La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

04/07/2024 | FRANCE | N°20PA04321

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 8ème chambre, 04 juillet 2024, 20PA04321


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Paris, à titre principal, de condamner l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) à lui verser la somme totale de 418 736,27 euros en réparation des préjudices résultant pour elle de l'intervention qu'elle a subie le 5 septembre 2007 à l'hôpital Saint Louis et, à titre subsidiaire, d'ordonner la désignation d'un expert afin d'évaluer ces préjudices et de mettre à la charge de l'AP-HP une somme de 40 000 euros à ti

tre de provision.



Par un jugement n° 1309796/6-2 du 17 juin 2014, le tribunal a...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Paris, à titre principal, de condamner l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) à lui verser la somme totale de 418 736,27 euros en réparation des préjudices résultant pour elle de l'intervention qu'elle a subie le 5 septembre 2007 à l'hôpital Saint Louis et, à titre subsidiaire, d'ordonner la désignation d'un expert afin d'évaluer ces préjudices et de mettre à la charge de l'AP-HP une somme de 40 000 euros à titre de provision.

Par un jugement n° 1309796/6-2 du 17 juin 2014, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande comme étant irrecevable.

Par un arrêt n° 14PA03561 du 6 mai 2015, la cour a annulé le jugement du 17 juin 2014 du tribunal administratif de Paris et, après avoir évoqué l'affaire, a ordonné avant dire droit une expertise aux fins, notamment, d'examiner Mme A... et de décrire son état ; de donner tous éléments utiles d'appréciation sur la ou les causes de son état ; de décrire les conditions dans lesquelles elle a été traitée en réunissant tous les éléments devant permettre de déterminer si la prise en charge a été conforme aux données acquises de la science à l'époque des faits et si l'organisation et le fonctionnement du service ont été conformes aux bonnes pratiques et aux recommandations existantes ; de décrire la nature et l'étendue des préjudices corporels résultant de la prise en charge hospitalière de Mme A..., en les distinguant de son état antérieur et des conséquences prévisibles d'une prise en charge conforme aux règles de l'art ; de donner son avis sur les autres préjudices imputables à l'intervention litigieuse et plus précisément sur les dépenses de santé, les frais liés à un éventuel handicap, les éventuelles pertes de revenus, l'éventuelle incidence professionnelle du dommage corporel, les autres dépenses liées au dommage corporel et les différents préjudices personnels subis par Mme A....

Par un arrêt n° 14PA03561 du 29 juin 2017, la cour a ordonné une nouvelle expertise avant dire droit aux fins d'apprécier les bénéfices attendus, les risques encourus et/ou les limites de l'intervention du 5 septembre 2007 si elle avait été réalisée dans les règles de l'art, si des manquements dans les précautions qui auraient du être prises pour limiter le risque de lésion du nerf spinal accessoire sont à l'origine d'une perte de chance pour Mme A... de se voir guérie ou de voir son état amélioré en chiffrant cet éventuel taux de perte de chance, et si l'état de Mme A... avant ou après l'intervention litigieuse, notamment au regard d'une éventuelle pathologie rhumatismale et d'un syndrome de Turner, a pu concourir aux préjudices qu'elle invoque.

Par un arrêt n° 14PA03561 du 18 décembre 2018, la cour a condamné l'AP-HP à verser à Mme A... la somme de 134 190,15 euros en réparation de ses préjudices et à l'organisme de prévoyance APGIS la somme de 304 559,17 euros en remboursement des frais et prestations avancés au bénéfice de Mme A..., a mis à la charge définitive de l'AP-HP les frais des deux expertises qu'elle avait ordonnées, pour un montant total de 5 112 euros, ainsi que la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et a rejeté le surplus des conclusions présentées par Mme A....

Par une décision n° 428115 et 428149 du 29 décembre 2020, le Conseil d'Etat statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi formé par Mme A..., a annulé l'arrêt n° 14PA03561 du 18 décembre 2018 de la cour en tant qu'il statue sur les conclusions de Mme A... tendant à l'indemnisation, d'une part, des préjudices liés aux pertes de part variable de rémunération et de primes de participation et d'intéressement et, d'autre part, de son préjudice de retraite, et en tant qu'il condamne l'AP-HP à verser une somme à l'organisme de prévoyance APGIS Vincennes, et a renvoyé l'affaire, dans cette mesure, devant la cour. Celle-ci a été enregistrée le 30 décembre 2020, sous le n° 20PA04321.

Procédure devant la cour sur renvoi après cassation :

Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés les 20 janvier 2022, et 14 octobre 2022, Mme C... A..., représentée par Me Occhipinti, demande à la cour :

1°) de condamner l'AP-HP à lui verser la somme de 282 689,34 euros en réparation de ses préjudices ;

2°) de mettre à la charge de l'AP-HP la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la perte des éléments variables de sa rémunération, à savoir la rémunération variable, la participation et l'intéressement, constitue un préjudice certain qui s'élève, pour la période de 2007 à 2015, à 37 143,62 euros ;

- les sommes perçues jusqu'en 2015 au titre de la participation et de l'intéressement étaient inférieures à celles qu'elle aurait reçues si sa carrière avait continué à se dérouler normalement ; elle percevait en moyenne avant 2007 une somme de 7 538,69 euros et la différence entre les sommes perçues de 2007 à 2015 et la moyenne des années 2004, 2005 et 2006 avant son arrêt de travail s'élève à un montant de 22 937,74 euros ;

- le salaire annuel retenu pour le calcul de sa retraite de base est de 189 497 euros entre 2007 et 2015 alors que si elle avait continué à travailler à temps plein, le salaire annuel retenu pour la même période aurait été équivalent au plafond de la Sécurité Sociale de 318 732 euros et de 325 886,50 euros après la revalorisation du 1er janvier 2015 et elle aurait dû bénéficier de cette différence de 129 235 euros ;

- elle aurait dû bénéficier en 2015 d'un revenu de référence pour le calcul annuel de sa retraite de base de 38 040 euros et de 38 534,52 euros après la revalorisation du 1er janvier 2015 et pouvoir bénéficier d'une retraite de base de 19 267,26 euros alors qu'elle n'aura au maximum que le montant de retraite figurant sur la dernière simulation en date du 4 mars 2020, soit 10 301 euros par an, subissant ainsi un préjudice annuel de retraite de 8 966,26 euros ;

- le préjudice de retraite concerne également les régimes complémentaires AGIRC et ARRCO ; de 2007 à 2015 avec un salaire à temps plein, le nombre de points aurait dû être au moins de 622,75 et aurait dû augmenter ; entre 2007 et 2015, elle perdra ainsi le bénéfice d'environ 300,28 points, soit une valeur totale de ces points perdus de 506,42 euros ;

- le préjudice total annuel de retraite ressort à 9 472,68 euros (8 966,2 + 506,42 euros) ; en se référant à l'espérance de vie de 23,5 années pour une femme de 65 ans, son préjudice de retraite global s'élève ainsi à 222 607,98 euros (9 472,68 euros x 23,5) ; ainsi, son préjudice total est de 282 689,34 euros (37 143,62 + 22 937,74 + 222 607,98 euros).

Par un mémoire en défense enregistré le 8 février 2022, l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), représentée par Me Tsouderos, demande à la cour :

1°) de déclarer irrecevables les conclusions de la Société APGIS ;

2°) de rejeter les conclusions de Madame A... et de la Société APGIS ;

3°) à titre subsidiaire, de ramener le montant des demandes à de plus justes proportions.

L'AP-HP soutient que :

- elle s'oppose aux demandes formulées par la requérante au titre des pertes de parts variables de rémunération et de primes de participation et d'intéressement dans la mesure où d'une part, ces éléments variables de rémunération ne sauraient être assimilés aux éléments fixes dus à la salariée par son employeur, s'agissant de sommes versées en contrepartie de prestations de travail que Mme A... n'a pas assurées et, d'autre part, ces éléments de rémunération sont par définition variables ;

- s'agissant du préjudice de retraite, la demande ne saurait être accueillie dès lors que la perte d'emploi de Mme A... ne résulte pas d'une inaptitude liée à la complication litigieuse, et partant, d'un licenciement pour inaptitude mais d'une adhésion à un plan de départ volontaire, à la suite duquel l'intéressée a bénéficié de formations correspondant à un projet d'études en neurosciences entrepris antérieurement à la biopsie ganglionnaire ; en outre, les calculs opérés par la requérante sont dépourvus de toute force probante ;

- s'agissant des conclusions de l'institution de prévoyance APGIS Vincennes, elle soulève à nouveau la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de ses conclusions qui n'ont pas été soumises aux premiers juges, et présentent un caractère nouveau en appel.

Par un mémoire en défense et en appel incident et un mémoire complémentaire enregistrés les 30 mars 2021 et 4 mars 2022, l'institution de prévoyance APGIS Vincennes, représenté par Me Gatineau, demande la condamnation de l'AP-HP à lui verser les sommes de :

- 420,63 euros au titre des frais de santé intervenus du 5 septembre 2007 au 31 août 2010 ;

- 345,64 euros au titre des frais de santé intervenus du 1er septembre 2010 au 31 septembre 2016 ;

- 126 517,39 euros au titre des prestations incapacité versées ;

- 285 275,31 euros au titre des prestations invalidité également versées du 1er septembre 2010 au 28 février 2021 ;

- ces sommes étant dues avec intérêts au taux légal à compter de la demande du 3 octobre 2018 et capitalisation des intérêts à chaque échéance annuelle ;

- elle conclut en outre à ce soit mise à la charge de l'AP-HP la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- venant aux droits de la société Sapia Gestion, elle n'a pas été mise en cause devant les juges de première instance alors que Mme A... l'avait appelé en déclaration de jugement commun, de sorte que ses conclusions sont recevables en appel ;

- par sa position de tiers payeur ayant servi des prestations indemnitaires à Mme A..., elle est subrogée dans ses droits à l'encontre de l'AP-HP et l'exercice du droit de subrogation pour la première fois en appel ne s'analyse pas comme une conclusion nouvelle.

Par un mémoire enregistré le 11 avril 2022, l'ONIAM, représenté par Me Ribeiro, conclut à sa mise hors de cause.

Il soutient que les conditions de son intervention ne sont pas réunies dès lors que les dommages subis par Mme A... ont pour cause exclusive une faute médicale commise à l'occasion de l'intervention chirurgicale du 5 septembre 2007 engageant la responsabilité de l'AP-HP.

Par un arrêt du 5 décembre 2022, la cour a condamné l'AP-HP à verser à l'institution de prévoyance APGIS Vincennes la somme de 412 559,71 euros au titre du remboursement des frais de santé et des prestations versés au bénéfice de Mme A..., cette somme portant intérêts au taux légal à compter du 3 octobre 2018, date de la demande, et les intérêts échus à la date du 3 octobre 2018 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date étant capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts. Elle a par ailleurs, avant dire droit, décidé qu'il serait, avant de statuer sur les conclusions de Mme A... tendant à l'indemnisation, d'une part, des préjudices liés aux pertes de part variable de rémunération et de primes de participation et d'intéressement et, d'autre part, de son préjudice de retraite, procédé à une expertise par un expert-comptable désigné par la présidente de la cour, avec mission pour ledit expert, en premier lieu, de déterminer les revenus de Mme A... sur la base des bulletins de paie fournis par son employeur Sanofi-Aventis, des avis d'imposition, des bulletins de notification de la part de rémunération variable, de la participation et de l'intéressement, en indiquant quel aurait été le montant du salaire mensuel net, du revenu annuel net, de la rémunération variable, de l'intéressement et de la participation qui lui auraient été versés si elle avait poursuivi son activité à temps plein de septembre 2007 (date de l'accident thérapeutique) à septembre 2010 (date de la reprise de son activité à temps partiel) et de septembre 2010 à septembre 2015 (date de son licenciement) et en les comparant aux revenus nets perçus à ces différents titres par l'intéressée au cours de la même période afin de déterminer les revenus dont elle aurait été privée de septembre 2007 à septembre 2015 ; en deuxième lieu, de déterminer, à partir du salaire de référence qui aurait pu être retenu pour le calcul de la pension de retraite de Mme A... si elle avait poursuivi son activité à temps plein de septembre 2007 à septembre 2015 (indépendamment de son interruption d'activité et de sa reprise à temps partiel), le montant de la retraite mensuelle nette qu'elle aurait perçue au titre du régime général d'assurance retraite et des régimes complémentaires AGIRC-ARRCO ; en troisième lieu, de déterminer l'écart annuel entre le montant de la retraite mensuelle nette qu'elle percevra et le montant de la pension de retraite qu'elle aurait dû percevoir sans interruption d'activité et reprise à temps partiel ainsi que l'évaluation totale du préjudice de l'intéressée compte tenu de son espérance de vie.

Par une ordonnance du 14 décembre 2022, la présidente de la cour a désigné M. B... D... en qualité d'expert.

Par une ordonnance du 23 décembre 2022, la présidente de la cour a désigné M. F... E... en qualité de sapiteur spécialisé en calculs techniques.

Le rapport d'expertise a été déposé le 31 juillet 2023.

Par deux ordonnances du 3 octobre 2023, le premier vice-président de la cour a liquidé et taxé les frais et honoraires de l'expertise confiée à M. B... D... et à M. F... E... à la somme, respectivement, de 5 322,78 euros et de 2 160 euros.

Par un mémoire enregistré le 4 octobre 2023, Mme A... a présenté ses observations sur le rapport d'expertise et demande à la cour :

1°) à titre principal, de condamner l'AP-HP à lui verser la somme de 163 338 euros au titre de son préjudice ;

2°) à titre subsidiaire, de condamner l'AP-HP à lui verser la somme de 120 000 euros, selon les calculs de l'expert, en tenant compte d'une espérance de vie de 22,8 ans et sans abattement ;

3°) de mettre à la charge de l'APHP la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- s'agissant de l'espérance de vie, il y a lieu de retenir une moyenne de 22,8 ans et non pas de 18 ans ;

- l'abattement de 10 % proposé par l'expert ne repose sur aucun calcul sérieux ;

- le tableau en page 9 du rapport comporte des anomalies qu'il y a lieu de corriger ;

- s'agissant du tableau en page 11 du rapport, l'année 2004 ne présente pas un caractère exceptionnel contrairement aux conclusions de l'expert ; pour l'intéressement, la comparaison entre brut et net est problématique ;

- plusieurs erreurs ont été commises dans le calcul du préjudice de la retraite complémentaire AGIRC-ARRCO ;

- les calculs ont été effectués par l'expert en " net ", mais sont présentés à tort, dans la synthèse finale, comme étant en " brut " ;

- en renseignant les bons chiffres et en appliquant les bonnes formules et règles de calcul, le total des préjudices financiers " net " supportés par Mme A... s'élève, avec une espérance de vie de 18 ans, à 142 898 euros (66 248 + 76 650) et, avec une espérance de vie de 22,8 ans, à 163 338 euros (66 248 + 97 090).

Par ordonnance du 9 octobre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 6 novembre 2023.

Des pièces complémentaires, demandées auprès de Mme A... en application de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, ont été produites le 22 mai 2024.

Ces pièces ont été communiquées le 23 mai 2024.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Vrignon-Villalba,

- les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,

- et les observations de Me Occhipinti, avocat de Mme A....

Une note en délibéré présentée par Mme A... a été enregistrée le 11 juin 2024.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C... A... a subi le 5 septembre 2007 à l'hôpital Saint-Louis une biopsie chirurgicale d'un ganglion cervical droit, laquelle a donné lieu à des complications consistant en une importante dénervation du nerf spinal accessoire droit avec une atteinte du sterno-cléido mastoïdien et du trapèze droit. Mme A... a demandé la condamnation de l'AP-HP à lui verser une somme totale de 418 736,27 euros en réparation des différents préjudices qu'elle a subis. Par un arrêt n° 14PA03561 du 18 décembre 2018, la cour a, notamment, condamné l'AP-HP à verser à Mme A... la somme de 134 190,15 euros et rejeté le surplus de ses conclusions. Par une décision n° 428115 et 428149 du 29 décembre 2020, le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt notamment en tant qu'il a rejeté les conclusions de Mme A... tendant à l'indemnisation, d'une part, des préjudices liés aux pertes de part variable de rémunération et de primes de participation et d'intéressement et, d'autre part, de son préjudice de retraite, et a renvoyé l'affaire, dans cette mesure, devant la cour. Par un arrêt du 5 décembre 2022, la cour a, avant dire droit, ordonné une expertise aux fins d'évaluer ces préjudices. Le rapport d'expertise a été déposé le 31 juillet 2023 et l'affaire est désormais en état d'être jugée.

Sur les préjudices de Mme A... :

2. Dans son arrêt du 18 décembre 2018 devenu définitif sur ce point, la cour a jugé que si Mme A... a repris son travail chez Sanofi début septembre 2010 avec un horaire aménagé à la suite des préconisations de la médecine du travail et ce, jusqu'à son licenciement en septembre 2015, elle n'a pas été licenciée pour inaptitude en raison de son état de santé, l'arrêt de son activité professionnelle faisant suite à sa souscription à un plan de départ volontaire en 2015 à la suite duquel elle a bénéficié de formations correspondant à un projet d'études en neurosciences entrepris antérieurement à sa biopsie ganglionnaire. Dans ces conditions, en l'absence de lien certain et direct avec la faute commise par l'AP-HP, Mme A... n'est pas fondée à demander la réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de la perte de part variable de rémunération et de primes de participation et d'intéressement, et de son préjudice de retraite, postérieurement à la date de son licenciement.

En ce qui concerne le préjudice lié aux pertes de part variable de rémunération et de primes de participation et d'intéressement antérieures au licenciement :

3. Il résulte de l'instruction, notamment de l'attestation émanant du service de paie de la société Sanofi, son ancien employeur, et des bulletins de paie versés au dossier, que Mme A... a toujours perçu, lorsqu'elle était en activité, et à l'exclusion de l'année 2011, une rémunération variable. Elle a par ailleurs perçu, tous les ans entre 2004 et 2015, une prime d'intéressement de groupe et une prime de participation. Par suite, ainsi qu'elle le soutient, le versement de tout ou partie de ces éléments de rémunération aurait présenté, en l'absence de l'arrêt de travail causé par la faute de l'AP-HP, un caractère certain.

S'agissant des pertes de part variable de rémunération :

4. Contrairement à ce que Mme A... soutient en se fondant sur la seule mention qui figure sur l'attestation émanant du service de paie de la société Sanofi, s'agissant de la seule année 2008, il ne résulte ni de cette attestation, ni de son contrat de travail, ni de ses bulletins de paie que la part variable de sa rémunération aurait correspondu, chaque année, à 10 % de sa rémunération de base brute. Il ressort en revanche du rapport de l'expert et des bulletins de paie versés au dossier, dont certains l'ont été postérieurement à l'expertise, que après sa mutation, intervenue le 1er février 2005, de la société Sanofi-Synthélabo Recherche vers la société Sanofi Synthélabo Groupe, Mme A... a perçu en 2005, 2006 et 2007, alors qu'elle travaillait à temps plein, respectivement, 2 801 euros, 5 745 euros et 4 732 euros, soit en moyenne 4 426 euros. De 2008 à 2011, lorsqu'elle était en congé de maladie, elle n'a perçu aucune rémunération variable. En 2012, 2013 et 2014, période au cours de laquelle elle travaillait à temps partiel après son retour de congé de maladie, elle a perçu, respectivement, 3 281 euros, 3 085 euros et 2 824 euros, soit en moyenne 3 063 euros par an. La perte de rémunération variable brute s'élève ainsi à 17 704 euros de 2008 à 2011, à 5 452 euros de 2012 à 2014 et à 908,66 euros pour la période allant du 1er janvier au 31 août 2015. En tenant compte d'un taux de cotisations sociales salariées de 22,5 %, tel qu'il ressort des fiches de paie de Mme A..., il sera fait une juste appréciation de la réparation de son préjudice en condamnant l'AP-HP à lui verser la somme de 18 650 euros nets.

S'agissant des primes de participation et d'intéressement :

5. Mme A... précise dans ses écritures que le mode de calcul ne lui a pas été communiqué par la société Sanofi. Ces primes sont liées, d'une part, aux performances de l'intéressée et, d'autre part, aux résultats économiques et financiers de la société.

6. S'agissant des primes de participation, il résulte du rapport de l'expert et des documents produits par la requérante, notamment les bulletins de notification de la participation, que Mme A... a perçu en moyenne, pour 2004, 2005, 2006 et 2007, une prime de participation nette de 4 454 euros. Pour 2008 à 2014, elle a touché en moyenne 3 031 euros nets, soit une perte annuelle moyenne de 1 423 euros. Il en résulte, entre 2009 et 2014, une perte de 9 961 euros et, du 1er janvier au 31 août 2015, une perte de 948 euros, soit, au total, 10 910 euros nets. Il y a lieu de condamner l'AP-HP à lui verser cette somme.

7. S'agissant de l'intéressement, d'une part, il convient de se référer aux primes d'intéressement de groupe à l'exclusion de la prime d'intéressement d'entreprise versée de façon exceptionnelle en 2004. D'autre part, il résulte du rapport de l'expert et des documents produits par la requérante, notamment des bulletins de notification de l'intéressement, que de 2004 à 2006 (Mme A... n'ayant pas produit les documents permettant de déterminer sa prime brute pour 2007, cette année n'est pas prise en compte dans le calcul), le montant de la prime nette d'intéressement de Mme A... était en moyenne de 120 euros de plus que celui de la prime brute moyenne pour le groupe. De 2008 à 2014, avant son licenciement au cours de l'année 2015, le montant de sa prime brute était, en moyenne, de 308 euros, inférieur à celui de la prime brute moyenne pour le groupe. Toutes choses égales par ailleurs, il en résulte donc, au titre des années 2008 à 2014, une perte moyenne de 428 euros nets par an, soit un total de 2 996 euros et, pour la période allant du 1er janvier au 31 août 2015, un montant au prorata de 285 euros. Il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par Mme A... en condamnant l'AP-HP à lui verser la somme de 3 281 euros.

En ce qui concerne le préjudice de retraite :

S'agissant de la retraite versée par la Caisse nationale d'assurance vieillesse :

8. Il résulte du courrier du 18 mars 2023 adressé par la caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) à Mme A... que celle-ci a pris sa retraite au 1er avril 2023, à l'âge de 67 ans. Dans ces conditions, ainsi que Mme A... le soutient, il n'y a pas lieu d'appliquer une décote de 10 %, comme proposé par l'expert.

9. Eu égard aux 25 meilleurs revenus annuels pris en compte par la CNAV, alors que les revenus perçus depuis 2015 sont moins favorables, et en considérant que Mme A... aurait, en l'absence de l'accident qu'elle a subi, et compte tenu de l'évolution tendancielle de ses revenus sur les dix années précédentes, perçu en moyenne, pour les années 2007 à 2014, des revenus à hauteur de 38 200 euros, il y a lieu de retenir un revenu de base, pour le calcul de la retraite, de 34 820 euros au lieu de 30 358,76 euros. Il en résulte une perte pour Mme A... à la date du présent arrêt, de 1 994 euros. Pour la période postérieure au présent arrêt, le préjudice de Mme A..., calculé sur la base du montant de l'euro de rente fixé par le barème publié par la Gazette du Palais 2022 (taux 0) pour une femme âgée de 68 ans, s'élève à 32 312 euros nets.

S'agissant de la retraite complémentaire AGIRC-ARCCO :

10. Il résulte de l'instruction, notamment des documents de l'assureur Klesia annexé rapport d'expertise, que Mme A... a acquis 16 129,53 points sur toute sa carrière, en incluant les périodes pendant lesquelles elle était en congé de maladie et celles où elle a perçu une pension d'invalidité. Mme A..., qui n'a fondé ses prétentions que sur son passage à mi-temps entre septembre 2010 et septembre 2015 et sur la perte de ses rémunérations variables et de ses primes de participation, n'établit pas que les points acquis au titre des prestations de la sécurité sociale sont inférieurs à ceux qu'elle aurait acquis si elle avait continué de travailler à temps plein pendant cette période, et ce alors que l'expert relève dans son rapport que " il n'y a pas de cohérence entre le nombre définitifs de points attribués à Mme A... par AGIRC ARCCO sur la période 2007/2015, au total 5 148, et ceux qui peuvent résulter des fiches de paie SANOFI (...) cette situation est très probablement due au statut de travailleurs handicapé reconnu à Mme A... mais l'AGIRC ARRCO ne fournit aucun détail. ", et que sur la base des fiches de paie qu'il a reconstituées sur la base d'un temps plein et d'une carrière ininterrompue, l'expert arrive à un nombre de points théoriques de 4 842, inférieur à celui finalement attribué à Mme A... pour sa retraite complémentaire. Dans ces conditions, le préjudice allégué par Mme A... n'est pas établi.

11. Il résulte de ce qui précède que Mme A... est fondée à demander la condamnation de l'AP-HP à lui verser la somme totale de 67 147 euros au titre de son préjudice lié aux pertes de part variable de rémunération et de primes de participation et d'intéressement et de son préjudice de retraite.

Sur l'obligation de l'ONIAM :

12. En vertu du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, l'ONIAM doit assurer, au titre de la solidarité nationale, la réparation des dommages résultant directement d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins à la double condition qu'ils présentent un caractère d'anormalité au regard de l'état de santé du patient comme de l'évolution prévisible de cet état et que leur gravité excède le seuil défini à l'article D. 1142-1 du même code.

13. Il résulte de ce qui précède que les préjudices dont Mme A... demande la réparation sont en lien avec les fautes commises par l'AP-HP. Par suite, l'ONIAM est fondé à demander sa mise hors de cause.

Sur les frais d'expertise :

14. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'État. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. / L'État peut être condamné aux dépens. ".

15. Par deux ordonnances du 3 octobre 2023, les frais et honoraires de l'expertise réalisée par M. B... D... et à M. F... E... ont été liquidés et taxés aux sommes respectives de 5 322,78 euros et de 2 160 euros. Ces frais doivent être mis à la charge définitive de l'AP-HP.

Sur les frais liés à l'instance :

16. Dans les circonstances de l'espèce, alors que dans son arrêt du 18 décembre 2018, qui n'a pas été annulé par le Conseil d'Etat sur ce point, la cour a mis à la charge de l'AP-HP le versement à Mme A... de la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'AP-HP le versement d'une somme supplémentaire au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : L'ONIAM est mis hors de cause.

Article 2 : L'AP-HP est condamnée à verser à Mme A... la somme de 67 147 euros au titre de son préjudice lié aux pertes de part variable de rémunération et de primes de participation et d'intéressement et de son préjudice de retraite.

Article 3 : Le surplus de la demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Paris et des conclusions de sa requête est rejeté.

Article 4 : Les frais d'expertise taxés et liquidés à la somme de 7 482,78 euros sont mis à la charge définitive de l'AP-HP.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A..., à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne, à l'institution de prévoyance APGIS Vincennes, à la caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines, à la caisse régionale d'assurance maladie d'Ile-de-France et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Délibéré après l'audience du 10 juin 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Menasseyre, présidente de chambre,

- Mme Vrignon-Villalba, présidente-assesseure,

- Mme Collet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe de la cour, le 4 juillet 2024.

La rapporteure,

C. Vrignon-VillalbaLa présidente,

A. Menasseyre

La greffière,

N. Couty

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20PA04321


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 20PA04321
Date de la décision : 04/07/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LE GOFF
Rapporteur ?: M. Frank HO SI FAT
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : CABINET J.C.V.B.R.L.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-04;20pa04321 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award