LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale financière et économique, 13 octobre 2009, pourvois n° M 08-17.269 et a.), que s'étant, le 13 mars 1997, saisi d'office de la situation de la concurrence dans le secteur des travaux publics constatée à l'occasion de la passation de divers marchés publics dans la région Ile-de-France, le Conseil de la concurrence (le Conseil) devenu l'Autorité de la concurrence, a, par décision n° 06-D-07 bis du 21 mars 2006, dit que trente-quatre entreprises de travaux publics, dont les sociétés Razel et Sefi Intrafor ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du code de commerce et leur a infligé des sanctions pécuniaires ;
Sur le moyen unique, pris en sa troisième branche :
Attendu que ce moyen ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
Mais sur le moyen, pris en sa deuxième branche :
Vu l'article 2 du code civil, ensemble l'article L. 462-7, alinéa 3, du code de commerce ;
Attendu que pour annuler la décision n° 06-D-07 bis du Conseil, l'arrêt, après avoir rappelé que l'ordonnance du 13 novembre 2008 a instauré la prescription de dix ans postérieurement à la décision rendue par ce dernier et observé que les pratiques reprochées aux sociétés Razel et Sefi Intrafor avaient cessé plus de dix ans après que la décision fut rendue, relève que les lois qui organisent des prescriptions extinctives sont des lois de procédure et que comme telles, elles ont vocation à s'appliquer immédiatement aux faits commis antérieurement à leur entrée en vigueur ; qu'il ajoute que par application de ce principe, les dispositions nouvelles de l'article L. 462-7, alinéa 1, instaurées en 2004 et portant de trois à cinq ans le délai de prescription, ont été appliquées aux faits pour lesquels l'ancienne prescription n'était pas acquise et qu'il retient qu'il en va nécessairement de même pour les dispositions nouvelles codifiées à l'alinéa 3 du même article, qui prévoient une prescription complémentaire de celle de cinq ans énoncée à l'alinéa 1 ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que de nouvelles lois de procédure ne peuvent priver d'effet les actes accomplis régulièrement avant leur entrée en vigueur et que la décision du Conseil avait été rendue le 21 mars 2006 à une date à laquelle l'ordonnance du 13 novembre 2008 instaurant le délai de dix ans prévu par l'alinéa 3 de l'article L. 462-7 du code de commerce n'était pas entrée en vigueur, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le premier grief :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 mai 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne les sociétés Razel et Sefi intrafor aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette leurs demandes et les condamne à payer au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie la somme globale de 2 500 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quinze mai deux mille douze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par Me Ricard, avocat aux Conseils pour le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir constaté que le Conseil de la concurrence avait statué sur les griefs formés à l'encontre des sociétés RAZEL et SEFI-INTRAFOR plus de dix ans après la cessation des pratiques anticoncurrentielles et d'avoir en conséquence annulé la décision déférée en ce qu'elle avait condamné ces deux sociétés ;
AUX MOTIFS QUE deux ordonnances ont, successivement, modifié et complété l'article L 462-7 du Code de commerce relatif à la prescription des faits dont le Conseil de la concurrence, puis l'Autorité de la concurrence peuvent être saisis; ainsi, l'ordonnance n° 2004-1173 du 4 novembre 2004 a porté de trois à cinq ans le délai de prescription des pratiques anticoncurrentielles poursuivies devant le Conseil de concurrence puis devant l'Autorité de la concurrence, et l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008 portant modernisation de la régulation de la concurrence, est venue ajouter un alinéa 3 à l'article L462-7 , rédigé en ces termes : « toutefois, la prescription est acquise en toute hypothèse lorsqu'un délai de dix ans à compter de la cessation de la pratique anticoncurrentielle s'est écoulé sans que l'Autorité de la concurrence ait statué sur celle-ci » ; les requérantes avancent, ensemble, que ces dispositions étant des règles de procédure, sont applicables immédiatement à des faits commis avant leur entrée en vigueur et soulignent que la jurisprudence de cette cour et, partant les décisions de l'Autorité de concurrence, ont fait une application immédiate des dispositions relatives à l'allongement de trois à cinq ans du délai de prescription en sorte qu'il devrait en être de même pour les dispositions nouvelles introduites par l'ordonnance du 13 novembre 2008 ; les lois qui organisent des prescriptions extinctives sont des lois de procédure ; comme telles, elles ont vocation à s'appliquer immédiatement aux faits commis antérieurement à leur entrée en vigueur, ainsi que le rappelle, en matière pénale, l'article 112-2 du Code pénal ; c'est par application de ce principe que les dispositions nouvelles de l'article L 462-7 alinéa 1 précitées, portant de trois à cinq ans le délai de prescription, ont été appliquées aux faits pour lesquels l'ancienne prescription n'était pas acquise ; il en va nécessairement de même pour les dispositions nouvelles codifiées à l'alinéa 3 du même article, qui prévoient une prescription complémentaire de celle énoncée à l'alinéa 1, en disposant que lorsqu'un délai de dix ans s'est écoulé à compter de la cessation de la pratique anticoncurrentielle sans que l'Autorité de la concurrence n'ait statué, la prescription est "acquise en toute hypothèse" ; il suit que la prescription décennale prévue par l'ordonnance du 13 novembre 2008 ratifiée par la loi du 12 mai 2008, a vocation à s'appliquer aux pratiques anticoncurrentielles litigieuses survenues antérieurement à l'adoption des dispositions nouvelles ; (…) l'article précité organise en ses alinéas 1 et 3 un régime de prescription spécifique qui s'applique d'une part, aux pratiques anticoncurrentielles dénoncées, (prescription quinquennale de l'alinéa 1) et d'autre part, à la réponse qui y a été apportée (prescription décennale de l'alinéa 3) ; la prescription décennale instaurée par les dispositions nouvelles s'attache ainsi au délai dans lequel est intervenue (ou n'est pas intervenue) la sanction, indépendamment de l'autorité qui a pu la prononcer ; il est dès lors indifférent que les sanctions litigieuses furent prononcées par le Conseil de la concurrence et non pas par l'Autorité de la concurrence, d'autant plus que l'article 4 de l'ordonnance précitée du 13 novembre 2008 , énonce que : « Dans toutes les dispositions législatives et réglementaires , la référence au Conseil de la Concurrence est remplacée par la référence à l'Autorité de la concurrence. » ; Sur la computation du délai de prescription, comme le rappelle l'article L 462-7 du CPI, le point de départ du délai de prescription est la cessation de la pratique anticoncurrentielle, qui doit être fixée en l'espèce, à la date limite de remise des offres ; à l'égard de Razel : le Conseil de la concurrence a retenu la responsabilité de la société Razel pour avoir été partie prenante à une entente constatée sur les marchés n° 21, 30, 38 et 54; les dates ultimes de remise des offres concernant les marché n°21 (Meteor Ouvrage Deux Ecus : Quai grèves), n° 30 (Bassin du Grand Stade), n°38 (déviation de Soignolles) et n° 54 (doublement de l'ouvrage d'eaux pluviales sous la R D 124 à Vitry sur Seine) furent fixées, respectivement, au 23 février 1994, 6 juin 1995, 18 mars 1994 et 16 janvier 1995 ; à l'égard de Sefî–Intrafor : la responsabilité de la société Sefi-Intrafor a été retenue pour avoir été partie prenante à une entente constatée sur le marché n° 42 portant sur l'échangeur A 14-A 86 ; la date limite de remise des offres fut fixée au 5 décembre 1995 ; le Conseil de la concurrence a statué sur les pratiques anticoncurrentielles visant ces deux sociétés, par la décision du 21 mars 2006, objet du présent recours; il est donc constant et d'ailleurs non contesté, qu'un délai de plus de 10 ans à compter de la cessation des pratiques anticoncurrentielles s'était écoulé lorsque le Conseil de la concurrence prononça à l'encontre des sociétés Razel et Sefi Intrafor les sanctions contestées ; la décision déférée sera en conséquence annulée en ce qu'elle a condamné les sociétés Razel et Sefi Intrafor ;
ALORS QUE les règles procédurales issues de l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008 ne sont pas applicables aux affaires qui ont donné lieu à une notification de griefs faite par le Conseil de la concurrence ; qu'il résulte des constatations des juges du fond que, dans la présente affaire, le Conseil de la concurrence a établi des notifications de griefs entre le 9 avril 2000 et le 29 août 2004 ; qu'en estimant néanmoins les règles de prescriptions issues de l'ordonnance précitée applicables, la cour d'appel a violé l'article 5 de ladite ordonnance ;
ALORS QUE de nouvelles règles de prescription ne peuvent pas priver d'effet les actes accomplis régulièrement avant son entrée en vigueur ; qu'à la date à laquelle le Conseil de la concurrence a rendu sa décision, soit le 21 mars 2006, le fait que plus de dix ans se soient écoulés depuis la fin des pratiques anticoncurrentielles était dépourvu de conséquences juridiques ; qu'en estimant la prescription acquise et en la faisant jouer de telle sorte qu'elle rendait irrégulière une décision qui était régulière à la date à laquelle elle a été rendue, la cour d'appel a violé l'article 2 du code civil.
ALORS QUE, en tout état de cause, s'agissant de pratiques mises en oeuvre à l'occasion de divers marchés publics ayant pour finalité d'aboutir à une répartition concertée entre les entreprises du secteur de l'ensemble des marchés de travaux publics passés en Ile-de-France par plusieurs maîtres d'ouvrage, le point de départ du délai de prescription est non pas la date limite de remise des offres pour chaque marché public, mais la date de cessation de l'entente de répartition des marchés ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé l'article L.462-7 § 3 du code de commerce dans sa rédaction résultant de l'article 2 de l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008.