LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- La Caisse des dépôts et consignations,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, chambre 5-12, en date du 28 mars 2012, qui, pour escroquerie, l'a condamnée à 20 000 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 23 mai 2013 où étaient présents : M. Louvel président, M. Soulard conseiller rapporteur, M. Dulin, Mmes Nocquet, Ract-Madoux, MM. Bayet, Laborde, Mme de la Lance conseillers de la chambre, Mmes Labrousse, Moreau conseillers référendaires ;
Avocat général référendaire : Mme Caby ;
Greffier de chambre : Mme Téplier ;
Sur le rapport de M. le conseiller SOULARD, les observations de Me SPINOSI, la société civile professionnelle LESOURD, avocats en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général CABY ;
Vu les mémoires en demande, en défense et complémentaires produits ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-2 et 313-1 du code pénal, 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que la cour d'appel a confirmé le jugement ayant déclaré la Caisse des dépôts coupable d'escroquerie ;
"aux motifs que, considérant qu'il est constant, qu'à la lecture de la citation directe des plaignants dont les termes sont clairs, que la cour est saisie d'une escroquerie qui aurait été commise les 20 novembre 2007, lors de la production par l'avoué de la "CDC" du rapport de janvier 1995 et le 21 décembre 2007, par l'envoi de la lettre de l'avoué de la "CDC" précisant que sa cliente lui avait indiqué "qu'il n'existe pas d'autres documents pertinents que celui déjà communiqué", aux fins d'obtenir une décision favorable du conseiller de la mise en état à savoir, l'ordonnance du 15 janvier 2008 disant n'y avoir lieu à faire droit à leur demande de production de pièces ; que la "CDC", à la lecture de la citation, ne pouvait se méprendre sur l'étendue des faits qui lui sont reprochés, ayant d'ailleurs conclu abondamment sur ceux-ci tant devant le tribunal que devant la cour ; qu'il résulte de la procédure et des débats d'audience que les parties poursuivantes qui ont initié la procédure pénale devant le juge d'instruction et qui avaient ainsi accès au dossier, avaient eu connaissance des déclaration de M. A..., directeur des marchés à la direction des activités bancaires et financières de la "CDC", qui avait évoqué qu'un audit interne avait été diligenté dès qu'il avait été informé de ce dossier en avril 1994... ; que, c'est à la suite de cette audition qu'elles ont déposé une requête auprès du conseiller de la mise en état, en charge de la procédure civile, aux fins de demander à la "CDC" de produire l'audit de 1994 portant sur les prêts-emprunts ; qu'il est tout aussi constant qu'à la suite de l'ordonnance du conseiller de la mise en état, du 15 janvier 2008, qui rejetait leur demande de communication de pièces, les parties poursuivantes ont, dans le cadre de la procédure d'instruction, demandé au magistrat instructeur d'effectuer une perquisition au siège de la "CDC", qui avait lieu le 22 avril 2008 et au cours de laquelle "étaient saisis certains documents relatifs aux opérations de prêts-emprunts de titre, au protocole transactionnel, notamment, un audit interne de la CDC, un rapport de la cour des comptes..." ainsi que cela ressort des termes de l'arrêt de la chambre d'accusation de Douai, en date du 10 février 2009 ; que fort de cette saisie, les parties poursuivantes avaient demandé au conseiller de la mise en état, le 12 novembre 2008, d'inviter le procureur général à se faire communiquer les pièces saisies au cours de l'instruction pénale, ce qui leur était refusé, le magistrat invoquant notamment le fait qu'il ne pouvait enjoindre au procureur général de produire des pièces faisant partie de la procédure pénale ; qu'il est enfin établi que la "CDC" n'a produit le document convoité par les parties civiles que le 25 mai 2011, à la requête du conseiller de la mise en état qui dans son ordonnance de demande de production de pièces faisait référence au jugement dont appel qui a déclaré la "CDC" coupable du délit d'escroquerie au jugement ; qu'il est constant que le rapport communiqué par la "CDC" le 20 novembre 2007, intitulé "Rapport définitif de l'audit interne DABF sur les engagements de FMDA sur GPG" ne porte en aucun cas sur les opérations de prêt-emprunt de 1993 et 1994 mais uniquement sur les engagements de la société de bourse "Fauchier Magnant Durant des Aubois" sur le "GPG" ; qu'il est tout aussi constant, que le rapport remis au juge de la mise en état le 25 mai 2011, et qui selon les parties poursuivantes était celui qui avait été requis dès novembre 2007 par le conseiller de la mise en état, porte effectivement sur les opérations de prêts-emprunts conclues par le "GPG" avec la "CDC" courant 1993/1994 ; qu'il s'agit d'un rapport très critique quant à la conduite des dites opérations par la "CDC" où l'on peut notamment y lire : Une opération non maîtrisée, tant au plan juridique, de son traitement administratif que dans son suivi financier :- le montage juridique assorti d'une prise de sûreté sur le patrimoine mobilier propre des actionnaires de la contrepartie n'est pas commun aux opérations de prêt / emprunts de titres et tend à l'assimiler à une opération de crédit...,- la défaillance de l'appel de marge de la CDC à partir du mois de février met fin de plein droit au contrat initial, de ce fait le maintient de la situation en l'état "financement contre prêt de titres" apparente ce dossier à une opération de crédit gagé. On ne peut affirmer que ces opérations ont été utilisées et construites pour octroyer un crédit gagé déguisé à un intervenant en impasse de trésorerie. Cependant force est de constater que c'est bien ce à quoi elle aboutit ; que la production du rapport non pertinent le 20 novembre 2007, corroborée par la production de la lettre de l'avoué du 21 décembre 2007 qui confirme l'inexistence de tout autre document pertinent que celui déjà communiqué a eu pour effet de tromper la religion du conseiller de la mise en état qui a rendu le 15 janvier 2008 une décision favorable de rejet de la requête dont l'objet était la production du rapport d'audit interne effectué en 1994 et portant sur les opérations de prêts - emprunts de titre souscrites sur le GPG en 1993 et 1994 ; que ces faits sont constitutifs des manoeuvres frauduleuses telles que requises par l'article 313-1 du code pénal ; qu'il est incontestable, que contrairement aux allégations de la CDC, cette dernière ne pouvait se méprendre sur la teneur du rapport objet de l'injonction du conseiller de la mise en état, compte tenu de la teneur de ce rapport qui était très critique et qui pointait justement l'ensemble des dysfonctionnements graves intervenus dans les opérations de prêts emprunts de titre souscrites sur GPG en 1993 et 1994 alors que l'audit de 1995 communiqué ne portait que sur les engagements de la société de bourse FMD sur le GPG ; qu'au surplus il convient de relever que la CDC a produit ledit rapport à la suite d'une nouvelle injonction du juge de la mise en état qui avait relevé que "le jugement du tribunal de grande instance de Paris 11e chambre qui a constaté la dissimulation du document sollicité, constitue un élément nouveau, fondant la compétence du juge de la mise en état pour connaître du nouvel incident" et qui avait encore relevé que l'existence dudit document, non contestée, est susceptible d'intéresser la solution de l'instance civile ; qu'il est constant que l'infraction a été commise pour le compte de la CDC par ses représentants qui avaient intérêts à dissimuler un tel rapport, mettant en cause leur gestion dans les opérations de prêts-emprunts conclus entre la CDC et le "Groupement privé de gestion" ; que, dès lors, le délit visé à la prévention est établi à l'égard de la CDC, la cour confirmera en conséquence le jugement déféré sur la déclaration de culpabilité précisant cependant que les faits ont été commis de novembre 2007 à janvier 2008 ;
1°) "alors que, le seul fait, pour un justiciable, de s'abstenir de communiquer une pièce dont la production est demandée par le juge de la mise en état ne caractérise pas une escroquerie au jugement ; qu'en jugeant néanmoins que "la production du rapport non pertinent le 20 novembre 2007 corroborée par la production de la lettre de l'avoué du 21 décembre 2007 qui confirme l'inexistence de tout autre document pertinent que celui déjà communiqué a eu pour effet de tromper la religion du juge pour caractériser l'existence d'une telle escroquerie, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée de l'article 313-1 du code pénal ;
2°) "alors que, le fait d'exiger d'un justiciable la production forcée d'un document en justice, sous menace de poursuites pénales du chef d'escroquerie, méconnaît l'interdiction de ne pas contribuer à sa propre incrimination ; qu'en confirmant la déclaration de culpabilité de la caisse des dépôts du chef d'escroquerie, aux motifs qu'elle n'aurait pas produit le document exigée d'elle par son adversaire dans une instance civile, la cour d'appel a méconnu le droit, conventionnellement garanti, de ne pas contribuer à sa propre incrimination ;
3°) "alors qu'il appartient aux juges du fond de rechercher si les faits poursuivis ont été commis par un organe ou un représentant de la personne morale au sens de l'article 121-2 du code pénal ; qu'en se bornant, pour confirmer la déclaration de culpabilité de la caisse des dépôts et consignations, à affirmer que le délit a été commis par les représentants de la CDC, sans plus de précision, la cour d'appel, qui n'a pas recherché l'organe ou le représentant auteur de l'infraction, a méconnu l'article 121-2 du code pénal" ;
Vu l'article 593 du code de procédure pénale, ensemble l'article 121-2 du code pénal ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que, dans le cadre d'un litige civil qui opposait la caisse des dépôts et consignations à diverses sociétés, celles-ci ont demandé au conseiller de la mise en état d'enjoindre à la première de communiquer un rapport d'audit interne effectué en 1994 ; qu'en exécution de la décision faisant droit à cette requête, la caisse des dépôts a produit un rapport daté de janvier 1995, qui constituait un additif au rapport réclamé, et a indiqué qu'il n'existait aucun autre rapport ; que, par une nouvelle ordonnance, le conseiller de la mise en état a rejeté la requête initiale tendant à la communication du rapport de 1994, au motif qu'il ne pouvait être ordonné à une partie de produire une pièce qu'elle ne détient pas ;
Attendu que la caisse des dépôts, dont il est ultérieurement apparu qu'elle était en possession du rapport réclamé par ses adversaires, a été poursuivie pour escroquerie au jugement ;
Attendu que, pour la déclarer coupable, l'arrêt prononce par les motifs repris aux moyens ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, sans mieux rechercher si les faits reprochés avaient été commis, pour le compte de la personne morale poursuivie, par l'un de ses organes ou représentants, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu d'examiner l'autre moyen de cassation proposé :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 28 mars 2012, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Versailles, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix-neuf juin deux mille treize ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;