LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant tant sur le pourvoi principal formé par la société de gestion Pierre X... que sur le pourvoi incident relevé par MM. Albert et Yves Z... ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société MMS International ayant, au mois de mars 2000, résilié avant leur échéance trois contrats de licence qui la liaient à la société de gestion Pierre X..., a été condamnée à ce titre, par arrêts irrévocables du 19 mai 2004, à payer une certaine somme à cette dernière société ; que la société de gestion Pierre X..., n'ayant pu obtenir le paiement de cette somme et soutenant que les dirigeants de la société MMS International avaient organisé l'insolvabilité de cette société, a recherché la responsabilité de M. Albert Z..., président du conseil d'administration, et de M. Yves Z..., directeur général ; que la société MMS International a été mise en redressement judiciaire le 12 avril 2006 ;
Sur le moyen unique du pourvoi incident, dont l'examen est préalable :
Attendu que MM. Albert et Yves Z... font grief à l'arrêt d'avoir déclaré recevable l'action engagée contre eux par la société de gestion Pierre X..., alors, selon le moyen, que la recevabilité d'une action en responsabilité personnelle engagée par un créancier à l'encontre du dirigeant d'une société mise en procédure collective, pour des faits antérieurs au jugement d'ouverture, est subordonnée à l'allégation d'un préjudice distinct de celui des autres créanciers résultant d'une faute du dirigeant séparable de ses fonctions ; qu'en déclarant en l'espèce recevable l'action de la société de gestion Pierre X... à l'encontre des dirigeants de la société MMS, mise en redressement judiciaire, sans constater que la perte de la créance invoquée à l'appui de cette action constituait un préjudice distinct de celui des autres créanciers, la cour d'appel a violé les articles 1382 du code civil et 32 du code de procédure civile ;
Mais attendu qu'ayant relevé que l'action de la société de gestion Pierre X... avait été engagée antérieurement au jugement prononçant le redressement judiciaire de la société MMS International, et exactement énoncé que la recevabilité d'une action s'apprécie au jour où elle est formée, la cour d'appel en a déduit à bon droit que l'action était recevable ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en sa première branche :
Vu l'article L. 225-251 du code de commerce ;
Attendu que pour rejeter la demande formée par la société de gestion Pierre X..., l'arrêt, après avoir relevé qu'il était reproché à MM. Albert et Yves Z... de ne pas avoir provisionné au bilan de la société MMS International, à compter de l'exercice 2000, le montant des redevances dues par cette société jusqu'au terme des trois contrats de licence abusivement résiliés, puis le montant des condamnations mises à sa charge par les trois jugements prononcés par le tribunal de commerce en 2002, en dépit des réserves émises de façon répétée par le commissaire aux comptes, retient que la décision de ne pas constituer de provision particulière pour les années 2000 à 2003 a été prise par le conseil d'administration et approuvée par l'assemblée générale de la société MMS International et qu'à supposer même qu'elle soit susceptible de constituer une faute à l'encontre des dirigeants de celle-ci, elle ne pourrait être considérée comme détachable de leurs fonctions, une telle décision entrant parfaitement dans le cadre de celles-ci ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si les décisions litigieuses ne constituaient pas de la part de leurs auteurs, même agissant dans les limites de leurs attributions, des fautes intentionnelles d'une particulière gravité incompatibles avec l'exercice normal de leurs fonctions sociales, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche :
REJETTE le pourvoi incident ;
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a déclaré recevable l'action engagée par la société de gestion Pierre X..., l'arrêt rendu le 25 septembre 2007, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;
Condamne MM. Albert et Yves Z... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette leur demande et les condamne à payer à la société de gestion Pierre X... la somme de 2 500 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix février deux mille neuf.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
.Moyen produit AU POURVOI PRINCIPAL par Me Hémery, avocat aux Conseils pour la société de gestion Pierre X....
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la SARL SOCIÉTÉ DE GESTION PIERRE X... de l'ensemble de ses demandes et de l'avoir condamnée à payer à MM Albert et Yves Z... la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile,
AUX MOTIFS QU' « à l'égard des tiers, la responsabilité des dirigeants sociaux n'est engagée que s'ils ont commis des fautes séparables ou détachables de leurs fonctions qui leur soient personnellement imputables ; il est à présent admis que tel est le cas d'une faute d'une particulière gravité, incompatible avec l'exercice normal de ses fonctions sociales ; dans le cas présent la SARL société de Gestion Pierre X... reproche en premier lieu à Albert Z... et Yves Z... de ne pas avoir provisionné au bilan de la société MMS INTERNATIONAL, à compter de l'exercice 2000, le montant des redevances qui lui restaient dues jusqu'au terme des trois contrats de licence abusivement résiliés puis ensuite le montant des condamnations mises à sa charge par les trois jugements prononcés par le Tribunal de Commerce de PARIS courant 2002 et ce, nonobstant les réserves émises de façon répétée par le commissaire aux comptes, réserves qui cependant ne l'ont pas empêché de certifier ceux-ci à chaque fois ; les appelants objectent qu'une provision ne doit être constituée qu'autant qu'un risque probable de paiement existe et qu'en l'espèce, même après les jugements rendus par le Tribunal de Commerce dont la société MMS INTERNATIONAL avait immédiatement interjeté appel, la décision prise par celle-ci de dénoncer les licences souscrites auprès de la SARL société de Gestion Pierre X... et d'être ainsi déchargée du paiement des redevances apparaissait tout à fait fondée sur le plan juridique, rendant ainsi inopportune la constitution d'une provision (cf lettre du conseil de la société MMS INTERNATIONAL en date du 10 février 2003) ; ils ajoutent qu'en tout état de cause, la constitution d'une provision ne s'impose pas en présence de plus-values latentes de nature à rétablir les comptes et que tel était bien le cas en l'espèce jusqu'en 2004, la vente de différents actifs immobiliers à la société SOGESPROM a permis de dégager une plus-value de 2.000.000 euros qui a pour partie compensé la provision de 4.342.285 euros inscrite au bilan 2004 ; en tout état de cause, il convient d'observer que la décision de ne pas constituer de provision particulière pour les années 2000 à 2003 a été prise par le conseil d'administration et approuvée par l'assemblée générale de la société MMS INTERNATIONAL, et qu'à supposer même qu'elle soit susceptible de constituer une faute à l'encontre des dirigeants de celle-ci, elle ne pourrait être considérée comme détachable de leurs fonctions, une telle décision entrant parfaitement dans le cadre de celles-ci ; d'une façon plus générale, la SARL société de Gestion Pierre X... reproche aux dirigeants de la société MMS INTERNATIONAL d'avoir procédé à des manoeuvres tant au niveau purement comptable qu'au niveau de leur gestion visant à l'appauvrir au profit de la société SOGESPROM, société créée en 2002, par plusieurs membres de la famille Z... et une partie des cadres de celle-ci ; sur ce point, la cour est en possession d'un document particulièrement intéressant, à savoir le rapport d'expertise diligenté par M. B..., expert judiciaire désigné par le tribunal de commerce de GRASSE le 25 juillet 2006, à la requête de Maître C..., administrateur judiciaire de la société MMS INTERNATIONAL, aux fins notamment « d'apprécier les liens économiques, juridiques et financiers de la filiale MMS avec la société mère SOGESPROM et de vérifier si les flux constatés présentent un caractère normal et conforme à l'intérêt de MMS » ; ce rapport a été déposé le 30 octobre 2006 alors que l'affaire était déjà pendante devant la Cour ; après avoir détaillé de façon très précise les liens existant entre la société MMS INTERNATIONAL et la société SOGESPROM et les conventions passées entre ces deux sociétés, cet expert contredit totalement l'argumentation développée par l'intimée en indiquant que tous les mouvements financiers examinés ont une contrepartie économique et que les opérations intervenues entre avril 2002 et juillet 2006, particulièrement critiquées par la SARL société de Gestion Pierre X..., ont tout au contraire à ce qu'elle soutient, permis à la société MMS INTERNATIONAL de reconstituer une partie de ses capitaux propres et de préserver son équilibre financier (cf p. 33 et 34) ; dès lors et sans avoir à examiner plus en détail l'argumentation développée par la SARL société de Gestion Pierre X..., il convient de retenir que ce document très complet, rédigé par un homme de l'art désigné par voie judiciaire, exclut totalement l'existence d'une quelconque faute commise par les dirigeants de la société MMS INTERNATIONAL qui puisse être qualifiée de « faute d'une particulière gravité incompatible avec l'exercice normal de leurs fonctions sociales » ; en conséquence, le jugement sera infirmé et la SARL société de Gestion Pierre X... déboutée de l'ensemble de ses demandes ; il convient d'allouer à Albert et Yves Z... la somme globale de 3.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile ; » (arrêt p. 4 in fine, 5 et 6)
1°) ALORS QU'engage sa responsabilité personnelle à l'égard des tiers le dirigeant d'une société qui a commis une faute séparable de ses fonctions ; qu'il en est ainsi lorsque le dirigeant commet intentionnellement une faute d'une particulière gravité incompatible avec l'exercice normal des fonctions sociales ; qu'en écartant la responsabilité de MM. Albert et Yves Z..., respectivement président du conseil d'administration et directeur général-administrateur de la société MMS, pour avoir délibérément omis de provisionner au bilan des exercices 2000 à 2003 le montant des redevances qui restaient dues à la société SGPC jusqu'au terme des contrats de licence abusivement résiliés, puis le montant des condamnations mises à la charge de la société par trois jugements du Tribunal de Commerce de 2002, au motif inopérant que la décision de ne pas constituer de provision, à supposer même qu'elle soit susceptible de constituer une faute à l'encontre des dirigeants, entrait dans le cadre de leurs fonctions, sans rechercher si, en soi, la décision réitérée de ne pas provisionner les redevances dues et les condamnations prononcées malgré les réserves répétées du commissaire aux comptes ne constituait pas une faute intentionnelle d'une particulière gravité incompatible avec l'exercice normal des fonctions sociales et partant, séparables de celles-ci, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 225-251 du Code de Commerce.
2°) ALORS QUE le rapport d'expertise judiciaire de M. B... concluait, sur la question de savoir si les flux constatés présentaient un caractère normal et conforme à l'intérêt de MMS, que « le contrat de sous licence d'articles de papeterie, instruments d'écriture Pierre X... présente un taux de redevance versées par la société MMS à la société SOGESPROM sur le dernier exercice, au regard du chiffre d'affaires réalisé, nettement supérieur aux normes pratiquées » (rapport p. 25 dernier §) , que « le contrat de sous licence de petits électroménagers Pierre X... ne semble pas présenter d'intérêt actuellement pour la société MMS dans la mesure où cette dernière n'en tire aucun chiffre d'affaires » (p. 25 in fine et p. 26, p. 30 ) alors qu'elle a versé la somme de 200.000 au titre des redevances et de 650.000 au titre du dépôt de garantie (p. 25 §1), que le contrat de licence d'instruments d'écriture EVERFLOW représente un taux de redevance versé par la société MMS de 13% de son chiffre d'affaires, estimé au vu de statistiques en l'absence de chiffre d'affaires, et que l'avenant fusionnant les deux conventions de sous licence Pierre X... articles de papeterie et petits électroménagers n'a pas été préalablement approuvé par l'administrateur judiciaire et présente un taux de royalties de 45% (p. 25) ; sur le point 6 de sa mission consistant à mentionner tout fait relevant de l'acte anormal de gestion ou interdit par la loi, l'expert a énuméré : « le contrat de sous licence d'articles de papeterie, instruments d'écriture Pierre X..., le contrat de sous licence de petits électroménagers Pierre X..., le contrat de licence d'instruments d'écritures EVERFLOW et l'avenant fusionnant les deux contrats Pierre X... ainsi que la subvention d'équilibre de 650.000 accordée par la société SOGESPROM à la société MMS, non versée à ce jour » (p. 26) ; qu'en énonçant, par une citation partielle du rapport, qu'il retient que « tous les mouvements financiers examinés ont une contrepartie économique et que les opérations intervenues entre avril 2002 et juillet 2006 ont permis à la société MMS INTERNATIONAL de reconstituer une partie de ses capitaux propres et de préserver son équilibre financier » et en déduire que le rapport excluait totalement l'existence d'une quelconque faute commise par les dirigeants de la société MMS INTERNATIONAL qui puisse être qualifiée de faute d'une particulière gravité incompatible avec l'exercice normal de leurs fonctions sociales, la Cour a dénaturé le sens et la portée du rapport sur lequel elle s'est fondée, en violation de l'article 1134 du Code Civil.Moyen produit AU POURVOI INCIDENT par la SCP Thomas-Raquin et Bénabent, avocat aux Conseils pour MM. Albert et Yves Z....
Il est fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré recevable l'action engagée par la Société de Gestion Pierre X... à l'encontre de Messieurs Albert et Yves Z... ;
AUX MOTIFS QUE « la société MMS INTERNATIONAL a été placée en situation de redressement judiciaire le 12 avril 2006 ; qu'Albert et Yves Z... entendent tirer argument de cette situation pour soutenir que la SARL Société de Gestion Pierre X... ne serait à présent recevable à exercer une telle action qu'à la condition de justifier d'un préjudice distinct de celui des autres créanciers, ce qui n'est nullement le cas en l'espèce ; que cependant, l'action engagée par la SARL Société de Gestion Pierre X... l'a été antérieurement au jugement prononçant le redressement judiciaire de la société MMS INTERNATIONAL et sa recevabilité doit s'apprécier au jour où elle a été formée » ;
ALORS QUE la recevabilité d'une action en responsabilité personnelle engagée par un créancier à l'encontre du dirigeant d'une société mise en procédure collective, pour des faits antérieurs au jugement d'ouverture, est subordonnée à l'allégation d'un préjudice distinct de celui des autres créanciers résultant d'une faute du dirigeant séparable de ses fonctions ; qu'en déclarant en l'espèce recevable l'action de la Société GESTION PIERRE X... à l'encontre des dirigeants de la société MMS, mise en redressement judiciaire, sans constater que la perte de la créance invoquée à l'appui de cette action constituait un préjudice distinct de celui des autres créanciers, la Cour d'appel a violé les articles 1382 du Code Civil et 32 du Code de procédure civile.