La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

13/06/2024 | FRANCE | N°23PA04593

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 8ème chambre, 13 juin 2024, 23PA04593


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société Kookaï a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 6 septembre 2021 par laquelle le directeur régional et interdépartemental de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Ile-de-France a fixé le montant des honoraires exigibles par le cabinet B... au titre de l'expertise du projet de licenciement collectif pour motif économique de la société et de l'assistance aux organisations syndicales.

r>
Par une ordonnance n° 2201018/3-1 du 14 mars 2022, la présidente de la 3ème section du ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Kookaï a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 6 septembre 2021 par laquelle le directeur régional et interdépartemental de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Ile-de-France a fixé le montant des honoraires exigibles par le cabinet B... au titre de l'expertise du projet de licenciement collectif pour motif économique de la société et de l'assistance aux organisations syndicales.

Par une ordonnance n° 2201018/3-1 du 14 mars 2022, la présidente de la 3ème section du tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 22PA02256 du 29 juillet 2022, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la société Kookaï contre cette ordonnance.

Par une décision n° 467870 du 31 octobre 2023, le Conseil d'Etat statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi formé par la société Kookaï, a annulé cet arrêt et a renvoyé l'affaire à la cour.

Procédure devant la cour avant cassation :

Par une requête enregistrée sous le n° 22PA02256, la société Kookai, représentée par la SELAS Factorhy Avocats, plaidant par Me Desaint, demande à la Cour :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 2201018/3-1 du 14 mars 2022 de la présidente de la 3ème section du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler la décision du directeur régional et interdépartemental de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Ile-de-France du 6 septembre 2021 en ce qu'elle a fixé le montant des honoraires exigibles par le cabinet B... à 115 050 euros HT au titre de l'expertise du projet de licenciement économique de la société et 9 000 euros HT au titre de l'assistance des organisations syndicales ;

3°) de réduire à de plus juste proportions la durée et le montant du coût des missions effectuées par le cabinet B... au regard de la réalité des conditions d'exécution des missions.

Elle soutient que :

- c'est à tort que sa demande, enregistrée au greffe du tribunal administratif de Paris le 14 janvier 2022, a été rejetée comme irrecevable car tardive dès lors qu'en application des dispositions combinées des articles L. 1233-35-1, R. 1233-3-3 et L. 1235-7-1 du code du travail, toute décision rendue par le directeur régional et interdépartemental de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités dans le cadre d'une contestation relative à l'expertise peut être contestée dans un délai de deux mois, comme cela était au demeurant mentionné dans la décision litigieuse au titre des voies et délais de recours, ce délai de recours ne courant qu'à compter de la décision d'homologation ou de validation du plan de sauvegarde de l'emploi, en l'occurrence le 17 novembre 2022 ;

- la décision contestée du directeur régional et interdépartemental de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Ile-de-France du 6 septembre 2021 est insuffisamment motivée au regard de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration ;

- la durée et le coût prévisionnel de l'expertise et de l'assistance confiées par le comité social et économique au cabinet B... étaient manifestement excessifs et disproportionnés ; même après avoir été réduits par la décision contestée du 6 septembre 2021, le montant de ces honoraires demeure manifestement exorbitant ; c'est à tort que le directeur régional et interdépartemental de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Ile-de-France s'est fondé, pour fixer les honoraires du cabinet B..., sur la proposition d'honoraires de février 2021 faite dans le cadre du premier projet de plan de sauvegarde de l'emploi, qui a été contestée devant le juge judiciaire ; s'agissant de la mission d'assistance du comité social et économique, le taux journalier fixé est démesuré et injustifié au regard de la taille de l'entreprise et du nombre de licenciements envisagés ; de plus, l'intervention de collaborateurs ne disposant pas du titre d'expert-comptable ne peut entrainer l'application d'un taux journalier identique à celui d'un expert-comptable diplômé, contrairement à ce qu'a retenu la décision querellée ; par ailleurs, la durée estimée d'intervention de 88,5 jours est excessive et disproportionnée compte tenu, d'une part, du nombre de licenciements envisagés et, d'autre part, du nombre de salariés que compte la société ; s'agissant de la mission d'assistance des organisations syndicales, le taux journalier fixé est très élevé et la prévision de jours de réunion apparaît comme étant manifestement excessive ; de plus, le même taux horaire ne pouvait être appliqué à tous les intervenants, qu'ils aient ou non la qualité d'expert-comptable ; enfin, le cabinet B... a sollicité un double paiement d'honoraires pour les mêmes missions d'expertise et d'assistance.

Par un mémoire en défense, enregistré le 30 juin 2022, le cabinet B..., représenté par Me Novalic, conclut au rejet de la requête et à ce que le versement de la somme de 2 500 euros soit mis à la charge de la société Kookai sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la demande de la société requérante présentée devant le tribunal administratif de Paris est tardive ;

- à titre subsidiaire, la durée et le coût prévisionnel de l'expertise et de l'assistance qui lui ont été confiées par le comité social et économique de la société Kookaï ne sont pas excessifs et disproportionnés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 1er juillet 2022, le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion conclut, à titre principal, au rejet de la requête comme irrecevable en raison de l'incompétence de la juridiction administrative au profit de l'autorité judiciaire, et à titre subsidiaire à la confirmation de la décision contestée du 6 septembre 2021 par laquelle le directeur régional et interdépartemental de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Ile-de-France a réduit les honoraires du cabinet B....

Il soutient que les moyens soulevés par la société Kookai ne sont pas fondés.

En application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, un moyen d'ordre public susceptible d'être relevé d'office a été communiqué aux parties le 8 juillet 2022, tiré de l'irrecevabilité des conclusions tendant à l'annulation de la décision du 6 septembre 2021 du directeur régional et interdépartemental de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Ile-de-France.

Par un mémoire, enregistré le 13 juillet 2022, la société Kookai, représentée par Me Desaint, conclut aux mêmes fins que sa requête.

Elle soutient que le moyen relevé d'office communiqué aux parties le 8 juillet 2022 doit être écarté.

Par un mémoire, enregistré le 13 juillet 2022, le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion conclut aux mêmes fins que son précédent mémoire par les mêmes moyens.

Par un mémoire, enregistré le 22 juillet 2022, le cabinet B..., représenté par Me Novalic, conclut à titre principal à l'irrecevabilité de la demande de première instance et, à titre subsidiaire, à la confirmation de l'ordonnance attaquée en toutes ses dispositions et à la confirmation de la décision litigieuse du 6 septembre 2021.

Il soutient que les moyens soulevés par la société Kookai ne sont pas fondés.

Procédure devant la cour après cassation :

Par des mémoires enregistrés sous le n° 23PA04593 le 7 décembre 2023 et le 12 janvier 2024, la société Kookaï, la SELARLU Ascagne AJ, en la personne de Me Julie Lavoir, et la SELARL AJRS, en la personne de Me Catherine Poli, en leur qualité d'administrateurs judiciaires de la société Kookaï avec pour mission d'assister, représentées par Me Buscarini, persistent dans les conclusions présentées dans la requête.

Elles persistent en outre dans les moyens présentés dans la requête et soutiennent que la juridiction administrative est compétente pour trancher le présent litige.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 décembre 2023, le cabinet B..., représenté par Me Novalic, persiste dans ses conclusions et dans ses moyens.

Il soutient en outre que la société Kookaï contestant le coût final de l'expertise diligentée par le comité social et économique dans le cadre du plan de sauvegarde de l'emploi, cette contestation est irrecevable devant les juridictions administratives et doit être portée devant les juridictions judiciaires.

Par un mémoire enregistré le 5 avril 2024, la société Kookaï, la SELARLU Ascagne AJ, en la personne de Me Lavoir, et la SELARL AJRS, en la personne de Me Poli, en leur qualité d'administrateurs judiciaires de la société Kookaï avec pour mission d'assister, la SELARL Axyme, en la personne de Me Demortier, et la SELAFA Mja, en la personne de Me Leloup-Thomas, en leur qualité de co-mandataires judiciaires de la société Kookai, représentées par Me Buscarini, persistent dans leurs conclusions et dans leurs moyens.

Elles soutiennent en outre que le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 12 mars 2024 n'est pas définitif et qu'il n'emporte pas d'effets sur le caractère disproportionné des honoraires du cabinet B... au titre du second plan de sauvegarde de l'emploi.

Par un mémoire enregistré le 19 avril 2024, le cabinet B... persiste dans ses conclusions et dans ses moyens.

Il soutient que dans son jugement du 12 mars 2024, le tribunal judiciaire de Paris a confirmé le taux journalier qu'il a retenu, soit 1 300 euros HT, et a fixé au passif du redressement judiciaire de la société Kookaï la somme de 6 500 euros HT, soit 7 800 euros TTC, au titre de cinq jours d'expertise intervenus lors de sa première mission.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- l'ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945 ;

- l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Larsonnier,

- les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,

- les observations de Me Buscarini, représentant la société Kookaï,

- les observations de Me Novalic, représentant le cabinet B...,

- et les observations de M. A..., représentant la ministre du travail, de la santé et des solidarités.

Une note en délibéré a été présentée pour le cabinet B... le 27 mai 2024.

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier qu'un projet de réorganisation et un projet de plan de sauvegarde de l'emploi ont été présentés au comité social et économique de la société Kookaï le 19 février 2021. Par une délibération du même jour, le comité social et économique de la société Kookaï a décidé de recourir à l'assistance d'un expert-comptable, en application de l'article L. 1233-34 du code du travail, et a mandaté à cette fin le cabinet d'expertise comptable B.... Par courriel du 29 mars 2021, la société Kookaï a informé le cabinet B... de la suspension de son projet de licenciement collectif. Lors d'une réunion extraordinaire, le 30 juillet 2021, du comité social et économique, la société Kookaï a informé celui-ci de la reprise de ce projet. Par lettres du 31 juillet 2021, le cabinet B... a communiqué à l'employeur ses honoraires prévisionnels actualisés, d'un montant de 151 500 euros hors taxes au titre de sa mission d'assistance auprès du comité, et d'un montant de 14 520 euros hors taxes au titre de sa mission d'assistance auprès des organisations syndicales dans le cadre de la négociation d'un accord collectif majoritaire fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi. Saisi d'une contestation de la société Kookaï sur le fondement de l'article L. 1233-35-1 du code du travail, le directeur régional et interdépartemental de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Ile-de-France a, par une décision du 6 septembre 2021, ramené le montant des honoraires prévisionnels exigibles par le cabinet B... à 115 50 euros hors taxes au titre de sa mission d'assistance auprès du comité social et économique, et à 9 000 euros hors taxes au titre de sa mission d'assistance auprès des organisations syndicales. Par une décision du 17 novembre 2021, le directeur régional et interdépartemental de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Ile-de-France a validé l'accord collectif majoritaire fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi signé le 27 octobre 2021. Par une ordonnance du 14 mars 2022, la présidente de la 3ème section du tribunal administratif de Paris a rejeté, comme tardive, la demande de la société Kookaï tendant à l'annulation de la décision du 6 septembre 2021 par laquelle le directeur régional et interdépartemental de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Ile-de-France a fixé le montant des honoraires prévisionnels exigibles par le cabinet B.... Par un arrêt du 29 juillet 2022, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la société Kookaï contre cette ordonnance. Par une décision du 31 octobre 2023, le Conseil d'Etat, saisi d'un pourvoi formé par la société Kookaï, a annulé cet arrêt et a renvoyé l'affaire à la cour.

Sur le cadre juridique :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 1233-34 du code du travail : " Dans les entreprises d'au moins cinquante salariés, lorsque le projet de licenciement concerne au moins dix salariés dans une même période de trente jours, le comité social et économique peut, le cas échéant sur proposition des commissions constituées en son sein, décider, lors de la première réunion prévue à l'article L. 1233-30, de recourir à une expertise pouvant porter sur les domaines économique et comptable ainsi que sur la santé, la sécurité ou les effets potentiels du projet sur les conditions de travail. / (...) / Le comité social et économique peut également mandater un expert afin qu'il apporte toute analyse utile aux organisations syndicales pour mener la négociation prévue à l'article L. 1233-24-1. / (...) ", laquelle a pour objet la signature d'un accord collectif déterminant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi.

3. D'autre part, l'article L. 2135-86 du code du travail prévoit que le juge judiciaire est compétent pour connaître des recours formés par l'employeur relativement aux expertises décidées par le comité social et économique, " sauf dans le cas prévu à l'article L. 1233-35-1 ". Aux termes de l'article L. 1233-35-1 du même code, créé par l'ordonnance du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et à la sécurisation des relations de travail : " Toute contestation relative à l'expertise est adressée, avant transmission de la demande de validation [de l'accord collectif portant plan de sauvegarde de l'emploi] ou d'homologation [du document unilatéral portant plan de sauvegarde de l'emploi] prévue à l'article L. 1233-57-4, à l'autorité administrative, qui se prononce dans un délai de cinq jours. Cette décision peut être contestée dans les conditions prévues à l'article L. 1235-7-1. ".

4. Enfin, aux termes de l'article L. 1235-7-1 de ce code : " L'accord collectif mentionné à l'article L. 1233-24-1, le document élaboré par l'employeur mentionné à l'article L. 1233-24-4, le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi, les décisions prises par l'administration au titre de l'article L. 1233-57-5 et la régularité de la procédure de licenciement collectif ne peuvent faire l'objet d'un litige distinct de celui relatif à la décision de validation ou d'homologation mentionnée à l'article L. 1233-57-4. / Ces litiges relèvent de la compétence, en premier ressort, du tribunal administratif, à l'exclusion de tout autre recours administratif ou contentieux. / Le recours est présenté dans un délai de deux mois par l'employeur à compter de la notification de la décision de validation ou d'homologation, et par les organisations syndicales et les salariés à compter de la date à laquelle cette décision a été portée à leur connaissance conformément à l'article L. 1233-57-4. / Le tribunal administratif statue dans un délai de trois mois. Si, à l'issue de ce délai, il ne s'est pas prononcé ou en cas d'appel, le litige est porté devant la cour administrative d'appel, qui statue dans un délai de trois mois. Si, à l'issue de ce délai, elle ne s'est pas prononcée ou en cas de pourvoi en cassation, le litige est porté devant le Conseil d'Etat. / Le livre V du code de justice administrative est applicable. ".

5. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que l'employeur est recevable à contester devant le juge administratif la décision de l'administration se prononçant sur le montant des honoraires prévisionnels de l'expert mandaté par le comité social et économique sur le fondement des dispositions de l'article L. 1233-34 du code du travail, citées au point 2, y compris en l'absence de litige relatif à la décision de validation de l'accord collectif ou d'homologation du document unilatéral portant plan de sauvegarde de l'emploi. Dans cette dernière hypothèse, si la contestation de la décision de l'administration portant sur le montant des honoraires prévisionnels de l'expertise doit, en vertu des dispositions de l'article L. 1235-7-1 du même code, citées au point 4, auxquelles renvoie l'article L. 1233-35-1 de ce code, cité au point 3, être formée dans le délai de deux mois à compter de la notification à l'employeur de la décision de validation ou d'homologation auprès du tribunal administratif compétent pour connaître d'un litige relatif à cette dernière décision, le tribunal administratif n'est pas tenu de statuer sur cette contestation autonome dans un délai de trois mois.

Sur l'exception d'incompétence de la juridiction administrative :

6. Il résulte de l'instruction que la société Kookaï conteste la décision du directeur régional et interdépartemental de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Ile-de-France du 6 septembre 2021 en ce qu'elle a fixé le montant des honoraires prévisionnels par le cabinet B..., mandaté par le comité social et économique (CSE) sur le fondement des dispositions de l'article L. 1233-34 du code du travail, à 115 050 euros hors taxes (HT) au titre de l'expertise du projet de licenciement collectif pour motif économique de la société et 9 000 euros HT au titre de l'assistance des organisations syndicales à la négociation d'un accord et non, comme le soutiennent le cabinet B... et l'administration devant la cour, le coût final de cette expertise. Par suite, en application des dispositions du code du travail et des principes énoncés aux points 2 à 5, l'exception d'incompétence de la juridiction administrative opposée par la ministre du travail et le cabinet B... doit être écartée.

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

7. Il résulte de l'instruction, ainsi qu'il a été dit au point 1, que par une décision du 17 novembre 2021, le directeur régional et interdépartemental de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Ile-de-France a validé l'accord collectif majoritaire fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) de la société Kookaï signé le 27 octobre 2021 et que cette décision n'a pas été contestée devant le juge administratif. La société Kookaï a formé le 14 janvier 2022, devant le tribunal administratif de Paris, un recours contre la décision du 6 septembre 2021 du directeur régional et interdépartemental de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Ile-de-France, tendant à obtenir la réduction du montant du coût des missions effectuées par le cabinet B.... Cette demande a été présentée dans le délai de deux mois courant à compter de la notification à l'employeur de la décision du 17 novembre 2021 validant le contenu du PSE. Il résulte de ce qui a été exposé au point 5 que la société Kookaï est, dès lors, fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, la présidente de la 3ème section du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande comme tardive.

8. Par suite, il y a lieu d'annuler l'ordonnance, d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la société Kookaï devant le tribunal administratif de Paris.

Sur les frais et les honoraires du cabinet B... :

9. La décision de l'administration se prononçant sur le montant des honoraires prévisionnels de l'expert mandaté par le comité social et économique d'une entreprise d'au moins cinquante salariés dans le cadre d'un projet de licenciement fixe le coût horaire et le nombre d'heures de travail envisagés par l'expert, déterminant ainsi, le plus souvent, le coût final de l'expertise. Le recours qui, en application de l'article L. 1233-35-1 du code du travail, peut être formé contre cette décision, recours qui ne saurait avoir pour seul objet d'obtenir l'annulation de la décision, mais impose au juge de déterminer les droits à rémunération prévisionnelle de l'expert, est un recours de plein contentieux.

10. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que, eu égard tant à la finalité de son intervention qui tend à déterminer, de façon prévisionnelle, les droits à rémunération de l'expert, qu'à sa qualité de juge de plein contentieux, il n'appartient pas au juge administratif de se prononcer sur les éventuels vices propres de la décision attaquée, mais d'examiner ces droits à rémunération au regard des dispositions applicables et des circonstances de fait dont il est justifié à la date de sa propre décision. Il suit de là que la société requérante ne peut utilement invoquer, pour contester le montant des frais et honoraires de l'expertise arrêté par la décision contestée, l'irrégularité formelle qui l'affecterait et tenant à son insuffisante motivation. Par suite, ce moyen ne peut qu'être écarté.

11. En second lieu, aux termes de l'article L. 2315-92 du code du travail : " I.-Un expert-comptable peut être désigné par le comité social et économique : (...) 3° En cas de licenciements collectifs pour motif économique, dans les conditions prévues aux articles L. 1233-34 et suivants ; (...) / II.-Le comité peut également mandater un expert-comptable afin qu'il apporte toute analyse utile aux organisations syndicales pour préparer les négociations prévues aux articles L. 2254-2 et L. 1233-24-1. Dans ce dernier cas, l'expert est le même que celui désigné en application du 3° du I ". Aux termes de l'article 24 de l'ordonnance du 19 septembre 1945 portant institution de l'ordre des experts-comptables et réglementant le titre et la profession d'expert-comptable dans sa version en vigueur depuis le 24 mai 2019 : " Les membres de l'ordre, les sociétés pluri-professionnelles d'exercice, les succursales et les professionnels ayant été autorisés à exercer partiellement l'activité d'expertise comptable reçoivent pour tous les travaux entrant dans leurs attributions, des honoraires qui sont exclusifs de toute autre rémunération indirecte, d'un tiers, à quelque titre que ce soit. / Ces honoraires doivent être équitables et constituer la juste rémunération du travail fourni comme du service rendu. / Leur montant et leurs modalités sont convenus par écrit avec les clients librement et préalablement à l'exercice des missions. (...) ".

12. Les honoraires prévisionnels présentés par le cabinet B... à la société Kookaï le 31 juillet 2021, correspondaient à la somme d'un montant de 151 500 euros HT au titre de l'expertise du projet de licenciement collectif pour motif économique de la société, estimée à une durée de cent un jours à un taux journalier de 1 500 euros HT, et d'un montant de 14 520 euros HT au titre de sa mission d'assistance auprès des organisations syndicales dans le cadre de la négociation d'un accord collectif majoritaire fixant le contenu du PSE, pour une durée fixée à six jours et un taux de 1 500 euros HT. Ces sommes ont été ramenées par la décision attaquée aux montant des honoraires prévisionnels correspondant aux propositions présentées par l'expert le 22 février 2021 dans le cadre du premier projet de PSE abandonné par la société Kookaï en mars 2021, soit respectivement 115 050 euros HT et 9 000 euros HT. La société requérante soutient que les honoraires prévisionnels du cabinet B... restent excessifs et disproportionnés au regard notamment, d'une part, du nombre total de ses salariés, du nombre d'emplois concernés par le projet de réorganisation et le PSE et de la qualification des collaborateurs chargés d'effectuer les missions sous la responsabilité d'un expert-comptable et, d'autre part, des pratiques habituelles des autres experts.

En ce qui concerne la mission d'assistance au CSE dans le cadre du projet de licenciement collectif pour motif économique :

13. Il résulte de l'instruction que la société Kookaï appartient, depuis 2017, au groupe australien Magi. Au 1er juillet 2021, l'effectif de la société était de 357 salariés et le projet de réorganisation envisagé consistait en la suppression de vingt-cinq postes, la modification d'un poste et la création de cinq postes. Il ressort du courrier adressé le 31 juillet 2021 par le cabinet B... au secrétaire du CSE de la société Kookaï que la mission d'assistance au CSE dans le cadre du projet de licenciement collectif pour motif économique comprenait la gestion de projet, consistant notamment en l'assistance du CSE, l'aide à la rédaction de l'avis et la participation aux réunions préparatoires et plénières, et l'analyse de la situation économique et financière du groupe Maggi, du motif économique invoqué par la société Kookaï, du projet de réorganisation à l'origine des suppressions de postes envisagés, du collectif de travail impacté et du contexte socioéconomique, des mesures sociales d'accompagnement ainsi que des conséquences du projet sur la santé, la sécurité et les conditions de travail des salariés. Il résulte de l'instruction que ces missions étaient confiées à trois experts-comptables et à cinq collaborateurs dont un juriste en droit social disposant de quinze années d'expérience professionnelle, un consultant en diagnostic économique et financier et une experte en santé, sécurité et conditions de travail disposant notamment de dix ans d'expérience dans la prévention des risques et qu'elles s'effectueraient au taux journalier de 1 300 euros HT sur une période de quatre-vingt-huit jours et demi, décomposée en six jours réservés pour la " mise en place et la coordination ", dix-huit jours et demi dévolus aux " entretiens avec temps de préparation et de compte-rendu ", cinquante-huit jours consacrés aux " traitement, analyses et rédaction " et six jours réservés pour des " réunions avec le CSE et de restitution ".

14. Si la société Kookaï soutient que le taux journalier de 1 300 euros HT est excessif au regard de la pratique habituelle des autres cabinets d'expertise-comptable et cite à l'appui de ses affirmations plusieurs décisions des juridictions judiciaires, il ressort cependant des décisions qu'elle produit à l'appui de ses prétentions que le taux journalier qui y figure se situe entre 1 392 et 1 544 euros HT, soit un taux journalier plus élevé que celui du cabinet B..., pour des missions, qui au demeurant ne sont pas détaillées et concernent des effectifs inférieurs à celui de la société Kookaï. La société requérante ne verse pas d'autres pièces aux débats, alors que le taux pratiqué par le cabinet B... se situe à l'intérieur de la fourchette des taux actuellement pratiqués par les experts comptables en région parisienne sur ce type de mission. Dans ces conditions, eu égard à la circonstance que l'appartenance de la société Kookaï à un groupe étranger induisait pour le cabinet B... de procéder à une analyse de la situation économique et financière de ce groupe, ce qui allongeait nécessairement la durée de l'expertise et pouvait la complexifier, à l'effectif important des salariés de la société Kookaï, même si seulement vingt-cinq postes étaient impactés par le projet de réorganisation, à l'intervention de trois experts-comptables et de trois collaborateurs bénéficiant d'une forte expérience professionnelle dans les secteurs concernés par la mission d'expertise, il ne résulte pas de l'instruction que le taux journalier et la durée de la mission retenus par le cabinet B..., quand bien même celui-ci a mentionné un taux journalier global et n'a pas précisé le taux journalier des trois experts-comptables et celui des collaborateurs, seraient, eu égard à l'étendue de sa mission, disproportionnés ou excessifs.

15. Il résulte toutefois également de l'instruction, notamment de la facture établie le 30 mars 2021, que le cabinet B... avait déjà facturé à la société Kookaï des honoraires dans le cadre de sa mission d'assistance au CSE au titre du premier projet de PSE suspendu le 29 mars 2021, s'élevant à 74 750 euros HT pour 57,5 jours de travail. Si dès le 22 février 2021, le cabinet B... a adressé un courriel au président du CSE de la société Kookaï afin d'obtenir les documents nécessaires à l'accomplissement de sa mission, il résulte de l'instruction qu'à la date du 24 mars 2021, il n'avait pas encore reçu l'ensemble de ces documents, pourtant nécessaires au traitement, à l'analyse et à la rédaction du projet. Au vu des pièces versées aux débats, et eu égard au caractère incomplet des éléments transmis, il apparaît que les tâches qu'il avait accomplies avant la suspension du projet de PSE le 29 mars 2021, bien que facturées à hauteur de 57,5 jours de travail, ne pouvaient correspondre qu'à l'équivalent à de cinq jours de travail, correspondant à un montant d'honoraires de 6 500 euros HT, comme l'a au demeurant jugé le tribunal judiciaire de Paris le 12 mars 2024. Les tâches accomplies lors de ces premières journées de travail ont nécessairement été exploitées par le cabinet B... dans le cadre de sa mission au titre du second projet de PSE. Dans ces conditions, il ne pouvait à nouveau facturer à l'employeur ces mêmes tâches au titre de " la mise en place et la coordination " de sa mission. Il convient ainsi de déduire de la somme de 115 050 euros HT retenue par le directeur régional et interdépartemental de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Ile-de-France la somme de 6 500 euros HT correspondant à l'équivalent de cinq jours de travail effectués avant le 29 mars 2021. Il s'ensuit que le montant des honoraires prévisionnels exigibles du cabinet B... au titre de sa mission d'assistance au CSE dans le cadre du second projet de PSE doit être ramené à 108 550 euros HT.

En ce qui concerne la mission d'assistance des organisations syndicales de la société Kookaï à la négociation d'un accord :

16. Il ressort du courrier adressé le 31 juillet 2021 par le cabinet B... au président du CSE de la société Kookaï que dans le cadre de la mission d'assistance des organisations syndicales à la négociation d'un accord, les organisations syndicales ont souhaité l'organisation systématique d'une réunion préparatoire avant toute réunion de négociation, que six réunions de négociations étaient programmées et que la mission était conduite par M. B..., expert-comptable et M. Bernard, juriste en droit social disposant d'une expérience professionnelle de quinze ans. La société requérante soutient que le taux journalier fixé pour cette mission à 1 500 euros HT est excessif dès lors que celui fixé par les autres experts-comptables est de l'ordre de 1 000 à 1 200 euros HT. Cependant, elle mentionne également un arrêt du tribunal de grande instance de Paris du 10 mars 2016 retenant, pour une mission d'assistance aux organisations syndicales d'une entreprise de 65 salariés dont tous les postes étaient supprimés, treize jours de mission et des honoraires de 18 330 euros HT, soit un taux journalier de 1 410 euros. Eu égard à la nature de la mission et au nombre de réunions de négociations prévues par le CSE et de réunions préparatoires sollicitées par les organisations syndicales, ni la durée de la mission fixée à six jours, ni le taux journalier retenu par le cabinet B..., supérieur seulement de 90 euros au taux journalier retenu le 10 mars 2016 par une décision du tribunal de grande instance de Paris relativement ancienne dont se prévaut la requérante, et même si le taux journalier de M. B..., expert-comptable et celui de son collaborateur ne sont pas précisés, ne sont pas excessifs ou disproportionnés. En outre, alors que les dispositions de l'article L. 2315-92 du code du travail citées au point 11 distinguent, d'une part, la mission d'assistance au CSE dans le cadre du projet de licenciement collectif pour motif économique et, d'autre part, la mission d'assistance des organisations syndicales à la négociation d'un accord, il ne ressort pas de la présentation par le cabinet B... des différentes actions menées dans le cadre de ces missions, même si les informations recueillies et l'analyse effectuée dans le cadre de la première mission sont nécessairement utilisées pour mener à bien la seconde mission d'assistance, que celui-ci aurait facturé deux fois les mêmes prestations. Par suite, le directeur régional et interdépartemental de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Ile-de-France n'a pas commis d'erreur d'appréciation en retenant le coût prévisionnel de 9 000 euros HT au titre de la mission d'assistance des organisations syndicales de la société Kookaï à la négociation d'un accord.

17. Il résulte de tout ce précède que le montant des honoraires prévisionnels exigibles du cabinet B... au titre de sa mission d'assistance au CSE dans le cadre du second projet de PSE doit être ramené à 108 550 euros HT et que, par suite, la décision du 6 septembre 2021 du directeur régional et interdépartemental de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Ile-de-France modifiée en ce sens.

Sur les frais liés à l'instance :

18. La société Kookaï n'étant pas la partie perdante dans la présente instance, les conclusions présentées par le cabinet B... tendant à ce qu'une somme soit mise à sa charge sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

D É C I D E :

Article 1er : L'ordonnance du 14 mars 2022 de la présidente de la 3ème section du tribunal administratif de Paris est annulée.

Article 2 : Le montant des honoraires prévisionnels exigibles du cabinet B... au titre de la mission d'assistance au comité social et économique dans le cadre du projet de licenciement collectif pour motif économique de la société Kookaï est ramené de 115 050 euros HT à 108 550 euros HT.

Article 3 : La décision du 6 septembre 2021 du directeur régional et interdépartemental de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Ile-de-France est modifiée conformément à l'article 2.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Kookaï, au cabinet B... et à la ministre du travail, de la santé et des solidarités.

Copie pour information sera transmise à la SELARLU Ascagne AJ, en la personne de Me Julie Lavoir, à la SELARL AJRS, en la personne de Me Catherine Poli, en leur qualité d'administrateurs judiciaires de la société Kookaï avec pour mission d'assister, à la SELARL Axyme, en la personne de Me Demortier, et la SELAFA Mja, en la personne de Me Leloup-Thomas, en leur qualité de co-mandataires judiciaires de la société Kookai.

Délibéré après l'audience du 23 mai 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Menasseyre, présidente de chambre,

- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,

- Mme Larsonnier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 juin 2024.

La rapporteure,

V. Larsonnier La présidente,

A. Menasseyre

Le greffier,

P. Tisserand

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 23PA04593 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA04593
Date de la décision : 13/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme MENASSEYRE
Rapporteur ?: Mme Virginie LARSONNIER
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : FACTORHY AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 16/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-13;23pa04593 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award