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02/12/2021 | FRANCE | N°20VE00840

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 2ème chambre, 02 décembre 2021, 20VE00840


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune d'Etampes a demandé au tribunal administratif de Versailles de condamner la région Ile-de-France à lui verser la somme de 440 354,40 euros, à parfaire, en réparation du préjudice résultant des vols et dégradations survenus dans l'ancien lycée Louis Blériot.

Par un jugement n° 1706592 du 30 janvier 2020, le tribunal administratif de Versailles a rejeté la demande de cette commune et a mis à la charge définitive de la région Ile-de-France et de la commune d'Etampes, chacune pour moiti

é, les frais de l'expertise ordonnée le 18 février 2015 par le juge des référés du ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune d'Etampes a demandé au tribunal administratif de Versailles de condamner la région Ile-de-France à lui verser la somme de 440 354,40 euros, à parfaire, en réparation du préjudice résultant des vols et dégradations survenus dans l'ancien lycée Louis Blériot.

Par un jugement n° 1706592 du 30 janvier 2020, le tribunal administratif de Versailles a rejeté la demande de cette commune et a mis à la charge définitive de la région Ile-de-France et de la commune d'Etampes, chacune pour moitié, les frais de l'expertise ordonnée le 18 février 2015 par le juge des référés du tribunal administratif de Versailles, liquidés et taxés par ordonnance du 6 avril 2018 à la somme de 3 540,06 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 6 mars 2020 et le 15 septembre 2021, la commune d'Etampes, représenté par Me Cazin, avocat, demande à la cour :

1° d'annuler ce jugement ;

2° à titre principal, de condamner la région Ile-de-France à lui verser la somme de 440 354,40 euros, à parfaire ;

3 à titre subsidiaire, avant-dire droit, de nommer un expert pour évaluer les dommages causés ;

4° de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La commune d'Etampes soutient que :

- c'est à tort que les premiers juges ont considéré que la région était fondée à invoquer le fait de l'auteur des vols et dégradations pour s'exonérer d'une partie de sa responsabilité ;

- une obligation de conservation renforcée pèse sur la personne publique bénéficiaire de la mise à disposition, contrepartie des droits réels exorbitants qui lui sont attribués et du caractère gratuit de la mise à disposition en vertu de l'article L. 214-3 du code de l'éducation ;

- les relations entre ces deux personnes publiques sont régies par l'établissement d'un procès-verbal de remise du bien précisant l'état de ce dernier en vertu de l'article L. 1321-1 du code général des collectivités territoriales dont il s'évince que les biens doivent être remis dans le même état que celui dans lequel qu'ils ont été transmis ;

- la région a ainsi commis une autre faute en ne remettant pas les locaux en l'état avant leur restitution une fois les dégradations constatées ;

- une collectivité qui remet des locaux dans un état dégradé engage nécessairement sa responsabilité en vertu des principes généraux de la responsabilité administrative et du droit constitutionnel de la collectivité propriétaire au respect de ses biens, des dispositions des codes précitées et de son obligation propre de conservation du domaine public ;

- la négligence commise par la région est constitutive d'une faute lourde, le fait du tiers n'étant pas de nature à atténuer sa responsabilité ;

- les premiers juges ont méconnu leur office en rejetant la requête indemnitaire au seul motif que les devis n'étaient pas suffisants ;

- il leur appartenait, compte tenu de la réalité des dommages subis, d'ordonner une expertise.

.....................................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'éducation ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 ;

- la loi n° 83-663 du 22 juillet 1983 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Orio,

- les conclusions de Mme Margerit, rapporteure publique,

- et les observations de Me Geissman, substituant Me Cazin, pour la commune d'Etampes et de Me Michel, substituant Me Mokhtar, pour la région Ile-de-France.

Considérant ce qui suit :

1. A la suite du transfert à la région de la compétence du service public de l'éducation dispensé dans les établissements du second degré en application des dispositions des lois du 7 janvier 1983 et du 22 juillet 1983 relatives à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l'Etat, les locaux à usage scolaire du lycée professionnel Louis Blériot, situé 2, avenue des Meuniers à Etampes, propriété de la commune d'Etampes, ont été mis à disposition à titre gratuit de la région Ile-de-France à compter du 1er janvier 1986. Un procès-verbal constatant cette mise à disposition a au préalable été contradictoirement établi le 21 mai 1985 entre les représentants de l'Etat, de la région bénéficiaire et de la commune propriétaire. La région Ile-de-France a décidé de fermer le lycée Louis Blériot pour en ouvrir un autre dans la commune à compter de la rentrée de septembre 2014. Par un arrêté du préfet de région du 26 septembre 2014, l'ancien site du lycée Louis Blériot a été désaffecté, sur demande de la région Ile-de-France, à compter du 31 décembre 2014. Le 23 janvier 2015, des agents de la commune d'Etampes ont constaté que le lycée Louis Blériot avait subi de nombreuses dégradations et que des équipements et biens meubles s'y trouvant avaient été volés. Sur demande de la commune d'Etampes, le juge des référés du tribunal administratif de Versailles a, par une ordonnance n° 1500792 du 18 février 2015, ordonné une expertise afin de constater les dégradations des locaux du site de l'ancien lycée et les éléments d'équipements manquants. Le rapport d'expertise a été déposé le 19 septembre 2016. Par une lettre datée du 29 janvier 2018, reçue le lendemain, à laquelle il n'a pas été répondu, la commune d'Etampes a demandé à la région le versement de la somme de 440 354,40 euros à parfaire, en réparation du préjudice résultant des vols et dégradations survenus dans l'ancien lycée Louis Blériot. Par un jugement du 30 janvier 2020, le tribunal administratif de Versailles a rejeté la demande indemnitaire présentée devant lui et a mis à la charge définitive des parties la moitié des frais d'expertise. La commune fait appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions indemnitaires.

Sur la responsabilité :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 1321-1 du code général des collectivités territoriales : " Le transfert d'une compétence entraîne de plein droit la mise à la disposition de la collectivité bénéficiaire des biens meubles et immeubles utilisés, à la date de ce transfert, pour l'exercice de cette compétence. / Cette mise à disposition est constatée par un procès-verbal établi contradictoirement entre les représentants de la collectivité antérieurement compétente et de la collectivité bénéficiaire. Le procès-verbal précise la consistance, la situation juridique, l'état des biens et l'évaluation de la remise en état de ceux-ci. / Pour l'établissement de ce procès-verbal, les parties peuvent recourir aux conseils d'experts dont la rémunération est supportée pour moitié par la collectivité bénéficiaire du transfert et pour moitié par la collectivité antérieurement compétente. A défaut d'accord, les parties peuvent recourir à l'arbitrage du président de la chambre régionale des comptes compétente. Cet arbitrage est rendu dans les deux mois. / Les modalités de cette mise à disposition sont précisées par les articles L. 1321-2 et L. 1321-5 selon que la collectivité qui exerçait jusque-là la compétence était propriétaire ou locataire des biens remis. ". Par ailleurs, aux termes de l'article L. 1321-3 du même code : " En cas de désaffectation totale ou partielle des biens mis à disposition en application des articles L. 1321-1 et L. 1321-2, la collectivité propriétaire recouvre l'ensemble de ses droits et obligations sur les biens désaffectés. (...) ".

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 213-4 du code de l'éducation, rendu applicable par l'article L. 214-8 du même code à la mise à disposition des locaux à usage de lycée aux régions : " Les dispositions des articles L. 1321-1 à L. 1321-6 du code général des collectivités territoriales, relatifs à l'exercice des compétences et à la mise à disposition des biens utilisés pour l'exercice des compétences transférées, s'appliquent aux constructions existantes sous réserve des dispositions ci-après. / Par dérogation aux dispositions du dernier alinéa de l'article L. 1321-1 et des articles L. 1321-4 et L. 1321-5 du code général des collectivités territoriales, les règles prévues aux articles L. 213-4 à L. 213-6 du présent code sont applicables à l'exercice des compétences et à la mise à disposition du département des collèges existants à la date du transfert de compétences en matière d'enseignement public et dont l'Etat n'est pas propriétaire. /I.-Les biens meubles et immeubles sont de plein droit, à compter de la date du transfert de compétences, mis à la disposition du département à titre gratuit. /Le département assume l'ensemble des obligations du propriétaire. Il possède tous pouvoirs de gestion. Il assure le renouvellement des biens mobiliers ; sous réserve des dispositions des articles L. 216-1 et L. 212-15 du présent code, il peut autoriser l'occupation des biens remis. Il agit en justice au lieu et place du propriétaire. /Le département peut procéder à tous travaux de grosses réparations, de reconstruction, de démolition, de surélévation ou d'addition de constructions qui ne remettent pas en cause l'affectation des biens. / (...) /Le procès-verbal constatant la mise à disposition prévu à l'article L. 1321-1 du code général des collectivités territoriales est établi contradictoirement entre les représentants de l'Etat, du département et de la collectivité propriétaire. (...). ".

4. Il résulte de ces dispositions que la collectivité propriétaire d'un bien mis à disposition d'une autre collectivité territoriale pour l'exercice d'une compétence transférée recouvre de plein droit l'ensemble de ses droits et obligations sur ce bien dès lors que celui-ci a été désaffecté. Aucun texte n'impose à cet effet l'établissement préalable d'un procès-verbal constatant la cessation de la mise à disposition, la nature de celle-ci, qui exclut le transfert de la pleine propriété, implique en elle-même, l'obligation à la charge de son bénéficiaire d'entretenir, de conserver et, en cas de cessation de la mise à disposition, de restituer les biens mis à disposition à leur propriétaire. Il s'ensuit que le bénéficiaire d'une telle mise à disposition demeure tenu, sauf dispositions contraires ou accord des parties, de veiller à la conservation des biens mis à sa disposition jusqu'à leur restitution, laquelle impose, en principe, la libération des lieux et, le cas échéant, la remise des clés entre les mains d'un représentant de la collectivité propriétaire ou de son mandataire.

5. En l'espèce, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise établi en février 2015, que les atteintes portées aux locaux de l'ancien lycée Louis Blériot à une date indéterminée entre le 19 décembre 2014, date de la dernière visite sur le site du proviseur du lycée, et le 23 janvier 2015, date de la première constatation par des agents de la commune propriétaire des vols et dégradations subis, sont imputables à l'action délictuelle d'un ou de plusieurs auteurs inconnus sur une durée potentielle de plusieurs jours eu égard à l'étendue des dommages.

6. Si la commune d'Etampes a recouvré ses droits et obligations de propriétaire dès le 1er janvier 2015 par l'effet de la désaffectation des biens au 31 décembre 2014, il résulte toutefois de l'instruction que la région Ile-de-France ne l'a pas mise en mesure de reprendre pleine possession de son bien en l'absence de libération des lieux, où ont été stockés des machines jusqu'au 15 mai 2015 et de remise des clés avant le 21 janvier 2015. Il s'ensuit que la circonstance que les vols et dégradations aient été commis à une date indéterminée entre le 19 décembre 2014 et le 23 janvier 2015 n'est pas de nature à exonérer la région, en tout état de cause, de sa responsabilité du fait d'un manquement à cette obligation.

7. Il est par ailleurs constant que les locaux du lycée se sont trouvés durant plusieurs mois, en raison de leur inutilisation imputable à la seule volonté de la région Ile-de-France de différer leur désaffectation et leur restitution, exposés aux vols et actes de vandalisme, ce dont la région avait d'ailleurs été alertée par courrier du 16 septembre 2014 du maire adjoint de la commune d'Etampes. La région, qui ne fait état d'aucune mesure particulière de surveillance et fait au contraire valoir que l'agent d'accueil du lycée n'était pas chargé d'assurer la surveillance de l'établissement et qui ne contredit pas les constatations dont il ressort que toutes les portes de l'établissement n'étaient pas verrouillées doit être regardée comme ayant manqué à son obligation de conservation du bien. Les actes de malveillance commis dans les locaux de l'ancien lycée ayant été rendus possibles par ce défaut de surveillance qui incombait à la région Ile-de-France, jusqu'à restitution des biens mis à sa disposition, la faute ainsi commise par la région est susceptible d'engager sa responsabilité.

8. Compte tenu de son défaut de diligence et des avertissements adressés par la commune, la région n'est pas fondée à se prévaloir d'une négligence fautive de la commune d'Etampes à reprendre possession de son bien avant le 21 janvier 2015 pour s'exonérer de tout ou partie de sa responsabilité. Pour les mêmes motifs, elle n'est pas fondée à se prévaloir du fait du tiers, sa négligence ayant permis les vols et les dégradations commis.

Sur le préjudice :

9. D'une part, aux termes de l'article R. 621-1 du code de justice administrative : " La juridiction peut, soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'elles, ordonner, avant dire droit, qu'il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision. (...) ".

10. D'autre part, le juge qui reconnaît la responsabilité de l'administration et ne met pas en doute l'existence d'un préjudice ne peut, sans méconnaître son office ni commettre une erreur de droit, rejeter les conclusions indemnitaires dont il est saisi en se bornant à relever que les modalités d'évaluation du préjudice proposées par la victime ne permettent pas d'en établir l'importance et de fixer le montant de l'indemnisation. Il lui appartient d'apprécier lui-même le montant de ce préjudice, en faisant usage, le cas échéant, de ses pouvoirs d'instruction.

11. La commune d'Etampes soutient qu'en rejetant la requête indemnitaire au seul motif que les devis n'étaient pas suffisants les premiers juges ont méconnu leur office et que compte tenu de la réalité des dommages subis, il leur appartenait d'ordonner une expertise. Il résulte toutefois de l'instruction que, le 4 novembre 2019, le tribunal administratif a demandé à la commune de produire des factures afin d'établir la réalité des préjudices subis. La commune n'a pas répondu à cette demande et, malgré le maintien de la contestation de la région sur ce point, se borne à reproduire en appel les devis produits en première instance alors même qu'il n'est pas contesté que les bâtiments ont fait l'objet de travaux de grande ampleur, les bâtiments de l'ancien lycée accueillant aujourd'hui plusieurs associations caritatives et culturelles qui interviennent sur le territoire communal. La commune n'établissant ni même n'alléguant, d'une part, que les dégradations et vols auraient renchéri le coût de ces travaux, d'autre part, qu'elle n'aurait pas reçu d'indemnisation de son assureur, le préjudice ne peut être regardé comme établi, sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise, le changement important de l'état des lieux rendant toute constatation de fait impossible.

12. Il résulte de tout ce qui précède que la commune d'Etampes n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de la commune d'Etampes une somme de 2 000 euros à verser à la région Ile-de-France sur le fondement des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la commune d'Etampes est rejetée.

Article 2 : La commune d'Etampes versera à la région Ile-de-France une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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N° 20VE00840


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20VE00840
Date de la décision : 02/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Collectivités territoriales - Dispositions générales - Biens des collectivités territoriales - Remise des biens.

Collectivités territoriales - Dispositions générales - Biens des collectivités territoriales - Régime juridique des biens.

Domaine - Domaine public - Régime - Contentieux de la responsabilité.


Composition du Tribunal
Président : M. EVEN
Rapporteur ?: Mme Eugénie ORIO
Rapporteur public ?: Mme MARGERIT
Avocat(s) : SARL CAZIN MARCEAU AVOCATS ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 28/12/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2021-12-02;20ve00840 ?
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