de son démenti, n'a pas porté atteinte au droit de Mme X... à bénéficier d'un procès équitable le 16 mars 2010 et à l'autorité et impartialité de la justice ; qu'en conséquence, l'application de l'article 38 de la loi du 29 juillet 1881 à la publication incriminée constituerait une ingérence, dans l'exercice du droit à la liberté d'expression, disproportionnée et en répondant à un besoin impérieux de protection de la réputation et des droits d'autrui ou de garantie de l'autorité ou de l'impartialité du pouvoir judiciaire ;
"1°) alors qu'ayant expressément constaté que l'article en cause ne concernait pas un sujet d'intérêt général, la cour d'appel aurait dû en déduire que l'application de l'article 38 de la loi du 29 juillet 1881 à sa publication ne constituait pas une ingérence disproportionnée dans l'exercice du droit à la liberté d'expression ;
"2°) alors qu'ayant constaté que les conclusions du rapport d'expertise judiciaire, intégrées dans l'article, donnaient au lecteur le point de vue technique d'un expert sur l'implication de Mme X... dans le décès de M. A..., la cour d'appel aurait dû en déduire que la publication d'un tel document portait nécessairement au droit à la présomption d'innocence une atteinte justifiant que soit apportée une restriction à la liberté d'expression ;
"3°) alors qu'en se bornant à relever que l'article incriminé mentionnait le point de vue de Mme X..., la cour d'appel n'a pas répondu au moyen des conclusions d'appel de la partie civile tiré de cet article avait, en tronquant la position de la défense de Mme X... et en omettant d'indiquer qu'une contre-expertise judiciaire avait été ordonnée, renforcé l'effet donné aux conclusions du rapport d'expertise, et elle a, partant, insuffisamment motivé sa décision ;
"4°) alors que la cour d'appel ne pouvait pas, pour apprécier le caractère proportionné de la restriction à la liberté d'expression constituée par l'application de l'article 38 de la loi du 29 juillet 1881 à l'article incriminé, se fonder sur le droit de réponse dont il avait fait l'objet postérieurement à sa publication" ;
Vu les articles 38, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 et 593 du code de procédure pénale ;
Attendu que, d'une part, est punie par le premier de ces textes la publication, même partielle, des actes d'accusation et de tous autres actes de procédure criminelle ou correctionnelle avant qu'ils aient été lus en audience publique ;
Attendu que, d'autre part, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que, le 16 mars 2010, l'édition nationale du journal "Le parisien libéré" et le site internet de ce journal ont publié le point de vue technique d'un expert relatif à la commission de deux infractions imputées au docteur X..., alors médecin-chef du ministère de la Santé, qui faisait l'objet d'une information, ouverte des chefs d'homicide involontaire et omission de porter secours et non encore clôturée ; qu'à la suite de la dénonciation de cette publication par Mme X..., le procureur de la République a fait citer à comparaître Mme B..., directrice de publication, M. Z..., rédacteur de l'article, en qualité de prévenus, et le journal "Le parisien libéré" en qualité de civilement responsable ; que le tribunal correctionnel a relaxé les prévenus et débouté Mme X..., partie civile, de ses demandes; que Mme X... et le ministère public ont relevé appel de la décision ;
Attendu que, pour confirmer le jugement entrepris, après avoir relevé que les deux extraits d'un rapport d'expertise publiés concernaient un point de vue technique soumis à la contestation des parties à la procédure d'instruction et ne valant pas appréciation de la culpabilité de Mme X..., l'arrêt retient que cette publication n'a porté atteinte ni à l'autorité et à l'impartialité de la justice, ni au droit de Mme X..., qui a exercé son droit de réponse, de bénéficier d'un procès équitable ; que les juges du second degré ajoutent que l'application de l'article 38 de la loi du 29 juillet 1881 constituerait en l'espèce une ingérence disproportionnée dans l'exercice du droit à la liberté d'expression et ne répondrait pas à un besoin impérieux de protection de la réputation et des droits d'autrui ou de garantie de l'autorité et de l'impartialité de la justice ;
Mais attendu qu'en se déterminant par ces seuls motifs, sans apprécier l'incidence de la publication, dans son contexte, sur les droits de la personne mise en cause, et, notamment, sur son droit à la présomption d'innocence, au sens de l'article 6 § 2 de la Convention européenne des droits de l'homme, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des textes susvisés et des principes ci-dessus rappelés ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 28 novembre 2012, en ses seules dispositions civiles, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et, pour qu'il soit à nouveau statué conformément à la loi, dans la limite de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-huit janvier deux mille quatorze ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 12-88430
Date de la décision : 28/01/2014
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

PRESSE - Publication - Publications interdites - Publication d'actes de procédure pénale avant leur lecture en audience publique - Incidence de la publication sur les droits de la personne mise en cause - Atteinte à la présomption d'innocence

CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME - Article 6 § 2 - Présomption d'innocence - Presse - Publication interdite d'actes de procédure pénale avant leur lecture en audience publique - Incidence de la publication sur les droits de la personne mise en cause - Atteinte à la présomption d'innocence

Ne justifie pas sa décision, au regard de l'article 6, § 2, de la Convention européenne des droits de l'homme, la cour d'appel qui relaxe des prévenus pour publication d'actes d'une procédure criminelle avant leur lecture en audience publique en retenant, d'une part, que cette publication n'a porté atteinte ni à l'autorité et à l'impartialité de la justice, ni aux intérêts de la partie civile, qui a exercé son droit de réponse, et, d'autre part, que l'application de l'article 38 de la loi du 29 juillet 1881 constituerait en l'espèce une ingérence disproportionnée dans l'exercice du droit à la liberté d'expression et ne répondrait pas à un besoin impérieux de protection de la réputation et des droits d'autrui ou de garantie de l'autorité et de l'impartialité de la justice, alors qu'une telle publication, dans son contexte, était de nature à avoir une incidence sur les droits de la personne mise en cause, et, notamment, sur son droit à la présomption d'innocence


Références :

article 38, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881

article 593 du code de procédure pénale

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 28 novembre 2012

Sur l'atteinte portée aux droits de la personne mise en cause résultant de la publication interdite d'actes d'une procédure criminelle avant leur lecture en audience publique, à rapprocher :Crim., 22 juin 1999, pourvoi n° 98-84197, Bull. crim. 1999, n° 146 (rejet)


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 28 jan. 2014, pourvoi n°12-88430, Bull. crim. criminel 2014, n° 25
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 2014, n° 25

Composition du Tribunal
Président : M. Louvel
Avocat général : M. Desportes
Rapporteur ?: M. Maziau
Avocat(s) : Me Haas, SCP Gatineau et Fattaccini

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2014:12.88430
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