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13/10/2020 | FRANCE | N°19PA02970

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 7ème chambre, 13 octobre 2020, 19PA02970


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... B... a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser une somme de 71 205,48 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de la décision du ministre des affaires étrangères du 19 avril 2010 refusant de renouveler son détachement, augmentée du montant des indemnités auxquelles elle pourrait prétendre et d'une somme réparant le préjudice correspondant à la minoration de sa pension de retraite, l'ensemble de ces indemnités portant intérêt au

taux légal à compter de la date de réception de sa demande préalable, le cas éc...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... B... a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser une somme de 71 205,48 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de la décision du ministre des affaires étrangères du 19 avril 2010 refusant de renouveler son détachement, augmentée du montant des indemnités auxquelles elle pourrait prétendre et d'une somme réparant le préjudice correspondant à la minoration de sa pension de retraite, l'ensemble de ces indemnités portant intérêt au taux légal à compter de la date de réception de sa demande préalable, le cas échéant capitalisés.

Par un jugement n° 1411019/5-3 du 3 juin 2015, le Tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à verser à Mme B... une somme de 3 000 euros en réparation des préjudices qu'elle a subis et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Par un arrêt n° 15PA02996 du 28 février 2017 la Cour, saisie par Mme B..., après avoir en son article 1er annulé le jugement du 3 juin 2015 en tant qu'il avait omis de statuer sur les conclusions de Mme B... relatives aux intérêts et à leur capitalisation, a, dans son article 2, condamné l'Etat à verser à Mme B... une indemnité réparant le préjudice financier subi par l'intéressée en renvoyant par son article 3 Mme B... devant l'administration pour qu'il soit procédé, conformément aux motifs de l'arrêt, à la liquidation de l'indemnité qui lui est due. Par son article 4 elle a assorti le montant global de l'indemnité versée par l'Etat tant au titre de la réparation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence que de la réparation du préjudice financier des intérêts au taux légal à compter du 6 juin 2014, les intérêts échus à la date du 6 juin 2015 puis à chaque échéance annuelle étant capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts. Elle a en conséquence réformé le jugement en ce qu'il avait de contraire à son arrêt.

Par une décision n° 410119 du 10 octobre 2018, le Conseil d'Etat statuant au contentieux, sur un pourvoi présenté par le ministre des affaires étrangères et du développement international, a annulé les articles 2 et 3 de cet arrêt et renvoyé l'affaire, dans la mesure de la cassation prononcée, devant la Cour.

Procédure devant la Cour :

Par une requête sommaire et des mémoires enregistrés respectivement les 28 juillet 2015, 19 novembre 2015, 31 mars 2016 et 10 mars 2020 Mme B..., représentée par Me D..., demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler le jugement n° 1411019/5-3 du 3 juin 2015 du Tribunal administratif de Paris en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser une somme représentant la différence entre les primes et indemnités dont elle a été illégalement privée et celles auxquelles elle aurait eu droit si elle avait été remise à disposition de son corps d'origine, somme assortie des intérêts au taux légal à compter du 6 juin 2014 et de la capitalisation de ces intérêts ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient qu'en l'état de l'instruction il n'est pas possible de déterminer les bases de liquidation de l'indemnité qui lui est due en exécution de la chose jugée par le Conseil d'Etat, et que le ministère des affaires étrangères doit communiquer ces éléments à la Cour avant-dire droit.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le décret n° 67-290 du 28 mars 1967 fixant les modalités de calcul des émoluments des personnels de l'Etat et des établissements publics de l'Etat à caractère administratif en service à l'étranger ;

- le décret n° 97-215 du 10 mars 1997 relatif à l'indemnité exceptionnelle allouée à certains fonctionnaires civils, aux militaires à solde mensuelle ainsi qu'aux magistrats de l'ordre judiciaire ;

- le décret n° 85-1148 du 24 octobre 1985 modifié relatif à la rémunération des personnels civils et militaires de l'Etat, des personnels des collectivités territoriales et des personnels des établissements publics d'hospitalisation ;

- le décret n° 2002-62 du 14 janvier 2002 relatif à l'indemnité forfaitaire pour travaux supplémentaires des administrations centrales ;

- le décret n° 2008-1533 du 22 décembre 2008 relatif à la prime de fonctions et de résultats ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de Mme Stoltz-Valette, rapporteur public,

- et les observations de Me D..., avocate de Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., premier conseiller du corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, a été placée, au titre de la mobilité statutaire, en position de détachement dans le corps des conseillers des affaires étrangères relevant du ministre des affaires étrangères pour une durée de deux ans à compter du 1er septembre 2005. Ce détachement a été renouvelé jusqu'au 1er septembre 2008 puis prolongé pour une nouvelle durée d'un an à compter du 1er septembre 2008 afin de lui permettre d'exercer les fonctions de conseiller d'ambassade de 2ème classe à l'ambassade de France au Laos, cette prolongation étant elle-même renouvelée à compter du 1er septembre 2009 pour une durée d'un an dans les mêmes fonctions. Par une décision du 19 avril 2010, le directeur général de l'administration et de la modernisation du ministère des affaires étrangères et européennes a rejeté la demande de Mme B... tendant au renouvellement de son détachement à compter du 1er septembre 2010. Cette décision ayant été annulée par un jugement du Tribunal administratif de Paris du 10 mai 2012, confirmée par un arrêt du 27 mars 2014 de la Cour administrative d'appel de Paris devenu définitif, Mme B... a saisi le Tribunal administratif de Paris d'une demande tendant à obtenir réparation du préjudice causé par ce refus illégal. Par un jugement du 3 juin 2015, le Tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à verser à Mme B... la somme de 3 000 euros en réparation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence résultant de la décision du 19 avril 2010, sous réserve des sommes déjà versées à titre de provision, et a rejeté le surplus de sa demande. Par un arrêt du 28 février 2017, la Cour administrative d'appel de Paris a, sur appel de Mme B..., annulé le jugement en tant qu'il a omis de statuer sur ses conclusions relatives aux intérêts et à leur capitalisation, et condamné l'Etat à verser à l'intéressée une indemnité réparant son préjudice financier, à calculer conformément aux motifs de son arrêt. Par une décision n° 410119 du 10 octobre 2018 le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur un pourvoi présenté par le ministre des affaires étrangères et du développement international, a annulé partiellement cet arrêt et renvoyé l'affaire devant la Cour dans les limites de la cassation.

Sur le préjudice financier :

2. En vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre. Sont ainsi indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l'illégalité commise présente, compte tenu de l'importance respective de cette illégalité et des fautes relevées à l'encontre de l'intéressé, un lien direct de causalité. Pour l'évaluation du montant de l'indemnité due, doit être prise en compte la perte du traitement ainsi que celle des primes et indemnités dont l'intéressé avait, pour la période en cause, une chance sérieuse de bénéficier, à l'exception de celles qui, eu égard à leur nature, à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles sont versées, sont seulement destinées à compenser des frais, charges ou contraintes liés à l'exercice effectif des fonctions. Enfin, il y a lieu de déduire, le cas échéant, le montant des rémunérations que l'agent a pu se procurer par son travail au cours de la période d'éviction.

3. Aux termes de l'article L. 231-1 du code de justice administrative : " Les membres des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel sont des magistrats dont le statut est régi par le présent livre et, pour autant qu'elles n'y sont pas contraires, par les dispositions statutaires de la fonction publique de l'Etat ". Aux termes du dernier alinéa de l'article 13 bis de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Le fonctionnaire détaché dans un corps ou cadre d'emplois qui est admis à poursuivre son détachement au-delà d'une période de cinq ans se voit proposer une intégration dans ce corps ou cadre d'emplois ". L'article 45 de la loi du 11 janvier 1984 modifié portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat dispose que : " (...) A l'expiration de son détachement, le fonctionnaire est, sauf intégration dans le corps ou cadre d'emplois de détachement, réintégré dans son corps d'origine (...) ". Aux termes de l'article 22 du décret du 16 septembre 1985 relatif au régime particulier de certaines positions des fonctionnaires de l'Etat, à la mise à disposition, à l'intégration et à la cessation définitive de fonctions : " Trois mois au moins avant l'expiration du détachement de longue durée, le fonctionnaire fait connaître à son administration d'origine sa décision de solliciter le renouvellement du détachement ou de réintégrer son corps d'origine. / Deux mois au moins avant le terme de la même période, l'administration ou l'organisme d'accueil fait connaître au fonctionnaire concerné et à son administration d'origine sa décision de renouveler ou non le détachement ou, le cas échéant, sa proposition d'intégration. / A l'expiration du détachement, dans le cas où il n'est pas renouvelé par l'administration ou l'organisme d'accueil pour une cause autre qu'une faute commise dans l'exercice des fonctions, le fonctionnaire est réintégré immédiatement et au besoin en surnombre dans son corps d'origine, par arrêté du ministre intéressé, et affecté à un emploi correspondant à son grade. / Le surnombre ainsi créé doit être résorbé à la première vacance qui s'ouvrira dans le grade considéré. / Le fonctionnaire a priorité, dans le respect des règles fixées aux deux derniers alinéas de l'article 60 de la loi du 11 janvier 1984 susvisée, pour être affecté au poste qu'il occupait avant son détachement. / S'il refuse le poste qui lui est assigné, il ne peut être nommé à un autre emploi que dans le cas où une vacance est ouverte ". Enfin l'article 44 du même décret dispose que : " La mise en disponibilité sur demande de l'intéressé peut être accordée, sous réserve des nécessités du service, dans les cas suivants : / (...) b) Pour convenances personnelles (...) ".

4. Si le refus de renouvellement du détachement de Mme B... a été annulé pour erreur manifeste d'appréciation par une décision juridictionnelle devenue irrévocable, dont l'autorité de chose jugée imposait à l'administration de renouveler ce détachement, l'intéressée avait droit, en tout état de cause, à être réintégrée immédiatement, au besoin en surnombre, dans son corps d'origine et à être affectée à un emploi correspondant à son grade, en application des dispositions précitées de l'article 45 de la loi du 11 janvier 1984 et de l'article 22 du décret du 16 septembre 1985, en l'absence d'un tel renouvellement. Dans ces conditions, comme l'a décidé définitivement le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, pour casser partiellement l'arrêt de la Cour, si la perte de traitement qu'elle a subie ne peut être regardée comme présentant un lien direct avec le refus illégal qui lui a été opposé mais comme résultant de son choix de demander une mise en disponibilité pour convenances personnelles, en revanche, la perte de rémunération résultant de la différence entre les primes et indemnités dont l'intéressée avait, durant la période en cause, une chance sérieuse de bénéficier en cas de renouvellement de son détachement et celles qu'elle aurait perçues en réintégrant son corps d'origine dans un emploi correspondant à son grade doit être regardée comme étant en lien direct avec le refus illégal qui lui a été opposé.

5. Il résulte de l'instruction que Mme B... a, du fait de l'illégalité de la décision du 19 avril 2010, perdu une chance sérieuse de bénéficier de l'indemnité exceptionnelle prévue par le décret n° 97-2015 du 10 mars 1997, de l'indemnité de fonctions et de résultats et de l'indemnité forfaitaire représentative de travaux supplémentaires, à l'exclusion de la majoration familiale déjà perçue par son époux sur cette période et de l'indemnité de résidence attribuée, en application du décret susvisé du 28 mars 1967, aux personnels de l'Etat en service à l'étranger dès lors qu'elle est destinée à compenser les frais, charges ou contraintes liés à l'exercice effectif des fonctions. Mme B... est dès lors fondée à demander la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité équivalente à la différence entre la somme de ces trois indemnités et la somme de celles qu'elle aurait perçues en occupant un emploi correspondant à son grade dans le corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, laquelle indemnité doit être calculée sur une durée d'un an à compter du 1er septembre 2010 dès lors qu'il est constant que l'intéressée s'était engagée à ne pas demander de renouvellement ultérieur de son détachement, ni d'intégration, après le 1er septembre 2011. Il y a lieu de renvoyer Mme B... devant l'administration pour qu'il soit procédé à la liquidation de cette indemnité.

Sur les conclusions présentées au titre des frais liés à l'instance :

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par Mme B... et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : L'Etat est condamné à verser à Mme B... une indemnité calculée selon les modalités décrites au point 5 du présent arrêt.

Article 2 : Mme B... est renvoyée devant l'administration pour qu'il soit procédé, conformément aux motifs du présent arrêt, à la liquidation de l'indemnité qui lui est due dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Mme B... une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le jugement n° 1411019/5-3 du 3 juin 2015 du Tribunal administratif de Paris est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme B... est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B... et au ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

Délibéré après l'audience du 29 septembre 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Jardin, président de chambre,

- Mme A..., président assesseur,

- M. Segretain, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 13 octobre 2020.

Le rapporteur,

P. A...Le président,

C. JARDIN

Le greffier,

C. BUOT

La République mande et ordonne au ministre de l'Europe et des affaires étrangères en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 19PA02970


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA02970
Date de la décision : 13/10/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Fonctionnaires et agents publics - Positions - Détachement et mise hors cadre - Détachement.

Fonctionnaires et agents publics - Contentieux de la fonction publique - Contentieux de l'indemnité.


Composition du Tribunal
Président : M. JARDIN
Rapporteur ?: Mme Perrine HAMON
Rapporteur public ?: Mme STOLTZ-VALETTE
Avocat(s) : SARRAZIN

Origine de la décision
Date de l'import : 24/10/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-10-13;19pa02970 ?
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