LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- L'AGENT JUDICIAIRE DU TRÉSOR, partie intervenante,
contre l'arrêt de la cour d'appel de ROUEN, chambre correctionnelle, en date du 27 mai 2008, qui, dans la procédure suivie contre Alain X... du chef de blessures involontaires, a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 1134 et 1382 du code civil, 1er de l'ordonnance du 7 janvier 1959 et 31 de la loi du 5 juillet 1985, dans sa rédaction issue de la loi du 21 décembre 2006 ;
"en ce que l'arrêt attaqué, après avoir fixé à la somme de 87 500 euros le montant du préjudice de Ghislain Y... au titre du «déficit fonctionnel permanent» a écarté le recours de l'Etat au titre de l'allocation temporaire d'invalidité servie à la victime sur ce poste de préjudice dont elle a alloué le montant à Ghislain Y... en limitant la condamnation du tiers responsable et de son assureur au profit de l'Etat à la somme de 169 398,18 euros ;
"aux motifs que : - sur le déficit fonctionnel permanent (DFP), l'incapacité fixée à 35% après aggravation correspond à un état de stress post traumatique caractérisé par un déficit des fonctions supérieures une certaine lenteur à l'idéation, des éléments anxieux associés à un syndrome dépressif d'intensité moyenne sur un mode phobique et une raideur moyenne de l'épaule droite ; que le tribunal a calculé une somme de 87 500 euros sur la base de 2 500 euros le point d'incapacité et a ajouté la somme de 106 106,36 euros correspondant au capital de l'allocation temporaire d'invalidité (ATI) versée par l'Etat ; que la somme de 87 500 euros n'est pas contestée ; que cependant, le capital correspondant à l'ATI ne peut être ajouté mais seulement s'imputer, le cas échéant, sur certains postes de créance selon des modalités qui seront examinées plus loin ;
sur les demandes de l'agent judiciaire du Trésor ; qu'en application de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale tel que modifié par la loi 2006-540 du 21 décembre 2006 (loi de financement de la sécurité sociale pour 2007), d'application immédiate, «les recours subrogatoires des caisses contre les tiers s'exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'elles ont pris en charge" ; que s'agissant, enfin, de l'ATI, et dès lors que l'Etat entend comme en l'espèce, exercer son recours sur un poste de préjudice personnel tel celui du déficit fonctionnel permanent, il lui appartient d'établir que, au moins pour une part de cette prestation, il a effectivement et préalablement indemnisé la victime, de manière incontestable, au titre de ce poste ; que l'agent judiciaire du Trésor affirme que l'allocation a été «octroyée» à compter du 1er juin 2005 et que sa liquidation est rétroactive car la concession par le service des pensions n'a été publiée qu'en août 2006 ; que toutefois, il ne justifie nullement qu'une quelconque somme ait été versée à ce jour à la victime du chef de l'ATI et ne pourra en conséquence qu'être débouté intégralement de sa demande de ce chef ;
"alors que, en l'état des conclusions de l'agent judiciaire du Trésor faisant valoir qu'une allocation temporaire d'invalidité rémunérant les séquelles de l'accident sur la base d'un taux de 42% avait été concédée à Ghislain Y... à compter du 1er juin 2005, allocation qui avait fait l'objet d'un arrêté de liquidation publiée au mois d'août 2006, qu'il produisait et qui portait qu'elle avait été servie à compter du 1er juin 2005, ce que Ghislain Y... ne contestait pas en indiquant que la créance de l'Etat devait s'imputer sur le poste IPP, la cour d'appel ne pouvait écarter le recours de l'Etat sur le poste «déficit fonctionnel permanent» pour en allouer le montant à Ghislain Y... en relevant que l'agent judiciaire ne justifiait pas qu'une quelconque somme ait été versée à ce jour à Ghislain Y... ; que la cour d'appel a ainsi accordé à la victime une double réparation de son préjudice au titre du déficit fonctionnel permanent que l'ATI avait déjà pour objet de réparer" ;
Vu l'article 1382 du code civil, ensemble les articles 29 et 31 de la loi du 5 juillet 1985, dans sa rédaction issue de la loi du 21 décembre 2006, l'ordonnance n° 59-244 du 4 février 1959 et le décret n° 60-1089 du 6 octobre 1960 ;
Attendu que le préjudice résultant d'une infraction doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties ;
Attendu que la juridiction du second degré était appelée à statuer sur les conséquences dommageables d'un accident de la circulation, dont a été victime, pendant un trajet entre son domicile et son travail, Ghislain Y..., fonctionnaire de l'administration pénitentiaire, et dont Alain X..., reconnu coupable de blessures involontaires, a été déclaré tenu à réparation intégrale ; qu'elle a été saisie de conclusions de l'agent judiciaire du Trésor demandant que le prévenu soit condamné à payer à l'Etat diverses sommes, dont celle de 106 106,36 euros, représentant le capital de l'allocation temporaire d'invalidité versée à la victime ;
Attendu que, pour écarter cette demande, l'arrêt énonce qu'il n'est pas justifié qu'à ce jour une somme quelconque ait été versée à la victime au titre de cette allocation ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, sans prendre en compte l'arrêté de liquidation produit par l'agent judiciaire du Trésor et alors que, dans la mesure où son montant excède celui des pertes de revenus et l'incidence professionnelle, l'allocation temporaire d'invalidité servie en application du décret du 6 octobre 1960 répare nécessairement, en tout ou en partie, l'atteinte objective à l'intégrité physique de la victime que représente le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Qu'en application de l'article 612-1 du code de procédure pénale, et dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, la cassation aura effet tant entre l'agent judiciaire du Trésor, demandeur au pourvoi, et la victime, qu'entre l'assuré et cette victime ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Rouen, en date du 27 mai 2008, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT que la cassation produira effet dans les rapports tant entre l'agent judiciaire du Trésor, demandeur au pourvoi, et la victime, qu'entre l'assuré et cette victime ;
DIT n'y avoir lieu à application, au profit de l'agent judiciaire du Trésor, de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Rouen et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Pelletier président, M. Palisse conseiller rapporteur, MM. Farge, Blondet, Le Corroller, Mme Radenne, conseillers de la chambre, Mme Agostini, MM. Chaumont, Delbano, Mme Harel-Dutirou conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Boccon-Gibod ;
Greffier de chambre : Mme Randouin ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;