LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique du pourvoi incident :
Vu l'article L. 411-59 du code rural et de la pêche maritime, ensemble les articles L. 411-58 du même code et L. 331-2 du même code ;
Attendu que les conditions de fond de la reprise d'un domaine rural doivent être appréciées à la date pour laquelle le congé a été donné ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Douai, 16 février 2012), que les consorts X..., propriétaires de terres données à bail à M. Y..., lui ont délivré congé pour le 30 septembre 2006 pour reprise de leur exploitation par M. Jean-Michel X... ; que M. Y... a contesté ce congé ; que la durée du bail a été prorogée en conséquence des sursis à statuer prononcés par le tribunal paritaire au regard des recours dont les autorisations d'exploiter successivement demandées et obtenues par le bénéficiaire de la reprise ont fait l'objet devant la juridiction administrative ;
Attendu que, pour ordonner la prorogation à raison de l'âge du preneur, l'arrêt retient que si M. Jean-Michel X... était fondé, à la date d'effet du congé, à se prévaloir du régime de la déclaration, prévu par l'article L. 331-2, II du code rural et de la pêche maritime, en sorte que cet acte devait être déclaré valide, M. Y... atteindra l'âge légal de la retraite le 22 janvier 2016 alors même que la prorogation de plein droit par l'effet des contestations des autorisations d'exploiter délivrées au bénéficiaire du congé n'est pas encore achevée ;
Qu'en statuant ainsi, alors que la reprise, dont elle constatait par des motifs non critiqués qu'elle n'était pas subordonnée à autorisation, ne pouvait entraîner la prorogation de la durée du bail en application de l'article L. 411-58, alinéa 6, du code rural et de la pêche maritime, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi principal :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a ordonné la prorogation du bail et la réintégration de M. Y..., l'arrêt rendu le 16 février 2012, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Douai, autrement composée ;
Condamne M. Y... aux dépens des pourvois ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne M. Y... à payer aux consorts X... la somme de 3 000 euros ; rejette la demande de M. Y... ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du deux octobre deux mille treize, signé par M. Terrier, président, et par M. Dupont, greffier de chambre, qui a assisté au prononcé de l'arrêt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
.Moyen produit AU POURVOI PRINCIPAL par la SCP Peignot, Garreau et Bauer-Violas, avocat aux Conseils, pour M. Y....
Il est fait grief à l'arrêt attaqué, infirmant le jugement entrepris, d'avoir validé le congé délivré le 31 mars 2005 pour le 22 janvier 2006, correspondant à la date de la fin de la période de prorogation de bail au cours de laquelle le preneur aura atteint l'âge de la retraite retenu en matière d'assurance vieillesse des exploitants agricoles ;
AUX MOTIFS QUE Monsieur Jean-Charles Y... ouvre droit au bénéfice de la disposition prévue à l'alinéa 2 de l'article L. 411-58 du code rural pour s'opposer à la reprise ; que M. Jean-Charles Y..., qui a quitté les lieux en vertu de l'exécution provisoire assortissant le jugement déféré, peut prétendre à être réintégré dans les terres, objet du bail ; que le congé sera validé pour le départ en retraite de M. Jean-Charles Y..., soit le 22 janvier 2016 avec, à défaut de départ volontaire pour cette date, autorisation de recourir également à la force publique ;
ALORS QUE si le bailleur entend reprendre le bien loué à la fin de la période de prorogation, il doit de nouveau donner congé dans les conditions prévues à l'article L. 411-47 du Code rural et de la pêche maritime ; que dès lors, en statuant comme elle l'a fait, la Cour d'appel a procédé d'une violation de l'article L. 411-58 du Code rural et de la pêche maritime.
Moyen produit AU POURVOI INCIDENT par Me Georges, avocat aux Conseils, pour les consorts X....
Il est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR, infirmant de ces chefs le jugement entrepris, ordonné la prorogation du bail jusqu'au 22 janvier 2016, ordonné la réintégration de M. Jean-Charles Y... dans les parcelles faisant l'objet du bail, et validé pour le 22 janvier 2016 le congé délivré le 31 mars 2005, et ainsi refusé de valider ce congé en tant qu'il avait été délivré à effet au 30 septembre 2006,
AUX MOTIFS QU'ainsi que le permet l'article L. 411-58 du code rural, le congé a été délivré par les bailleurs pour reprise au profit d'un descendant majeur, M. Jean-Michel X... ; que s'il a à plusieurs reprises sollicité et obtenu du Préfet une autorisation d'exploiter, cette décision étant ensuite annulée par les juridictions administratives saisies, il convient d'observer que M. Jean-Michel X... était fondé à se prévaloir des dispositions de l'article L. 331-2 II du code rural relatif aux biens de famille ; que ce texte dispense en effet celui qui reçoit un bien par donation, location, vente ou succession d'un parent ou allié jusqu'au 3ème degré inclus de procéder simplement à une déclaration, lorsque plusieurs conditions sont remplies ; qu'en l'espèce, les conditions de domiciliation, de moyens financiers, de capacité ou d'expérience professionnelle et de libération du bien au jour de la déclaration ne sont pas discutées ; que seule l'est la condition de détention du bien pendant 9 ans ; que ce texte issu de la loi du 5 janvier 2006 est applicable aux baux en cours pour les congés à effet postérieur à son entrée en vigueur (ce qui est le cas ici puisque le congé était délivré pour le 30 septembre 2006) ; que la condition de détention du bien depuis plus de 9 ans est largement remplie, que ce soit à la date du congé ou à la date à laquelle la déclaration doit être faite ; que toute la discussion sur l'absence d'autorisation définitive est donc sans objet ; que le congé est donc parfaitement valable ; que cependant, M. Jean-Charles Y..., né le 22 juin 1954, a, en l'état des textes actuellement applicables, droit à la retraite le 22 janvier 2016 (61 ans 7 mois) ; qu'il est donc aujourd'hui à moins de 5 ans de la retraite ; que même si les autorisations d'exploiter n'étaient pas nécessaires, c'est à juste titre que M. Y... fait observer qu'en application de l'article L. 411-58, alinéa 6, le bail s'est trouvé prorogé de plein droit par l'effet des jugements de sursis à statuer rendus successivement les 24 juillet 2006 et 15 septembre 2009 par le tribunal paritaire des baux ruraux jusqu'à la fin de l'année culturale pendant laquelle l'autorisation devient définitive ; qu'aucune autorisation n'est jamais devenue définitive ; que la fin de l'année culturale au cours de laquelle le bail prendra fin ne peut donc encore à ce jour être déterminé, de sorte que M. Jean-Charles Y... a droit au bénéfice de la disposition prévue à l'alinéa 2 du même article L. 411-58 pour s'opposer à la reprise ; que M. Y..., qui a quitté les lieux en vertu de l'exécution provisoire assortissant le jugement déféré, peut donc prétendre à être réintégré dans les terres objet du bail ; que le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il avait validé le congé, mais infirmé en ce qu'il a donné effet immédiat à ce congé et ordonné l'expulsion de M. Y... ; qu'en revanche, le congé sera validé pour la date de départ en retraite de M. Y..., soit le 22 janvier 2016 (arrêt attaqué, pp. 7 et 8) ;
ALORS QUE le régime de la déclaration, issu de la loi du 5 janvier 2006 et actuellement régi par les dispositions, qui sont d'ordre public, des articles L. 331-2 II et R. 331-7 du code rural pris pour son application, est applicable aux reprises portées par des congés qui, délivrés dans le cadre de baux en cours à la date d'entrée en vigueur de cette loi, prennent effet postérieurement ; que dès lors que les conditions d'application de ce régime sont réunies, le juge doit en déduire que le candidat à la reprise, quand bien même aurait-il présenté une demande d'autorisation d'exploiter qui lui aurait été refusée, n'était pas soumis au régime de l'autorisation préalable, mais à celui de la déclaration préalable ; que, pour apprécier si la personne désignée comme bénéficiaire de la reprise en vue de laquelle le congé a été délivré devait disposer d'une autorisation préalable d'exploiter, le juge doit se placer à la date pour laquelle ce congé avait été délivré ; qu'en l'espèce, ayant constaté que M. Jean-Michel X... était fondé à se prévaloir des dispositions du II de l'article L. 331-2 du code rural, qui étaient applicables au bail en cause ayant fait l'objet du congé litigieux délivré pour le 30 septembre 2006, et dont M. X... réunissait les conditions lui permettant d'en bénéficier, que ce congé était donc « parfaitement valable » et que « toute la discussion sur l'absence d'autorisation définitive était donc sans objet », la cour d'appel aurait dû légalement en déduire que ce congé devait être déclaré valable à la date (30 septembre 2006) pour laquelle il avait été délivré ; qu'ainsi, en jugeant que « même si les autorisation d'exploiter n'étaient pas nécessaires », le fait qu'aucune autorisation d'exploiter n'était jamais devenue définitive à la date d'effet du congé faisait obstacle ¿ en raison des prorogations du bail ayant résulté, en vertu de l'article L. 411-58, alinéa 6, du code rural, des jugements de sursis à statuer rendus successivement par le tribunal paritaire des baux ruraux ¿ à ce que le congé litigieux fût validé à la date pour laquelle il avait été délivré, la cour d'appel a violé les articles L. 331-2 II et R. 331-7 du code rural et de la pêche maritime par refus d'application, ensemble l'article L. 411-58, alinéas 2, 4, 5 et 6, du même code par fausse application.