LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- Le Conseil national de l'ordre des pharmaciens, partie civile,
contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de PARIS, en date du 10 septembre 2010, qui, dans l'information suivie contre la société Polytrans du chef d'exercice illégal de la pharmacie, a confirmé l'ordonnance de non-lieu rendue par le juge d'instruction ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 121-3, 122-3 du code pénal, L. 4223-1 du code de la santé publique, de même que les articles 591 et 593 du code de procédure pénale, manque de base légale, défaut de motifs (insuffisance et contradiction de motifs) ;
"en ce que l'arrêt attaqué a confirmé l'ordonnance du 24 février 2010, rendue par le juge d'instruction du tribunal de grande instance de Paris, ayant déclaré qu'il n'y a pas lieu à suivre l'information judiciaire dans laquelle la SARL Polytrans a été mise en examen du chef d'exercice illégal de la profession de pharmacien, en raison d'absence de charges suffisantes contre quiconque d'avoir commis l'infraction susvisée et a débouté en conséquence la partie civile de ses demandes contre la SARL Polytrans ;
"aux motifs que « le fait que les produits Flexivet, Fortflex et Agilium soient présentés par le « dictionnaire des médicaments vétérinaires », dans son édition 2005, - qui apparaît en la matière comme un ouvrage de référence – comme des « suppléments nutritionnels à objectif particulier », des « suppléments nutritionnels » et un « aliment complémentaire » est susceptible de constituer en l'espèce une erreur de droit, cause d'irresponsabilité pénale au sens de l'article 122-3 du code pénal ; qu'une telle circonstance est ainsi de nature à établir l'absence de volonté délictueuse de la société mise en examen, induite en erreur, ayant précisé que les produits présentés à la vente étaient des compléments alimentaires, ignorant donc de se livrer à la commercialisation de médicaments et arguant à juste titre de sa bonne foi ; qu'il en résulte que la société mise en examen, qui avait cru pouvoir légitimement vendre les produits incriminés, n'a pas sciemment contrevenu aux dispositions légales susvisées et se trouve en conséquence exonérée de sa responsabilité pénale ; qu'en l'absence de charges suffisantes destinées à établir l'élément intentionnel, l'infraction d'exercice illégal de la pharmacie poursuivie n'est pas constituée, faisant ainsi obstacle au renvoi de la société Polytrans devant le tribunal correctionnel ; qu'aucune investigation supplémentaire n'apparaissant utile et les faits dénoncés par la partie civile n'étant pas susceptibles de revêtir une quelconque qualification pénale, il n'en résulte pas contre quiconque charges suffisantes d'avoir commis en qualité d'auteur ou de complice les faits dénoncés ;
"1) alors que l'arrêt attaqué, s'il s'attache à écarter la culpabilité de la société Polytrans pour la vente des produits Flexivet, Fortflex et Agilium, ne comporte aucun motif concernant les produits de la gamme Pvb, dont la demanderesse démontrait dans ses conclusions d'appel qu'il s'agissait de médicaments, notamment du fait de leur présentation faisant apparaître des propriétés préventives et curatives de maladies animales ; d'où il suit qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour a privé sa décision de motifs, en violation de l'article 593 du code de procédure pénale ;
"2) alors qu'en statuant ainsi, la cour a entaché sa décision d'une omission de statuer ;
"3) alors que, s'agissant des produits Flexivet, Fortflex et Agilium, la cour a décidé que la société Polytrans n'était pas pénalement responsable de la commercialisation de produits relevant du monopole pharmaceutique en se fondant sur des motifs qui évoquent à la fois une cause d'irresponsabilité pénale (l'erreur de droit) et l'absence d'élément intentionnel ; que l'absence d'élément intentionnel étant incompatible avec la constatation d'une cause d'irresponsabilité, la cour a entaché sa décision de contradiction de motifs, violant ainsi derechef l'article 593 du code de procédure pénale ;
"4) alors que l'irresponsabilité pénale résultant de l'erreur de droit au sens de l'article 122-3 du code pénal s'entend d'une erreur invincible et non d'une simple erreur d'interprétation ; qu'en l'espèce l'erreur sur la qualification de médicament des produits Flexivet, Fortflex et Agilium ne présentait nullement un tel caractère puisque la SARL Polytrans pouvait, en tant que professionnel, se renseigner sur le caractère des produits commercialisés et que les démarches effectuées par elle à cet égard étaient manifestement insuffisantes, dès lors que le « dictionnaire des médicaments vétérinaires », invoqué par la société mise en examen, n'a aucune valeur juridique ; quant aux produits homéopathiques de la gamme Pvb, aucune démarche n'a été effectuée ; d'où il suit qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour a violé le texte susvisé ;
"5) alors qu'en matière d'infraction au monopole des pharmaciens, l'élément intentionnel est caractérisé du seul fait de la mise en vente illicite de produits couverts par le monopole ; que la chambre d'instruction a confirmé que les produits commercialisés par la SARL Polytrans ont un caractère de médicaments par la présentation et /ou par la fonction ; que dès lors la chambre d'instruction ne pouvait décider que l'élément intentionnel n'était pas caractérisé aux motifs inopérants que la société ignorait le caractère des produits litigieux et qu'elle les présentait comme des compléments alimentaires ; qu'ainsi la chambre d'instruction n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations et a donc violé l'article 121-3 du code pénal" ;
Vu l'article 593 du code de procédure pénale, ensemble l'article 122-3 du code pénal ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des
mémoires des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que, le 4 juillet 2006, le Conseil national de l'ordre des pharmaciens a porté plainte et s'est constitué partie civile contre la société Polytrans, dont l'objet social est notamment "la fabrication et la commercialisation de tout accessoire et plus spécialement dans le domaine canin", du chef d'exercice illégal de la pharmacie en raison de la commercialisation de plusieurs produits, Flexivet, Agilium, Fortiflex et Pvb diarrhées, Pvb nausées, Pvb sédatif nerveux ; qu'une information judiciaire a été ouverte le 27 novembre 2006 ; qu'après infirmation d'une première ordonnance de non-lieu du juge d'instruction, en date du 9 avril 2009, la société Polytrans a été mise en examen du chef d'exercice illégal de la pharmacie ;
Attendu que, le 24 février 2010, le juge d'instruction a rendu une ordonnance de non-lieu dont la partie civile a interjeté appel ; que, pour confirmer cette décision, l'arrêt retient que, pour les produits Flexivet, Fortiflex et Agilium, la société Polytrans ayant commis une erreur de droit résultant de la définition donnée par le dictionnaire des médicaments vétérinaires et établissant l'absence de volonté délictueuse de sa part, l'infraction d'exercice illégal de la pharmacie n'est pas constituée ;
Mais attendu qu'en prononçant par ces seuls motifs, alors que, pour bénéficier de la cause d'irresponsabilité prévue par le second des textes susvisés, la personne poursuivie doit justifier avoir cru, par une erreur de droit qu'elle n'était pas en mesure d'éviter, pouvoir légitimement accomplir le fait reproché et en omettant de répondre aux conclusions de la partie civile relatives aux produits Pvb, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 10 septembre 2010 ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
FIXE à 2 000 euros la somme que la société Polytrans devra payer au Conseil national de l'ordre des pharmaciens au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, Mme Harel-Dutirou conseiller rapporteur, M. Palisse conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Krawiec ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;