LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- M. Ionel X...,
contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de LIMOGES, en date du 23 août 2011, qui, dans l'information suivie contre lui du chef de tentative de vol aggravé, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure ;
Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle, en date du 18 novembre 2011, ordonnant l'examen immédiat du pourvoi ;
Vu le mémoire et les observations complémentaires produits ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure qu'à l'occasion d'une enquête de flagrance diligentée par le commissariat de police de Limoges du chef de tentative de vol aggravé, M. Ionel X..., placé en garde à vue le 7 décembre 2010, a été informé, en langue roumaine par le truchement d'une interprète, des droits alors prévus par les articles 63-1 à 63-4 du code de procédure pénale ; qu'il a alors notamment déclaré : " je prends acte que je pourrai m'entretenir avec un avocat dès le début de cette mesure ainsi qu'au début de la prolongation si celle-ci est accordée...Pour le moment, je ne désire pas m'entretenir avec un avocat dès le début de cette mesure ni au début de la prolongation si celle-ci est accordée" et qu'il a renouvelé cette déclaration lors de la notification de la prolongation de sa garde à vue ; qu'il a accepté de répondre aux questions lors de ses auditions par la police judiciaire ; que, mis en examen le 9 décembre 2010, M. X... présentait une requête, le 22 avril 2011, aux fins d'annulation des actes de la garde à vue au motif qu'il n'avait pas bénéficié des garanties du procès équitable prévues par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, à savoir le droit de ne pas s'auto-incriminer, le droit de garder le silence et le droit d'être assisté systématiquement lors de ses auditions en garde à vue d'un avocat ayant eu préalablement accès à l'ensemble des pièces de la procédure ;
En cet état ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 593 du code de procédure pénale, violation des droits de la défense, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté la requête tendant à l'annulation des actes de garde à vue concernant M. X... et de tous les actes subséquents ;
"aux motifs que, sur l'absence d'assistance d'avocat pendant les auditions, il se déduit de l'article 6 § 3 de la Convention européenne que toute personne placée en garde à vue doit être informée de son droit à bénéficier, en l'absence de renonciation non équivoque, de l'assistance d'un avocat, la sanction de l'irrégularité des auditions étant la nullité de ces actes ; que, toutefois, M. X..., avisé de son droit résultant des textes en vigueur à l'époque à s'entretenir avec un avocat, n'a pas souhaité exercer ce droit ; que sa renonciation éclairée a été faite avec l'assistance d'un interprète ; qu'il n'est donc pas fondé à critiquer l'absence d'assistance par un avocat lors des interrogatoires, alors qu'il a librement renoncé à l'accès à un avocat ;
"1°) alors que la garantie résultant de l'obligation de notifier au gardé à vue qu'il a le droit à l'assistance d'un avocat pendant ses interrogatoires n'est pas susceptible de renonciation, s'agissant d'une obligation pesant sur l'officier de police judiciaire qui est tenu d'exécuter cette formalité sans pouvoir s'en dispenser ; que la chambre de l'instruction a statué par un motif inopérant et violé les droits de la défense ;
"2°) alors qu'il ne peut y avoir renonciation « éclairée » à l'exercice d'un droit que dans la mesure où la nature et la consistance de ce droit ont été clairement explicitées à l'intéressé et que celui-ci a pu y renoncer en connaissance de cause ; que le droit à s'entretenir un bref moment avec un avocat en dehors des interrogatoires menés en garde à vue est substantiellement différent du droit à bénéficier de l'assistance d'un avocat pendant la totalité de ses interrogatoires ; que faute de la notification de ce droit à une assistance pendant les interrogatoires, M. X... n'a pas pu y renoncer, et que la renonciation à un entretien hors tout interrogatoire ne peut valoir renonciation au droit d'être assisté pendant les interrogatoires ; que la chambre de l'instruction a violé les droits de la défense ;
"3°) alors que l'absence d'un avocat pendant toute la durée des interrogatoires en garde à vue porte nécessairement atteinte aux droits de la défense ; que la chambre de l'instruction a encore violé les textes et principes susvisés" ;
Attendu que, pour rejeter le grief selon lequel M. X... n'avait pas été assisté par un avocat au cours de ses auditions en garde à vue, l'arrêt retient que l'intéressé, avisé de son droit résultant des textes en vigueur à l'époque à s'entretenir avec un avocat, n'a pas souhaité exercer ce droit ; que les juges ajoutent que sa renonciation éclairée a été faite avec l'assistance de l'interprète et qu'il n'est donc pas fondé à critiquer l'absence d'assistance par un avocat lors des interrogatoires alors qu'il y a librement renoncé ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, la chambre de l'instruction a justifié sa décision au regard de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Mais sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 593 du code de procédure pénale, violation des droits de la défense, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté la requête tendant à l'annulation des actes de garde à vue concernant M. X... et de tous les actes subséquents ;
"aux motifs que, sur l'absence de notification du droit au silence, ce droit constitue une garantie du procès équitable ; qu'il a pour finalité de protéger la personne accusée contre une coercition abusive et de garantir à la personne le droit de ne pas s'auto-incriminer ; que cette violation fait nécessairement grief aux droits de la défense ; qu'il appartient ainsi au juge d'apprécier in concreto si ces garanties ont été violées ; qu'en l'espèce, l'officier de police judiciaire, assisté de l'interprète, a demandé à M. X... s'il consentait à répondre à ses questions et M. X... a dit « oui » et a accepté librement d'y répondre ; qu'ainsi, la possibilité de garder le silence a été donnée à l'intéressé qui y a librement renoncé sans équivoque, et à aucun moment il n'a été passé outre à sa volonté, de sorte qu'il n'a pas été porté atteinte à son droit au silence ;
"1°) alors que la garantie résultant de l'obligation de notifier au gardé à vue qu'il a le droit de se taire n'est pas susceptible de renonciation, s'agissant d'une obligation procédurale pesant sur l'officier de police judiciaire qui est tenu d'exécuter cette formalité, sans pouvoir s'en dispenser ; qu'en constatant l'absence de toute notification de ce droit, et en refusant néanmoins de prononcer la nullité de la garde à vue au motif d'une prétendue renonciation au droit de se taire qui n'a pas été notifié à l'intéressé, la chambre de l'instruction a statué par un motif inopérant et violé les droits de la défense ;
"2°) alors, qu'en toute hypothèse, il ne peut y avoir renonciation à un droit, éclairée et dénuée d'équivoque, que dans la mesure où la nature et la consistance de ce droit ont été clairement explicitées à l'intéressé et que celui-ci a pu y renoncer en connaissance de cause ; que le droit de se taire n'a pas été notifié par la seule question de savoir si M. X... consentait à répondre aux questions de l'officier de police judiciaire ; que faute de notification claire et précise, la prétendue renonciation à ce droit n'est pas caractérisée ;
"3°) alors que ne peut être considérée comme une renonciation au droit de se taire « librement » obtenu, la circonstance que l'intéressé aurait consenti à répondre aux questions posées, dès lors que le droit de se taire ne lui a pas été notifié, que l'officier de police judiciaire a recueilli ce prétendu consentement en garde à vue, c'est-à-dire alors que l'intéressé était privé de toute liberté d'aller et venir, et que ce consentement a été recueilli sans l'assistance et la présence effectives d'un avocat ; que faute de toute renonciation réelle au droit de se taire, la chambre de l'instruction a encore violé les textes et principes susvisés" ;
Vu l'article 6 § 3 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
Attendu qu'il se déduit de ce texte, que toute personne placée en garde à vue doit, dès le début de cette mesure, être informée de son droit de se taire ;
Attendu que, pour rejeter le grief selon lequel le mis en examen n'avait pas bénéficié du droit de garder le silence, l'arrêt retient que l'officier de police judiciaire assisté de l'interprète a demandé à M. X... s'il consentait à répondre à ses questions et que celui-ci a dit "oui" et a accepté librement d'y répondre ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que le demandeur n'avait pas été informé dès le début de la garde à vue de son droit de se taire, la cour d'appel a méconnu le principe ci-dessus énoncé ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Limoges, en date du 23 août 2011, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Poitiers, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Limoges et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, M. Guérin conseiller rapporteur, M. Blondet conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Randouin ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;