LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 17 avril 2008), que les époux X... ont consenti à la société Domaine de Clarence Dillon (la société), par acte du 13 mars 1987, un bail à long terme d'une durée de 18 ans à compter du 1er novembre 1986, moyennant un fermage de la valeur d'un tonneau et demi de vin Châteaux Haut-Brion, au prix de vente de la première tranche de la récolte précédente ; que les bailleurs ont assigné la société afin qu'elle soit condamnée à mettre à leur disposition, pour chaque année ayant couru depuis 1995, 204 bouteilles de Château Haut-Brion du millésime considéré ;
Sur le moyen unique du pourvoi principal :
Vu les articles L. 411-11, L. 411-12 du code rural, ensemble l'article R. 411-5 du même code ;
Attendu que le prix de chaque fermage est fixé en monnaie entre des maxima et des minima qui sont arrêtés par l'autorité administrative ; que le prix du bail est payable en espèces ; que toutefois pour les cultures permanentes viticoles, arboricoles, oléicoles ou agrumicoles et par accord entre les parties, le prix du bail est payable en nature ou partie en nature et partie en espèces ;
Attendu que pour accueillir la demande, l'arrêt retient qu'il résulte de l'article R.411-5 du code rural, texte d'interprétation stricte du fait de son caractère d'ordre public, que seul le règlement du montant en espèces est calculé en référence aux denrées visées à l'arrêté préfectoral, que les parties sont autorisées à y déroger pour les exploitations viticoles, que les arrêtés préfectoraux ne comportent pas de disposition imposant une denrée de référence pour le paiement du fermage en nature et qu'il apparaît ainsi qu'aucune disposition d'ordre public n'interdit le paiement du fermage en nature selon les modalités définies contractuellement par les parties qui, en l'espèce, ont choisi comme denrée de référence le vin tiré de l'exploitation affermée ;
Qu'en statuant ainsi, sans constater que le prix de chaque fermage était établi en fonction de minima et de maxima calculés en référence aux denrées retenues par l'autorité administrative, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi incident :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 17 avril 2008, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux, autrement composée ;
Condamne M. X... aux dépens des pourvois ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne M. X... à payer à la société Domaine Clarence Dillon la somme de 2 500 euros ; rejette la demande de M. X... ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente septembre deux mille neuf.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit au pourvoi principal par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour la société Domaine Clarence Dillon
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir déclaré licite la clause de paiement du fermage en nature, d'avoir ordonné à la société Domaine Clarence Dillon de mettre à la disposition de M. X... 204 bouteilles du vin Château Haut-Brion millésimes 2000, 2001, 2002, 2003, dont 180 bouteilles de rouge et 24 bouteilles de blanc, d'avoir dit que le solde en numéraire du paiement du fermage pour chaque année sera calculé comme suit : « 1/ fixation du prix du fermage calculé en hectolitres suivant les termes de l'arrêt de la cour d'appel de Paris en date du 30 novembre 1994 ; 2/ déduction de la quantité ainsi obtenue des 1,53 hl correspondant au volume des 204 bouteilles ; 3/ conversion en numéraire du reliquat d'hectolitres sur la base des prescriptions de l'arrêté préfectoral » ;
AUX MOTIFS QUE le contrat de fermage souscrit entre les parties comportait une clause relative au prix du fermage fixant « le montant du fermage à la contre valeur en numéraire d'un tonneau et demi de vin de CHÂTEAU HAUTBRION » et une clause relative au paiement du fermage stipulant que « le fermage est payable de la manière suivante : par la remise en nature et à la mise en bouteille du millésime considéré de 204 bouteilles (180 bouteilles de rouge et 24 bouteilles de blanc) de vin CHÂTEAU HAUT-BRION.... et le solde en numéraire..." ; que la première clause est désormais sans effet en vertu de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 30 novembre 1994 qui a fixé le prix du bail sur le fondement de l'arrêté préfectoral qui chaque année détermine le prix moyen des denrées retenues pour le calcul du fermage et dans les limites de l'arrêté préfectoral visé à l'article L. 411-11 du Code rural et ce depuis le 1er novembre 1988 ; qu'en ce qui concerne la deuxième clause, l'article L. 411-12 du Code rural dispose que le prix du bail est payé en espèces sauf pour les cultures permanentes viticoles où, par accord entre les parties, il est payable en nature ou partie en nature, partie en espèces ; qu'il s'ensuit que la clause du bail litigieuse n'est donc pas illicite en ce qu'elle prévoit un paiement à la fois en nature et en espèces ; qu'il reste à déterminer, cependant, quelle doit être la denrée servant de référence au paiement en nature (…) ; que l'article R. 411-5 du code rural dispose que « sauf convention contraire entre les parties et pour les cultures permanentes viticoles... le montant en espèces du fermage est calculé selon le cours moyen d'échéance à échéance, des denrées servant au calcul du prix du fermage. Le cours moyen est arrêté par le préfet du département sur avis de la commission consultative paritaire départementale » ; qu'il résulte de ce texte d'interprétation stricte du fait de son caractère d'ordre public que seul le règlement du montant en espèces est calculé en référence aux denrées visées à l'arrêté préfectoral ; que de surcroît, il autorise les parties à y déroger pour les exploitations viticoles ; que les arrêtés préfectoraux du 21 juillet 1977, du 22 mai 1987 et du 14 mai 1999 ne comportent pas de dispositions imposant une denrée de référence pour le paiement du fermage en nature ; qu'ils indiquent, pour les deux derniers arrêtés que, en application de l'article L.411-12 du Code rural, le prix du fermage peut, pour tout ou partie, être payé en nature avec du vin mis en bouteilles fournies par le preneur et livrées en caisse au domicile du bailleur, ce dernier devra, sauf convention contraire, rembourser au preneur qui en a fait l'avance le prix de fourniture et de main d'oeuvre de mise en bouteille ; qu'il apparaît, ainsi qu'aucune disposition d'ordre public n'interdit le paiement du fermage en nature selon les modalités définies contractuellement par les parties qui, en l'espèce, ont choisi comme denrée de référence le vin tiré de l'exploitation affermée ;
1°) ALORS QUE la validité du contrat s'apprécie au regard du droit positif en vigueur au jour de sa conclusion ; qu'en appréciant la validité de la clause de prix litigieuse convenue le 13 mars 1987 au regard des articles L. 411-12 et R. 411-5 du code rural dans leurs dispositions résultant respectivement de la loi n°95-2 du 2 janvier 1995 et du décret n°95-624 du 6 mai 1998, la cour d'appel a méconnu l'article 2 du Code civil ;
2°) ALORS QUE le prix de chaque fermage est évalué en une quantité déterminée de denrées comprise entre des maxima et minima arrêtés par l'autorité administrative ; qu'il s'ensuit que le paiement de ce prix, lorsque les parties ont convenu qu'il intervient en nature, ne peut être effectué avec des denrées qui ne figureraient pas sur la liste limitative retenue par l'administration ; qu'en retenant toutefois qu'aucune disposition d'ordre public ne limite la volonté des parties dans la détermination du paiement en nature, la cour d'appel a violé les articles L. 411-11 et L. 411-14 du code rural, dans leur rédaction applicable à l'espèce ;
3°) ALORS QUE seule la denrée issue des parcelles faisant l'objet du fermage peut servir au paiement en nature du prix du fermage ; que la société Clarence Dillon soutenait que ce n'est que très exceptionnellement que la production des parcelles affermées a participé à l'élaboration du vin dénommé Château Haut-Brion produit sur d'autres parties de l'exploitation que la parcelle litigieuse et que ces parcelles n'ont jamais produit de vin blanc, de sorte que le paiement en nature ne pouvait consister en 180 bouteilles de rouge et de 24 bouteilles de blanc de ce vin ; qu'en laissant sans réponse un tel moyen, la cour d'appel a méconnu l'article 455 du code de procédure civile ;
4°) ALORS QU'aux termes du contrat de bail litigieux : « le présent bail est consenti et accepté moyennant un fermage annuel représenté par la valeur de un tonneau et demi de vin Château Haut-Brion ; le fermage sera payable de la manière suivante : - par la remise en nature et à la mise en bouteille du millésime considéré de 204 bouteilles de vin Château Haut-Brion (…) ; - et le solde en numéraire (…) » ; qu'il en résulte, d'une part, que le fermage représente la valeur d'une quantité définie de vin Château Haut-Brion et, d'autre part, que ce loyer est payé partie en valeur de 204 bouteilles de Château Haut-Brion, partie en numéraire ; que la cour d'appel ne pouvait donc, sans dénaturer les termes clairs et précis de ce contrat, fixer le solde en numéraire du paiement du fermage par la soustraction du prix du fermage en hectolitres, c'est-à-dire en quantité, pour en soustraire le volume des 204 6 bouteilles et obtenir le reliquat en quantité à convertir ensuite en valeur, dès lors que ce procédé revenait à réévaluer le fermage en quantité de vin Château Haut-Brion et non en valeur de ce cru ; que ce faisant, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits au pourvoi incident par la SCP Delaporte, Briard et Trichet, avocat aux Conseils, pour M. X...
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
(millésimes antérieurs à 2000)Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir constaté la prescription de l'obligation au paiement du fermage pour les échéances antérieures au 1er septembre 2000 et d'avoir ordonné la mise à disposition de M. X... de 204 bouteilles du vin Château Haut Brion seulement pour les millésimes 2000, 2001, 2002, 2003, Au motif qu'en ce qui concerne la prescription, l'article 2277 du Code civil dispose que se prescrivent par cinq ans les actions en paiement des fermages et des charges locatives ; que selon M. X..., cette prescription ne lui est pas opposable car la fixation de la créance fait l'objet d'un litige entre les parties. S'il est exact, comme le soutient la SAS DOMAINE CLARENCE DILLON, que le montant du fermage est définitivement fixé par les décisions de justice intervenues, force est de constater néanmoins que l'obligation prévue au bail de régler une partie du fermage en nature fait encore l'objet d'un litige entre les parties. La présente demande n'est pas, en conséquence, atteinte par la prescription (arrêt, p. 5, al. 7) ; que toutefois la prescription quinquennale de l'article 2277 s'applique au règlement du fermage à compter du 2 septembre 2005. Ne sont donc concernées par le règlement du fermage en nature que les échéances postérieures au 1er septembre 2000.- Dès lors que le preneur n'a pas acquitté l'intégralité du fermage et ce indépendamment des paiements en espèces qu'il a déjà effectués, le bailleur est bien fondé à réclamer le paiement en nature pour les échéances comprises entre le délai de la prescription jusqu'au 31 octobre 2004, date de la résiliation du bail.- La SAS DOMAINE CLARENCE DILLON devra donc, en exécution du bail rural, mettre à la disposition de M. X... 204 bouteilles de Château Haut Brion des millésimes 2000, 2001, 2002, 2003, Alors d'une part que la prescription quinquennale de l'article 2277 du Code civil n'est pas applicable lorsque le loyer est indéterminé et fait l'objet d'un litige entre les parties ; qu'en l'espèce, la société DOMAINE CLARENCE DILLON, avait saisi le Tribunal paritaire des baux ruraux d'une demande en révision du loyer, admise par un jugement du 2 janvier 1997, mais écartée par un arrêt infirmatif de la Cour de BORDEAUX du 26 septembre 2001 ; que ce litige sur le montant du loyer avait donc suspendu l'action en paiement de celui-ci ; qu'en déclarant prescrite l'action en paiement en nature du loyer pour les échéances antérieures de plus de cinq ans au 2 septembre 2005, date de la saisine du Tribunal paritaire, la Cour d'appel a violé par fausse applicable l'article 2277 du Code civil ;
Alors d'autre part que selon la clause « fermage » du bail, le paiement du loyer en nature devait s'effectuer par la mise à disposition des bouteilles «à faire enlever au siège de la propriété dans les quinze jours de la mise en bouteilles du millésime considéré », mise en bouteilles ayant lieu normalement près de deux ans après la récolte ; qu'en rejetant la demande de M. X... pour les millésimes antérieurs à 2000 par le motif que l'obligation était prescrite pour les échéances antérieures au 1er septembre 2000, sans constater que ces millésimes antérieurs, notamment 1998 et 1999, avaient été mis à disposition et étaient donc exigibles avant le 1er septembre 2000, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du Code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
DU POURVOI INCIDENT (millésime 2004)Il est reproché à l'arrêt du 17 avril 2008, tel qu'interprété par l'arrêt postérieur du 6 novembre 2008, d'avoir rejeté la demande de paiement du fermage en nature du millésime 2004, Sans aucun motif, Alors d'une part que tout jugement doit être motivé ; qu'en rejetant la demande de livraison en nature de vin Château Haut Brion pour le millésime 2004, la Cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ;
Alors d'autre part qu'il résulte des propres énonciations de l'arrêt que la demande de M. X... en paiement du fermage par livraison en nature avait été faite le 2 septembre 2005, de sorte que la prescription quinquennale ne pouvait atteindre les fermages dus au titre de l'année 2004 réglables par la livraison du millésime de la même année ; qu'en statuant comme l'a fait, la Cour d'appel a violé l'article 2277 du Code civil.