AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-trois novembre deux mille quatre, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller CHANET, les observations de la société civile professionnelle ANCEL et COUTURIER-HELLER, de la société civile professionnelle DELAPORTE, BRIARD et TRICHET, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général CHEMITHE ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- L'AGENT JUDICIAIRE DU TRESOR, partie civile,
contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de PARIS, 1ère section, en date du 14 Juin 2004, qui, dans l'information suivie notamment contre la MALTA MARITIME AUTHORITY et Carmel X... des chefs de mise en danger de la vie d'autrui et complicité de pollution, a prononcé l'annulation d'actes de procédure ;
Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle, en date du 15 Juillet 2004, prescrivant l'examen immédiat du pourvoi ;
Vu les mémoires produits en demande, en défense et en réplique ;
Vu l'art 575-2, 3 et 4 , du Code de procédure pénale ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des principes de droit international relatifs à l'immunité de juridiction des Etats étrangers et de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué, faisant droit aux demandes de la Malta Maritime Authority et de Carmel X..., leur a accordé le bénéfice de l'immunité de juridiction et, en conséquence, a prononcé la nullité de tous les actes de poursuite diligentés à leur encontre ;
"aux motifs que la coutume internationale s'oppose à ce que les Etats puissent, en l'absence de dispositions internationales contraires s'imposant aux parties concernées, faire l'objet de poursuites devant les juridictions pénales d'un Etat étranger ; - sur la Malta Maritime Authority : que les organismes qui constituent l'émanation des Etats bénéficient de cette immunité à condition que l'acte qui donne lieu aux poursuites participe, par sa nature ou sa finalité, à l'exercice de la souveraineté de ces Etats ; que, même si la Malta Maritime Authority peut effectuer des actes de commerce, il est incontestable qu'elle dispose de prérogatives de puissance publique démontrant qu'elle est une émanation de l'Etat de Malte exerçant sous le contrôle étroit du ministre de tutelle ; qu'en droit interne l'attribution du pavillon français, appelé "acte de francisation" délivré par le ministre des finances au nom du peuple français comme l'immatriculation subséquente du navire, ainsi que la délivrance et le maintien des autorisations de naviguer, sont des actes administratifs de puissance publique ; qu'il en est de même en droit international ; qu'au demeurant diverses conventions internationales imposent aux Etats de surveiller leurs navires nationaux ; qu'en conséquence, l'agent judiciaire du trésor soutient vainement que la délivrance du pavillon maltais relèverait davantage d'une logique commerciale que d'une autorité régalienne et qu'il n'existerait pas de lien substantiel entre l'Etat de Malte et les navires battant son pavillon, étant relevé qu'il n'apporte aucun élément de nature à étayer cette affirmation ; qu'il s'ensuit que la Malta Maritime Authority doit bénéficier de l'immunité de juridiction reconnue à l'Etat de Malte ; - sur Carmel X... : que Carmel X... est le directeur exécutif chargé de la marine marchande de la Malta Maritime Authority et, à ce titre, directeur du registre des transports maritimes et de la vie en mer, responsable de la délivrance du pavillon, de l'immatriculation des navires et de leur surveillance ; qu'il lui est fait grief d'actes de puissance publique accomplis dans le cadre de ses fonctions pour le compte et sous le contrôle de l'Etat de Malte sans qu'il ne lui soit imputé une quelconque faute personnelle ; qu'en conséquence, Carmel X... doit lui aussi bénéficier de l'immunité de juridiction reconnue à l'Etat de Malte ;
"alors que les Etats étrangers et les organismes ou personnes agissant par leur ordre et pour leur compte ne bénéficient de l'immunité de juridiction qu'autant que l'acte qui donne lieu au litige participe, par sa nature ou sa finalité, à l'exercice de la souveraineté de ces Etats et n'est donc pas un acte de gestion ; qu'il appartient au juge, statuant sur l'immunité de juridiction, de rechercher, in concreto, en quoi l'acte litigieux, dans les conditions où il a été pris, relève de la puissance publique ou de l'acte de gestion ; d'où il résulte que manque de base légale l'arrêt qui, pour accorder le bénéfice de l'immunité de juridiction à une émanation d'un Etat et à son directeur exécutif, se borne à qualifier de souverain l'acte litigieux - la délivrance et le maintien au pétrolier Erika et à la société Panship, gestionnaire du navire, des certificats de l'Etat du pavillon de Malte sans s'assurer du bon état de navigabilité du navire et de la conformité de la gestion de la société Panship à la réglementation internationale - au regard des seules règles du droit français et du droit international public ; qu'en effet, il appartenait à la chambre de l'instruction - comme l'y invitaient les écritures de l'Etat français - de rechercher en fait si l'attribution des certificats, qui formellement est un acte de puissance publique, n'obéissait pas à une finalité dépourvue de tout fondement de souveraineté et ne méritait donc pas d'être couverte par l'immunité ;
"alors, en tout état, que l'acte litigieux ne concerne pas la validité de la décision souveraine d'accorder le pavillon et les certificats de navigabilité, la mise en examen ne vise que les opérations de contrôle technique et le rôle que celles- ci ont pu jouer dans la survenance de la catastrophe de l'Erika ; qu'en l'état de la procédure d'instruction qui révèle que la Malta Maritime Authority a délégué ces opérations de contrôle technique à une société de droit privé italien, la Rina, la chambre de l'instruction ne pouvait accorder le bénéfice de l'immunité de juridiction pour des actes qui, en fait, ne relevaient pas de la souveraineté" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et de l'examen des pièces de la procédure que la Malta Maritime Authority et Carmel X... ont été mis en examen des chefs de mise en danger de la vie d'autrui et complicité de pollution dans l'information ouverte à la suite du naufrage du navire Erika, survenu le 12 décembre 1999, et ayant causé une pollution importante sur les côtes françaises ; qu'il leur était reproché la délivrance de certificats d'immatriculation et de navigabilité en méconnaissance de la législation internationale en vigueur ; qu'ils ont saisi la chambre de l'instruction de requêtes tendant à l'annulation de tous les actes d'instruction relatifs à leur mise en examen, en se prévalant de l'immunité de juridiction dont bénéficie l'Etat de Malte ;
Attendu que, pour faire droit à cette requête, l'arrêt attaqué prononce par les motifs partiellement reproduits au moyen ;
Attendu qu'en cet état, la chambre de l'instruction a justifié sa décision ;
Qu'en effet, la coutume internationale qui s'oppose à la poursuite des Etats devant les juridictions pénales d'un Etat étranger s'étend aux organes et entités qui constituent l'émanation de l'Etat ainsi qu'à leurs agents en raison d'actes qui, comme en l'espèce, relèvent de la souveraineté de l'Etat concerné ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, Mme Chanet conseiller rapporteur, M. Joly, Mme Anzani, MM. Beyer, Pometan, Mmes Palisse, Guirimand conseillers de la chambre, M. Valat, Mmes Ménotti, Degorce conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Chemithe ;
Greffier de chambre : M. Souchon ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;