La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

31/03/2023 | FRANCE | N°22PA01322

France | France, Cour administrative d'appel, 5ème chambre, 31 mars 2023, 22PA01322


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... Filipowicz a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler le compte-rendu de son entretien professionnel établi le 12 avril 2019 au titre de l'année 2019.



Par un jugement n° 1914542 du 21 janvier 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.



Procédure devant la Cour :



Par une requête enregistrée le 21 mars 2022, M. Filipowicz, représenté par Me Boisgard, demande à la Cour :
>

1°) d'annuler le jugement n° 1914542 du 21 janvier 2022 du tribunal administratif de Paris, ensemble le compte-rendu d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... Filipowicz a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler le compte-rendu de son entretien professionnel établi le 12 avril 2019 au titre de l'année 2019.

Par un jugement n° 1914542 du 21 janvier 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 21 mars 2022, M. Filipowicz, représenté par Me Boisgard, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1914542 du 21 janvier 2022 du tribunal administratif de Paris, ensemble le compte-rendu d'entretien professionnel attaqué ;

2°) d'enjoindre à la direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne de rectifier le compte-rendu de son entretien professionnel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'évaluation administrative de ses mérites professionnels pour 2019 s'inscrit dans un contexte de harcèlement moral et constitue un détournement de pouvoir ainsi qu'une discrimination ;

- les appréciations portées sur ses aptitudes personnelles et sa valeur professionnelle ainsi que sa note chiffrée sont entachées d'erreur manifeste d'appréciation.

Par une ordonnance du 9 mai 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 11 juillet 2022.

Le ministre de l'intérieur a produit le 2 mars 2023, après la clôture de l'instruction, un mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le décret n°95-654 du 9 mai 1995

- le décret n° 2010-888 du 28 juillet 2010 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Perroy ;

- et les conclusions de Mme Lorin, rapporteure publique désignée en application de l'article R. 222-24 du code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. M. Filipowicz, commissaire de police, affecté à la direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne de la préfecture de police, exerce ses fonctions en qualité d'adjoint au chef des services de l'officier du ministère public (OMP) à compter du 11 décembre 2009. Par la présente requête, il demande à la Cour d'annuler le jugement n° 1914542 du 21 janvier 2022 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation du compte-rendu de son entretien professionnel établi le 12 avril 2019 au titre de l'année 2019, qui lui a été notifié le 9 mai 2019.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. En premier lieu, aux termes de l'article 6 quinquies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa version alors en vigueur : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'évaluation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. (...) ". Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, que le juge peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

3. Si M. Filipowicz soutient que l'appréciation de sa valeur professionnelle, telle qu'elle résulte du compte-rendu de son entretien professionnel pour l'année 2019, repose sur une sous-évaluation s'expliquant par les faits de harcèlement moral dont il est victime depuis 2014, les éléments dont il fait état, en particulier le non-renouvellement de son habilitation en tant qu'officier du ministère public suppléant, le dessaisissement de son arme de service, son changement de bureau, son empêchement d'assurer certaines formations ou encore sa mise à l'écart des moments de convivialité et des réunions de service, ne sont pas de nature à faire présumer l'existence des faits de harcèlement invoqués, ainsi que l'a déjà jugé, sur la base des mêmes éléments, la Cour administrative d'appel de Paris, dans un arrêt n° 19PA01746 du 23 juin 2021, lequel est devenu définitif. Ces faits de harcèlement ne peuvent non plus se déduire de la seule circonstance que plusieurs décisions juridictionnelles rendues par le tribunal administratif de Paris et de la Cour administrative d'appel de Paris et ayant annulé trois précédentes notations administratives du requérant en enjoignant au chef de service de procéder à un nouvel entretien n'ont pas été exécutées, dès lors, notamment, qu'un courrier interne de la commissaire divisionnaire B... mentionne que les services du ministère en ayant accusé réception ne les lui ont pas réacheminées et que le requérant ne soutient pas en avoir expressément demandé l'exécution à sa supérieure hiérarchique. Il suit de ce qui précède que M. Filipowicz n'est pas fondé à soutenir que son évaluation de l'année 2019 serait entachée d'un détournement de pouvoir ou d'une discrimination.

4. En second lieu, d'une part, aux termes de l'article 55 de la loi du 11 janvier 1984 : " Par dérogation à l'article 17 du titre Ier du statut général, l'appréciation de la valeur professionnelle des fonctionnaires se fonde sur un entretien professionnel annuel conduit par le supérieur hiérarchique direct. / Toutefois, les statuts particuliers peuvent prévoir le maintien d'un système de notation. / A la demande de l'intéressé, la commission administrative paritaire peut demander la révision du compte rendu de l'entretien professionnel ou de la notation. / Un décret en Conseil d'Etat fixe les modalités d'application du présent article ". Aux termes de l'article 16 du décret du 9 mai 1995 : " La notation des fonctionnaires actifs des services de la police nationale fait l'objet d'un ou plusieurs entretiens d'évaluation. Elle est établie annuellement sur une notice qui comporte : / 1. Une liste d'éléments d'appréciation non chiffrée permettant d'évaluer les qualités personnelles, professionnelles et les aptitudes manifestées dans l'exercice des fonctions ; / 2. Une grille de notation par niveau de 1 à 7 qui rend compte de la situation du fonctionnaire ; / 3. Une appréciation non chiffrée qui rend compte de l'évolution de la valeur du fonctionnaire ". Aux termes de l'article 2 du décret du 2 août 2005 : " Les commissaires de police de la police nationale constituent ce corps qui est un corps technique supérieur à vocation interministérielle relevant du ministre de l'intérieur. / (...). / Ils exercent les attributions de magistrat qui leur sont conférées par la loi ".

5. D'autre part, aux termes de l'article 2 du décret du 28 juillet 2010 : " Le fonctionnaire bénéficie chaque année d'un entretien professionnel qui donne lieu à compte rendu. / Cet entretien est conduit par le supérieur hiérarchique direct. / (...) ". Aux termes de l'article 3 de ce même décret : " L'entretien professionnel porte principalement sur : / 1° Les résultats professionnels obtenus par le fonctionnaire eu égard aux objectifs qui lui ont été assignés et aux conditions d'organisation et de fonctionnement du service dont il relève ; / 2° Les objectifs assignés au fonctionnaire pour l'année à venir et les perspectives d'amélioration de ses résultats professionnels, compte tenu, le cas échéant, des perspectives d'évolution des conditions d'organisation et de fonctionnement du service ; / 3° La manière de servir du fonctionnaire ; / 4° Les acquis de son expérience professionnelle ; / 5° Le cas échéant, la manière dont il exerce les fonctions d'encadrement qui lui ont été confiées ; / 6° Les besoins de formation du fonctionnaire eu égard, notamment, aux missions qui lui sont imparties, aux compétences qu'il doit acquérir et à son projet professionnel ; / 7° Ses perspectives d'évolution professionnelle en termes de carrière et de mobilité. / (...) ". Enfin, aux termes de l'article 4 du même décret : " Le compte rendu de l'entretien professionnel est établi et signé par le supérieur hiérarchique direct du fonctionnaire. Il comporte une appréciation générale exprimant la valeur professionnelle de ce dernier. (...) ".

6. Il ressort du compte-rendu de l'entretien professionnel de M. Filipowicz au titre de l'année 2019 que les aptitudes personnelles et compétences professionnelles ou managériales du requérant ont été reconnues comme relevant du niveau " insuffisant " au titre de la " fiabilité, confiance accordée ", du niveau " bon " au titre de la " capacité rédactionnelle ", de la " faculté d'expression orale ", de la valeur professionnelle " étude, documentation, recherche " et " moyen " pour toutes les autres capacités, ce qui a conduit sa supérieure hiérarchique à lui attribuer une note de 4/7.

7. M. Filipowicz conteste cette évaluation en faisant valoir être victime d'agissements de harcèlement moral de la part de sa supérieure hiérarchique, laquelle n'a pu apprécier avec objectivité ses qualités personnelles ainsi que ses compétences managériales et que les appréciations relatives à sa valeur professionnelle ont été abaissées du niveau " excellent " à celui de " moyen " sans aucune justification. Si la circonstance que ses notations antérieures aient pu être meilleures est inopérante dès lors que chaque notation est une évaluation des qualités professionnelles au cours d'une période déterminée, il n'en demeure pas moins que l'évaluation en cause intervient à la suite de plusieurs évaluations similaires, notamment quant à la note chiffrée de 4/7, qui ont été annulées, dont celle pour l'année 2017 pour erreur manifeste d'appréciation par la Cour de céans, sans que le service ait exécuté l'injonction de réexamen prescrit par ces décisions juridictionnelles, ce qui a notamment dispensé sa supérieure hiérarchique de motiver la note chiffrée figurant dans la présente évaluation en tant qu'elle constitue une baisse de notation. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier, que si les éléments dont se prévaut M. Filipowicz ne sont pas suffisants, comme il a été dit, pour caractériser des faits de harcèlement moral de la part de son supérieur hiérarchique, ils sont en revanche de nature à démontrer le contexte conflictuel des relations professionnelles prévalant entre sa supérieure hiérarchique et lui-même, sans que soit établi au dossier que ces relations conflictuelles seraient exclusivement imputables à M. Filipowicz. L'appelant produit ensuite au dossier de très nombreuses attestations émanant de magistrats avec lesquels il a travaillé dans le cadre de ses missions dans les services de l'OMP ou dans celui de formations assurées à l'Ecole nationale de la magistrature qui témoignent, en termes élogieux, des qualités professionnelles de M. Filipowicz, qui possède un haut niveau de connaissances juridiques, un esprit de synthèse certain, une forte puissance de travail et une capacité reconnue à animer une équipe. Il est enfin constant que M. Filipowicz avait atteint, au titre de l'année en litige, les objectifs que sa hiérarchie lui avait fixés, à savoir le suivi de la formation CEPOL du European joint master programme, formation de haut niveau qu'il a validée, et l'exercice de l'intérim du chef de service. Il suit de là que la note de 4/7 qui a été attribuée à M. Filipowicz, eu égard notamment au conflit qui l'opposait à sa hiérarchie et dont témoignent les termes du rapport établi le 15 juin 2020 par sa supérieure hiérarchique, à la réalisation de ses objectifs professionnels et aux autres appréciations portées sur son travail, ne peut refléter sans erreur manifeste d'appréciation ses qualités professionnelles sur l'année 2019.

8. Il résulte de ce qui précède que M. Filipowicz est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation du compte-rendu de son entretien professionnel notifié le 9 mai 2019, ensemble la note chiffrée correspondante. Il y a lieu, par voie de conséquence, d'annuler ce compte-rendu ainsi que cette note chiffrée.

Sur le surplus des conclusions de la requête :

9. En premier lieu, le motif d'annulation retenu par le présent arrêt implique qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur de faire procéder, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, à l'établissement d'un nouveau compte-rendu d'entretien professionnel.

10. En second lieu, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante dans la présente instance, la somme de 2 000 euros à verser à M. Filipowicz au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1914542 du 21 janvier 2022 du tribunal administratif de Paris et le compte-rendu de l'entretien professionnel de M. Filipowicz établi le 9 mai 2019, ensemble la note chiffrée correspondante, sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de faire procéder à l'établissement d'un nouveau compte-rendu d'entretien professionnel dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera la somme de 2 000 euros à M. Filipowicz au titre de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... Filipowicz et au ministre de l'intérieur et des Outre-mer.

Délibéré après l'audience du 9 mars 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Vrignon-Villalba, présidente de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- M. Aggiouri, premier conseiller,

- M. Perroy, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 mars 2023.

Le rapporteur,

G. PERROY

La présidente,

C. VRIGNON-VILLALBA

La greffière,

A. MAIGNAN

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 22PA0132202


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA01322
Date de la décision : 31/03/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme VRIGNON-VILLALBA
Rapporteur ?: M. Gilles PERROY
Rapporteur public ?: Mme LORIN
Avocat(s) : BOISGARD

Origine de la décision
Date de l'import : 28/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-03-31;22pa01322 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award