LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa septième branche :
Vu les articles L. 412-6, L. 452-1 à L. 452-4 du code de la sécurité sociale ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'Alain X..., ouvrier électricien salarié intérimaire de la société Freeman Sud-Est assurée par la société Les Mutuelles du Mans, est décédé le 21 janvier 2005, alors qu'il était mis à disposition de la société Methodek, chargée du lot électricité d'un chantier de construction, d'un accident du travail provoqué par la chute de huit banches de coffrage déstabilisées par le vent mises en place par des préposés de la Société générale de construction (la société Sogéco), chargée du lot « maçonnerie-gros oeuvre » ; que les ayants droit de la victime ont saisi une juridiction de sécurité sociale en invoquant une faute inexcusable de l'employeur ;
Attendu que, pour rejeter leur demande, l'arrêt énonce que la sirène d'alarme annonçant de fortes bourrasques s'était déclenchée à plusieurs reprises, que le responsable de la société Sogéco a ordonné aux ouvriers de poursuivre leur travail et qu'Alain X..., au lieu de se mettre à l'abri, a obéi aux ordres de celui-ci, restant sur place lors de l'effondrement des banches ; qu'il retient que la cause de l'accident résulte donc uniquement des négligences fautives d'un personnel sur lequel ni l'employeur de la victime ni la société utilisatrice n'exerçaient de pouvoir de surveillance ou de contrôle ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que l'entreprise utilisatrice de main d'oeuvre temporaire s'était substituée, dans la direction effective du salarié temporaire, la société Sogéco à l'origine de la faute inexcusable, de sorte que l'employeur demeurait responsable de cette faute, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 février 2012, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;
Condamne la société Freeman Sud-Est aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société les Mutuelles du Mans assurances ; condamne la société Freeman Sud-Est à payer aux consorts X... la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf septembre deux mille treize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, avocat aux Conseils, pour les consorts X....
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir débouté Madame X... et ses enfants de leur action aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, en raison du décès de leur époux et père lors d'un accident, dont l'origine professionnelle a été irrévocablement reconnue,
AUX MOTIFS QUE « la société FREEMAN appelante fait valoir qu'aucune faute inexcusable ne peut lui être reprochée puisque la cause du décès résultait de la négligence ou de la faute d'une entreprise avec laquelle elle n'avait aucun lien, et que seuls ses dirigeants avaient été poursuivis et condamnés pénalement. Madame X... fait valoir que la société Freeman et la société MÉTHODEK savaient que SOGÉCO avait déjà été condamnée pour blessures involontaires sur d'autres chantiers, qu'elles avaient une obligation de suivi et de contrôle, et que la société MÉTHODEK avait commis une faute inexcusable en n'assurant pas l'encadrement de ses ouvriers notamment au moment de l'accident : la société FREEMAN devait donc être déclarée responsable en sa qualité d'employeur. La Cour rappelle que la faute inexcusable de l'employeur ne se présume pas et que celui qui invoque l'existence d'une telle faute est tenu d'en rapporter la preuve. La Cour constate que la société d'intérim, employeur de la victime, avait mis à la disposition de la société MÉTHODEK deux électriciens parfaitement compétents (Monsieur X... qui a été tué ainsi qu'un autre ouvrier, Monsieur Y...), et que ceux-ci ont été formés aux risques encourus sur un chantier (attestation du conducteur de travaux de METHODEK). Or la sirène d'alarme annonçant de fortes bourrasques s'était déclenchée à plusieurs reprises et le responsable de SOGÉCO a ordonné aux ouvriers la poursuite du travail. Monsieur X..., au lieu de se mettre à l'abri, a obéi aux ordres du chef de chantier SOGÉCO, restant sur place au moment de l'effondrement des banches. Au cours de l'enquête, tous les témoins ont été entendus et les lieux ont été examinés. L'inspectrice du travail a ainsi relevé de graves anomalies imputables à la société SOGECO uniquement puisque les compas servant à fixer les banches de béton entre elles n'étaient pas verrouillées, les fortes poussées de vent ayant fini par faire vaciller l'ensemble des deux très hautes parois entre lesquelles travaillait Monsieur X.... Seul le chef de chantier de la société SOGÉCO avait à la fois la compétence technique et le pouvoir de vérifier que le travail d'arrimage des banches avait été réalisé conformément aux règles de sécurité par ses ouvriers. Aucune poursuite n'a d'ailleurs été engagée à l'encontre de la société MÉTHODEK, et seuls les gérants de SOGÉCO ont été poursuivis et condamnés pénalement du chef d'homicide et de blessures involontaires. Enfin, aucun élément du dossier ne permet d'affirmer que la société Freeman et la société MÉTHODEK auraient pu savoir que la société SOGÉCO aurait déjà fait l'objet d'un avertissement de l'inspection du travail suite à un accident mortel survenu sur l'un de ses chantiers en 2004, d'autant que le maître d'oeuvre était la société Urba Marseille et le coordinateur du chantier le Bureau VÉRITAS. La cause de l'accident résulte donc uniquement des négligences fautives du personnel d'une société étrangère à l'employeur et à la société utilisatrice, et sur lesquels ces dernières n'exerçaient aucun pouvoir de surveillance ou de contrôle. Madame X... n'a pas rapporté la preuve que la société FREEMAN ou la société MÉTHODEK avaient ou auraient dû avoir conscience du danger auquel pouvait être exposé le salarié, ni qu'elles n'ont pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver »,
ALORS D'UNE PART QUE, la faute inexcusable de l'employeur prévue à l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale est présumée établie pour les salariés temporaires victimes d'un accident du travail alors qu'affectés à des postes de travail présentant des risques particuliers pour leur santé ou leur sécurité ils n'ont pas bénéficié d'une formation renforcée à la sécurité ainsi que d'un accueil et d'une information adaptés dans l'entreprise dans laquelle ils sont employés ; qu'en l'espèce, la cour d'appel s'est bornée à relever que « Monsieur X... a été formé aux risques encourus sur un chantier » ; qu'en statuant ainsi, par une affirmation aussi vague que péremptoire, sans préciser la nature, le contenu ni la pertinence de la formation, la cour d'appel n'a nullement constaté que Monsieur X... avait bénéficié la formation renforcée à la sécurité ni qu'il avait bénéficié d'un accueil et d'une information adaptés dans l'entreprise dans laquelle il était employé, privant ainsi sa décision de base légale au regard des articles L. 4154-2, L. 4154-3 du code du travail et L.412-6, L. 452-1 à L. 452-4 du code de la sécurité sociale,
ALORS D'AUTRE PART QUE l'attestation de la société METHODEK se résume, en tout et pour tout, à une seule phrase qui énonce « je soussigné, Monsieur Z..., conducteur de travaux de la société METHODEK certifie que messieurs X... et Y... ont été informé à la sécurité et les risques sur le chantier Le Clos de la Granière » ; qu'en affirmant que « Monsieur X... a été formé aux risques encourus sur un chantier », alors qu'il ressort clairement et nettement de l'attestation qu'il a seulement été « informé » des risques du chantier, la cour d'appel a dénaturé le sens clair et précis de l'attestation, violant ainsi l'article 1134 du code civil,
ALORS ENSUITE QUE, dans leurs écritures, les ayants droits du salarié décédé faisaient justement valoir que « la formation à la sécurité sur les chantiers est validée par un certificat d'information et de formation à la sécurité signé par les parties à la fin du stage de formation ; or, en l'espèce, il est constant que Monsieur X..., de même que l'ensemble du personnel oeuvrant sur les chantiers de la Société SOGECO, n'avaient bénéficié d'aucune formation de sécurité ; la Société FREEMAN SUD EST, qui prétend qu'une "formation de sécurité et aux risques rencontrés sur les chantiers de construction" aurait été délivrée à Monsieur X..., se borne à produire, à l'appui de cette allégation, une attestation établie par la société METHODEK et datée du 7 mars 2005, mentionnant uniquement que l'intéressé a été "informé à la sécurité et (aux) risques sur la chantier Le Clos de Granière", sans produire aucun autre élément susceptible d'établir qu'une formation aurait été effectivement dispensée » (conclusions p.7) ; qu'en se bornant à affirmer que « Monsieur X... a été formé aux risques encourus sur un chantier », sans jamais rechercher, comme il lui était expressément demandé, quelle était la formation réellement suivie par Monsieur X... - dont l'existence serait établie autrement que par la preuve, préconstituée à elle-même, par la société METHODEK, dans son attestation, qui se résume à une seule phrase - la cour d'appel a, de nouveau, privé ainsi sa décision de base légale au regard des articles L. 4154-2, L. 4154-3 du code du travail et L. 412-6, L. 452-1 à L. 452-4 du code de la sécurité sociale,
ALORS EN OUTRE QUE non seulement, l'entreprise utilisatrice est tenue à une obligation de faire bénéficier le salarié d'une formation à la sécurité renforcée mais, l'entreprise de travail temporaire, elle aussi, doit s'assurer que son salarié a bénéficié d'une formation à la sécurité renforcée ; qu'en se fondant exclusivement sur « l'attestation du conducteur de travaux de l'entreprise utilisatrice », la cour d'appel a relevé que « Monsieur X... a été formé aux risques encourus sur un chantier » ; qu'en statuant ainsi, sans jamais constater que l'entreprise de travail temporaire avait, elle aussi, exécuter son obligation de faire bénéficier le salarié d'une formation à la sécurité renforcée, la cour d'appel a, de plus fort, privé sa décision de base légale au regard des articles L4154-2, L4154-3 du code du travail et L.412-6, L. 452-1 à L. 452-4 du code de la sécurité sociale,
ALORS EGALEMENT QUE la compétence d'un salarié à exercer les taches qui lui sont confiées ne dispense pas la société de travail temporaire de se renseigner sur les risques auquel le salarié peut être exposé par la société utilisatrice, le chef de l'entreprise utilisatrice ou ceux qu'ils se sont substitués dans la direction ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a « constaté que la société d'intérim, employeur de la victime, avait mis à la disposition de la société MÉTHODEK deux électriciens parfaitement compétents, Monsieur X... qui a été tué ainsi qu'un autre ouvrier, Monsieur Y... » ; qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à écarter la présomption de faute inexcusable, la cour d'appel a violé les articles L4154-2, L4154-3 du code du travail et L.412-6, L. 452-1 à L. 452-4 du code de la sécurité sociale,
ALORS EN PLUS QUE la faute de la victime n'a pas pour effet d'exonérer l'employeur de la responsabilité qu'il encourt en raison de sa faute inexcusable ; que seule une faute inexcusable de la victime, au sens de l'article L. 453-1 du code de la sécurité sociale, peut permettre de réduire la majoration de sa rente ; que présente un tel caractère la faute volontaire de la victime d'une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience ; qu'en se bornant à relever que « Monsieur X..., au lieu de se mettre à l'abri, a obéi aux ordres du chef de chantier SOGÉCO, restant sur place au moment de l'effondrement des banches », la cour d'appel n'a pas caractérisé de faute inexcusable de la part du salarié qui serait exclusive de celle de son employeur, violant ainsi les articles L4154-2, L4154-3 du code du travail et L.412-6, L. 452-1 à L. 452-4 et L. 453-1 du code de la sécurité sociale,
ALORS DE SURCROIT QUE, selon l'article L. 412-6 du code de la sécurité sociale, pour l'application des articles L. 452-1 à L. 452-4 du même code, l'utilisateur, le chef de l'entreprise utilisatrice ou ceux qu'ils se sont substitués dans la direction sont regardés comme substitués dans la direction, au sens desdits articles, à l'employeur qui dispose néanmoins d'un recours subrogatoire contre l'auteur de la faute inexcusable ; que ces textes ne limitent donc pas l'action de l'employeur à celle dirigée contre l'entreprise utilisatrice ; qu'après avoir constaté que « lorsque la sirène d'alarme annonçant de fortes bourrasques s'était déclenchée à plusieurs reprises et le responsable de SOGÉCO a ordonné aux ouvriers la poursuite du travail », la cour d'appel en a déduit que « la cause de l'accident résulte donc uniquement des négligences fautives du personnel d'une société étrangère à l'employeur et à la société utilisatrice, et sur lesquels ces dernières n'exerçaient aucun pouvoir de surveillance ou de contrôle » ; qu'en statuant ainsi, par des motifs qui établissent que la société SOGÉCO s'était substituée à la société d'intérim et à la société utilisatrice, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ces constatations qui caractérisaient parfaitement la faute inexcusable à l'encontre de la société d'intérim, à charge pour cette dernière de se retourner ensuite contre la société SOGÉCO ; que la cour d'appel a ainsi violé les articles L. 412-6 et L. 452-1 à L. 452-4 du code de la sécurité sociale,
ALORS ENFIN QUE, dans ses écritures l'employeur affirmait que « du personnel de la société METHODEK se trouvait sur le chantier le jour de l'accident de Monsieur Alain X..., comme il en était de même tous les jours aux fins, d'une part, vérifier la présence du salarié sur le chantier et, d'autre part, confier et contrôler les tâches journalières des salariés intérimaires dont Monsieur X... » (conclusions p.5 §8) ; qu'en affirmant « que Madame X... n'a pas rapporté la preuve que la société Freeman ou la société MÉTHODEK avaient ou auraient dû avoir conscience du danger auquel pouvait être exposé le salarié, ni qu'elles n'ont pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver » ¿ alors que c'est l'employeur qui apportait la preuve irrévocable que la société METHODEK, présente sur les lieux, n'avait pas exercé la moindre surveillance et le moindre contrôle sur Monsieur X..., au mépris de l'obligation de sécurité de résultat qui lui incombait, et surtout qu'elle n'avait rien fait pour le préserver du danger dont elle avait nécessairement conscience puisqu'elle était présente sur le chantier ¿ la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L4154-2, L4154-3 du code du travail et L.412-6, L. 452-1 à L. 452-4 du code de la sécurité sociale.