LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en ses deux branches, ci-après annexé :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M X... a été mis en examen pour viols et agressions sexuelles commis sur les filles de son épouse, auteur de la plainte ; qu'il a bénéficié d'une ordonnance de non lieu le 25 août 1998 ; que par arrêt infirmatif du 10 novembre 1998, frappé d'un pourvoi qui a été rejeté, la chambre d'accusation de la cour d'appel de Nîmes l'a renvoyé devant la cour d'assises du Gard ; que, par arrêt du 16 octobre 1999, cette juridiction l'a acquitté des faits qui lui étaient imputés à l'égard de deux des jeunes filles mais l'a déclaré coupable de viols et atteintes sexuelles à l'égard de la troisième ; qu'il a été remis en liberté par une décision de la chambre d'accusation du 15 décembre 1999 ; que le 17 mai 2000 la Cour de cassation a cassé partiellement l'arrêt de la cour d'assises du Gard ; que, par arrêt du 15 décembre 2000, la cour d'assises de l'Hérault, désignée comme cour de renvoi, a acquitté M X... ; que celui-ci a fait assigner l'agent judiciaire du Trésor aux fins de condamnation de l'Etat, sur le fondement de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et de l'article 1382 du code civil, en réparation de son préjudice résultant d'un dysfonctionnement du service de la justice ;
Attendu que M X... fait grief à l'arrêt (Nîmes, 13 novembre 2007) de le débouter de ses demandes ;
Attendu, d'une part, que l'existence d'un régime de responsabilité propre au fonctionnement défectueux du service de la justice, qui ne prive pas le justiciable d'accès au juge, n'est pas en contradiction avec les exigences d'un procès équitable au sens de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, de sorte que la cour d'appel a, à bon droit, déclaré irrecevable l'action de M. X... contre l'agent judiciaire du Trésor sur le fondement de l'article 1382 du code civil ;
Attendu, d'autre part, que les juges du fond ont relevé que le pourvoi formé à l'encontre de l'arrêt du 10 novembre 1998 de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Nîmes avait été rejeté, que cette juridiction avait remis M. X... en liberté, que l'arrêt de la cour d'assises du Gard avait certes était cassé mais pour un vice de procédure et que les critiques de M. X... ne portaient que sur le fond de l'affaire ; que la cour d'appel a pu déduire de l'ensemble de ces constatations que, même si une décision d'acquittement avait été ultérieurement prononcée, toutes les juridictions ayant connu de l'affaire avaient rempli leur mission et qu'aucun signe d'inaptitude n'apparaissait de sorte que la responsabilité de l'Etat n'était pas engagée du fait du fonctionnement défectueux du service de la justice ;
Que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit janvier deux mille neuf.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Monod et Colin, avocat aux Conseils pour M. X... ;
MOYEN UNIQUE DE CASSATION
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir débouté M. Alain X... de sa demande tendant à ce que l'Etat français, représenté par l'Agent Judiciaire du Trésor, soit condamné à lui payer la somme de 76.224,51 à titre de dommages-intérêts ;
AUX MOTIFS adoptés QUE le demandeur fonde sa réclamation au principal sur l'article L 781-1 l'alinéa 1er du code de l'organisation judiciaire, c'est-à-dire sur le dysfonctionnement du service de la justice pour faute lourde ; que celle-ci s'entend de toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi ; qu'une telle faute lourde n'est pas en l'espèce démontrée ; que l'ordonnance de non-lieu rendue le 25 août 1998 frappée d'appel, certes motivée par l'insuffisance des charges, reflète la complexité des faits qui, dévoilés dans un contexte familial particulier, ne permettaient pas de privilégier, malgré le caractère plausible des révélations signalé par les experts, la version d'une partie ou celle de l'autre ; que l'arrêt de la chambre d'accusation ayant renvoyé M. X... devant la Cour d'assises du Gard, qui a d'ailleurs été confirmé par la Cour de cassation, a, après respect de la procédure contradictoire, mis en évidence les charges retenues à son égard, rappelant notamment les déclarations réitérées et concordantes des mineures qu'aucun élément ne permettait de mettre en cause, s'appuyant sur les expertises réalisées par les psychiatres et psychologues, ainsi que sur divers témoignages recueillis auprès des proches des jeunes filles ; que dès lors, le renvoi de M. X... devant la Cour d'assises, loin de constituer une faute, ne relevait que des prérogatives reconnues à la chambre d'accusation, laquelle n'était pas tenue par les réquisitions du Parquet ; quant à la Cour d'assises du Gard, elle a rendu sa décision dans le respect des règles de procédure sans qu'un quelconque dysfonctionnement ne puisse lui être imputé ni justifié à posteriori par la décision d'acquittement rendue ultérieurement par la Cour d'assises de l'Hérault, laquelle est du même degré et statue selon les mêmes formes ; que l'arrêt rendu par la Cour de Cassation sur la décision de la Cour d'assises du Gard a porté sur le seul problème de l'application de la loi de pénalité plus douce aux faits commis avant son entrée en vigueur ; que s'agissant de l'incarcération, elle ne procède que de la stricte application des règles de procédure en vigueur devant la Cour d'assises ; que dès la première requête de M. X..., la chambre d'accusation a d'ailleurs fait droit à sa demande de mise en liberté ; qu'on ne peut reprocher aux décisions critiquées, alors qu'il existait des déclarations réitérées de mineures non mises en cause par les psychiatres et les psychologues, de ne pas avoir pris en compte la personnalité particulière de Mme Y... et l'ascendant qu'elle pouvait exercer sur ses filles ;
que le seul fait qu'il y ait eu, par suite de l'exercice de voies de recours, des décisions contraires sur les mêmes faits n'est pas en soi constitutif de faute et ne peut révéler un dysfonctionnement du service de la justice ; que si subsidiairement, le demandeur invoque l'article 1382 du code civil, l'action sur ce fondement ne saurait prospérer car l'existence d'un régime de responsabilité propre au fonctionnement défectueux du service de la justice, qui ne prive pas le justiciable d'accès au juge, n'est pas en contradiction avec les exigences d'un procès équitable au sens de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et que l'application du régime de responsabilité prévu à l'article L 781-1 du code de l'organisation judiciaire ne saurait donc être écartée ;
Et AUX MOTIFS propres QUE M. X... a, dans son assignation, fondé son action exclusivement sur l'article 1382 du code civil ; que, par contre dans ses dernières conclusions déposées devant le Tribunal, il visait, au principal, l'article L 781-1 du code de l'organisation judiciaire ; qu'il existe une contradiction entre ces écritures et les conclusions déposées devant la Cour qui énoncent que les dispositions restrictives de l'article L 781-1 du code de l'organisation judiciaire doivent être écartées par application des dispositions de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ; que l'article L 781-1 dispose que l'Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice et que cette responsabilité n'est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice ; que ce texte exclut l'application de l'article 1382 du code civil en ce qui concerne la responsabilité de l'Etat ; que de ce chef, l'action de M. X... est irrecevable ; que sur l'application de l'article L 781-1, M. X... a successivement comparu devant un juge d'instruction de Nîmes, la chambre d'accusation de la Cour d'appel de Nîmes, la Cour d'assises du Gard et la Cour d'assises de l'Hérault ; qu'à défaut de grief, l'appelant ne peut articuler aucun reproche à l'égard du juge d'instruction qui l'a fait bénéficier d'un non-lieu et de la Cour d'assises de l'Hérault qui l'a acquitté ; qu'en théorie, il ne peut imputer de faute qu'à la chambre d'accusation de la Cour d'appel de Nîmes et à la Cour d'assises du Gard ; que le pourvoi qu'il a formé à l'encontre de l'arrêt de la chambre d'accusation a été rejeté, lavant ledit arrêt de toute faute de procédure ; qu'en outre, celle-ci l'avait remis en liberté; qu'en ce qui concerne l'arrêt de la Cour d'assises du Gard, il a certes été cassé, mais non pour un vice de procédure, seulement pour une application inexacte de la peine ; que toutes les juridictions ayant connu de l'affaire ont ainsi rempli leur mission et qu'aucun signe d'inaptitude n'apparaît ; que les critiques de l'appelant ne portent que sur le fond de l'affaire, alors que la Cour d'assises du Gard avait, en vertu de l'article 231 du code de procédure pénale, plénitude de juridiction ; qu'en effet, M. X... met exclusivement en exergue le comportement fautif de son épouse et les accusations non fondées dénoncées à son encontre, qui sont étrangers à une faute de l'institution judiciaire ;
ALORS d'une part QUE les dispositions restrictives de la loi du 5 juillet 1972 qui, pour mettre en cause la responsabilité de l'Etat à raison des dommages causés par le fonctionnement du service de la justice, exigent une faute lourde ou un déni de justice, doivent être écartées, par application des dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme, comme contraires au principe de l'accès du justiciable à un tribunal et que les règles du droit commun doivent se substituer à ce régime propre de responsabilité de l'Etat ; qu'en décidant que l'action de M. X..., en tant qu'elle repose sur l'article 1382 du code civil, était irrecevable ou mal fondée, la cour d'appel a violé ce texte, ensemble l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
Alors d'autre part QU'une décision juridictionnelle, même définitive, peut donner lieu à une mise en oeuvre de la responsabilité de l'État et que constituent nécessairement une faute, compte tenu de la gravité de ses conséquences, la condamnation d'un justiciable par une Cour d'assises et son incarcération, dès lors qu'une décision d'acquittement sera finalement rendue par une autre Cour d'assises, après cassation ; qu'en décidant que le renvoi de M. X... devant la Cour d'assises du Gard, sa condamnation par celle-ci et son incarcération subséquente n'étaient pas constitutives d'une faute lourde bien qu'une décision d'acquittement ait ultérieurement été prononcée par la Cour d'assises de l'Hérault, la cour d'appel a violé l'article L 781-1 du code de l'organisation judiciaire.