LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu que M. X... a assigné, le 18 septembre 2006, la société belge Agence de marketing appliqué (AMA) devant le tribunal de grande instance de son domicile en France en paiement d'un gain de 23 100 euros qui lui aurait été promis par cette société ; que la société AMA a soulevé l'incompétence de la juridiction française au profit de la juridiction belge ; que, par ordonnance du 9 octobre 2007, confirmée en appel, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Moulins a rejeté l'exception ;
Sur la recevabilité du pourvoi contestée par la défense :
Attendu que M. X... soutient que le pourvoi formé contre l'arrêt attaqué (Riom, 8 octobre 2008), qui a statué sur une exception de procédure sans mettre fin à l'instance, est irrecevable par application des articles 606 et 608 du code de procédure civile ;
Mais attendu qu'en matière internationale, la contestation élevée sur la compétence du juge français saisi ne concerne pas une répartition de compétence entre les tribunaux nationaux mais tend à lui retirer le pouvoir de trancher le litige au profit d'une juridiction d'un Etat étranger ; que dès lors, le pourvoi en cassation contre le jugement ayant statué sur cette exception de procédure a pour fin de prévenir un excès de pouvoir ; qu'il est immédiatement recevable, même s'il n'est pas mis fin à l'instance ;
Sur le moyen unique, pris en ses trois branches :
Attendu que la société AMA fait grief à l'arrêt de l'avoir déboutée de sa demande tendant à voir le tribunal de grande instance de Moulins déclaré incompétent au profit du tribunal de Tournai en Belgique, lieu de son siège social, alors, selon le moyen :
1°/ que lorsque l'attribution du prix n'est pas subordonnée à une commande de marchandises, n'est pas de nature contractuelle, au sens de l'article 15, 1°, c) du Règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000, l'action juridictionnelle par laquelle un consommateur vise à faire condamner, en application de la législation de l'État contractant sur le territoire duquel il est domicilié, une société de vente par correspondance, établie dans un autre État contractant, à la remise d'un prix apparemment gagné par lui ; qu'aux termes des documents publicitaires adressés à M. X..., le renvoi du bon de participation au jeu pouvait être effectué à l'occasion d'une commande ou en dehors de toute commande (article 4 du règlement officiel et clauses figurant sur le Bon de participation à renvoyer) ; que dès lors, en retenant que M. X... avait l'obligation de passer une commande, la cour d'appel a dénaturé les termes, clairs et précis, des documents publicitaires à lui adressés par la SA AMA, violant ainsi l'article 4 du code de procédure civile ;
2°/ qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article 16-I du Règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 ;
3°/ qu'en matière contractuelle, une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut être attraite, dans un autre Etat membre, devant le tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée ; qu'en application de l'article 1371 du code civil, l'organisateur d'une loterie qui annonce un gain à une personne dénommée sans mettre en évidence l'existence d'un aléa s'oblige, par ce fait purement volontaire, à le délivrer ; que cette obligation est distincte de l'obligation contractuelle dont est seul titulaire le bénéficiaire du gain ; que dès lors, les modalités contractuelles d'exécution de cette dernière ne peuvent lui être étendues ; qu'en conséquence, en déclarant la juridiction française compétente, en tant que juridiction du lieu où la SA AMA avait accepté de verser son prix au « grand gagnant », la Cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, ensemble l'article 1247 du code civil et l'article 5-1 du Règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 ;
Mais attendu qu'ayant relevé que la société AMA, société de vente par correspondance, avait adressé à M. X... plusieurs documents publicitaires lui annonçant un gain de 23 100 euros et qu'à la suite de ces envois, il avait effectué une commande qui a été exécutée, la cour d'appel en a justement déduit, hors toute dénaturation, que celui-ci, en sa qualité de consommateur, pouvait saisir le tribunal de son domicile en application des articles 15 et 16 du Règlement (CE) n° 44/2001 (Bruxelles I) pour l'obtention de sommes d'argent apparemment gagnées par lui ; que, par ce seul motif, l'arrêt est légalement justifié ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Agence de marketing appliqué (AMA) aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Agence de marketing appliqué (AMA) et la condamne à payer à M. X... la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept mai deux mille dix.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Boulloche, avocat de la société Agence de marketing appliqué (AMA).
Le moyen de cassation fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la SA AMA de sa demande tendant à voir le tribunal de grande instance de Moulins déclaré incompétent au profit du Tribunal de Tournai (Belgique), lieu de son siège social ;
AUX MOTIFS QUE la société AMA, société de vente par correspondance, est domiciliée en Belgique, à Mouscron ; qu'elle a adressé plusieurs courriers publicitaires à M. X... lui annonçant un gain d'un chèque de 23 100 € qui devait lui être expédié ; que M. X... effectuait une commande ; qu'il réclamait ensuite le paiement du chèque promis ; que le premier juge relève, sur la base de la jurisprudence GABRIEL de la Cour de Justice des Communautés Européennes, du 11 juillet 2002, que ces annonces de gains faites par courrier, sous la seule réserve d'une commande même modique pour garantir un traitement prioritaire, dès lors qu'elles ne constituaient pas une invitation à participer à un jeu et qu'elles n'étaient soumises à aucun aléa ni condition ou contrepartie notable, sont de nature, s'agissant de l'espoir d'un gain, à constituer un fait purement volontaire de la société AMA dont il résulte un engagement envers le destinataire, au sens de l'article 1371 du code civil ; que l'espèce justifie ainsi l'application des règles du quasi-contrat ; que la société AMA soulevait devant le juge de la mise en état l'exception de compétence, au profit de la juridiction belge, lieu du siège social de la société AMA, en l'espèce, le tribunal de première instance de Tournai ; que devant la Cour, elle se fonde, sans contestation, sur les dispositions du règlement CE N° 44-2001 du 22 décembre 2000 ; qu'ensuite, interprétant les articles 3, 5, 13, 15, 22, elle invoque la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés Européennes et en particulier un arrêt ENGLER, du 20 janvier 2005 ; que cet arrêt ne modifie pas substantiellement la jurisprudence antérieure telle qu'exprimée par l'arrêt GABRIEL du 11 juillet 2002 de la même Cour de Justice, sauf à préciser la nature de l'engagement contractuel, qui est à considérer « au sens de l'article 5 point 1 » du règlement communautaire susvisé et non au sens de l'article 13 de la même convention ; que cet article 5 énonce « qu'une personne domiciliée sur un territoire membre peut être attraite dans un autre État membre : - 1a : en matière contractuelle devant le tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée » ; que la société AMA considérant que le paiement est quérable, conclut à la compétence des juridictions du lieu du paiement ; qu'en effet, la jurisprudence ENGLER ci-dessus visée énonce que la « nature contractuelle » de l'engagement est celui de l'article 5 de la Convention Européenne et non celle de l'article 13, dont l'arrêt précise qu'il est une exception, non applicable en l'espèce ; qu'ainsi, en principe, le lieu de paiement est celui du lieu du domicile du payeur, où le demandeur doit venir le quérir ; mais qu'il peut être convenu autrement, ou, en matière de quasi-contrat, la partie qui s'engage peut s'engager autrement ; que tel est le cas en l'espèce puisqu'il est énoncé que « vous êtes définitivement déclaré grand bénéficiaire d'un chèque bancaire de X euros payé en un seul chèque. Il vous sera expédié par courrier recommandé avec AR » - ceci dans un délai de 15 jours - ; qu'ainsi le lieu du paiement, où la société AMA s'est librement engagée à exécuter son obligation, est l'adresse du destinataire, à laquelle celui-ci devait recevoir le courrier recommandé avec avis de réception ; que par ailleurs le destinataire a consenti à cet engagement de paiement à son domicile en souscrivant à l'obligation de passer une commande ou en réclamant l'exécution du paiement annoncé ; que par ailleurs l'intimé invoque à juste titre l'article 16-1 du règlement communautaire, qui vise la protection des consommateurs et donne compétence au tribunal du domicile de celui-ci lorsque, selon l'article 15-c, l'autre partie au contrat est « une personne qui exerce des activités commerciales ou professionnelles dans l'Etat membre sur le territoire duquel le consommateur a son domicile ou qui, par tout moyen, dirige ses activités vers cet Etat membre » ; que ces dispositions sont applicables étant entendu que les effets des contrats et ceux des quasi-contrats sont les mêmes, et étant observé que la jurisprudence ENGLER n'opère de distinction qu'entre les articles 5 point 1 et 13 premier alinéa, et ne vise pas l'article 16-I ; qu'en conséquence, est compétente la juridiction du domicile de l'intimé ;
ALORS, DE PREMIERE PART, QUE lorsque l'attribution du prix n'est pas subordonnée à une commande de marchandises, n'est pas de nature contractuelle, au sens de l'article 15, 1°, c) du Règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000, l'action juridictionnelle par laquelle un consommateur vise à faire condamner, en application de la législation de l'État contractant sur le territoire duquel il est domicilié, une société de vente par correspondance, établie dans un autre État contractant, à la remise d'un prix apparemment gagné par lui ; qu'aux termes des documents publicitaires adressés à Monsieur X..., le renvoi du bon de participation au jeu pouvait être effectué à l'occasion d'une commande ou en-dehors de toute commande (article 4 du règlement officiel et clauses figurant sur le Bon de participation à renvoyer) ; que dès lors, en retenant que Monsieur X... avait l'obligation de passer une commande, la Cour d'appel a dénaturé les termes, clairs et précis, des documents publicitaires à lui adressés par la SA AMA, violant ainsi l'article 4 du Code de procédure civile ;
ALORS, DE DEUXIEME PART, QU'en se déterminant ainsi, la Cour d'appel a violé, par fausse application, l'article 16-I du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 ;
ALORS QU'ENFIN, en matière contractuelle, une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut être attraite, dans un autre Etat membre, devant le tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée ; qu'en application de l'article 1371 du code civil, l'organisateur d'une loterie qui annonce un gain à une personne dénommée sans mettre en évidence l'existence d'un aléa s'oblige, par ce fait purement volontaire, à le délivrer ; que cette obligation est distincte de l'obligation contractuelle dont est seul titulaire le bénéficiaire du gain ; que dès lors, les modalités contractuelles d'exécution de cette dernière ne peuvent lui être étendues ; qu'en conséquence, en déclarant la juridiction française compétente, en tant que juridiction du lieu où la SA AMA avait accepté de verser son prix au « grand-gagnant », la Cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, ensemble l'article 1247 du code civil et l'article 5-1 du Règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000.