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03/03/2020 | FRANCE | N°18VE03039

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 1ère chambre, 03 mars 2020, 18VE03039


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le fonds LUCENT TECHNOLOGIES INC. DEFINED CONTRIBUTION PLAN MASTER TRUST a demandé au Tribunal administratif de Montreuil :

1° de prononcer la restitution des retenues à la source prélevées sur les dividendes de source française, au titre des années 2006 à 2009, soit 23 857,18 euros et de lui accorder le bénéfice du versement des intérêts moratoires en application de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales ;

2° à titre subsidiaire, de demander l'avis du Conseil d'Etat sur l'

ventuelle contrariété de la retenue à la source prélevée sur les dividendes de source fra...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le fonds LUCENT TECHNOLOGIES INC. DEFINED CONTRIBUTION PLAN MASTER TRUST a demandé au Tribunal administratif de Montreuil :

1° de prononcer la restitution des retenues à la source prélevées sur les dividendes de source française, au titre des années 2006 à 2009, soit 23 857,18 euros et de lui accorder le bénéfice du versement des intérêts moratoires en application de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales ;

2° à titre subsidiaire, de demander l'avis du Conseil d'Etat sur l'éventuelle contrariété de la retenue à la source prélevée sur les dividendes de source française au titre des années 2006 à 2009 à l'article 56 du Traité instituant la Communauté européenne, et de surseoir à statuer jusqu'à ce que l'avis soit rendu ;

3° à titre plus subsidiaire, de saisir la Cour de Justice de l'Union Européenne d'une question préjudicielle sur l'éventuelle contrariété de la retenue à la source prélevée sur les dividendes de source française au titre des années 2006 à 2009 à l'article 56 du Traité instituant la Communauté européenne, et de surseoir à statuer jusqu'à ce qu'une décision soit rendue.

Par un jugement n° 1300801 du 14 octobre 2014, le Tribunal administratif de Montreuil, faisant partiellement droit à sa demande, a décidé de la restitution des retenues à la source prélevées au titre de l'année 2009 à hauteur de 1 904,97 euros et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Première procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires en réplique, enregistrés les 12 décembre 2014, 28 septembre 2015 et 18 février 2016, le fonds LUCENT TECHNOLOGIES Inc. DEFINED CONTRIBUTION PLAN MASTER TRUST, représenté par Me de Waal, avocat, demande à la Cour :

1° d'annuler ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de ses conclusions, qui tendaient à la restitution des retenues à la source prélevées sur les dividendes de source française, au titre des années 2006, 2007 et 2008 ;

2° de prononcer la restitution des montants correspondant à ces retenues à la source, pour un montant total de 21 949,22 euros ;

3° et de mettre à la charge de l'État la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le tribunal administratif a retenu la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de sa réclamation au titre des années 2006, 2007 et 2008, dont a fait état le rapporteur public, pour la première fois à l'audience et sans que l'administration fiscale n'en ait fait état dans ses écritures, violant ainsi le principe du contradictoire ; pour le même motif, il a également été privé de son droit à un procès équitable ;

- sa réclamation au titre des années 2006, 2007 et 2008 était recevable puisqu'elle a été introduite avant la date du 31 décembre 2011 qui correspond à l'expiration du délai nouveau ouvert par la décision Société Stichting Unilever Pensioenfonds Progress rendue par le Conseil d'État le 13 février 2009 sous le n° 298108, qui constitue un évènement de nature à motiver la réclamation au sens des dispositions de l'article de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales et du c) de l'article R. 196-1 du même livre, dans leur rédaction applicable aux décisions de justice intervenues avant le 1er janvier 2013 ; les premiers juges ont estimé, à tort, que l'application de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales ne pouvait pas se fonder sur la décision Stichting Unilever précitée, car il n'aurait pas constaté la non-conformité du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts au principe de libre circulation des capitaux ; au contraire, dans cette décision le Conseil d'État établit que la discrimination entre les fonds néerlandais et les organismes français méconnaît l'article 56 du traité instituant la communauté européenne et par là-même, méconnaît le principe de libre circulation des capitaux ;

- dans l'affaire Stichting Unilever, le Conseil d'État, qui, certes, était saisi en excès de pouvoir aux fins d'annuler les deux instructions des 28 février et 28 avril 2005, procède en deux temps : il relève, dans un premier temps, l'incompatibilité de la norme interne avec la norme communautaire et, ensuite, en déduit que l'administration fiscale aurait dû proposer, dans le cadre de l'instruction administrative litigieuse, un mécanisme de neutralisation ; si le Conseil d'État a fait droit à cette requête, c'est parce que ces instructions faisaient une application directe du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts, et ainsi réitéraient un texte de loi incompatible avec le droit communautaire sans proposer ce mécanisme de neutralisation ; la censure trouve ainsi sa source, non pas dans une interprétation à caractère réglementaire contraire au droit communautaire comme dans la décision Société Rallye du 30 décembre 2013, mais au contraire dans l'absence d'une position à caractère réglementaire venant pallier les lacunes de la norme interne ; c'est d'ailleurs la même interprétation que retient l'administration fiscale dans son instruction administrative référencée 4-H-2-10 du 29 décembre 2009 ;

- sur le bien-fondé : les retenues à la source en litige, sont discriminatoires et violent le principe général de la libre circulation des capitaux entre les Etats membres de l'Union européenne et les pays tiers, posé par l'actuel article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) ; elles doivent lui être restituées dès lors qu'il respecte les exigences de l'article 401(a) du code général des impôts américain et que sa situation est objectivement comparable à celle d'une caisse de retraite française dès lors qu'il est un plan de retraite qualifié au sens de la loi américaine " Employee Retirement Income Security Act " (ERISA) qui fixe des conditions de fonctionnement en terme de désintéressement, de gestion et de transparence ; en effet, sa gestion est désintéressée, il est géré et administré à titre bénévole par des personnes n'ayant aucun intérêt direct ou indirect dans les résultats de l'exploitation, les membres de l'organisme ou leurs ayants droit ne peuvent pas être déclarés attributaires d'une part quelconque de l'actif, sous réserve du droit de reprise des apports et il n'entretient pas de relation privilégiée avec des entreprises et pas davantage de relations de concurrence ; le Conseil d'Etat a posé le critère relatif à la gestion désintéressée avec sa décision du 30 décembre 2014, Versorgungswerk des Zahnärtzekammer aus Berlin sous le n° 361842 et en a précisé les contours avec la décision n° 369819 du 22 mai 2015 Wellcome Trust : il en ressort que le juge dispose d'une marge d'appréciation et ainsi, si un fonds ne répond pas stricto sensu aux critères définis par le code général des impôts mais que sa situation est objectivement comparable à celle d'un organisme sans but lucratif et que sa gestion doit être regardée comme revêtant un caractère désintéressé, alors l'exonération doit être accordée ; dans cette optique, le fonds doit établir que les rémunérations des dirigeants sont encadrées et qu'elles sont justifiées au regard des tâches qu'ils accomplissent ; or le fonds a versé des rémunérations pour 11 millions de dollars en 2006, 2007 et 2008, ce qui représente 0,15% de la valeur des actifs gérés par le fonds et de plus, ces sommes ont été versées à un trustee qui ne peut pas être regardé comme un dirigeant puisqu'il s'agit d'un prestataire externe au fonds, qui gère de façon externalisée ses intérêts.

Par un arrêt n°14VE03441 du 19 juillet 2016, la Cour a annulé le jugement pour irrégularité et rejeté la demande du LUCENT TECHNOLOGIES INC. DEFINED CONTRIBUTION PLAN MASTER TRUST aux fins de restitution des retenues à la source afférentes aux années 2006 à 2008.

Procédure devant le Conseil d'Etat :

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés respectivement le 16 novembre 2016 et le 14 février 2017, le LUCENT TECHNOLOGIES Inc. DEFINED CONTRIBUTION PLAN MASTER TRUST (ci-après le TRUST) a demandé au Conseil d'État l'annulation de cet arrêt et le règlement au fond du litige.

Par un mémoire enregistré le 19 avril 2018, le ministre de l'action et des comptes publics s'en remet à la sagesse du Conseil d'État.

Par une ordonnance n°405087 du 29 août 2018, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt n° 14VE03441 du 19 juillet 2016 et renvoyé l'affaire devant la Cour, où elle a été réenregistrée sous le n° 18VE039.

Procédure après renvoi :

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 janvier 2019, le ministre de l'action et des comptes publics conclut aux mêmes fins que ses précédentes écritures par les mêmes moyens.

Il fait valoir en outre que :

- le TRUST ne fournit ni les informations ni les justificatifs relatifs à la responsabilité de ses différents acteurs, à l'identité de ses dirigeants, à leur rémunération, à celle des investment managers mandatés, à son propre fonctionnement et à son champ d'action ;

- c'est au niveau du trustee qu'il convient de vérifier le caractère désintéressé de la gestion.

- l'article 1106 de l'Internal Revenue Code n'interdit nullement la rémunération des dirigeants du TRUST ;

- les salariés de la société Lucent, à supposer qu'ils soient les dirigeants du TRUST, ont un intérêt direct dans les résultats de l'exploitation, en tant que bénéficiaires de pensions de retraite.

Par des mémoires, enregistrés le 21 février 2019 et le 25 mars 2019, le LUCENT TECHNOLOGIES Inc. DEFINED CONTRIBUTION PLAN MASTER TRUST conclut aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens.

Il soutient en outre, en produisant une attestation du directeur des opérations de placement et de la gestion des risques de la société sponsor, en date du 31 janvier 2019, qu'il ne rémunère pas les dirigeants salariés par cette société.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le traité instituant la Communauté européenne ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Soyez, président-assesseur ;

- et les conclusions de M. Chayvialle, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Le LUCENT TECHNOLOGIES INC. DEFINED CONTRIBUTION PLAN MASTER TRUST (ci-après le TRUST) relève appel du jugement du Tribunal administratif de Montreuil en date du 14 octobre 2014 en tant qu'il n'a décidé la restitution des retenues à la source prélevées sur les dividendes de source française au titre des années 2006 à 2009, que pour cette dernière année, à concurrence d'un montant de 1 904,97 euros.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article R. 611-7 du code de justice administrative : " Lorsque la décision lui paraît susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office, le président de la formation de jugement ou, au Conseil d'Etat, la sous-section chargée de l'instruction en informe les parties avant la séance de jugement et fixe le délai dans lequel elles peuvent, sans qu'y fasse obstacle la clôture éventuelle de l'instruction, présenter leurs observations sur le moyen communiqué ". Il résulte de l'instruction que, s'agissant des conclusions aux fins de restitution des retenues à la source des années 2006, 2007 et 2008, la question de la recevabilité de la demande de première instance, au regard de l'expiration du délai de réclamation, en ce que ce délai était expiré du fait que la décision du Conseil d'Etat du 13 février 2009 " Société Stichting Unilever Pensioenfonds Progress et autres " ne constituait pas un " évènement " au sens des dispositions du c) de la première partie de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales, a été soulevée, pour la première fois dans le débat contentieux de première instance, par le rapporteur public pendant l'audience, avant d'être retenue par les premiers juges. Eu égard aux exigences de la procédure contradictoire, le tribunal administratif, en se fondant, pour cette partie du litige qui lui était soumis, sur une question sur laquelle les parties n'avaient pas été mises à même de débattre avant la clôture de l'instruction, a entaché son jugement d'irrégularité. Il doit donc être annulé, dans cette mesure. Il y a lieu pour la Cour d'évoquer et de statuer immédiatement sur ce litige.

Au fond :

En ce qui concerne les fins de non-recevoir opposées par l'administration :

3. En premier lieu, aux termes de la première partie de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales : " Pour être recevables, les réclamations relatives aux impôts autres que les impôts directs locaux et les taxes annexes à ces impôts doivent être présentées à l'administration au plus tard le 31 décembre de la deuxième année suivant celle, selon le cas : / (...) b) Du versement de l'impôt contesté lorsque cet impôt n'a pas donné lieu à l'établissement d'un rôle ou à la notification d'un avis de mise en recouvrement (...) c) de la réalisation de l'événement qui motive la réclamation (...) ". Aux termes de la seconde partie du même article : " Toutefois, dans les cas suivants, les réclamations doivent être présentées au plus tard le 31 décembre de l'année suivant celle, selon le cas : / (...) b) Au cours de laquelle les retenues à la source et les prélèvements ont été opérés s'il s'agit de contestations relatives à l'application de ces retenues (...) ". Il résulte de ces dispositions qu'une réclamation est recevable dès lors qu'elle est formée dans le délai prévu dans l'une des hypothèses mentionnées dans la première partie de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales. La seconde partie de cet article ouvre, en outre, dans les hypothèses qu'elle prévoit, un autre délai pendant lequel une réclamation est également recevable.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales dans sa rédaction applicable au litige : " Sont instruites et jugées selon les règles du présent chapitre toutes actions tendant à la décharge ou à la réduction d'une imposition ou à l'exercice de droits à déduction, fondées sur la non-conformité de la règle de droit dont il a été fait application à une règle de droit supérieure. / Lorsque cette non-conformité a été révélée par une décision juridictionnelle, l'action en restitution des sommes versées ou en paiement des droits à déduction non exercés ou l'action en réparation du préjudice subi ne peut porter que sur la période postérieure au 1er janvier de la troisième année précédant celle où la décision ou l'avis révélant la non-conformité est intervenu (...) / Pour l'application du quatrième alinéa, sont considérés comme des décisions juridictionnelles ou des avis rendus au contentieux les décisions du Conseil d'Etat (...) se prononçant sur un recours en annulation, sur une action en manquement ou sur une question préjudicielle ".

5. S'agissant des décisions et avis rendus au contentieux, notamment, par le Conseil d'État, seuls ceux qui révèlent directement l'incompatibilité avec une règle de droit supérieure de la règle de droit dont il a été fait application pour fonder l'imposition en litige sont de nature à constituer le point de départ du délai dans lequel sont recevables les réclamations motivées par la réalisation d'un événement au sens du c) de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales ainsi que de la période sur laquelle l'action en restitution peut s'exercer en application de l'article L. 190 du même livre. Une décision ou un avis qui se borne à retenir une interprétation des dispositions du droit de l'Union ou du droit national dont il a été fait application pour fonder l'imposition contestée différente de celle jusqu'alors formellement admise par l'administration dans ses instructions, ne peut constituer le point de départ de ce délai et de cette période, dès lors que l'imposition ne saurait être fondée sur l'interprétation de la loi fiscale que l'administration exprime dans ses instructions. Il peut toutefois en aller autrement lorsque l'instruction fiscale, dont l'illégalité a été révélée par une décision du Conseil d'État statuant au contentieux sur un recours pour excès de pouvoir dirigé contre une instruction ou le refus de l'abroger, n'ajoute pas à la loi fiscale mais se borne à réitérer les termes de cette loi dont il a été fait application pour fonder l'imposition dont la restitution est demandée et que cette décision révèle alors directement la non-conformité de cette loi à une règle de droit supérieur au sens de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales.

6. Par la décision du 13 février 2009 " Société Stichting Unilever Pensionenfonds Progress et autres ", le Conseil d'État statuant au contentieux a annulé le refus d'abroger les instructions fiscales 4 J - 1 - 05 du 25 février 2005 et 4 J - 2 - 05 du 28 avril 2005, qui se bornait à tirer les conséquences de la suppression de l'avoir fiscal et à prescrire l'application du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts, en tant qu'elles ne prévoyaient pas de neutraliser l'application de la retenue à la source prévue par les dispositions de cet article au paiement de dividendes de sociétés françaises à des organismes tels que des fonds de pension étrangers qui seraient en mesure d'apporter la preuve qu'ils pourraient bénéficier, s'ils étaient établis en France, de l'exonération d'impôt sur les sociétés prévues au C du 5 de l'article 206 du même code, au motif que l'application de cette retenue à la source constitue une restriction à la liberté de circulation des capitaux prohibée par l'article 56 du traité instituant la communauté européenne. Ainsi, cette décision constitue le point de départ du délai et de la période mentionnés au paragraphe précédent. Par suite, ni au regard des dispositions de l'article R 196 -1 du livre des procédures fiscales ni au regard de celles de l'article L 190 du même livre, le délai de réclamation n'était expiré le 29 décembre 2011, date à laquelle le requérant a introduit sa réclamation contre les retenues à la source sur les dividendes perçus au cours des années 2006, 2007 et 2008. Contrairement à ce qu'objecte l'administration, les conclusions de la demande du TRUST tendant à la restitution des retenues à la source au titre de l'année 2006, 2007 et 2008 présentées devant le Tribunal administratif de Montreuil le 24 janvier 2013, en l'absence de décision expresse de l'administration dans les six mois, sont donc recevables.

En ce qui concerne le bien-fondé des impositions :

7. D'une part, aux termes du 1 de l'article 56 du Traité instituant la Communauté européenne, devenu l'article 63 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " (...) Toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les Etats membres et entre les Etats membres et les pays tiers sont interdites ". Aux termes de l'article 58 du même traité, devenu l'article 65 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " 1. L'article 56 ne porte pas atteinte au droit qu'ont les Etats membres : a. d'appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieu où leurs capitaux sont investis ; b. de prendre toutes les mesures indispensables pour faire échec aux infractions à leurs lois et règlements, notamment en matière fiscale (...) 3. Les mesures et procédures visées aux paragraphes 1 et 2 ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux et des paiements telle que définie à l'article 56 ". Si ces stipulations n'imposent pas aux Etats membres qu'un organisme reconnu sans but lucratif dans son Etat d'origine bénéficie automatiquement de la même reconnaissance sur leur territoire, le pouvoir d'appréciation dont disposent les Etats membres doit s'exercer conformément au droit de l'Union européenne. En outre il appartient à chaque Etat membre d'organiser, dans le respect du droit de l'Union, son système d'imposition des bénéfices distribués. Lorsqu'une réglementation fiscale nationale établit un critère de distinction pour l'imposition des revenus de capitaux mobiliers, l'appréciation de la comparabilité des situations doit être effectuée en tenant compte dudit critère. La Cour de justice de l'Union européenne a précisé à cet égard dans l'arrêt du 10 mai 2012 " Santander Asset Management SGIIC et autres " (338/11 à 347/11) que seuls les critères de distinction pertinents établis par la réglementation en cause doivent être pris en compte aux fins d'apprécier si la différence de traitement résultant d'une telle réglementation reflète une différence de situation objective.

8. D'autre part, aux termes de l'article 206 du code général des impôts : " 5. Sous réserve des exonérations prévues aux articles 1382 et 1394, les établissements publics, autres que les établissements scientifiques, d'enseignement et d'assistance, ainsi que les associations et collectivités non soumis à l'impôt sur les sociétés en vertu d'une autre disposition sont assujettis audit impôt en raison : (...) c. Des revenus de capitaux mobiliers dont ils disposent, à l'exception des dividendes des sociétés françaises, lorsque ces revenus n'entrent pas dans le champ d'application de la retenue à la source visée à l'article 119 bis ; ces revenus sont comptés dans le revenu imposable pour leur montant brut (...) ". Aux termes de l'article 207 du même code : " 1. Sont exonérés de l'impôt sur les sociétés : (...) 5° bis. Les organismes sans but lucratif mentionnés au 1° du 7 de l'article 261, pour les opérations à raison desquelles ils sont exonérés de la taxe sur la valeur ajoutée ". Aux termes de l'article 261 du même code : " Sont exonérées de la taxe sur la valeur ajoutée : (...) 7. 1° b) Les opérations faites au bénéfice de toutes personnes par des oeuvres sans but lucratif qui présentent un caractère social ou philanthropique et dont la gestion est désintéressée, lorsque les prix pratiqués ont été homologués par l'autorité publique ou que des opérations analogues ne sont pas couramment réalisées à des prix comparables par des entreprises commerciales, en raison notamment du concours désintéressé des membres de ces organismes ou des contributions publiques ou privées dont ils bénéficient. (...) d. Le caractère désintéressé de la gestion résulte de la réunion des conditions ci-après : L'organisme doit, en principe, être géré et administré à titre bénévole par des personnes n'ayant elles-mêmes, ou par personne interposée, aucun intérêt direct ou indirect dans les résultats de l'exploitation. Toutefois, lorsqu'une association régie par la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association (...), une fondation reconnue d'utilité publique ou une fondation d'entreprise décide que l'exercice des fonctions dévolues à ses dirigeants justifie le versement d'une rémunération, le caractère désintéressé de sa gestion n'est pas remis en cause si ses statuts et ses modalités de fonctionnement assurent sa transparence financière, l'élection régulière et périodique de ses dirigeants, le contrôle effectif de sa gestion par ses membres et l'adéquation de la rémunération aux sujétions effectivement imposées aux dirigeants concernés ; cette disposition s'applique dans les conditions suivantes : (...) un tel organisme peut rémunérer trois de ses dirigeants si le montant annuel de ses ressources, majorées de celles des organismes qui lui sont affiliés et qui remplissent les conditions leur permettant de bénéficier de la présente disposition, hors ressources issues des versements effectués par des personnes morales de droit public, est supérieur à 1 000 000 € en moyenne sur les trois exercices clos précédant celui pendant lequel la rémunération est versée ; un tel organisme peut verser des rémunérations dans le cadre de la présente disposition uniquement si ses statuts le prévoient explicitement et si une décision de son organe délibérant l'a expressément décidé à la majorité des deux tiers de ses membres ; (...) le montant de toutes les rémunérations versées à chaque dirigeant au titre de la présente disposition ne peut en aucun cas excéder trois fois le montant du plafond visé à l'article L 241-3 du Code de la sécurité sociale ". S'agissant d'organismes de droit étranger, dont le régime, tel celui des " trusts qualifiés " américains gérant des fonds de pension, présente des spécificités que ne connaît pas le droit français et dont le législateur n'a pas pu ainsi tenir compte dans la définition qu'il a donnée des organismes mentionnés au troisième alinéa du d du 1° du 7 de l'article 261 du code général des impôts, leur gestion doit être regardée comme désintéressée, pour l'application des dispositions mentionnées au point 4, si la rémunération versée à leurs dirigeants et le nombre de ceux-ci ne sont pas, eu égard aux sujétions qui leur sont imposées et compte tenu des règles spécifiques auxquelles les organismes sont soumis dans leur Etat de résidence, disproportionnés par rapport aux limites mentionnées ci-dessus.

9. Il résulte de l'instruction que le TRUST a été créé par la société Lucent Technologies Incoporated pour la gestion de plans de retraites de ses salariés, plans qui sont abondés par cette société et par les cotisations de ses salariés, et que l'administration de ce trust a été confiée, par un accord en date du 1er août 2005, à la banque Mellon (BNY Mellon). L'administration ne conteste ni le caractère non lucratif de l'objet statutaire du TRUST ni son mode d'exploitation sans rapport avec celui d'une entreprise commerciale. En revanche, elle met en doute le caractère désintéressé de sa gestion. A cet effet, elle fait valoir que la circonstance que le TRUST soit " qualifié " au sens de la section 401 (a) de l'Internal Revenue Code, ne suffit pas à elle seule à établir sa gestion désintéressée au regard des dispositions précitées de la loi fiscale française. Elle relève que le TRUST ne fournit pas d'informations claires et suffisantes permettant de déterminer, d'une part, la responsabilité de ses différents acteurs, l'identité de ses dirigeants, l'absence de rémunération de ces derniers, d'autre part, au cas où ils seraient rémunérés, l'adéquation de leurs rémunérations à leurs responsabilités, les conditions de leur désignation et d'exercice de leurs fonctions.

10. Aux termes de l'article 403 (a) de l'Employee Retirement Income Security Act (ERISA) : " Le plan prévoit expressément que le trust que le ou les trustees sont soumis à la direction d'un named fiduciary, qui n'est pas un trustee, auquel cas le ou les trustees sont soumis aux directives de ce named fiduciary qui sont données conformément aux modalités prévue s par le plan qui ne sont pas contraires à ce chapitre ". Il résulte de ces dispositions que le trustee n'est que le gestionnaire du trust, sous l'autorité d'un " named fiduciary ", qui est, en l'espèce, la société, ce que confirment dans la présente affaire les stipulations de l'accord du 1er janvier 2009. Selon ces stipulations, le trustee n'agit que sur directives et selon les instructions de ce " named fiduciary ", tant dans ses fonctions propres que dans ses relations avec les opérateurs sur les marchés, les " investment managers ". S'il s'est conformé aux directives de ce dernier, il est exonéré de toute responsabilité. Comme le soutient expressément le TRUST, ni le trustee ni les " investment managers " ne peuvent donc être tenus pour son organe dirigeant. Au demeurant, quoique le montant des rémunérations versées au trustee et aux " investment managers " s'élève à 10 millions d'euros en 2006, à 8,2 millions d'euros en 2007, à 8,7 millions d'euros en 2008, montant sans commune mesure avec les seuils autorisés par la loi française, cette rémunération ne représente que 0,2 % des actifs gérés par le plan, soit 6,3 milliards d'euros en 2006, 5,6 milliards d'euros en 2007 et 4,3 milliards d'euros en 2008. Ainsi, et en tout état de cause, à supposer même que, dans certains de ses actes, le trustee puisse être regardé comme un dirigeant, comme l'estime l'administration, sa rémunération, compte tenu de l'importance des fonds gérés et de la technicité des fonctions confiées, n'apparaît pas disproportionnée.

11. En vertu des dispositions du B de l'article 1106 du Code US, reprises dans les stipulations de l'accord : " (B) Des transactions entre le plan et les personnes soumises à une obligation fiduciaire : / une personne soumise à une obligation fiduciaire ne doit pas / (1) utiliser les actifs du plan dans son propre intérêt ou pour son propre compte, / (2) intervenir à titre individuel ou à tout autre titre, à toute transaction impliquant le plan, pour le compte d'une partie dans les intérêts divers avec ceux du plan ceux de ses affiliés ou bénéficiaire, ou / (3) percevoir pour son propre compte, une quelconque rémunération émanant d'une personne agissant pour le plan et provenant d'une opération impliquant les actifs de ce plan. ". Si ces dispositions qui concernent, selon le titre de l'article, des " transactions prohibées ", ont pour objet d'interdire toute collusion entre les dirigeants du TRUST et les opérateurs proposant des placements, elles n'interdisent pas, en tant que telles, comme le fait valoir l'administration, la rémunération de ces dirigeants en cette qualité. Pareillement, l'accord entre la société Lucent Technologies Incoporated et le TRUST ne stipule nulle interdiction de rémunération de ces dirigeants.

12. Le TRUST expose que ses dirigeants de fait sont des salariés de la société Lucent Technologies Incoporated, son " named fiduciary ". Pour établir l'activité bénévole de ces dirigeants, il se prévaut de l'attestation, en date du 31 janvier 2019, de M. B... A..., directeur des opérations de placement et de la gestion des risques de la société sponsor, selon laquelle les salariés de cette société désignés pour diriger le TRUST ne recevaient aucune rémunération de ce dernier. Cette absence de rémunération par le TRUST est confirmée par le formulaire fiscal 5500 Schedule C, qui ne recense pas ces dirigeants parmi les bénéficiaires de rémunérations Toutefois, comme le fait valoir l'administration, l'attestation mentionnée plus haut n'exclut pas la possibilité d'une rémunération par la société Lucent Technologies Incoporated des dirigeants du TRUST au titre de leurs fonctions dans cette instance, ni le fait que leur salaire puisse rémunérer leur activité au service à la fois de la société et du TRUST. Dès lors que ni les contrats de travail de ces salariés de la société Chevron ni le montant de leurs rémunérations ne sont communiqués, il n'est pas possible d'apprécier l'objet de ces rémunérations, ni, s'il y a lieu, l'adéquation de ces rémunérations aux responsabilités des intéressés dans le TRUST. Celui-ci qui n'expose pas non plus les règles et les critères de désignation de ses dirigeants, ni les conditions d'exercice de leurs fonctions, ne satisfait pas aux exigences de transparence, qui découlent des dispositions précitées de l'article 261 du code général des impôts, en cas de rémunération des dirigeants. Dès lors, le moyen tiré du caractère désintéressé de la gestion du TRUST doit être écarté sur le terrain de la loi fiscale.

13. Il suit de là que la situation du TRUST n'est pas objectivement comparable à celle des organismes sans but lucratif français. Dans ces conditions, la différence de traitement, résultant de l'application de la retenue à la source sur les dividendes versés au TRUST par des sociétés françaises, alors que des organismes sans but lucratif français placés dans la même situation en seraient exonérés, ne porte pas atteinte à l'exercice par le TRUST de la liberté de circulation des capitaux, ni ne constitue une restriction à ladite liberté. Par suite, l'application au TRUST des retenues à la source litigieuses ne méconnaît ni l'article 56 du traité instituant la Communauté européenne ni l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

14. Il résulte de tout ce qui précède que le LUCENT TECHNOLOGIES INC. DEFINED CONTRIBUTION PLAN MASTER TRUST est seulement fondé à demander l'annulation du jugement du Tribunal administratif de Montreuil en date du 14 octobre 2014. Par voie de conséquence, doivent être rejetées les conclusions présentées par le LUCENT TECHNOLOGIES INC. DEFINED CONTRIBUTION PLAN MASTER TRUST, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Montreuil n° 1300801 en date du 14 octobre 2014 est annulé en tant qu'il a rejeté comme irrecevables les conclusions du LUCENT TECHNOLOGIES INC. DEFINED CONTRIBUTION PLAN MASTER TRUST en restitution de retenues à la source des années 2006, 2007 et 2008.

Article 2 : La demande du LUCENT TECHNOLOGIES INC. DEFINED CONTRIBUTION PLAN MASTER TRUST et le surplus des conclusions de sa requête sont rejetés.

2

18VE03039


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 18VE03039
Date de la décision : 03/03/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-04-01-02-06-01 Contributions et taxes. Impôts sur les revenus et bénéfices. Règles générales. Impôt sur le revenu. Cotisations d`IR mises à la charge de personnes morales ou de tiers. Retenues à la source.


Composition du Tribunal
Président : M. BEAUJARD
Rapporteur ?: M. Jean-Eric SOYEZ
Rapporteur public ?: M. CHAYVIALLE
Avocat(s) : PAUL HASTINGS (EUROPE) LLP

Origine de la décision
Date de l'import : 10/03/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2020-03-03;18ve03039 ?
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