Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. G... A... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 27 mai 2015 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a, d'une part, annulé la décision de l'inspectrice du travail de la 6ème section de l'unité territoriale de Seine-et-Marne du
26 octobre 2014 refusant d'autoriser son licenciement par la société N'4 Mobilités, d'autre part autorisé son licenciement.
Par un jugement n° 1505577 du 9 novembre 2016, le tribunal administratif de Melun a annulé cette décision.
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 2 janvier 2017 et 17 janvier 2018, la société N'4 Mobilités, représentée par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1505577 du tribunal administratif de Melun du
9 novembre 2016 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Melun ;
3°) de mettre à la charge de M. A... la somme de 2 500 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle a procédé aux démarches utiles quant au renouvellement du permis de conduire de M. A... en déposant en juin 2014 un dossier CERFA dans son casier ;
- M. A... a conduit sans permis de conduire valide, en pleine connaissance de cause et pendant plusieurs jours, des bus avec des passagers à bord, n'hésitant pas à risquer sciemment d'engager la responsabilité civile et pénale de la société ;
- il n'a pas averti la société de l'expiration de son permis de conduire et a volontairement dissimulé ce fait ;
- la prise de rendez-vous et la réalisation de la visite médicale afin de procéder à la prorogation du permis de conduire de catégorie D reposant exclusivement sur M. A..., le manquement à cette obligation justifie un licenciement pour faute grave ;
- le salarié avait d'ailleurs déjà été sanctionné par un avertissement du 9 septembre 2014 ;
- aucun lien ne saurait être établi entre le mandat de M. A... et son licenciement.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 décembre 2017, M. A... conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge solidaire de l'Etat et de la société N'4 Mobilités au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les stipulations de son contrat de travail invoquées par la société N'4 Mobilités ne peut servir de fondement au licenciement ;
- il n'a jamais eu la volonté de dissimuler la situation à son employeur dès lors qu'il ignorait avoir conduit sans permis de conduire valide du 3 au 10 septembre 2014 ; il s'agit tout au plus de négligence de sa part ;
- l'employeur n'établit pas que le formulaire CERFA permettant de solliciter une visite médicale lui aurait été remis en juin 2014 ;
- en tout état de cause, la simple remise d'un tel formulaire dans le casier du salarié ne permet pas de s'assurer du suivi du renouvellement du permis de conduire et ne saurait suffire pour l'employeur à remplir son obligation de sécurité et de résultat envers ses salariés ;
- la concomitance entre sa nomination comme représentant de section syndicale du syndicat national des salariés du transport (SNST) au sein de la société le 25 juillet 2014 et les quatre retards et absences qui lui ont été reprochés au cours du mois suivant et qu'il a toujours contestés, alors qu'aucun reproche ne lui avait été fait auparavant, laisse présumer l'existence d'un lien entre son mandat syndical et le licenciement.
Par un arrêt n° 17PA00001du 20 novembre 2018, la Cour a rejeté la requête de la société N'4 Mobilités et a mis à sa charge une somme de 2 000 euros à verser à M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par une décision n° 427235 du 21 janvier 2021, le Conseil d'Etat statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi formé par la société N'4 Mobilités a annulé cet arrêt et a renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Paris.
Procédure devant la Cour :
Après l'annulation de l'arrêt du 20 novembre 2018 par le Conseil d'Etat et le renvoi de l'affaire à la cour, la requête n° 17PA00001 a été enregistrée à nouveau sous le n° 21PA00479.
Par un mémoire, enregistré le 5 mars 2021, la société N'4 Mobilités, représentée par Me D..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1505577 du 9 novembre 2016 du tribunal administratif de Melun ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Melun ;
3°) de mettre à la charge de M. A... la somme de 2 500 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle reprend les moyens soulevés dans ses précédents mémoires et soutient en outre que l'exécution de bonne foi du contrat de travail de M. A... suppose que ce dernier informe son employeur qu'il ne dispose plus d'un permis de conduire lui permettant d'exercer ses missions quelle qu'en soit la cause et qu'elle est ainsi fondée à se prévaloir de la méconnaissance par le salarié des stipulations de son contrat de travail.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de la route ;
- l'arrêté du 31 juillet 2012 relatif à l'organisation du contrôle médical de l'aptitude à la conduite de la ministre des affaires sociales et de la santé et le ministre de l'intérieur ;
- le code de justice administrative ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme F...,
- les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public,
- et les observations de Me E..., substituant Me D..., avocat de la société N'4 Mobilités.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., recruté le 28 août 2009 en qualité de conducteur-receveur de car par la société N'4 Mobilités, spécialisée dans le transport routier de voyageurs, a été désigné le
25 juillet 2014 représentant de la section syndicale du syndicat national des salariés du transport (SNST). Le 11 septembre 2014, M. A... a fait l'objet d'une mise à pied, et le 24 septembre 2014, l'employeur a sollicité l'autorisation de le licencier pour faute au motif qu'il avait continué à conduire alors que son permis de conduire de catégorie D était expiré depuis le 3 septembre et qu'il ne l'en avait pas informé, en méconnaissance de ses obligations contractuelles. Par une décision du 29 octobre 2014, l'inspectrice du travail de la 6ème section de l'unité territoriale de Seine-et-Marne a rejeté cette demande. Toutefois, par une décision du 27 mai 2015, le ministre chargé du travail a annulé cette décision et autorisé le licenciement de M. A.... Par un jugement du 9 novembre 2016, le tribunal administratif de Melun a annulé la décision du ministre. Par un arrêt n° 17PA00001du 20 novembre 2018, la Cour a rejeté l'appel formé par la société N'4 Mobilités contre ce jugement. Par une décision du 21 janvier 2021, le Conseil d'Etat, saisi d'un pourvoi formé par la société N'4 Mobilités, a annulé cet arrêt et a renvoyé l'affaire à la Cour.
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif de Melun :
2. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.
3. D'une part, l'article L. 1222-1 du code du travail dispose que " Le contrat de travail est exécuté de bonne foi ". D'autre part, aux termes de l'article R. 221-1 du code de la route, dans sa rédaction applicable aux faits de l'espèce : " I.- Nul ne peut conduire un véhicule ou un ensemble de véhicules, pour la conduite duquel le permis de conduire est exigé par le présent code, s'il n'est titulaire de la catégorie correspondante du permis de conduire en état de validité (...). I bis. - La durée de validité des titres attestant de la qualité de titulaire du permis de conduire est limitée ainsi qu'il suit : 2° (...) les permis de conduire comportant les catégories (...) D, (...) ont une durée de validité de cinq ans. / La date limite de validité est inscrite sur le titre de conduite. Les conditions de renouvellement des titres attestant de la qualité de titulaire du permis de conduire sont fixées par arrêté du ministre chargé de la sécurité routière ". Aux termes de l'article R. 221-11 du même code : " I. - Lorsqu'une visite médicale est obligatoire en vue de la délivrance ou du renouvellement du permis de conduire (...). II. - La validité du permis ainsi délivré ne peut être prorogée qu'après l'avis médical établi par un médecin agréé consultant hors commission médicale ou par la commission médicale. / III.- La demande de prorogation doit être adressée au préfet du département du domicile du pétitionnaire. ". Aux termes de l'article 4 de l'arrêté du 31 juillet 2012 relatif à l'organisation du contrôle médical de l'aptitude à la conduite : " (...) II. _ Les titulaires du permis de conduire dont une ou plusieurs catégories a une durée limitée et qui souhaitent proroger la ou lesdites catégories doivent se soumettre, de leur propre initiative, au contrôle médical avant que ne soit atteinte la date limite de validité de la ou des catégorie(s) mentionnée(s) sur leur permis de conduire. La prorogation de la validité des catégories de leur titre est subordonnée à la réalisation de ce contrôle médical. (...) ".
4. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier, notamment de la demande d'autorisation de licenciement du 12 septembre 2014 adressée par la société N'4 Mobilités à l'inspecteur du travail, que celle-ci reprochait à M. A... d'avoir " roulé sans permis valable depuis le 3 septembre 2014 " et de ne pas l'avoir informée. Si M. A... soutient devant la Cour qu'il n'a commis aucun acte de dissimulation dès lors qu'il ignorait que la validité de son permis de conduire de catégorie D était arrivée à expiration, il ressort toutefois des pièces du dossier que M. A... a reconnu devant l'inspecteur du travail savoir qu'il avait continué à exercer ses fonctions de chauffeur de bus sans permis de conduire valide pendant la période comprise entre le 3 et le 10 septembre 2014 faute de s'être soumis à la visite médicale obligatoire pour la prorogation de celui-ci et qu'il était en infraction avec la législation. M. A... a ainsi sciemment méconnu les dispositions précitées du code de la route.
5. En deuxième lieu, la circonstance que le contrat de travail de M. A... prévoyait, en son article 11, que la dissimulation des seules mesures de suspension, de retrait ou d'annulation du permis de conduire de catégorie D était constitutive d'une faute grave de nature à entraîner la rupture immédiate du contrat de travail est sans incidence sur le caractère fautif des faits reprochés, le salarié ayant méconnu son obligation de loyauté envers son employeur prévue à l'article L. 1222-1 du code du travail en contrevenant sciemment aux dispositions précitées du code de la route.
6. En troisième lieu, si la société N'4 Mobilités, qui dispose d'un logiciel répertoriant les dates d'expiration de validité des permis de conduire de catégorie D de ses employés, n'établit pas avoir déposé en juin 2014 dans le casier de M. A... un dossier de renouvellement de son permis de conduire comme elle le fait habituellement, il appartenait en tout état de cause exclusivement au salarié de solliciter en temps utile la prorogation de son titre de conduite. Le fait que l'employeur soit soumis à une obligation générale d'assurer la sécurité et de protéger la santé de ses salariés en vertu de l'article L. 4121-1 du code du travail ne saurait exonérer le salarié de sa responsabilité personnelle de se soumettre à un contrôle médical avant que ne soit atteinte la date limite de validité de son permis de conduire D.
7. Il résulte de ce qui précède que, à supposer même que M. A... n'ait jamais fait l'objet de mesures disciplinaires avant août 2014, eu égard aux risques auxquels la méconnaissance délibérée des dispositions du code de la route relatives à la validité du permis de conduire de catégorie D par le salarié a exposé l'employeur, les faits commis par M. A... étaient d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement. La circonstance que M. A... ait pu dès le 11 septembre 2014 se rendre à la visite médicale obligatoire prévue par les dispositions de l'article R. 221-11 du code de la route ainsi que celle, à la supposer même établie, que la société N'4 Mobilités aurait toléré que des chauffeurs conduisent sans permis de conduire valides sont sans incidence sur cette appréciation.
8. Par suite, la société N'4 Mobilités est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Melun a annulé la décision du 27 mai 2015 de la ministre du travail au motif que les faits commis pas M. A... ne présentaient pas un caractère de gravité suffisant pour justifier un licenciement.
9. Il appartient toutefois à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif de Melun et la Cour.
Sur les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal et la Cour :
10. En premier lieu, la décision du 27 mai 2015 a été signée par M. B... C..., en sa qualité d'adjoint au chef du bureau des recours, du soutien et de l'expertise juridiques de la direction générale du travail comme cela est mentionné de manière lisible sur la décision, qui bénéficie, en vertu de la décision du 24 mars 2014 publiée au Journal officiel de la république française, d'une subdélégation de signature du directeur général du travail, lui-même ayant reçu délégation de signature du ministre du travail en vertu du décret n° 2005-850 du
27 juillet 2005. Ainsi, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision contestée manque en fait.
11. En second lieu, M. A... soutient que s'il n'avait jamais fait l'objet de reproches depuis son embauche en 2009, ces derniers se sont multipliés à compter de sa désignation le 25 juillet 2014 en tant que représentant de la section syndicale du syndicat national des salariés du transport puisqu'il a été convoqué à un entretien préalable à la mesure de licenciement en cause le 22 août 2014 et que l'employeur lui a infligé un avertissement le
9 septembre 2014 en se fondant de manière injustifiée sur des retards ou des absences qui auraient été commis en juin 2013 et en août 2014. Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier que les manquements commis en août 2014 auraient été retenus à tort par l'employeur alors notamment que dans son courrier en date du 16 septembre 2014 adressé à la société N'4 Mobilités, le salarié ne conteste que les faits de juin 2013 qui au demeurant ne constituaient pas le fondement de la sanction. En outre, si M. A... se prévaut de relations tendues entre son employeur et le syndicat national des salariés du transport, ces dernières ne sont pas établies par la production de l'assignation devant le tribunal de grande instance de Nanterre du
20 janvier 20104 émanant de ce syndicat et les ordonnances de référé du 17 avril 2015 qui ne concernent pas la société N'4 Mobilités mais la société Transdev. Par suite, le moyen tiré d'un lien entre le mandat et le licenciement de M. A... doit être écarté.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la société N'4 Mobilités n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a annulé la décision du 27 mai 2015 de la ministre du travail annulant la décision de l'inspecteur du travail du 27 octobre 20104 et autorisant le licenciement de M. A....
Sur les frais liés à l'instance :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat et de la société N'4 Mobilités, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes, la somme que demande M. A... au titre des frais liés à l'instance. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A... le versement de la somme que la société N'4 Mobilités demande sur le fondement des mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1505577 du 9 novembre 2016 du tribunal administratif de Melun est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Melun et ses conclusions d'appel sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions présentées par la société N'4 Mobilités sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société N'4 Mobilités, à M. G... A... et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.
Délibéré après l'audience du 15 avril 2021, à laquelle siégeaient :
- Mme Vinot, président de chambre,
- M. Luben, président assesseur,
- Mme F..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 avril 2021.
La présidente de la 8ème chambre,
H. VINOT
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21PA00479