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07/11/2012 | FRANCE | N°11-23871

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 07 novembre 2012, 11-23871


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que le tribunal fédéral de première instance pour le district central de Californie, par jugement du 1er décembre 2005, a condamné M. X... à payer au Commissaire aux assurances de l'Etat de Californie la somme de 10 846 246 dollars US, pour enrichissement sans cause, par un deuxième jugement du 21 décembre 2005, l'a condamné à payer la même somme à la société Sierra, à titre de dommages-intérêts, puis, par un troisième jugement du 17 mai 2006, a pris acte de ce

que le Commissaire aux assurances de l'Etat de Californie transfère à la s...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que le tribunal fédéral de première instance pour le district central de Californie, par jugement du 1er décembre 2005, a condamné M. X... à payer au Commissaire aux assurances de l'Etat de Californie la somme de 10 846 246 dollars US, pour enrichissement sans cause, par un deuxième jugement du 21 décembre 2005, l'a condamné à payer la même somme à la société Sierra, à titre de dommages-intérêts, puis, par un troisième jugement du 17 mai 2006, a pris acte de ce que le Commissaire aux assurances de l'Etat de Californie transfère à la société Sierra et à Mme Y..., ès qualités de mandataire judiciaire de celle-ci, l'ensemble de ses droits au titre du jugement du 1er décembre 2005 ; que, le 8 février 2007, Mme Y..., ès qualités, a assigné M. X... devant le tribunal de grande instance de Paris en exequatur des trois jugements du tribunal californien ; que ce tribunal, a, par jugement du 2 décembre 2009, rejeté ces demandes ;
Sur le premier moyen :
Vu les articles 3 du code civil et 509 du code de procédure civile ;
Attendu que, pour reconnaître en France les jugements californiens des 1er et 21 décembre 2005, l'arrêt retient que Mme Y..., ès qualités, a produit deux décisions interprétatives du 24 novembre 2010, émanant de la même juridiction, contenant une motivation des précédents jugements, ce qui suffit à répondre à l'exigence de l'ordre public international de procédure concernant la motivation des décisions de justice ;
Attendu qu'en statuant ainsi, quand les jugements des 1er et 21 décembre 2005, dont la motivation était reconnue comme défaillante par le juge de l'exequatur, ne pouvaient être complétés par des décisions rendues postérieurement à la saisine de celui-ci, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et sur le troisième moyen pris en sa dernière branche :
Vu l'article 455 du code de procédure civile ;
Attendu que, pour prononcer l'exequatur des décisions californiennes, l'arrêt retient que M. X... ne démontre pas que les condamnations prononcées à son encontre heurtent l'ordre public international de fond ;
Qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de M. X... qui soutenait que les condamnations étaient disproportionnées au regard du préjudice subi par la société Sierra, et contraires au principe de la personnalité des peines et de la personnalité juridique distincte des personnes physiques et des personnes morales, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de ce texte ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 30 juin 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;
Condamne Mme Y..., ès qualités, aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept novembre deux mille douze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :


Moyens produits par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour M. X...

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir déclaré exécutoires en France trois jugements rendus à l'encontre de M. Jean-François X... par le tribunal fédéral de première instance pour le district central de Californie ;
Aux motifs qu'en cause d'appel Madame Y... produit deux décisions interprétatives du 24 novembre 2010 du tribunal fédéral de première instance pour le district central de Californie contenant motivation des jugements des 1er et 21 décembre 2005 ce qui suffit à répondre à l'exigence de l'ordre public international français de procédure concernant la motivation des décisions de justice ;
1° Alors qu'est contraire à la conception française de l'ordre public international de procédure la reconnaissance d'une décision étrangère non motivée lorsque ne sont pas produits des documents de nature à servir d'équivalents à la motivation défaillante ; que la décision étrangère doit être motivée lors de son prononcé, et non postérieurement pour les besoins d'une demande d'exequatur ; qu'en retenant en l'espèce que, si les jugements des 1er et 21 décembre 2005 étaient à l'origine dépourvus de motivation, les exigences françaises de l'ordre public international de procédure étaient néanmoins satisfaites par les motifs ultérieurement ajoutés par deux décisions « interprétatives » du 24 novembre 2010, la cour d'appel a violé les principes applicables en matière de conflits de juridictions ainsi que l'article 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2° Alors que dans ses écritures d'appel, Madame Georgia Y... se prévalait des jugements du 24 novembre 2010 pour soutenir, non pas que les décisions des 1er et 21 décembre 2005 avaient reçu la motivation manquant initialement, mais qu'elle produisait des documents de nature à servir d'équivalents à la motivation défaillante ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a modifié les termes du litige et, de ce fait, méconnu l'article 4 du code de procédure civile ;
3° Alors que dans ses conclusions récapitulatives d'appel, Monsieur Jean-François X... faisait valoir que les jugements des 24 novembre 2010, pas plus que les décisions des 1er et 21 décembre 2005, ne permettaient de connaître les causes des condamnations prononcées à son encontre et en déduisait que leur motivation demeurait en toute hypothèse défaillante ; qu'en s'abstenant de rechercher si les fondements, en fait et en droit, des décisions rendues contre Monsieur Jean-François X... étaient explicitées par les deux jugements du 24 novembre 2010, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à son arrêt au regard des principes applicables en matière de conflits de juridictions et de l'article 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
4° Alors que, subsidiairement, en s'abstenant de constater le caractère définitif des jugements du 24 novembre 2010, la cour d'appel a derechef violé l'article 6.1 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir déclaré exécutoires en France trois jugements rendus à l'encontre de Monsieur Jean-François X... par le tribunal fédéral de première instance pour le district central de Californie ;
Aux motifs que rien n'empêchait Monsieur X..., qui encourait des risques d'incarcération dans la procédure pénale parallèlement suivie, de se faire représenter par un avocat et qu'il n'aurait subi aucun préjudice procédural de cette représentation ; qu'il convient d'examiner si Monsieur X... pouvait supporter les frais d'avocats qui selon lui se seraient élevés à 5 à 8 millions de dollars US ; que Monsieur X... est l'actionnaire majoritaire avec sa famille de plusieurs sociétés pour des valeurs de plusieurs dizaines de millions d'euros ; qu'il a reconnu avoir gagné à l'occasion de l'affaire Executive Life 5 à 6 millions de dollars US ; qu'il ne dit rien de la consistance de son patrimoine ni de ses possibilité d'emprunt ; qu'à l'évidence Monsieur X... qui n'a formé aucun recours contre ces décisions même après la transaction pénale qui écartait tout risque d'incarcération a choisi de ne pas comparaître et le juge américain a pu refuser la visio-conférence en estimant que sa représentation par un avocat était possible et suffisante et prononcer par défaut sans violer les principes de la contradiction et de l'égalité des armes ;
1° Alors que le droit de chacun d'accéder au juge chargé de statuer sur sa prétention, consacré par l'article 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, relève de l'ordre public international ; qu'en l'espèce Monsieur Jean-François X... faisait valoir, sans être contredit, que les frais d'avocats pour assurer sa défense dans les procès civils ayant abouti aux jugements dont l'exequatur a été accordé, se seraient élevés à une somme se situant entre 5 à 8 million de dollars US ; que l'importance de ces frais était de nature à faire objectivement obstacle à son libre accès à la justice et au principe de l'égalité des armes ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé les principes applicables en matière de conflits de juridictions et l'article 6.1 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2° Alors qu'il résulte des constatations de l'arrêt attaqué que Monsieur Jean-François X... encourait des risques d'incarcération dans la procédure pénale américaine parallèle aux instances civiles et qu'il n'était pas représenté par un avocat dans ces dernières ; que son seul moyen d'accès au juge américain était l'organisation d'une visioconférence ; qu'en retenant néanmoins que le juge américain avait pu refuser la visio-conférence en considérant que la représentation de Monsieur X... par un avocat était possible et suffisante et prononcer par défaut, la cour d'appel a violé les principes applicables en matière de conflits de juridictions et l'article 6.1 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
3° Alors que dans ses écritures d'appel, Monsieur Jean-François X... soutenait que la violation du principe d'égalité des armes dans les instances américaines résultait aussi des menaces et pressions qu'il avait subies ; qu'il invoquait, en ce sens, des faits précis imputables au Procureur de Californie et au Commissaire aux assurances ; qu'en omettant de répondre à ce moyen, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir déclaré exécutoires en France trois jugements rendus à l'encontre de M. Jean-Francois X... par le tribunal fédéral de première instance pour le district central de Californie ;
Aux motifs que M. X... ne démontre pas en quoi les condamnations prononcées à son encontre méconnaîtraient les principes fondamentaux régissant la procédure civile, celui de la proportionnalité des peines ou la personnalité juridique, comporteraient des dommages-intérêts punitifs et heurteraient l'ordre public international de fond ;
1° Alors que si le principe d'une condamnation à des dommages-intérêts punitifs n'est pas, en soi, contraire à l'ordre public, il en est autrement lorsque le montant alloué est disproportionné au regard du préjudice subi et des manquements aux obligations du débiteur ; que, d'autre part, s'il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au soutien de sa prétention, il revient au juge de trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables ; qu'en l'espèce, M. Jean-François X... faisait valoir, dans ses conclusions d'appel, que le jugement du 21 décembre 2005 avait alloué à Madame Georgia Y... ès-qualités des dommages-intérêts punitifs et n'avait pas respecté le principe de proportionnalité ; qu'il alléguait, au soutien de ce moyen, des faits tirés de la comparaison des deux jugements rendus à son encontre et d'autres décisions rendues par le juge américain dans une affaire connexe concernant la société Maaf ; qu'en se fondant, pour accorder l'exequatur, sur ce que M. Jean-François X... ne démontrait pas en quoi les condamnations prononcées à son encontre heurtaient l'ordre public international de fond, alors qu'il lui appartenait d'apprécier, au vu des éléments de fait prouvés qui lui étaient soumis, si les indemnités allouées à Mme Georgia Y... constituaient des dommages-intérêts punitifs et étaient ou non disproportionnés au regard du préjudice subi par la société Sierra, la cour d'appel a violé les articles 9 et 12 du code de procédure civile ;
2° Et alors que, de même, M. X... faisait valoir dans ses conclusions que l'enrichissement injuste qui lui était reproché n'avait pu en réalité bénéficier qu'à des sociétés dont il n'était qu'associé, avec notamment d'autres membres de sa famille ; qu'en se bornant à énoncer que M. X... ne démontrait pas en quoi les condamnations prononcées heurtaient l'ordre public international de fond, sans rechercher si elles n'étaient pas contraires au principe de la personnalité des peines et de la personnalité juridique distincte des personnes physiques, en ce qu'elles faisaient peser sur M. X... seul les conséquences de faits impliquant des sociétés dotées de la personnalité morale, et des personnes physiques distinctes, seraient-elles membres de sa famille, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 11-23871
Date de la décision : 07/11/2012
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Civile

Analyses

CONFLIT DE JURIDICTIONS - Effets internationaux des jugements - Reconnaissance ou exequatur - Conditions - Absence de contrariété à l'ordre public international - Caractérisation - Défaut - Cas - Motivation défaillante d'une décision complétée par des décisions rendues après la saisine du juge de l'exequatur

La conception française de l'ordre public international s'oppose à ce que la motivation d'une décision étrangère reconnue défaillante par le juge de l'exequatur puisse être complétée par des décisions rendues postérieurement à la saisine de celui-ci


Références :

article 3 du code civil

article 509 du code de procédure civile

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 30 juin 2011


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 07 nov. 2012, pourvoi n°11-23871, Bull. civ. 2012, I, n° 228
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles 2012, I, n° 228

Composition du Tribunal
Président : M. Charruault
Avocat général : M. Sarcelet
Rapporteur ?: M. Matet
Avocat(s) : SCP Célice, Blancpain et Soltner, SCP Piwnica et Molinié

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2012:11.23871
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