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19/01/2010 | FRANCE | N°09-84818

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 19 janvier 2010, 09-84818


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur les pourvois formés par :
- L'ASSOCIATION FÉDÉRATION NATIONALE DES VICTIMES D'ACCIDENTS COLLECTIFS " FENVAC SOS CATASTROPHE ",- L'ASSOCIATION DES FAMILLES DES VICTIMES DU JOOLA ,- X... Bernard,- X... Sylvie,- Z... Alain,- Z... Nadine,- A... André,- A... Thérèse,- A... Cécile, épouse B...,- A... Françoise, épouse C...,- Y... Jean-Louis,- Y... Marie-Ange,- Y... Carol,- Y... Denis, parties civiles, et-D... Youssoupha,- H... Abdou Hamid,- E... Babacar,- F... Ousseynou,- J... Meïssa,- G... Gomis,- K.

.. Mody,

contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la co...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur les pourvois formés par :
- L'ASSOCIATION FÉDÉRATION NATIONALE DES VICTIMES D'ACCIDENTS COLLECTIFS " FENVAC SOS CATASTROPHE ",- L'ASSOCIATION DES FAMILLES DES VICTIMES DU JOOLA ,- X... Bernard,- X... Sylvie,- Z... Alain,- Z... Nadine,- A... André,- A... Thérèse,- A... Cécile, épouse B...,- A... Françoise, épouse C...,- Y... Jean-Louis,- Y... Marie-Ange,- Y... Carol,- Y... Denis, parties civiles, et-D... Youssoupha,- H... Abdou Hamid,- E... Babacar,- F... Ousseynou,- J... Meïssa,- G... Gomis,- K... Mody,

contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de PARIS, 3e section, en date du 16 juin 2009, qui, dans l'information suivie contre personne non dénommée des chefs d'homicides et blessures involontaires et défaut d'assistance à personne en péril, a déclaré irrecevable la requête en nullité de la procédure présentée par les sept derniers et a prononcé la nullité de deux mandats d'arrêt et d'actes subséquents ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 5 janvier 2010 où étaient présents : M. Pelletier président, M. Finidori conseiller rapporteur, M. Joly, Mmes Anzani, Palisse, Guirimand, MM. Guérin, Straehli, Monfort conseillers de la chambre, Mme Degorce conseiller référendaire ;
Avocat général : M. Boccon-Gibod ;
Greffier de chambre : Mme Krawiec ;
Sur le rapport de M. le conseiller FINIDORI, les observations de la société civile professionnelle BORÉ et SALVE de BRUNETON, de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIÉ et de la société civile professionnelle VINCENT et OHL, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général BOCCON-GIBOD, les avocats des demandeurs ayant eu la parole en dernier ;
Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle, en date du 10 septembre 2009, joignant les pourvois en raison de la connexité et prescrivant leur examen immédiat ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure qu'à la suite du naufrage survenu le 26 septembre 2002, au large des côtes gambiennes, du navire Joola, battant pavillon sénégalais, ayant fait 1863 victimes, parmi lesquelles plusieurs ressortissants français, une information a été ouverte au tribunal de grande instance d'Evry des chefs d'homicides et blessures involontaires par violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence et défaut d'assistance à personne en péril ;
Que le juge d'instruction a décerné mandat d'arrêt à l'encontre de neuf personnalités sénégalaises, à savoir : Mame L...
M..., Premier ministre, N...
I..., ministre des forces armées, Babacar
O...
, chef d'état-major général des armées, Ousseynou F..., chef d'état-major de la marine nationale, Moddy K..., chef d'exploitation, Meïssa J..., chef d'état-major de l'air, Youssouf D..., ministre des transports, Abdou Hamid H..., directeur de la marine marchande, Gomis G..., chef du bureau de la sécurité maritime et de la gestion des flottes ;
Que, par ordonnance du 16 octobre 2008, le juge d'instruction a refusé de faire droit aux réquisitions du procureur de la République, tendant à la mainlevée des mandats d'arrêt délivrés à l'encontre de Mame L...
M... et de N...
I... ; que le procureur général a interjeté appel de cette ordonnance ;
Que les neuf personnes visées par les mandats d'arrêt ont, en application de l'article 173 du code de procédure pénale, saisi la chambre de l'instruction d'une requête en annulation de la procédure pour incompétence du juge d'instruction français et, à titre subsidiaire, ont sollicité la mainlevée des mandats d'arrêt les concernant ;
Que cette juridiction, après jonction de l'appel du procureur général et de la requête en nullité de la procédure, a déclaré irrecevable la requête qui lui était soumise ; que, faisant application de l'article 206 du code de procédure pénale, elle a prononcé la nullité des mandats d'arrêt délivrés à l'encontre de Mame L...
M... et de N...
I... ainsi que de certains actes subséquents et a déclaré sans objet l'appel du procureur général ;
En cet état ;
I-Sur le pourvoi de Youssoupha D..., Abdou Hamid H..., Babacar
O...
, Ousseynou F..., Meïssa J..., Gomis G... et Mody K... :
Sur sa recevabilité :
Attendu que, pour déclarer irrecevable la requête des demandeurs tendant à l'annulation de l'information ouverte des chefs susvisés et, subsidiairement, à la mainlevée des mandats d'arrêt délivrés à leur encontre, l'arrêt énonce que la délivrance d'un mandat d'arrêt au cours de l'information, avant tout interrogatoire, ne confère pas à ceux qui en sont l'objet la qualité de personne mise en examen et, par voie de conséquence, celle de partie au sens de l'article 173 du code de procédure pénale ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, et dès lors que les demandeurs n'avaient pas davantage la qualité de témoin assisté et que les dispositions des articles 5, 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme ne sont pas applicables en cas de recours formé contre un mandat d'arrêt, dont le seul objet est d'assurer la représentation en justice de la personne à l'encontre de laquelle il est délivré afin, notamment, de permettre son interrogatoire par le juge d'instruction, la chambre de l'instruction a fait l'exacte application de la loi ;
D'où il suit que le pourvoi doit être déclaré irrecevable comme émanant de personnes qui ne sont pas parties, au sens de l'article 567 du code de procédure pénale ;
II-Sur les pourvois de l'Association Fédération nationale des victimes d'accidents collectifs " Fenvac SOS Catastrophe ", l'Association des familles des victimes du Joola , Bernard X..., Sylvie X..., Alain Z..., Nadine Z..., André A..., Thérèse A..., Cécile A..., Françoise A..., Jean-Louis Y..., Marie-Ange Y..., Carol Y..., Denis Y..., parties civiles :
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation présenté par la société civile professionnelle Boré et Salve de Bruneton et, dans les mêmes termes, par la société civile professionnelle Vincent et Ohl, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 89, 174, 185, 206, 558, 591 et 593 du code de procédure pénale et excès de pouvoir ;
" en ce que l'arrêt attaqué a prononcé la nullité des mandats d'arrêt délivrés le 12 septembre 2008 à l'encontre de N...
I... et de Mame L...
M... et figurant aux cotes D. 1789-1 à D. 1789-19 et D. 1793-1 à D. 1793-19, a prononcé la nullité des actes susbséquents cotés D. 1889, D. 1890 / 1 et D. 1890 / 2, D. 1894 / 1 à D. 1894 / 5, D. 1898 / 1 à D. 1898 § 6, D. 1908 et D. 1915, a constaté que l'appel du procureur général était, en conséquence, sans objet, a ordonné, en outre, la cancellation à la cote D. 1902 / 2 des mentions « Mme M... Mame L..., née en 1946 à Saint-Louis (Sénégal) » et « M. I...
N..., né en 1944 à Ziguinchor (Sénégal) » et sur l'ordonnance de soit communiqué au règlement coté D. 2063 les mentions « mandat d'arrêt » et « mandat d'arrêt 10 / 09 / 08 » figurant à côté et sous le nom de Mme M... Mame L... et de M. I...
T..., après qu'il aurait été établi une copie certifiée conforme à l'original et classée au greffe de la cour d'appel de Paris, a dit que les actes annulés seraient retirés du dossier d'information et classés au greffe de la cour et qu'il serait interdit d'y puiser aucun renseignement contre les parties aux débats, a dit qu'il serait fait ensuite retour du dossier au juge d'instruction saisi pour poursuite de l'information et a ordonné que les autorités auprès desquelles les mandats d'arrêt de Mame L...
M... et de N...
I... ont été diffusés seront informées de leur annulation ;
" aux motifs que, sur la recevabilité de la requête en nullité et des mémoires déposés par l'avocat de Mame L...
M..., N...
I..., Babacar
O...
, Ousseynou F..., Mody K..., Meïssa J..., Youssoupha D..., Abdoul Hamid H... et Gomis G..., la requête en nullité est présentée au nom de neuf personnes visées par les mandats d'arrêt du 12 septembre 2008 non exécutés ; que la délivrance d'un mandat d'arrêt au cours de l'information, avant tout interrogatoire, ne confère pas à celui qui en est l'objet la qualité de personne mise en examen ; que les mandats d'arrêt délivrés contre Mame L...
M..., N...
I..., Babacar
O...
, Ousseynou F..., Mody U..., Meïssa J..., Youssouf D..., Abdoul Hamid H... et Gomis G... n'ayant pas été exécutés à ce jour, il en résulte que les intéressés n'ont pas la qualité de partie à l'information ; que la requête en nullité déposée en leur nom sur le fondement de l'article 173, alinéa 3, du code de procédure pénale est, en conséquence, irrecevable ; que, pour les mêmes motifs, les mémoires déposés par leur avocat sont irrecevables ;
" et aux motifs que, sur les nullités d'ordre public, en application des dispositions des articles 174 et 206 du code de procédure pénale, la chambre de l'instruction examine, sous réserve des dispositions des articles 173-1, 174 et 175 du code de procédure pénale, la régularité des procédures qui lui sont soumises et relève d'office les moyens de nullité d'ordre public qu'elle découvre ; que la délivrance d'un mandat d'arrêt, qui donne la possibilité au juge d'instruction de procéder par la suite au règlement du dossier en l'état, constitue un acte de poursuite ; que la coutume internationale, qui s'oppose à la poursuite des Etats devant un Etat étranger, s'étend à certaines personnes occupant un rang élevé dans l'Etat, tel que le chef de l'Etat et le chef de gouvernement, peu important qu'ils bénéficient ou non d'une immunité de juridiction pénale dans leur propre pays ; que cette coutume s'étend également à ceux des ministres occupant une position qui fait, qu'à l'instar du chef de l'Etat et du chef du gouvernement, ils se voient reconnaître par le droit international la qualité de représenter un Etat du seul fait de leur fonction ; que, pendant toute la durée de leur charge, ils bénéficient d'une immunité de juridiction pénale et d'une inviolabilité totales à l'étranger ; qu'à compter de la cessation de leurs fonctions, ils ne bénéficient de cette immunité que pour les seuls actes accomplis dans le cadre de leurs fonctions ; qu'en l'espèce, à l'époque des faits, Mame L...
M... et N...
I... avaient respectivement la qualité de Premier ministre et de ministre des forces armées de la République du Sénégal et qu'ils n'exerçaient plus ces fonctions au moment où un mandat d'arrêt a été délivré à leur encontre par un juge d'instruction français ; que, s'il apparaît que ces deux personnes n'ont pas eu de responsabilité directe dans la conduite ou l'exploitation du Joola, il ressort de l'information qu'ils ont donné à cet égard des directives relevant de l'exercice de leurs fonctions politiques ; qu'en effet, le Joola a été mis en navigation par le Sénégal pour permettre que la Casamance, région coupée du reste du pays par l'enclave de la Gambie, Etat souverain, puisse sortir de son enclavement ; que l'Etat du Sénégal assurait ainsi une mission de service public non commercial ; que c'est le Premier ministre qui avait pris la décision, le 7 décembre 1995, de transférer au ministère des forces armées sénégalais l'exploitation du Joola, notamment au motif qu'il faisait l'objet d'attaques armées ; que celui-ci était armé par un équipage militaire ; que c'est l'Etat du Sénégal qui a pris la décision d'interrompre provisoirement cette liaison maritime pour permettre d'effectuer des travaux de remise en état du navire ; que Mame L...
M..., par son arbitrage en tant que Premier ministre, n'est pas revenue sur la décision du 7 décembre 1995 à la suite d'une note confidentielle sur la situation très préoccupante du Joola que lui avait adressée le 18 juin 2001 le ministère des transports qui demandait le retour à une gestion civile ; qu'elle a ainsi permis la poursuite de l'exploitation du navire malgré l'absence de respect des règles de sécurité ; que le Joola avait le statut de navire militaire à travers son armateur, le ministère des forces armées, qui en confiait la gestion à la marine nationale sénégalaise ; qu'en tant que ministre des forces armées, Yambou P... a permis cette navigation alors que le Joola n'avait plus de certificat international de navigation depuis avril 1991, de titre national depuis le 17 juin 1999, que sa classe était suspendue depuis le 28 septembre 2000 et que les visites de contrôle et de sécurité n'étaient pas effectuées ; qu'il s'ensuit que les actes reprochés à Mame L...
M... et à N...
I... ont été commis dans l'exercice de leurs fonctions et dans le cadre de la mission de service public assurée par le Joola ; qu'en conséquence, pour les actes susvisés, Mame L...
M..., en qualité d'ancien Premier ministre, qui exerçait les fonctions de chef du gouvernement de l'Etat du Sénégal, bénéficie d'une immunité pénale et ne peut faire l'objet de poursuites devant les juridictions pénales françaises ; que la même immunité doit être reconnue à N...
I..., en tant qu'ancien ministre des forces armées du Sénégal, exerçant les fonctions de ministre de la défense ; que ce ministre, de par la spécificité de ses fonctions et de son action prioritairement dirigée vers l'international, doit pouvoir s'en acquitter librement pour le compte de l'Etat qu'il représente ; qu'il est appelé à se déplacer fréquemment à l'étranger pour représenter le chef de l'Etat, chef des forces armées, auprès des militaires de son pays stationnés à l'étranger ainsi qu'au cours des incessants conflits armés qui opposent les Etats, notamment sur le continent africain, et qu'au titre de la participation à des forces multinationales qui nécessite des contacts réguliers avec ses homologues des autres Etats ; que l'émission par la France d'un mandat d'arrêt contre le Premier ministre et le ministre des forces armées du Sénégal constitue une violation des obligations juridiques du pays émetteur et une méconnaissance de l'immunité de juridiction pénale et de l'inviolabilité dont ces ministres jouissent en vertu du droit international, dès lors que les faits reprochés ci-dessus exposés ont été commis pendant l'exercice de leurs fonctions et à cette occasion et qu'une telle immunité leur restait acquise après la cessation de leurs fonctions ; que, dès lors, il y a lieu d'annuler les deux mandats d'arrêt délivrés le 12 septembre 2008 par le juge d'instruction à l'encontre de Mame L...
M... et de Yambou P..., ainsi que les actes subséquents, tels que figurant au dispositif, dont ils sont le support nécessaire, et notamment l'ordonnance du 16 octobre 2008 ; qu'en conséquence, l'appel formé par le procureur général de ladite ordonnance est sans objet ; qu'en outre, il y a lieu d'ordonner que les autorités auprès desquelles les deux mandats d'arrêt ont été diffusés seront informées de leur mise à néant ;
" 1°) alors que la chambre de l'instruction ne peut examiner la régularité des procédures qui lui sont soumises et prononcer d'office la nullité d'un acte ainsi que, s'il y échet, celle de tout ou partie de la procédure ultérieure, qu'autant que ces procédures lui ont été régulièrement soumises ; qu'en examinant la régularité de la procédure et en prononçant la nullité des mandats d'arrêt délivrés le 12 septembre 2008 à l'encontre de N...
I... et de Mame L...
M... ainsi que celle des actes subséquents, quand elle avait jugé irrecevables la requête en nullité et les mémoires déposés par l'avocat des personnes mises en cause et s'était bornée à constater que l'appel du procureur général était sans objet, de sorte qu'elle n'avait pu être valablement saisie de la poursuite et ne pouvait prononcer la nullité des mandats d'arrêt litigieux, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs et méconnu les textes susvisés ;
" 2°) alors qu'en toute hypothèse l'appel du procureur général contre une ordonnance du juge d'instruction doit être signifié aux parties dans les dix jours qui suivent l'ordonnance du juge d'instruction ; qu'en examinant la régularité de la procédure et en prononçant la nullité des mandats d'arrêt délivrés le 12 septembre 2008 à l'encontre de N...
I... et de Mame L...
M... ainsi que celle des actes subséquents sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si l'appel du procureur général contre l'ordonnance du 16 octobre 2008 avait été régulièrement signifié aux parties dans les dix jours qui suivaient l'ordonnance et sans justifier qu'en conséquence elle aurait été valablement saisie de la poursuite et pouvait prononcer la nullité des mandats d'arrêt litigieux, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des textes susvisés " ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que les demandeurs ne sauraient faire grief à la chambre de l'instruction d'avoir statué sur la régularité des mandats d'arrêt délivrés à l'encontre de Mame L...
M... et de N...
I..., après avoir déclaré irrecevable leur requête en nullité de ces titres et fait application, à tort, des dispositions de l'article 206 du code de procédure pénale, dès lors que cette juridiction avait été valablement saisie par l'appel du procureur général, régulièrement signifié aux parties dans les dix jours de l'ordonnance du juge d'instruction, conformément à l'article 185 du code susvisé, et que la Cour de cassation est en mesure de s'assurer, par l'examen des pièces de la procédure, que la signification de l'appel critiquée au moyen était régulière ;
D'où il suit que les moyens ne peuvent être accueillis ;
Sur le second moyen de cassation présenté par la société civile professionnelle Boré et Salve de Bruneton et, dans les mêmes termes, par la société civile professionnelle Vincent et Ohl, pris de la violation du principe de droit international relatif à l'immunité de juridiction des Etats étrangers, du principe de droit international pacta sunt servanda et d'exécution de bonne foi des traités, des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a prononcé la nullité des mandats d'arrêt délivrés le 12 septembre 2008 à l'encontre de N...
I... et de Mame L...
M... et figurant aux cotes D. 1789-1 à D. 1789-19 et D. 1793-1 à D. 1793-19, a prononcé la nullité des actes susbséquents cotés D. 1889, D. 1890 / 1 et D. 1890 / 2, D. 1894 / 1 à D. 1894 / 5, D. 1898 / 1 à D. 1898 § 6, D. 1908 et D. 1915, a constaté que l'appel du procureur général était, en conséquence, sans objet, a ordonné, en outre, la cancellation à la cote D. 1902 / 2 des mentions « Mme M... Mame L..., née en 1946 à Saint-Louis (Sénégal) » et « M. I...
N..., né en 1944 à Ziguinchor (Sénégal) » et sur l'ordonnance de soit communiqué au règlement coté D. 2063 les mentions « mandat d'arrêt » et « mandat d'arrêt 10 / 09 / 08 » figurant à côté et sous le nom de Mme M... Mame L... et de M. I...
T..., après qu'il aurait été établi une copie certifiée conforme à l'original et classée au greffe de la cour d'appel de Paris, a dit que les actes annulés seraient retirés du dossier d'information et classés au greffe de la cour et qu'il serait interdit d'y puiser aucun renseignement contre les parties aux débats, a dit qu'il serait fait ensuite retour du dossier au juge d'instruction saisi pour poursuite de l'information et a ordonné que les autorités auprès desquelles les mandats d'arrêt de Mame L...
M... et de N...
I... ont été diffusés seront informées de leur annulation ;
" aux motifs que, sur les nullités d'ordre public, en application des dispositions des articles 174 et 206 du code de procédure pénale, la chambre de l'instruction examine, sous réserve des dispositions des articles 173-1, 174 et 175 du code de procédure pénale, la régularité des procédures qui lui sont soumises et relève d'office les moyens de nullité d'ordre public qu'elle découvre ; que la délivrance d'un mandat d'arrêt qui donne la possibilité au juge d'instruction de procéder par la suite au règlement du dossier en l'état, constitue un acte de poursuite ; que la coutume internationale, qui s'oppose à la poursuite des Etats devant un Etat étranger, s'étend à certaines personnes occupant un rang élevé dans l'Etat, tel que le chef de l'Etat et le chef de gouvernement, peu important qu'ils bénéficient ou non d'une immunité de juridiction pénale dans leur propre pays ; que cette coutume s'étend également à ceux des ministres occupant une position qui fait, qu'à l'instar du chef de l'Etat et du chef du gouvernement, ils se voient reconnaître par le droit international la qualité de représenter un Etat du seul fait de leur fonction ; que, pendant toute la durée de leur charge, ils bénéficient d'une immunité de juridiction pénale et d'une inviolabilité totales à l'étranger ; qu'à compter de la cessation de leurs fonctions, ils ne bénéficient de cette immunité que pour les seuls actes accomplis dans le cadre de leurs fonctions ; qu'en l'espèce, à l'époque des faits, Mame L...
M... et N...
I... avaient respectivement la qualité de Premier ministre et de ministre des forces armées de la République du Sénégal et qu'ils n'exerçaient plus ces fonctions au moment où un mandat d'arrêt a été délivré à leur encontre par un juge d'instruction français ; que, s'il apparaît que ces deux personnes n'ont pas eu de responsabilité directe dans la conduite ou l'exploitation du Joola, il ressort de l'information qu'ils ont donné à cet égard des directives relevant de l'exercice de leurs fonctions politiques ; qu'en effet, le Joola a été mis en navigation par le Sénégal pour permettre que la Casamance, région coupée du reste du pays par l'enclave de la Gambie, Etat souverain, puisse sortir de son enclavement ; que l'Etat du Sénégal assurait ainsi une mission de service public non commercial ; que c'est le Premier ministre qui avait pris la décision, le 7 décembre 1995, de transférer au ministère des forces armées sénégalais l'exploitation du Joola, notamment au motif qu'il faisait l'objet d'attaques armées ; que celui-ci était armé par un équipage militaire ; que c'est l'Etat du Sénégal qui a pris la décision d'interrompre provisoirement cette liaison maritime pour permettre d'effectuer des travaux de remise en état du navire ; que Mame L...
M..., par son arbitrage en tant que Premier ministre, n'est pas revenue sur la décision du 7 décembre 1995 à la suite d'une note confidentielle sur la situation très préoccupante du Joola que lui avait adressée le 18 juin 2001 le ministère des transports qui demandait le retour à une gestion civile ; qu'elle a ainsi permis la poursuite de l'exploitation du navire malgré l'absence de respect des règles de sécurité ; que le Joola avait le statut de navire militaire à travers son armateur, le ministère des forces armées, qui en confiait la gestion à la marine nationale sénégalaise ; qu'en tant que ministre des forces armées, N...
I... a permis cette navigation alors que le Joola n'avait plus de certificat international de navigation depuis avril 1991, de titre national depuis le 17 juin 1999, que sa classe était suspendue depuis le 28 septembre 2000 et que les visites de contrôle et de sécurité n'étaient pas effectuées ; qu'il s'ensuit que les actes reprochés à Mame L...
M... et à N...
I... ont été commis dans l'exercice de leurs fonctions et dans le cadre de la mission de service public assurée par le Joola ; qu'en conséquence, pour les actes susvisés, Mame L...
M..., en qualité d'ancien Premier ministre, qui exerçait les fonctions de chef du gouvernement de l'Etat du Sénégal, bénéficie d'une immunité pénale et ne peut faire l'objet de poursuites devant les juridictions pénales françaises ; que la même immunité doit être reconnue à N...
I..., en tant qu'ancien ministre des forces armées du Sénégal, exerçant les fonctions de ministre de la défense ; que ce ministre, de par la spécificité de ses fonctions et de son action prioritairement dirigée vers l'international, doit pouvoir s'en acquitter librement pour le compte de l'Etat qu'il représente ; qu'il est appelé à se déplacer fréquemment à l'étranger pour représenter le chef de l'Etat, chef des forces armées, auprès des militaires de son pays stationnés à l'étranger ainsi qu'au cours des incessants conflits armés qui opposent les Etats, notamment sur le continent africain, et qu'au titre de la participation à des forces multinationales qui nécessite des contacts réguliers avec ses homologues des autres Etats ; que l'émission par la France d'un mandat d'arrêt contre le Premier ministre et le ministre des forces armées du Sénégal constitue une violation des obligations juridiques du pays émetteur et une méconnaissance de l'immunité de juridiction pénale et de l'inviolabilité dont ces ministres jouissent en vertu du droit international, dès lors que les faits reprochés ci-dessus exposés ont été commis pendant l'exercice de leurs fonctions et à cette occasion et qu'une telle immunité leur restait acquise après la cessation de leurs fonctions ; que, dès lors, il y a lieu d'annuler les deux mandats d'arrêt délivrés le 12 septembre 2008 par le juge d'instruction à l'encontre de Mame L...
M... et de Yambou P..., ainsi que les actes subséquents, tels que figurant au dispositif, dont ils sont le support nécessaire, et notamment l'ordonnance du 16 octobre 2008 ; qu'en conséquence, l'appel formé par le procureur général de ladite ordonnance est sans objet ; qu'en outre, il y a lieu d'ordonner que les autorités auprès desquelles les deux mandats d'arrêt ont été diffusés seront informées de leur mise à néant ;
" 1°) alors que les Etats étrangers et les organismes ou personnes agissant par leur ordre ou pour leur compte ne bénéficient de l'immunité de juridiction qu'autant que l'acte qui donne lieu au litige ne constitue pas une violation des obligations contractées par l'Etat dans l'ordre international, qui doivent être exécutées de bonne foi ; qu'en relevant que le chef de gouvernement et les ministres d'un Etat bénéficiaient d'une immunité de juridiction pénale et d'une inviolabilité « totales » à l'étranger et qu'à compter de la cessation de leurs fonctions ils continuaient à en bénéficier pour les actes accomplis dans ces fonctions, pour en déduire que Mame L...
M... et N...
I..., qui avaient respectivement la qualité de Premier ministre et de ministre des forces armées de la République du Sénégal, bénéficiaient d'une immunité de juridiction en France concernant leurs décisions de poursuivre l'exploitation du Joola, quand ces personnes avaient délibérément méconnu les règles de sécurité en matière maritime auxquelles le Sénégal avait adhéré et qui devaient être exécutées de bonne foi, la navigation ayant été permise bien que le Joola n'avait plus de certificat international de navigation depuis avril 1991, de titre national depuis le 17 juin 1999, que sa classe était suspendue depuis le 28 septembre 2000 et que les visites de contrôle et de sécurité n'étaient pas effectuées, de sorte qu'elles pouvaient être pénalement poursuivies, à tout le moins après leur mandat, la cour d'appel a violé les textes et les principes susvisés ;
" 2°) alors qu'en toute hypothèse les Etats étrangers et les organismes ou personnes agissant par leur ordre et pour leur compte ne bénéficient de l'immunité de juridiction qu'autant que l'acte qui donne lieu au litige participe, par sa nature ou sa finalité, à l'exercice de la souveraineté de ces Etats et n'est donc pas un acte de gestion ; qu'en relevant que le chef de gouvernement et les ministres d'un Etat bénéficiaient d'une immunité de juridiction pénale et d'une inviolabilité « totales » à l'étranger et qu'à compter de la cessation de leurs fonctions ils continuaient à en bénéficier pour les actes accomplis dans ces fonctions, pour en déduire que Mame L...
M... et N...
I..., qui avaient respectivement la qualité de Premier ministre et de ministre des forces armées de la République du Sénégal, bénéficiaient d'une immunité de juridiction en France concernant leurs décisions de poursuivre l'exploitation du Joola malgré l'absence de respect des règles de sécurité et que les mandats d'arrêt délivrés à leur encontre devaient être annulés, quand ces décisions portant refus d'assurer la sécurité des passagers du Joola, en violation des obligations légales nationales et internationales incombant au Sénégal, devaient être considérées comme des actes étrangers à toute manifestation de souveraineté, la cour d'appel a violé les textes et les principes susvisés ;
" 3°) alors qu'en toute hypothèse, les Etats étrangers et les organismes ou personnes agissant par leur ordre et pour leur compte ne bénéficient de l'immunité de juridiction qu'autant que l'acte qui donne lieu au litige participe, par sa nature ou sa finalité, à l'exercice de la souveraineté de ces Etats et n'est donc pas un acte de gestion ; qu'en relevant que le chef de gouvernement et les ministres d'un Etat bénéficiaient d'une immunité de juridiction pénale et d'une inviolabilité « totales » à l'étranger et qu'à compter de la cessation de leurs fonctions ils continuaient à en bénéficier pour les actes accomplis dans ces fonctions, pour en déduire que Mame L...
M... et N...
I..., qui avaient respectivement la qualité de Premier ministre et de ministre des forces armées de la République du Sénégal, bénéficiaient d'une immunité de juridiction en France et que les mandats d'arrêt délivrés à leur encontre devaient être annulés, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si leur refus de porter assistance aux personnes en péril, en violation des obligations légales nationales et internationales incombant au Sénégal, ne devait pas être considéré comme un acte étranger à toute manifestation de souveraineté, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes et des principes susvisés " ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que, pour prononcer l'annulation des mandats d'arrêt délivrés à l'encontre de Mame L...
M... et N...
I..., respectivement Premier ministre et ministre des forces armées du Sénégal à l'époque des faits, les juges relèvent notamment que le navire avait été mis en service pour permettre à la région de Casamance de sortir de son enclavement et que l'Etat du Sénégal assurait ainsi une mission de service public non commercial ; qu'ils retiennent que le ministère des forces armées avait confié à la marine nationale la gestion de ce navire, lequel était exposé à des attaques, était armé par un équipage militaire et avait le statut de navire militaire ;
Attendu qu'en cet état, la chambre de l'instruction a justifié sa décision ;
Qu'en effet, la coutume internationale qui s'oppose à la poursuite des Etats devant les juridictions pénales d'un Etat étranger s'étend aux organes et entités qui constituent l'émanation de l'Etat ainsi qu'à leurs agents en raison d'actes qui, comme en l'espèce, relèvent de la souveraineté de l'Etat concerné ;
D'où il suit que les moyens doivent être écartés ;
Et atendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
Par ces motifs :
I-Sur le pourvoi de Youssoupha D..., Abdou Hamid H..., Babacar
O...
, Ousseynou F..., Meïssa J..., Gomis G... et Mody K... :
Le DÉCLARE IRRECEVABLE ;
II-Sur les pourvois des parties civiles :
Les REJETTE ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix-neuf janvier deux mille dix ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 09-84818
Date de la décision : 19/01/2010
Sens de l'arrêt : Irrecevabilité et rejet
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

IMMUNITE - Immunité d'un Etat - Coutume internationale - Poursuites pénales contre les organes et entités constituant l'émanation de l'Etat en raison d'actes relevant de sa souveraineté (non)

La coutume internationale qui s'oppose à la poursuite des Etats devant les juridictions pénales d'un Etat étranger s'étend aux organes et entités qui constituent l'émanation de l'Etat ainsi qu'à leurs agents en raison d'actes qui relèvent de la souveraineté de l'Etat concerné. Justifie sa décision la chambre de l'instruction qui, pour prononcer l'annulation des mandats d'arrêt délivrés à l'encontre du Premier ministre et du ministre des forces armées d'un Etat étranger, en fonction au moment des faits, retient que le navire ayant fait naufrage avait été mis en service pour permettre le désenclavement d'une région de cet Etat, qu'il assurait une mission de service public non commercial, qu'il était armé par un équipage militaire et avait le statut de navire militaire


Références :

Sur le numéro 1 : articles 173 et 567 du code de procédure pénale

articles 5, 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme

Décision attaquée : Chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 16 juin 2009

Sur le n° 1 : Dans le même sens que :Crim., 14 mai 2002, pourvoi n° 02-80721, Bull. crim. 2002, n° 111 (1) (irrecevabilité) ;Crim., 17 décembre 2002, pourvoi n° 02-86679, Bull. crim. 2002, n° 230 (rejet). Sur le n° 2 : Dans le même sens que :Crim., 23 novembre 2004, pourvoi n° 04-84265, Bull. crim. 2004, n° 292 (rejet)


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 19 jan. 2010, pourvoi n°09-84818, Bull. crim. criminel 2010, n° 9
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 2010, n° 9

Composition du Tribunal
Président : M. Pelletier
Avocat général : M. Boccon-Gibod
Rapporteur ?: M. Finidori
Avocat(s) : SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Piwnica et Molinié, SCP Vincent et Ohl

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2010:09.84818
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