Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Le préfet de la Seine-Saint-Denis a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 11 septembre 2019 par lequel le maire de la commune des Lilas a interdit l'utilisation de l'herbicide glyphosate et d'autres substances chimiques et notamment celles contenant des perturbateurs endocriniens, utilisées pour lutter contre des organismes considérés comme nuisibles, sur l'ensemble du territoire communal.
Par un jugement n° 2001524 du 3 mars 2021, le tribunal administratif de Montreuil a annulé cet arrêté.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 3 mai 2021, la commune des Lilas, représentée par Me Daucé (Cabinet Seban et associés), demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Montreuil du 3 mars 2021 ;
2°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué ne comporte pas les signatures exigées par l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;
- il est entaché d'erreur de droit et d'erreur d'appréciation, dès lors que le principe de subsidiarité consacré par l'article 72 de la Constitution donne compétence au maire pour prendre des mesures relevant de la police spéciale des produits phytopharmaceutiques dès lors que l'État fait preuve d'une carence dans l'exercice de son pouvoir de police afférent, la commune constituant l'échelon territorial le plus à même de pallier cette carence.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 octobre 2021, le préfet de la Seine-Saint-Denis conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par la commune n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution, notamment son article 72 ;
- le règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du
21 octobre 2009 ;
- la directive 2009/128/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 ;
- le code de l'environnement ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- l'arrêté du 4 mai 2017 relatif à la mise sur le marché et à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants visés à l'article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Diémert,
- et les conclusions de Mme Guilloteau rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 11 septembre 2020, le maire de la commune des Lilas (Seine-Saint-Denis) a interdit l'utilisation de l'herbicide glyphosate et d'autres substances chimiques et notamment celles contenant des perturbateurs endocriniens, utilisées pour lutter contre des organismes considérés comme nuisibles, sur l'ensemble du territoire communal. Cet arrêté ayant été déféré au tribunal administratif de Montreuil par le préfet de la Seine-Saint-Denis, ce tribunal en a prononcé l'annulation par un jugement du 3 mars 2021 dont la commune relève appel devant la Cour.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs (...), la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience. " Il ressort des pièces du dossier que la minute du jugement attaqué comporte les signatures requises par ces dispositions. Le moyen tiré de ce que le jugement attaqué serait irrégulier comme méconnaissant les dispositions précitées doit donc être écarté comme manquant en fait.
Sur la légalité de l'arrêté municipal litigieux :
3. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales : " Le représentant de l'État dans le département défère au tribunal administratif les actes mentionnés à l'article L. 2131-2 qu'il estime contraires à la légalité dans les deux mois suivant leur transmission (...) ".
4. Aux termes de l'article 72 de la Constitution : " Les collectivités territoriales de la République sont les communes, (...). / Les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon. / Dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités s'administrent librement par des conseils élus et disposent d'un pouvoir réglementaire pour l'exercice de leurs compétences. /(...) /". Le principe de subsidiarité consacré par les dispositions constitutionnelles précitées n'a ni pour objet ni pour effet d'autoriser les collectivités territoriales à se substituer aux autorités de l'État pour prendre des mesures qui relèvent, en vertu des dispositions législatives en vigueur, de la compétence de ces dernières.
5. D'une part, aux termes du premier alinéa de l'article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime : " Les conditions dans lesquelles la mise sur le marché et l'utilisation des produits phytopharmaceutiques et des adjuvants vendus seuls ou en mélange et leur expérimentation sont autorisées, ainsi que les conditions selon lesquelles sont approuvés les substances actives, les coformulants, les phytoprotecteurs et les synergistes contenus dans ces produits, sont définies par le règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/ CEE et 91/414/ CEE du Conseil, et par les dispositions du présent chapitre ". Aux termes de l'article L. 253-7 du même code : " I. - Sans préjudice des missions confiées à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail et des dispositions de l'article L. 211-1 du code de l'environnement, l'autorité administrative peut, dans l'intérêt de la santé publique ou de l'environnement, prendre toute mesure d'interdiction, de restriction ou de prescription particulière concernant la mise sur le marché, la délivrance, l'utilisation et la détention des produits mentionnés à l'article L. 253-1 du présent code et des semences traitées par ces produits. Elle en informe sans délai le directeur général de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail. / L'autorité administrative peut interdire ou encadrer l'utilisation des produits phytopharmaceutiques dans des zones particulières, et notamment : / 1° Sans préjudice des mesures prévues à l'article L. 253-7-1, les zones utilisées par le grand public ou par des groupes vulnérables au sens de l'article 3 du règlement (CE) n° 1107/2009 (...) ". L'article L. 253-7-1 du même code prévoit que : " À l'exclusion des produits à faible risque ou dont le classement ne présente que certaines phrases de risque déterminées par l'autorité administrative : / 1° L'utilisation des produits mentionnés à l'article L. 253-1 est interdite dans les cours de récréation et espaces habituellement fréquentés par les élèves dans l'enceinte des établissements scolaires, dans les espaces habituellement fréquentés par les enfants dans l'enceinte des crèches, des haltes-garderies et des centres de loisirs ainsi que dans les aires de jeux destinées aux enfants dans les parcs, jardins et espaces verts ouverts au public ; / 2° L'utilisation des produits mentionnés au même article L. 253-1 à proximité des lieux mentionnés au 1° du présent article ainsi qu'à proximité des centres hospitaliers et hôpitaux, des établissements de santé privés, des maisons de santé, des maisons de réadaptation fonctionnelle, des établissements qui accueillent ou hébergent des personnes âgées et des établissements qui accueillent des personnes adultes handicapées ou des personnes atteintes de pathologie grave est subordonnée à la mise en place de mesures de protection adaptées telles que des haies, des équipements pour le traitement ou des dates et horaires de traitement permettant d'éviter la présence de personnes vulnérables lors du traitement. Lorsque de telles mesures ne peuvent pas être mises en place, l'autorité administrative détermine une distance minimale adaptée en deçà de laquelle il est interdit d'utiliser ces produits à proximité de ces lieux. (...) Les conditions d'application du présent article sont fixées par voie réglementaire ".
6. D'autre part, aux termes de l'article R. 253-1 du code rural et de la pêche maritime : " Le ministre chargé de l'agriculture est, sauf disposition contraire, l'autorité compétente mentionnée au 1 de l'article 75 du règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/ CEE et 91/414/ CEE du Conseil, ainsi que l'autorité administrative mentionnée au chapitre III du titre V du livre II du présent code (partie législative) ". L'article R. 253-45 du même code dispose que : " L'autorité administrative mentionnée à l'article L. 253-7 est le ministre chargé de l'agriculture. / Toutefois, lorsque les mesures visées au premier alinéa de l'article L. 253-7 concernent l'utilisation et la détention de produits visés à l'article L. 253-1, elles sont prises par arrêté conjoint des ministres chargés de l'agriculture, de la santé, de l'environnement et de la consommation. ". L'article D. 253-45-1 du même code prévoit que : " L'autorité administrative mentionnée au premier alinéa de l'article L. 253-7-1 est le ministre chargé de l'agriculture. / L'autorité administrative mentionnée au troisième alinéa du même article est le préfet du département dans lequel a lieu l'utilisation des produits définis à l'article L. 253-1 ". Enfin, en vertu de l'article 5 de l'arrêté du 4 mai 2017 relatif à la mise sur le marché et à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants visés à l'article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime, " en cas de risque exceptionnel et justifié, l'utilisation des produits peut être restreinte ou interdite par arrêté préfectoral ", ce dernier devant " être soumis dans les plus brefs délais à l'approbation du ministre chargé de l'agriculture ".
7. Il résulte de ces dispositions que le législateur a organisé une police spéciale de la mise sur le marché, de la détention et de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques, confiée à l'Etat et dont l'objet est, conformément au droit de l'Union européenne, d'assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et animale et de l'environnement tout en améliorant la production agricole et de créer un cadre juridique commun pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable, alors que les effets de long terme de ces produits sur la santé restent, en l'état des connaissances scientifiques, incertains. Les produits phytopharmaceutiques font l'objet d'une procédure d'autorisation de mise sur le marché, délivrée par l'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail s'il est démontré, à l'issue d'une évaluation indépendante, que ces produits n'ont pas d'effet nocif immédiat ou différé sur la santé humaine. Il appartient ensuite au ministre chargé de l'agriculture ainsi que, le cas échéant, aux ministres chargés de la santé, de l'environnement et de la consommation, éclairés par l'avis scientifique de l'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, de prendre les mesures d'interdiction ou de limitation de l'utilisation de ces produits qui s'avèrent nécessaires à la protection de la santé publique et de l'environnement, en particulier dans les zones où sont présentes des personnes vulnérables. L'autorité préfectorale est également chargée, au niveau local et dans le cadre fixé au niveau national, de fixer les distances minimales d'utilisation des produits phytopharmaceutiques à proximité de certains lieux accueillant des personnes vulnérables et, en cas de risque exceptionnel et justifié, de prendre toute mesure d'interdiction ou de restriction de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques nécessaire à la préservation de la santé publique et de l'environnement, avec une approbation dans les plus brefs délais du ministre chargé de l'agriculture. Dans ces conditions, si les articles L. 2212-1 et L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales habilitent le maire à prendre, pour la commune, les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques, celui-ci ne peut légalement user de cette compétence pour édicter une réglementation portant sur les conditions générales d'utilisation des produits phytopharmaceutiques qu'il appartient aux seules autorités de l'État de prendre, même dans l'hypothèse d'une prétendue " carence " alléguée dans l'exercice de ladite compétence, à laquelle il peut au demeurant et en tout état de cause chercher à ce qu'il y soit remédié par l'exercice des voies de droit instituées à cette fin.
8. Par son arrêté du 11 septembre 2019, le maire de la commune des Lilas a interdit l'utilisation de l'herbicide glyphosate et d'autres substances chimiques et notamment celles contenant des perturbateurs endocriniens, utilisées pour lutter contre des organismes considérés comme nuisibles, sur l'ensemble du territoire communal. Il a, dès lors, édicté une mesure réglementaire d'interdiction de portée générale méconnaissant la répartition des compétences entre les autorités de l'État et les autorités communales telle qu'elle a été rappelée aux points précédents et qui résulte de dispositions législatives dont le juge administratif doit assurer le respect et qui font en tout état de cause obstacle à l'application directe des dispositions du deuxième alinéa de l'article 72 de la Constitution. L'arrêté litigieux est, par suite, entaché d'illégalité.
9. Il résulte de tout ce qui précède que la commune des Lilas n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Montreuil a prononcé l'annulation de l'arrêté de son maire en date du 11 septembre 2019. Ses conclusions d'appel doivent donc être rejetées, en ce comprises celles fondées sur l'article L. 761-1 du code de justice administrative, dès lors qu'elle succombe dans la présente instance.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la commune des Lilas est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la commune des Lilas et au ministre de la transition écologique.
Copie en sera adressée au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, au ministre de l'agriculture et de l'alimentation et au préfet de Seine-Saint-Denis.
Délibéré après l'audience du 13 janvier 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président de chambre,
- M. Diémert, président-assesseur,
- M. Gobeill, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 3 février 2022.
Le rapporteur,
S. DIÉMERTLe président,
J. LAPOUZADE
La greffière,
Y. HERBER
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales en ce qui les concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 21PA02373 2