La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

19/11/2024 | FRANCE | N°23VE00248

France | France, Cour administrative d'appel de VERSAILLES, 2ème chambre, 19 novembre 2024, 23VE00248


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La SCI Delgres Dillon a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 080 501 euros, assortie des intérêts de droit à compter du 13 mai 2019 et leur capitalisation, en réparation des préjudices subis du fait de l'illégalité de la décision du 19 juillet 2012 par laquelle le maire de la commune d'Argenteuil a, au nom de l'Etat, prononcé l'interruption de travaux sur un terrain situé 40 et 56 rue d'Epinay à Argenteuil, de d

ésigner, en tant que de besoin, un expert aux fins de fournir tous éléments de nature à...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SCI Delgres Dillon a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 080 501 euros, assortie des intérêts de droit à compter du 13 mai 2019 et leur capitalisation, en réparation des préjudices subis du fait de l'illégalité de la décision du 19 juillet 2012 par laquelle le maire de la commune d'Argenteuil a, au nom de l'Etat, prononcé l'interruption de travaux sur un terrain situé 40 et 56 rue d'Epinay à Argenteuil, de désigner, en tant que de besoin, un expert aux fins de fournir tous éléments de nature à préciser et chiffrer les différents chefs de préjudice allégués résultant directement de l'intervention de l'arrêté du 19 juillet 2012, et enfin de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1911546 du 2 décembre 2022, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a condamné l'Etat à verser à la SCI Delgres Dillon la somme de 7 909,44 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 15 mai 2019, les intérêts échus à la date du 24 février 2022 étant capitalisés pour produire eux-mêmes des intérêts. Ce tribunal a également mis à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et rejeté le surplus de la requête.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés le 3 février 2023, le 5 avril 2023, le 9 juillet 2024, et le 27 août 2024, la SCI Delgres Dillon, représentée par Me Pinet, avocat au Conseil d'Etat, demande à la cour :

1°) d'annuler l'article 3 de ce jugement ;

2°) de porter à la somme de 1 080 501 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 13 mai 2019 et de leur capitalisation, le montant de l'indemnité que l'Etat a été condamné à verser à la SCI Delgres Dillon par l'article 1er du jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 2 décembre 2022 ;

3°) subsidiairement, d'ordonner une expertise destinée à déterminer le coût exact des travaux supplémentaires, frais financiers et du manque à gagner générés pour la SCI Delgres Dillon par l'interruption, à compter du 19 juillet 2012, du chantier de construction de sept logements correspondant à la deuxième tranche des travaux de réalisation de la résidence " le Marin " entrepris sur la parcelle cadastrée section BE n° 862 à Argenteuil ;

4°) et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à lui verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier dès lors qu'il n'est pas signé par le président de la formation de jugement, ni par le rapporteur, en méconnaissance de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;

- du fait de l'illégalité entachant l'arrêté du maire d'Argenteuil du 19 juillet 2012 ordonnant l'interruption immédiate des travaux, l'Etat a commis une faute de nature à engager sa responsabilité ;

- le lien de causalité entre cette illégalité et les préjudices subis ne se limite pas à la période du 19 juillet 2012 au 2 mai 2016, date du jugement correctionnel de relaxe ;

- le chantier a été interrompu pendant une période de 45 mois, ce qui a occasionné d'importants préjudices, s'élevant à un total de 1 100 115,55 euros ou, subsidiairement, à une somme qui ne saurait être inférieure à 774 928,58 euros ;

- les frais de location d'un container pour stocker les menuiseries extérieures déjà commandées s'élèvent à 15 345,04 euros ;

- les travaux d'étanchéité rendus nécessaires durant la période de suspension des travaux se sont élevés à 8 690,14 euros ;

- les frais de remise en état du chantier, rendus nécessaires par l'interruption des travaux, qui ont causé la dégradation du chantier, exposé à l'air, l'eau, les intempéries, le froid et la chaleur durant près de quatre ans, se sont élevés à 5 474,40 euros ;

- l'interruption de travaux a entraîné des pertes de loyers, sur une durée de cinq ans, à hauteur de 573 021,60 euros, ou subsidiairement, s'il fallait évaluer les loyers des sept appartements de la 2e tranche par référence aux seuls loyers des appartements de la 1ère tranche disposant de superficies identiques, à hauteur de 531 480 euros ; à tout le moins, dès lors qu'elle n'envisage plus de louer ces appartements, l'interruption des travaux devrait être indemnisée à hauteur de 272 768,96 euros, correspondant aux intérêts, de janvier 2013 à janvier 2024, de la somme de 2 560 000 euros, soit l'estimation du prix de vente des sept logements de la seconde tranche de travaux ;

- l'interruption des travaux a fait supporter une augmentation du coût des travaux à hauteur de 353 218,37 euros, ou subsidiairement, s'il fallait se replacer au 3 mai 2016 comme date de départ de la période à laquelle les démarches en vue de la reprise du chantier auraient pu avoir lieu, à hauteur de 69 573 euros ;

- les frais financiers, liés aux intérêts du prêt, supportés sur la période d'interruption du chantier s'élèvent à 84 366 euros ;

- elle a subi un préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence qui devra être indemnisé à hauteur de 60 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 juillet 2024, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 18 juillet 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 2 septembre 2024, en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Deux mémoires et des pièces ont été enregistrées le 1er octobre 2024, présentés pour la SCI Delgres Dillon, en réponse à une mesure complémentaire d'instruction, et communiqués en application de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Cozic,

- et les conclusions de M. Frémont, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Le maire d'Argenteuil a accordé à la société Vernol un permis de construire, le 9 mars 2001, pour la réhabilitation d'une usine de peinture en seize logements et cinq locaux d'activité tertiaire, située sur une parcelle cadastrée section BE n° 372, 379, 862 et 863, au 40 et 56 rue d'Epinay à Argenteuil (95100). Un permis de démolir a également été délivré le 2 avril 2001 pour la démolition d'une partie des bâtiments de cette usine de peinture. Ce permis de construire a par la suite été transféré à la société civile immobilière (SCI) Delgres Dillon et plusieurs permis de construire modificatifs ont ensuite été accordés à la société pétitionnaire. En particulier, un troisième permis de construire modificatif a été délivré le 24 septembre 2007, portant le projet à vingt-deux logements au total, et des locaux dédiés à des activités tertiaires. La première tranche de travaux a concerné la création de quinze logements, situés sur les parcelles n° 863 et 379, et a été réalisée au cours de l'année 2002, un certificat de conformité ayant été délivré à ce titre le 2 juin 2003. La seconde tranche de travaux a concerné la création de sept logements, situés sur les parcelles n° 862 et 372. Un procès-verbal d'infraction a été dressé le 17 mai 2011, puis le maire d'Argenteuil a édicté un arrêté interruptif des travaux le 19 juillet 2012, qui a été transmis au parquet. M. A..., gérant de la SCI Delgres Dillon, a présenté devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise une requête tendant à l'annulation de cet arrêté, qui a été rejetée par un jugement n° 1208343 du 17 mars 2014. Le président de la cour administrative d'appel de Versailles a, par une ordonnance n° 14VE01753 du 12 septembre 2014, rejeté la requête introduite contre le jugement et l'arrêté précités pour tardiveté. Par une décision n° 385064 du 22 juillet 2016, le Conseil d'Etat a annulé cette ordonnance et a renvoyé le dossier devant la cour. Par un arrêt n° 16VE02487 du 25 octobre 2018, devenu définitif, la cour a annulé l'arrêté interruptif de travaux du 19 juillet 2012, en relevant l'autorité de la chose jugée attachée au jugement du 2 mai 2016, par lequel le tribunal correctionnel de Pontoise a relaxé la SCI Delgres Dillon des fins de poursuites, considérant que la réalisation des travaux n'était pas constitutive d'une infraction pénale. La SCI Delgres Dillon a demandé au préfet du Val-d'Oise, par un courrier reçu le 15 mai 2019, l'indemnisation des préjudices qu'elle allègue avoir subis en conséquence de l'illégalité de l'arrêté interruptif des travaux du 19 juillet 2012. Cette demande ayant été implicitement rejetée, la SCI Delgres Dillon a présenté une demande d'indemnisation devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, qui, par un jugement n° 1911546 du 2 décembre 2022, y a partiellement fait droit, en condamnant l'Etat à lui verser la somme de 7 909,44 euros avec intérêts au taux légal à compter du 15 mai 2019 et anatocisme à compter du 24 février 2022. La SCI Delgres Dillon fait appel de ce jugement et demande que le montant de l'indemnité auquel l'Etat a été condamné à lui verser soit porté à la somme de 1 080 501 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 13 mai 2019 et de leur capitalisation.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience. ".

3. Contrairement à ce que soutient la SCI Delgres Dillon, il ressort des pièces du dossier que la minute du jugement en litige a été signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur, et le greffier d'audience, comme l'exigent les dispositions précitées de l'article R. 741-7 du code de justice administrative. Le moyen invoqué, tiré de la méconnaissance de cet article, doit par suite être écarté comme manquant en fait.

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne le fondement de responsabilité de l'Etat :

4. Les parties ne contestent pas le jugement en litige en ce qu'il a retenu que l'illégalité entachant l'arrêté interruptif des travaux du 19 juillet 2012 constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat.

5. La SCI Delgres Dillon est ainsi en droit d'obtenir réparation des préjudices directs et certains qui ont pu résulter de l'application de cet arrêté illégal.

En ce qui concerne les préjudices allégués et le lien de causalité avec l'illégalité fautive :

S'agissant des frais de location d'un container :

6. La société requérante demande la réparation des préjudices résultant des frais de location d'un container, utilisé pour stocker les menuiseries extérieures qui avaient déjà été commandées pour équiper les logements de la tranche 2, et qui n'ont pu être installées, du fait de l'interruption de travaux.

7. La SCI Delgres Dillon verse au dossier diverses pièces, pour certaines pour la première fois en appel, tels des relevés de compte et des factures, correspondant à la livraison d'huisseries et à leur stockage dans un container durant la période d'interruption des travaux, ainsi qu'une facture de maintenance liée au déplacement du container en avril 2014.

8. En application des dispositions de l'article L. 480-2 du code de l'urbanisme, l'arrêté interruptif des travaux du 19 juillet 2012 a cessé d'avoir un quelconque effet à compter du jugement de relaxe du tribunal correctionnel de Pontoise du 2 mai 2016. Si la SCI Delgres Dillon prétend qu'il n'était matériellement pas possible de reprendre le chantier à cette date, mais seulement, au plus tôt après un délai d'un an, à partir du mois de mai 2017, elle ne justifie pas du caractère certain de cette date en invoquant, de manière générale, la nécessité d'obtenir un nouveau financement, de solliciter à nouveau des entreprises de travaux et de remettre le site en état. Ces explications, formulées par la société requérante rendent, au mieux, vraisemblable, ou probable, une reprise possible des travaux en mai 2017, mais sans démontrer que cette reprise ne pouvait pas être faite à d'autres dates plus précoces. Surtout, la SCI Delgres Dillon indique elle-même, expressément, dans sa requête en appel, qu'elle a délibérément préféré attendre qu'une décision du juge administratif annule l'arrêté interruptif de travaux du 19 juillet 2012 avant d'engager la reprise du chantier. Dès lors, et ainsi que l'ont retenu à bon droit les premiers juges, le lien de causalité direct et certain entre l'illégalité fautive et les préjudices subis du fait de la location d'un container couvre uniquement la période du 19 juillet 2012 au 2 mai 2016.

9. Au regard des diverses factures et pièces prouvant les paiements effectués par la SCI Delgres Dillon pour la location d'un container durant la période de juillet 2012 à mai 2016, il sera fait une exacte appréciation du préjudice subi par la SCI Delgres Dillon en portant l'indemnisation, pour ce chef de préjudice, des conséquences directes et certaines de l'illégalité de l'arrêté interruptif des travaux, fixée à 7 909,44 euros par le tribunal, à 12 177,04 euros.

S'agissant de travaux d'étanchéité rendus nécessaires sur les bâtiments de la tranche 1 :

10. La SCI Delgres Dillon soutient que les bâtiments de la tranche 1, achevés en 2002, loués et occupés au moment de l'arrêté interruptif des travaux en litige, ont été sinistrés en 2012 du fait d'infiltrations d'eau. La société requérante précise que ces infiltrations sont apparues en raison de l'inachèvement du bâtiment devant abriter les logements 16 à 19, relevant de la seconde tranche, qui n'a pu être mis hors d'air et hors d'eau à la date de l'arrêté interruptif de travaux. Elle indique également que ce bâtiment se trouve " dos à dos " avec le bâtiment de la première tranche, abritant les logements 11 à 15 et qu'au moment de l'arrêté interruptif, le mur séparatif du bâtiment des logements 11 à 15 et celui du bâtiment des logements 16 à 19 étaient réalisés et qu'alors, l'eau s'est accumulée dans ce vide, entre les deux murs, provoquant des infiltrations dans les logements 11 à 15. Les factures versées au dossier par la société requérante montrent que des travaux ont effectivement été réalisés, impliquant le percement du plancher haut et bas des appartements 16 à 19 de la seconde tranche, afin d'assurer les écoulements et d'éviter la stagnation d'eau, l'application d'une membrane d'étanchéité et la fourniture et la pose d'une cornière entre le bâtiment de la tranche 1 et le bâtiment voisin. Toutefois, la SCI Delgres Dillon ne verse au dossier aucun document attestant de la réalité et de l'ampleur des désordres allégués, affectant les appartements de la première tranche, ni, a fortiori, l'existence d'un lien de causalité entre l'illégalité fautive imputable à l'Etat et ces désordres. En particulier, aucune photographie ni aucune réclamation ou alerte concernant les logements de la première tranche affectés par les désordres allégués ne sont communiqués. Si un procès-verbal de constat, versé au dossier, établi par un commissaire de justice, comporte un ensemble de photographies, celles-ci, prises en 2019 seulement, donnent simplement à voir des infiltrations et des moisissures sur des murs et planchers de bâtiments inachevés de la seconde tranche, sans identifier lesquels, et sans évoquer le moindre désordre affectant les autres bâtiments, déjà achevés, ni en 2019, ni antérieurement. Il en est de même des factures de travaux versées au dossier, qui font simplement mention de travaux concernant l'application d'une membrane d'étanchéité et la fourniture et la pose entre le bâtiment 1 et le bâtiment voisin. Il en résulte que la réalité du préjudice allégué et son lien de causalité avec l'arrêté interruptif de travaux ne sont pas établis. Les demandes présentées par la société, tendant à l'indemnisation de ce chef de préjudice doivent par suite être rejetées.

S'agissant des frais de remise en état du chantier :

11. Il résulte de l'instruction, en particulier du procès-verbal de constat établi en 2019, que la suspension de travaux a entraîné le développement erratique de la végétation sur le site et endommagé les murs des bâtiments inachevés, laissés sans clos ni couvert pendant plusieurs mois. Il n'est pas sérieusement contesté que les travaux réalisés en 2019 n'étaient pas déjà indispensables en mai 2016, après 45 mois de suspension des travaux, impliquant nécessairement des travaux de débroussaillage de la végétation, le nettoyage au " karcher " et la pulvérisation d'un produit nettoyant sur les murs, plafonds et planchers des bâtiments laissés inachevés. Ainsi, et au regard des différentes factures et pièces produites par la société devant la cour pour justifier des dépenses exposées de ce fait, il sera fait une exacte appréciation de ce préjudice en condamnant l'Etat à verser à la société Delgres Dillon la somme de 5 474 euros.

S'agissant de la perte de loyers :

12. La SCI Delgres Dillon soutient que l'arrêté interruptif de travaux du 19 juillet 2012 lui a directement causé une perte de revenus, n'ayant pu louer pendant une période de 5 ans les logements créés à l'occasion de la seconde tranche de travaux.

13. La société requérante verse au dossier, pour la première fois en appel, de multiples pièces, notamment des baux de location, permettant de justifier de la surface de chacun des quinze logements de la tranche 1 ainsi que du montant des loyers réclamés. Elle communique également diverses pièces qui montrent que les sept logements de la seconde tranche (trois T3 et quatre T4) sont similaires à ceux de la première tranche en matière d'architecture, de modèle et de niveau de qualité. Elle adresse également à la cour différents tableaux et formules de calcul en vue d'établir le montant de son préjudice.

14. Toutefois, à la suite d'une mesure d'instruction diligentée par la cour, la SCI Delgres Dillon a indiqué que la seconde tranche des travaux a été achevée à la fin de l'année 2023 et qu'elle a obtenu une attestation de non-contestation de conformité le 2 janvier 2024. Surtout, la société requérante fait valoir qu'elle a renoncé à son projet de louer les sept logements de la seconde tranche, préférant désormais les vendre. Par suite, la SCI Delgres Dillon n'est pas fondée à soutenir qu'elle aurait subi un préjudice résultant des loyers qu'elle n'a pu percevoir du fait de l'arrêté interruptif des travaux.

S'agissant du retard dans la perception du bénéfice tiré de la vente des sept appartements de la seconde tranche de travaux :

15. La SCI Delgres Dillon soutient désormais qu'elle entend vendre les sept appartements réalisés dans le cadre de la seconde tranche de travaux. Elle fait valoir qu'elle a conclu une convention de mandat avec une agence immobilière, chargée de la vente de ses biens, qui a estimé à 2 650 000 euros la valeur de ces sept biens. La SCI Delgres Dillon soutient, pour la première fois en appel et à la suite de la mesure d'instruction diligentée par la cour, qu'elle a subi un préjudice à raison de la perte des intérêts légaux sur ce prix de vente, qu'elle évalue à 272 768,96 euros.

16. Toutefois, alors qu'il résulte de l'instruction qu'à la date du présent arrêt, aucun des sept appartements n'a été effectivement vendu, aucun élément n'est versé au dossier pour apprécier l'état du marché immobilier en 2016 et la valeur des biens en cause s'ils avaient été soumis à la vente à cette date, à compter de laquelle l'arrêté interruptif des travaux a cessé d'avoir effet en raison de la décision de relaxe du tribunal correctionnel de Pontoise du 2 mai 2016. En outre, la société requérante ne communique pas davantage d'éléments à la cour en vue de déterminer le montant du bénéfice qu'elle pourrait retirer de la vente de ses appartements, montant qui ne saurait se confondre avec le prix de vente desdits appartements auquel uniquement fait référence la société. Ce faisant, la société requérante n'établit pas la réalité du préjudice qu'elle allègue avoir subi du fait des retards occasionnés par l'arrêté interruptif des travaux du 19 juillet 2012 ni le caractère direct et certain du préjudice allégué avec cet arrêté, ni, au surplus, le montant du préjudice allégué. Les conclusions tendant à l'indemnisation de ce chef de préjudice doivent par suite être rejetées.

S'agissant de l'augmentation du coût des travaux :

17. La SCI Delgres Dillon fait valoir que le coût des travaux a augmenté entre 2012 et mars 2023, pour l'ensemble des lots sauf deux, dont les prix ont baissé. Toutefois, ainsi qu'il a été indiqué au point 8 du présent arrêt, la société requérante ne justifie pas de la réalité d'un lien de causalité direct et certain entre l'arrêté interruptif des travaux et les préjudices qu'elle allègue avoir subis, au-delà de la date du 2 mai 2016. Si la société requérante se prévaut de l'indice de construction publié par l'Institut national de la statistique et des études économiques au deuxième trimestre 2017, qui atteint 1 664, elle ne verse au dossier aucun élément relatif au niveau de ce même indice au deuxième trimestre 2016, permettant d'établir que celui-ci ne serait pas d'un niveau inférieur à celui du troisième trimestre 2012, atteignant 1 648. Il en résulte que la société requérante n'établit pas la réalité du préjudice allégué, résultant de l'augmentation du coût des travaux au cours de cette période de 45 mois. Les conclusions tendant à l'indemnisation de ce poste de préjudices doivent en conséquence être rejetées.

S'agissant des frais financiers liés aux intérêts du prêt, supporté sur la période d'interruption du chantier :

18. En appel, la SCI Delgres Dillon soutient qu'elle a subi un préjudice à hauteur de 84 366 euros en raison des frais qu'elle a supportés, liés au montant des intérêts fixés à hauteur de 2,44% du prêt supporté durant la période d'interruption du chantier, et alors qu'elle avait bénéficié d'une avance de 615 611,13 euros. La SCI Delgres Dillon n'établit toutefois pas, ni même n'allègue, que les sommes ainsi avancées n'auraient pas servi aux travaux déjà réalisés avant l'arrêté interruptif de travaux du 19 juillet 2012. Elle ne justifie dès lors pas de la réalité d'un préjudice, ni d'un lien de causalité avec cet arrêté.

S'agissant du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence :

19. La SCI Delgres Dillon soutient pour la première fois en appel avoir subi un préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence du fait des conséquences de l'arrêté interruptif de travaux du 19 juillet 2012. Eu égard aux effets de l'arrêté interruptif des travaux du 19 juillet 2012, ayant entraîné l'interruption prolongée du chantier, et des démarches réalisées par la société pour reprendre et achever ledit chantier, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral de la société en condamnant l'Etat à verser à la SCI Delgres Dillon la somme de 5 000 euros.

20. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'ordonner une mesure d'expertise, que la SCI Delgres Dillon est seulement fondée à demander que l'indemnité, que le tribunal administratif a condamné l'Etat à lui verser, soit portée à la somme de 22 651,04 euros.

Sur les intérêts :

21. Aux termes du premier alinéa de l'article 1231-6 du code civil : " Les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d'une obligation de somme d'argent consistent dans l'intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure. (...).

22. La SCI Delgres Dillon a droit aux intérêts au taux légal correspondant à l'indemnité de de 22 651,04 euros à compter du 15 mai 2019, date de réception par le préfet du Val-d'Oise de sa demande indemnitaire préalable.

Sur les intérêts des intérêts :

23. Aux termes de l'article 1343-2 du code civil: " Les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produisent intérêt si le contrat l'a prévu ou si une décision de justice le précise. ".

24. La capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond, même si, à cette date, les intérêts sont dus depuis moins d'une année. En ce cas, cette demande ne prend toutefois effet qu'à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts sont dus pour une année entière. La capitalisation des intérêts a été demandée par la SCI Delgres Dillon dans son mémoire enregistré par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise le 24 février 2022. Il y a lieu de faire droit à cette demande à compter de cette date, à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de celle-ci.

Sur les frais liés au litige :

25. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la SCI Delgres-Dillon et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La somme de 7 909,44 euros que l'Etat a été condamné à verser à la SCI Delgres Dillon par le jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 14 novembre 2022 est portée à 22 651,04 (vingt-deux mille six cent cinquante et un euros et quatre centimes), avec intérêts au taux légal à compter du 15 mai 2019. Les intérêts échus à la date du 24 février 2022 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 14 novembre 2022 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à la SCI Delgres Dillon la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la SCI Delgres Dillon est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la SCI Delgres Dillon et, au ministre du Partenariat avec les territoires et de la Décentralisation. Copie en sera adressée au préfet du Val-d'Oise.

Délibéré après l'audience du 24 octobre 2024 à laquelle siégeaient :

M. Even, président,

Mme Aventino, première conseillère,

M. Cozic, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 novembre 2024.

Le rapporteur,

H. CozicLe président,

B. Even

La greffière,

I. Szymanski

La République mande et ordonne au ministre du Partenariat avec les territoires et de la Décentralisation s en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

2

N° 23VE00248


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de VERSAILLES
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23VE00248
Date de la décision : 19/11/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics.


Composition du Tribunal
Président : M. EVEN
Rapporteur ?: M. Hervé COZIC
Rapporteur public ?: M. FREMONT
Avocat(s) : CABINET FRANÇOIS PINET

Origine de la décision
Date de l'import : 08/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-19;23ve00248 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award