Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. J... D..., Mme I... D... et Mme H... D... ont demandé au tribunal administratif de Melun de condamner l'Assistance publique-hôpitaux de Paris à leurs verser la somme totale de 280 000 euros, en réparation des préjudices subis à la suite de la prise en charge de leur épouse et mère le 22 décembre 2014 à l'hôpital Henri-Mondor, assortie des intérêts au taux légal à compter du 3 mai 2021.
Par un jugement n° 2107095 du 17 novembre 2023, le tribunal administratif de Melun a condamné l'Assistance publique-hôpitaux de Paris à verser à M. G... la somme de 55 000 euros et à Mme I... D... et Mme H... D... la somme de 17 000 euros chacune, avec intérêts au taux légal à compter du 6 mai 2021.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 17 janvier 2024, l'Assistance publique-hôpitaux de Paris, représentée par Me Tsouderos, demande à la cour :
1°) de réformer le jugement du 17 novembre 2023 du tribunal administratif de Melun en ce qu'il n'a pas retenu une perte de chance pour Mme D... d'éviter le dommage survenu lors de l'intervention chirurgicale du 22 décembre 2014 ;
2°) de réduire le montant des indemnités allouées aux consorts D... en réparation de leurs préjudices à de plus justes proportions.
Elle soutient que :
- la faute consistant en un retard à la laminectomie de C2-C3 n'a été à l'origine que d'une perte de chance d'éviter la survenance de la compression médullaire à l'origine de la tétraplégie de Mme D... ; même en l'absence de toute faute, la patiente se trouvait en effet exposée au risque de compression médullaire qui s'est réalisé ;
- le taux de perte de chance ne saurait être évalué à plus de 50 % ;
- en tout état de cause, le montant des indemnités alloués par les premiers juges excède la stricte réparation des préjudices subis par les consorts D....
Par un mémoire en défense et en appel incident, enregistré le 19 février 2024, M. J... D..., Mme I... D... et Mme H... D..., représentés par Me Bonin, demandent à la cour :
à titre principal,
1°) de rejeter la requête ;
2°) de réformer le jugement du 17 novembre 2023 du tribunal administratif de Melun en ce qu'il n'a pas entièrement fait droit à leur demande indemnitaire ;
3°) de porter à 140 000 euros la somme que l'AP-HP doit être condamnée à verser à M. J... D..., en réparation des préjudices subis à la suite de la prise en charge de son épouse à l'hôpital Henri-Mondor le 22 décembre 2014, assortie des intérêts au taux légal à compter du 3 mai 2021 ;
4°) de porter à 70 000 euros la somme que l'AP-HP doit être condamnée à verser respectivement à Mme I... D... et à Mme H... D... en réparation de leurs préjudices, assortie des intérêts au taux légal à compter du 3 mai 2021 ;
à titre subsidiaire,
5°) d'évaluer le taux de perte de chance d'éviter la survenance de la compression médullaire à l'origine de la tétraplégie de Mme D... à 95 % ;
6°) de porter à 133 000 euros la somme que l'AP-HP doit être condamnée à verser à M. J... D... en réparation de ses préjudices, assortie des intérêts au taux légal à compter du 3 mai 2021 ;
7°) de porter à 66 500 euros la somme que l'AP-HP doit être condamnée à verser respectivement à Mme I... D... et à Mme H... D... en réparation de leurs préjudices, assortie des intérêts au taux légal à compter du 3 mai 2021 ;
8°) de mettre à la charge de l'AP-HP la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- les premiers juges ne se sont pas prononcés sur leur préjudice d'accompagnement ;
- le choix thérapeutique de ne pas effectuer de laminectomie en C2-C3 dès la première intervention est constitutif d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'AP-HP ; cette faute constitue la cause directe, unique et exclusive de la survenue du dommage de Mme D... ;
- retenir une perte de chance d'éviter la survenance de la compression médullaire à l'origine de la tétraplégie de Mme D... méconnaîtrait l'autorité de la chose jugée par la cour dans ses arrêts du 24 mai 2023 et du 20 juin 2019 ;
- le préjudice moral, le préjudice d'affection, les troubles de toute nature dans les conditions d'existence de Mmes D..., enfants majeurs vivant au domicile de leur mère au jour de l'accident médical fautif du 22 décembre 2014, doivent être réparés par le versement d'une somme de 20 000 euros chacune ;
- le préjudice moral, le préjudice d'affection, le préjudice sexuel et les troubles de toute nature dans les conditions d'existence de M. D... doit être évalué à 40 000 euros ;
- le préjudice d'accompagnement de M. D..., qui a notamment été contraint de cesser toute activité professionnelle pour apporter une aide à son épouse, doit être évalué à 100 000 euros ;
- le préjudice d'accompagnement de Mmes D..., qui apportent une aide quotidienne à leur mère, doit être évalué à 50 000 euros chacune ;
à titre subsidiaire,
- le taux de perte de chance d'éviter la survenance de la compression médullaire à l'origine de la tétraplégie de Mme D... doit être évalué à 95 % dès lors notamment que la survenue d'une atteinte médullaire à l'origine de la décompensation neurologique observée chez Mme D... est apparue " en post opératoire immédiat " exactement à l'endroit où le chirurgien n'a pas procédé à cette décompression et que cette complication ne survient en moyenne, selon la littérature médicale citée par le professeur B..., expert judiciaire, que dans 5 % des cas.
Par un courrier du 18 avril 2024, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la cour était susceptible de soulever d'office le moyen tiré de ce qu'en accordant à M. C... la somme de 55 000 euros et à Mmes C... la somme respective de 17 000 euros alors que ces derniers avaient limité les prétentions qu'ils avaient soumises au tribunal dans le délai de recours aux sommes respectives de 30 000 euros et 15 000 euro, le tribunal a fait droit à des conclusions irrecevables.
Par des mémoires complémentaires et en réponse au moyen d'ordre public, enregistrés les 24 avril et 6 mai 2024, l'Assistance publique-hôpitaux de Paris persiste dans ses conclusions et dans ses moyens.
Elle ajoute qu'en ce qu'elles excédaient le montant des demandes formées avant l'expiration du délai de recours, les demandes des consorts D... n'étaient pas recevables et que c'est au prix d'une erreur de droit que les premiers juges y ont partiellement fait droit.
Par un mémoire complémentaire et en réponse au moyen d'ordre public et un mémoire récapitulatif, enregistré les 29 avril et 7 mai 2024, M. J... D..., Mme I... D... et Mme H... D..., persistent dans leurs conclusions et dans leurs moyens.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Larsonnier,
- les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,
- et les observations de Me Bonin, avocat des consorts D....
Considérant ce qui suit :
1. Le 22 décembre 2014, Mme D... a subi à l'hôpital Henri-Mondor une laminectomie cervicale C3-C7 afin de traiter une myélopathie cervicarthrosique. A la suite de cette intervention chirurgicale, elle a présenté une tétraparésie spastique sévère. Par un arrêt n° 21PA00389 du 24 mai 2023, la cour a ramené à 474 048,04 euros la somme que l'Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP) avait été condamnée à verser à Mme D... en réparation de ses préjudices par un jugement du 6 novembre 2020 du tribunal administratif de Melun et a condamné l'AP-HP à lui verser une rente trimestrielle de 12 360 euros. Par un courrier du 3 mai 2021, M. D..., Mme I... D... et Mme H... D..., mari et filles de Mme D..., ont, agissant en leur nom personnel, adressé à l'AP-HP une demande indemnitaire préalable qui a été implicitement rejetée. Par un jugement du 17 novembre 2023, le tribunal administratif de Melun a condamné l'AP-HP à verser à M. G... la somme de 55 000 euros et à Mme I... D... et Mme H... D... la somme de 17 000 euros chacune, assorties des intérêts au taux légal. L'AP-HP relève appel de ce jugement. Les consorts D... demandent à la cour, par la voie de l'appel incident, la réformation de ce jugement en tant qu'il n'a pas entièrement fait droit à leur demande indemnitaire.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Si les consorts D... entendent soutenir que les premiers juges ont omis de répondre à leur demande d'indemnisation d'un préjudice d'accompagnement, il ressort du point 7 du jugement que les premiers juges ont procédé à l'évaluation du " préjudice résultant des troubles de toute nature dans leurs conditions d'existence causés par les conséquences qu'a entraîné, pour la victime directe, la faute commise par l'Assistance publique-hôpitaux de Paris ". Il ressort des écritures produites par les appelants devant le tribunal qu'ils demandaient, en faisant état d'un " préjudice d'accompagnement ", la réparation de leur renonciation à des activités personnelles, familiales et professionnelles du fait de leur soutien accordé à la victime, c'est-à-dire l'incidence de ce soutien et de l'assistance apportés à la victime sur leurs propres conditions d'existence. En indemnisant les troubles de toute nature dans les conditions d'existence des consorts D..., les premiers juges ont répondu à la demande d'indemnisation du préjudice que les appelants qualifiaient de préjudice d'accompagnement. Par suite, le moyen tiré de ce que le tribunal aurait omis de se prononcer sur ce chef de préjudice doit être écarté.
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
3. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. / Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle. (...) ". Dans le contentieux indemnitaire, la victime est recevable à demander au juge administratif, dans les deux mois suivant la notification de la décision ayant rejeté sa réclamation, et, au plus tard, dans les deux mois à compter de la date de la saisine du tribunal, la condamnation de l'administration à l'indemniser de tout dommage ayant résulté du fait générateur auquel elle impute ses dommages, y compris en invoquant des chefs de préjudice qui n'étaient pas mentionnés dans sa réclamation. Si, une fois expiré ce délai de deux mois, la victime peut augmenter ses prétentions en demandant réparation de dommages qui, tout en étant causés par le même fait générateur, sont nés, ou se sont aggravés, ou ont été révélés dans toute leur ampleur postérieurement à la décision administrative ayant rejeté sa réclamation, elle ne peut, en dehors de ces circonstances, présenter des prétentions excédant la limite du montant total figurant dans les conclusions de sa demande contentieuse.
4. Il ressort des pièces du dossier que dans leur demande, enregistrée au greffe du tribunal le 28 juillet 2021, les consorts E... ont sollicité la condamnation de l'AP-HP à verser à M. E... la somme globale de 30 000 euros et à Mme I... E... et Mme K... E... la somme de 15 000 euros chacune en réparation de leurs préjudices. Dans leur mémoire enregistré le 22 juin 2023, c'est-à-dire après l'expiration du délai de recours contentieux, les consorts E... ont porté leurs prétentions indemnitaires à 140 000 euros pour M. E... et à 70 000 euros chacune pour Mme I... E... et Mme K... E....
5. Il résulte de l'instruction, alors que la nouvelle expertise ordonnée par la cour dans son arrêt avant-dire-droit du 22 décembre 2021 portait principalement sur les causes de l'œdème médullaire présenté par Mme E... à la suite de l'intervention chirurgicale du 22 décembre 2014, que l'état de santé de la patiente, restée atteinte d'une tétraparésie spastique sévère à la suite de cette intervention chirurgicale, était connu dès le premier rapport d'expertise du 27 octobre 2016 et n'avait pas évolué depuis cette date. Ainsi, il ressort notamment des deux rapports d'expertise que les experts ont évalué le déficit fonctionnel permanent dont elle est atteinte du fait de la faute imputable à l'AP-HP respectivement à 60 % et 65 % et ont retenu le même nombre d'heures au titre de l'assistance apportée par une tierce personne à Mme D..., soit huit heures par jour, depuis sa sortie de l'hôpital le 6 novembre 2015. Dans ces conditions, les consorts E... ont eu connaissance de leurs préjudices, notamment de leurs préjudices d'accompagnement et d'affection, révélés dans toute leur ampleur dès le 27 octobre 2016. Ils ne sont, dès lors, pas fondés à soutenir qu'ils n'ont eu connaissance de l'ampleur de leurs préjudices qu'à la suite du dépôt, le 16 juin 2022, du rapport d'expertise. Il s'ensuit que les conclusions contenues dans le mémoire enregistré devant le tribunal le 22 juin 2023, après l'expiration du délai de recours, par lesquelles ils augmentaient leurs prétentions étaient irrecevables. Les premiers juges ne pouvaient, dès lors, faire droit, même partiellement, à ces dernières conclusions. Par ailleurs, les consorts D... ne peuvent pas utilement invoquer le décès de Mme D... qui est intervenu postérieurement à leur mémoire présenté le 22 juin 2023 devant le tribunal. Par suite, l'AP-HP est fondée à soutenir qu'en faisant partiellement droit aux prétentions de M. D... et de ses filles excédant les montants présentés dans leur demande, le tribunal a fait droit à des conclusions irrecevables. Il suit de là que le jugement du 17 novembre 2023 doit, dans cette mesure, être annulé.
Sur la responsabilité de l'AP-HP :
6. Il résulte de l'instruction, notamment des rapports d'expertise du professeur A..., désigné par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux de la région Ile-de-France et du professeur B..., correspondant à la nouvelle expertise ordonnée par la cour dans son arrêt avant dire droit du 22 décembre 2021, que dans le cas particulier de Mme D..., qui présentait une myélopathie cervicarthrosique caractérisée par une compression médullaire cervicale importante du bord inférieur de la vertèbre cervicale C2 à la vertèbre cervicale C6 associée à une calcification, épaisse et étendue, du ligament vertébral commun postérieur, la laminectomie cervicale devait être effectuée de manière plus étendue que dans le cas d'une myélopathie par arthrose classique et comprendre ainsi un geste chirurgical de décompression complémentaire effectué au niveau au-dessus et au niveau en-dessous des limites de la calcification. Dans ces conditions, en n'effectuant pas lors de l'intervention chirurgicale du 22 décembre 2014 une laminectomie cervicale jusqu'au niveau C2, le chirurgien a commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'AP-HP, ce qui n'est au demeurant pas contesté par l'AP-HP.
7. Il résulte également de l'instruction, ainsi qu'il a déjà été dit, que dans le cas d'une myélopathie cervicarthrosique associée à une ossification du ligament vertébral commun postérieur, il convient, dans le cadre d'une laminectomie cervicale, de pratiquer un geste chirurgical de décompression médullaire cervicale complémentaire effectué au niveau au-dessus et au niveau en-dessous des limites de la calcification afin d'éviter un effet classique de tension du cordon médullaire lors de la décompression. Or, il ressort des rapports d'expertise que l'IRM réalisée en urgence à la suite de la première intervention chirurgicale montre une compression médullaire très importante en C2C3, c'est-à-dire immédiatement au-dessous de la jonction C2C3, qui aurait dû être d'emblée décomprimée, du fait d'une poussée d'œdème médullaire avec infarcissement médullaire. Le professeur B... relève expressément que " le geste mené l'a été de façon adaptée dans sa technique, mais n'a intéressé selon le compte rendu opératoire que les niveaux de C3 à C6. En post-opératoire immédiat il a été constaté une tétraplégie imposant une IRM en urgence constatant la persistance d'une compression médullaire avec souffrance médullaire en partie haute de la laminectomie, en regard de C2 et du niveau C2C3 incomplètement décomprimé : ce geste réalisé de façon incomplète au niveau C2C3 est à l'origine de la décompensation neurologique observée, qui, dès sa constatation, sera prise en charge de façon adaptée, ce qui ne permettra toutefois pas une récupération complète ". Il en déduit que " la libération du fourreau médullaire par laminectomie a été trop limitée en partie haute du rachis ; il était attendu une libération effective allant du niveau C2 à C7 ce qui n'a pas été le cas : la décompensation médullaire observée (avec œdème et souffrance médullaire) est liée pour partie à l'insuffisance de décompression ". Au vu de ces éléments, la compression médullaire, qui a causé les troubles dont Mme D... a été atteinte immédiatement et dont la réintervention d'urgence n'a pu permettre la récupération, apparaît être la conséquence directe de la faute commise. Il s'ensuit que la responsabilité de l'AP-HP se trouve engagée à raison de la totalité du dommage corporel et que la déduction du professeur B... selon laquelle " l'ensemble de ces manquements peut être assimilé à une perte de chance d'éviter une complication inhérente à cette chirurgie, cette perte de chance pouvant être proposée à hauteur de 50 % responsable de l'évolution clinique observée à appliquer à l'ensemble des postes de préjudice " ne peut être retenue, l'erreur commise au cours de la première intervention ayant entièrement causé le dommage de la patiente, lequel n'aurait pas été provoqué, comme l'a précisé l'expert, par un geste chirurgical de décompression médullaire cervicale complémentaire effectué au niveau au-dessus et au niveau en-dessous des limites de la calcification afin d'éviter un effet classique de tension du cordon médullaire lors de la décompression. Ainsi, la faute commise est à l'origine du dommage lui-même et n'a pas compromis les chances de la patiente d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation. Par suite, l'AP- HP n'est pas fondée à soutenir que le caractère incomplet du geste chirurgical effectué lors de la laminectomie cervicale le 22 décembre 2014 aurait été seulement à l'origine d'une perte de chance, pour Mme D..., d'éviter la survenance de la compression médullaire à l'origine de la tétraplégie dont elle reste atteinte.
Sur l'évaluation des préjudices :
8. La personne qui a demandé en première instance la réparation des conséquences dommageables d'un fait qu'elle impute à une administration est recevable à détailler ces conséquences devant le juge d'appel, en invoquant le cas échéant des chefs de préjudice dont elle n'avait pas fait état devant les premiers juges, dès lors que ces chefs de préjudice se rattachent au même fait générateur. Cette personne n'est toutefois recevable à majorer ses prétentions en appel que si le dommage s'est aggravé ou s'est révélé dans toute son ampleur postérieurement au jugement qu'elle attaque. Il suit de là qu'il appartient au juge d'appel d'évaluer, à la date à laquelle il se prononce, les préjudices invoqués, qu'ils l'aient été dès la première instance ou le soient pour la première fois en appel, et de les réparer dans la limite du montant total demandé devant les premiers juges. Il ne peut mettre à la charge du responsable une indemnité excédant ce montant que si le dommage s'est aggravé ou révélé dans toute son ampleur postérieurement au jugement attaqué.
9. Ainsi qu'il a été dit au point 4, les consorts E... ont eu connaissance de leurs préjudices, notamment de leurs préjudices d'accompagnement et d'affection, révélés dans toute leur ampleur dès le 27 octobre 2016, date de la remise du premier rapport d'expertise. Par ailleurs, la cause du décès de Mme E... le 12 avril 2024 au Sri Lanka n'étant pas précisée, le lien entre son décès et la faute chirurgicale commise le 22 décembre 2014 n'est pas établi. Dans ces conditions, les consorts D... ne peuvent pas invoquer une aggravation de leurs préjudices postérieurement au jugement attaqué.
En ce qui concerne les préjudices de M. D... :
S'agissant du préjudice d'affection :
10. Il résulte de l'instruction que M. D... a subi un préjudice d'affection du fait de la dégradation de l'état de santé de son épouse qui, à la suite de l'erreur chirurgicale commise lors de l'intervention du 22 décembre 2024, est restée atteinte, ainsi qu'il a déjà été dit, d'une tétraparésie spastique sévère. Les premiers juges ont procédé à une juste appréciation de son préjudice en l'évaluant à la somme de 15 000 euros.
S'agissant des autres préjudices :
11. Il résulte de l'instruction, notamment des rapports d'expertise, que Mme D... était lourdement handicapée du fait d'une spasticité et d'un déficit moteur des membres supérieurs et inférieurs l'obligeant à utiliser un fauteuil roulant et qu'elle était donc dépendante de l'aide d'une tierce personne pour tous les actes de la vie quotidienne, ne pouvant notamment plus utiliser sa main droite alors qu'elle était droitière, ni se lever ou s'alimenter seule. Les consorts D... soutiennent que le tribunal a fait une évaluation insuffisante du préjudice d'accompagnement de M. D... dès lors notamment que l'état de santé de Mme D..., avant et après consolidation, nécessitait l'aide par une tierce personne non spécialisée s'élevant à six heures par jour. Si cet élément permet d'appréhender l'importance de l'aide quotidienne qui devait être apportée à Mme D..., les frais d'assistance par une tierce personne non spécialisée ne sauraient faire l'objet d'une indemnisation dans le cadre du présent litige dès lors que la cour a, par son arrêt du 24 mai 2023, déjà indemnisé Mme D... de ce chef de préjudice. Il n'est pas contesté que M. D... assistait son épouse dans les gestes de la vie quotidienne et que leurs deux filles vivant au foyer de leurs parents apportaient également leur aide. S'il soutient qu'il a dû quitter son emploi pour s'occuper de son épouse, la production des seuls avis d'impôt versés au dossier est insuffisante pour étayer cette affirmation. En tout état de cause, sa vie a nécessairement été affectée de manière importante par le lourd handicap de sa femme. M. D... a droit à la réparation de son préjudice d'accompagnement et de son préjudice sexuel dans la limite de ses conclusions présentées dans sa demande de première instance enregistrée le 28 juillet 2021. Le montant de l'indemnité allouée par les premiers juges doit ainsi être ramené à 15 000 euros.
12. Il résulte des points 10 et 11 que le montant que l'Assistance publique-hôpitaux de Paris doit être condamnée à verser à M. G... doit être ramené à la somme de 30 000 euros.
En ce qui concerne les préjudices de Mme I... D... et de Mme H... D..., filles de la victime :
S'agissant du préjudice d'affection :
13. Il résulte de l'instruction que Mme I... D... et Mme H... D... étaient âgées respectivement de 18 et 17 ans au moment de l'intervention du 22 décembre 2014 subies par leur mère. Elles vivent encore au foyer de leurs parents et ont assisté aux souffrances endurées par leur mère. Dans ces conditions, les premiers juges ont fait une juste appréciation de leur préjudice d'affection en l'évaluant à 12 000 euros chacune.
S'agissant du préjudice " d'accompagnement " :
14. Il résulte de l'instruction que Mme I... D... et Mme H... D... ont apporté leur soutien à leur mère pendant les périodes d'hospitalisation et de rééducation. Mme I... D... et Mme H... D..., qui vivent au foyer de leurs parents ainsi qu'il a déjà été dit, apportaient leur aide à leur mère depuis son retour à domicile, en particulier au moment du coucher. L'organisation de leurs activités et leurs loisirs ont nécessairement été affectés par le handicap de leur mère. Mme I... D... et Mme H... D... ont droit à la réparation de ce préjudice qu'elles qualifient d'accompagnement et qui correspond aux troubles apportées dans leurs conditions d'existence dans la limite de leurs conclusions présentées dans leur demande de première instance enregistrée le 28 juillet 2021. Le montant de l'indemnité allouée par les premiers juges à ce titre doit ainsi être ramené à la somme respective de 3 000 euros.
15. Il résulte des points 13 et 14 que le montant que l'Assistance publique-hôpitaux de Paris doit être condamnée à verser à Mme I... D... et Mme H... D... doit être ramené à la somme de 15 000 euros chacune.
Sur les frais liés à l'instance :
16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'AP-HP, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demandent les consorts D... au titre des frais liés à l'instance.
D É C I D E :
Article 1er : La somme que l'AP-HP a été condamnée à verser à M. G... par l'article 1er du jugement du tribunal administratif de Melun est ramenée à la somme de 30 000 euros.
Article 2 : La somme que l'AP-HP a été condamnée à verser à Mme F... par l'article 2 du jugement du tribunal administratif de Melun est ramenée à la somme de 15 000 euros.
Article 3 : La somme que l'AP-HP a été condamnée à verser à Mme H... D... par l'article 3 du jugement du tribunal administratif de Melun est ramenée à la somme de 15 000 euros.
Article 4 : Le jugement du tribunal administratif de Melun est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. J... D..., Mme I... D..., à Mme H... D... et à l'Assistance publique-hôpitaux de Paris.
Copie pour information en sera transmise à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne.
Délibéré après l'audience du 23 mai 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Menasseyre, présidente de chambre,
- Mme Vrignon-Villalba, présidente-assesseure,
- Mme Larsonnier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 juin 2024.
La rapporteure,
V. Larsonnier La présidente,
A. Menasseyre
Le greffier,
P. Tisserand
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 24PA00295 2