LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- L'association Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples, partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, chambre 2-7, en date du 15 septembre 2011, qui, dans la procédure suivie, sur sa plainte, contre M. Brice X... du chef d'injures publiques envers un groupe de personnes à raison de leur origine, l'a déclarée irrecevable en sa constitution de partie civile, et a mis le prévenu hors de cause ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 30 octobre 2012 où étaient présents : M. Louvel président, M. Monfort conseiller rapporteur, Mme Guirimand, MM. Beauvais, Guérin, Straehli, Finidori, Buisson conseillers de la chambre, Mme Divialle, MM. Maziau, Barbier conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Cordier ;
Greffier de chambre : Mme Couffrant ;
Sur le rapport de M. le conseiller MONFORT, les observations de Me SPINOSI, de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE etHAZAN, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général CORDIER ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme, R. 624-4 du code pénal, 23, 33 et 48-1 de la loi du 29 juillet 1881, 591 et 593 du code de procédure pénale, ensemble le principe du droit d'accès au juge ;
"en ce que la cour d'appel a déclaré le MRAP irrecevable en sa constitution de partie civile et l'a débouté de toutes ses demandes ;
"aux motifs que : III) "l'élément de publicité" est-il établi ? ainsi que l'a rappelé le tribunal, il n'est d'injures publiques, aux termes de l'article 23 de la loi du 29 juillet 1881, que si les propos ont été "proférés dans les lieux ou réunions publics" et si la preuve est rapportée de l'intention de leur auteur qu'ils soient entendus au-delà d'un cercle de personnes unies entre elles par une communauté d'intérêts, laquelle est exclusive de toute publicité ; qu'à défaut, la loi punit les injures non publiques de peines contraventionnelles ; qu'il n'est pas contesté en l'espèce que les propos retenus comme injurieux ont été tenus en marge d'une manifestation réservée aux seuls militants de l'UMP mais ouverte à la presse, la présence de cette dernière n'ôtant pas, à elle seule, à la réunion, ni au lieu où elle se tenait, leur caractère privé ; que les images produites à l'appui des poursuites montrent le ministre et M. Z... entourés par un groupe d'une quinzaine de militants qui manifestement se connaissent, plaisantent et prennent des photographies, tous éléments donnant à la rencontre un caractère quasi familial ; que rien ne vient attester la présence de tiers étrangers à cette communauté d'intérêts constituée par les membres de ce groupe de personnes liées par des aspirations communes ; que de dos, et parfois de trois-quarts dos, par rapport à l'objectif de la caméra qu'il ne voit pas, M. X... s'exprime sur le ton de la confidence, son attitude démontrant, notamment lorsqu'il prononce les propos retenus comme injurieux, qu'il n'entend pas s'adresser au-delà du cercle restreint formé par les militants qui l'entourent, les paroles captées par le caméraman de Public Sénat étant d'ailleurs si peu audibles que la chaîne de télévision a dû recourir, avant diffusion, au procédé du sous-titrage afin de rendre la conversation compréhensible ; qu'à cet égard, M. A..., qui se trouvait à proximité immédiate du ministre, a lui-même souligné les caractéristiques de la scène litigieuse en page 21 de son livre intitulé : "confessions d'un sarkozyste" et dont des extraits ont été régulièrement communiqués ; que c'est ainsi qu'il écrit : "... Et pourtant, sur le moment, "en live", je n'ai pas ressenti le besoin de réagir. Pourquoi ? Tout simplement parce que je n'avais pas véritablement entendu la moitié des propos échangés. Il y avait beaucoup de monde autour de nous. Des gens criaient, riaient. D'autres chantaient. Les haut-parleurs installés un peu partout dans les allées crépitaient de la musique et des messages plus ou moins politiques..." ; qu'il résulte de ce qui précède, ainsi que l'a déjà jugé le tribunal, que l'élément de publicité fait défaut et que les propos retenus comme injurieux constituent la contravention d'injure non publique envers un groupe de personnes à raison de leur origine, infraction prévue et réprimée par les articles R. 624-4 et 624-5 du code pénal ;IV) L'action du MRAP était-elle alors recevable ?que l'article 48-1 de la loi du 29 juillet 1881 précise que "toute association, régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits, se proposant par ses statuts de ... combattre le racisme ou d'assister les victimes de discrimination fondée sur leur origine nationale, ethnique, raciale ou religieuse, peut exercer les droits reconnus à la partie civile..." et il n'est pas contesté que le MRAP réunit ces conditions ; que ces dispositions, dérogatoires au droit commun, permettent aux associations habilitées d'exercer leur action dans le cadre d'infractions limitativement énumérées, telle celle prévue par l'article 33 alinéa 3 de la même loi et relative au délit d'injure publique commise envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine, infraction à l'origine de la citation délivrée dans la présente affaire ; que n'est cependant pas visée par ce dispositif, la contravention d'injure raciale non publique, prévue et réprimée par l'article 624-4 du code pénal, de sorte que le MRAP, qui n'avait pas la capacité d'agir, ne pouvait valablement engager l'action publique ; qu'il en résulte, les premiers juges n'ayant pas tiré les conséquences légales de la disqualification opérée, que le MRAP est irrecevable en sa constitution de partie civile ; qu'il doit être débouté de toutes ses demandes, que M. X... doit être déclaré hors de cause et que le jugement sera infirmé en ce sens ;
"1) alors que, si la diffusion d'une injure aux seuls membres d'un groupement de personnes liées par une communauté d'intérêts ne constitue pas une distribution publique au sens de l'article 23 de la loi du 29 juillet 1881, l'élément de publicité est caractérisé par la diffusion de cette injure à une ou plusieurs personnes étrangères à ce groupement ; qu'en jugeant que la présence de la presse lors de la réunion au cours de laquelle se sont tenus les propos litigieux n'ôte pas, à elle-seule, à la réunion ni au lieu où elle se tenait, leur caractère privé, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations ;
"2) alors que les règles de procédure de la loi du 29 juillet 1881 sont applicables en matière d'injures non publiques ; qu'en retenant, pour déclarer irrecevable l'action civile du MRAP, que les dispositions de l'article 48-1 de loi du 29 juillet 1881, dérogatoires au droit commun, ne permettent aux associations habilitées d'exercer leur action que pour des infractions limitativement énumérées dont ne fait pas partie la contravention prévue à l'article 624-4 du code pénal, la cour d'appel a méconnu le principe et les textes visés au moyen" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que M. X... a été cité à la requête du Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (MRAP) devant le tribunal correctionnel sous la prévention d'injures publiques envers un groupe de personnes à raison de leur origine, pour avoir, lors de l'université d'été du parti UMP, le 5 septembre 2009 à Seignosse (Landes), tenu les propos suivants, enregistrés et diffusés par les médias, en se référant à l'origine arabe prêtée à l'un de ses interlocuteurs :
"Ah mais ça ne va pas du tout, alors, il ne correspond pas du tout au prototype alors. C'est pas du tout ça" ;
"Il en faut toujours un. Quand il y en a un ça va. C'est quand il y en a beaucoup qu'il y a des problèmes" ;
Attendu que le tribunal a relaxé le prévenu pour le premier propos, requalifié le second propos en contravention d'injure raciale non publique et condamné le prévenu de ce chef ; que les parties et le ministère public ont relevé appel de ce jugement ;
Attendu que, pour dire non établi l'élément de publicité de l'infraction, après avoir retenu le caractère injurieux du second propos à l'égard d'un groupe de personnes à raison de leur origine, l'arrêt relève que si la réunion au cours de laquelle les paroles litigieuses ont été prononcées était ouverte à la presse, la présence de cette dernière, à elle seule, n'enlevait pas à cette manifestation, réservée aux militants de l'UMP, son caractère privé, et que les images traduisent le "caractère quasi familial" de la rencontre, rien ne venant attester la présence de tiers étrangers à la communauté d'intérêts constituée par les membres de ce groupe de personnes liées par des aspirations communes ; que les juges ajoutent que M. X..., qui ne voit pas l'objectif de la caméra, s'exprime sur le ton de la confidence, et que son attitude démontre qu'il n'entend pas s'adresser au-delà du cercle restreint formé par les militants qui l'entourent, au point qu'il a été nécessaire de recourir, avant diffusion, au procédé du sous-titrage pour rendre la conversation compréhensible ; qu'ils en déduisent que, dès lors que la contravention d'injure raciale non publique ne figure pas dans l'énumération des infractions délictuelles pour lesquelles les associations habilitées peuvent exercer les droits de la partie civile, figurant à l'article 48-1 de la loi de 1881, le MRAP était irrecevable en sa constitution de partie civile, et que M. X... doit être mis hors de cause ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision ; qu'en effet, d'une part, un propos injurieux, même tenu dans une réunion ou un lieu publics, ne constitue le délit d'injure que s'il a été "proféré", au sens de l'article 23 de la loi sur la presse, c'est-à-dire tenu à haute voix dans des circonstances traduisant une volonté de le rendre public ; que, d'autre part, le droit d'agir reconnu aux associations habilitées par l'article 48 -1 de la même loi n'est prévu que pour les délits limitativement énumérés par ce texte ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
FIXE à 2 500 euros la somme que le MRAP devra payer à M. X... au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-sept novembre deux mille douze ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;