Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée (SAS) SCAU a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions sociales assises sur l'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos de 2008 à 2010.
Par un jugement n° 1318096 du 14 novembre 2014, le Tribunal administratif de Paris a réduit les bases d'imposition à l'impôt sur les sociétés et à la contribution assise sur l'impôt sur les sociétés fixées à la société SCAU au titre des exercices clos en 2008, 2009 et 2010, respectivement, de 1 655 877 euros, 37 898 euros et 85 017 euros, lui a accordé la décharge de la différence entre le montant des cotisations d'impôt sur les sociétés et de contribution assise sur l'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2008, 2009 et 2010, et celles résultant des réductions précitées, mis à la charge de l'État une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et rejeté le surplus des conclusions de sa demande.
Par un arrêt n° 15PA01029 du 29 juillet 2016, la Cour administrative d'appel de Paris a, sur appel du ministre de l'économie et des finances, confirmé ce jugement.
Par une décision n° 404091 en date du 12 octobre 2018, le Conseil d'État, statuant au contentieux, a annulé l'arrêt de la Cour et lui a renvoyé l'affaire.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 10 mars 2015, et des mémoires enregistrés les 5 août et 16 octobre 2015, le ministre des finances et des comptes publics demande à la Cour :
1°) d'annuler les articles 1er, 2 et 3 du jugement n° 1318096 du Tribunal administratif de Paris en date du 14 novembre 2014 ;
2°) de remettre à la charge de la société SCAU les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions sociales assises sur l'impôt sur les sociétés dont la décharge a été prononcée à tort par le tribunal.
Le ministre soutient que :
- les dépenses de personnel provisionnées par la société SCAU correspondent à des charges salariales qu'elle aurait supportées même en l'absence de contentieux ;
- en permettant la déduction des provisions en litige alors qu'elles portaient sur des charges se rapportant à un exercice futur, les premiers juges ont méconnu les dispositions du 1° et du 5° du 1. de l'article 39 du code général des impôts ;
- dès lors que les coûts générés par le suivi du contentieux participent à la réalisation du bénéfice de la société, le tribunal a procédé à une inexacte appréciation des faits ;
- la circonstance qu'au cours d'une précédente vérification de comptabilité portant, au surplus sur d'autres années d'imposition, la société n'ait fait l'objet d'aucun redressement ne saurait être regardée comme constituant une prise de position formelle de l'administration sur la situation de fait de l'entreprise au regard d'un texte fiscal que la société pourrait lui opposer sur le fondement de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales ;
- les obligations de la société au titre de la garantie décennale ne peuvent se traduire que par une provision pour litige, laquelle relève des provisions pour perte supposant l'existence d'un contentieux à la clôture de l'exercice alors que la provision pour service après travaux repose sur la survenance de litiges au cours de l'exercice suivant ;
- les charges afférentes au suivi du contentieux relèvent des frais généraux de la société et leur engagement est donc indépendant de tous risques.
Par des mémoires, enregistrés les 21 mai et 18 septembre 2015, la société SCAU conclut au rejet du recours du ministre des finances et des comptes publics et à ce que soit mise à la charge de l'État la somme de 15 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité au titre des exercices clos en 1991, 1992 et 1993, à l'issue de laquelle la provision, qui était identique à celle en litige, a été soumise à la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, qui a émis un avis défavorable à sa réintégration ; l'administration n'a pas donné suite à cet avis ; en 2001, elle a fait l'objet d'un autre contrôle fiscal qui n'a pas conduit à la remise en cause de la provision ; l'administration a ainsi formellement pris position sur la régularité de la provision, dont elle a estimé qu'elle remplissait l'ensemble des conditions pour être admises en déduction ;
- les provisions en litige pour services après travaux, admises par le passé par l'administration fiscale, remplissent l'ensemble des conditions de déductibilité des provisions prévues par le 5° du 1. de l'article 39 du code général des impôts ;
- la méthode d'évaluation de la provision a été calculée à partir de données propres à l'agence d'architecture SCAU à l'exclusion de références statistiques propres à la profession ;
- ces provisions répondent aux critères fixés par l'Autorité des normes comptables ;
- la méthode statistique mise en place démontre que les risques ne sont pas éventuels mais probables ;
- l'argumentation relative à l'existence d'un personnel dédié ou non dédié n'apporte rien au débat, étant donné l'existence des coûts réels et spécifiques non facturables affectés à la provision ;
- l'administration n'est pas fondée à soutenir que les coûts générés par le suivi des contentieux participeraient à la réalisation des bénéfices, ce qu'elle ne démontre d'ailleurs pas.
Par un mémoire, enregistré le 29 novembre 2018, la société SCAU persiste dans ses écritures et réduit le montant de ses prétentions au titre des frais d'instance à la somme de 10 000 euros.
Elle soutient que :
- la restriction formulée par le Conseil d'État dans sa décision n° 404091 du 12 octobre 2018, crée une discrimination " dans les applications législatives " ;
- en cas d'absence de prise en compte des coûts dans le cadre du deuxième secteur d'activités correspondant aux prestations non facturées au client, la perte ou la charge n'est pas comptabilisée en méconnaissance des articles L. 123-30 et R. 123-179 du code de commerce, 321-1 et 325 du plan comptable général et de l'Avis n° 00-01 de l'Autorité des normes comptables ;
- la responsabilité décennale qui est imposée par la loi à l'architecte est indissociable de l'exercice de cette activité, ne repose pas sur les contrats de travail des collaborateurs mais sur celle de l'Architecte signataire et responsable du projet ;
- la statistique, déterminée avec une approximation suffisante constatée et acceptée par l'administration établit que, dès l'obtention de la qualité d'architecte, le risque est permanent, probable et entraine obligatoirement des coûts liés aux prestations non facturables ; la dotation des provisions au titre des exercices clos en 2011 et 2012 est liée exclusivement à la survenance des litiges liés à la garantie décennale en raison de la responsabilité de l'architecte et non de l'exécution de contrats de travail déjà signés et à des frais fixes d'agence ;
- le risque étant systématique, et non éventuel, il apparaît que les charges de personnel doivent être regardées comme probables à la date de constitution des provisions, les contrats de travail suivant obligatoirement le risque principal et ne pouvant en être détachés en raison de la notion d'unicité de l'entreprise en termes de responsabilité décennale, lors de la construction de l'immeuble et lors de la mise en cause.
Par un mémoire, enregistré le 4 février 2019, le ministre de l'action et des comptes publics persiste dans ses écritures.
Il soutient que les moyens soulevés par la société SCAU ne sont pas fondés.
Par un mémoire, enregistré le 1er mars 2019, la société SCAU persiste dans ses écritures.
Elle soutient qu'il faut provisionner les charges relatives aux périodes de suractivité probables liées à la mise en jeu de la garantie décennale ; la charge provisionnée correspond à un surcoût de dépenses du personnel et notamment des architectes dont les conditions d'exercice sont prévues dans la Convention Collective des entreprises d'architecture en période de suractivité ; l'appel en garantie décennale étant rendu probable à la clôture de l'exercice, il est nécessaire de procéder à la valorisation du droit au repos compensateur de remplacement qui n'est attribuée que lors de la mise en jeu de la responsabilité décennale et de la suractivité existante ; le repos compensateur de remplacement, qui n'a pas le caractère d'une charge récurrente, correspond à un surcoût qu'il est nécessaire de provisionner.
Par des mémoires distincts, enregistrés les 29 novembre et 21 décembre 2018, la société SCAU a demandé à la Cour de transmettre au Conseil d'État, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles 1792 et suivants du code civil, de la loi du 3 janvier 1977 sur l'architecture, des articles L. 241-1 et L. 243-1 du code des assurances et du 5° de l'article 39-1 du code général des impôts, telles que ces dispositions ont été interprétées par le Conseil d'État dans sa décision n° 404091 du 12 octobre 2018.
Par une ordonnance du 28 mai 2019, le président de la 5ème chambre de la Cour administrative d'appel de Paris a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, de ne pas transmettre au Conseil d'État cette question prioritaire de constitutionnalité.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 ;
- la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions ;
- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif modifiée ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de M. Lemaire, rapporteur public,
- et les observations de Me A..., pour la société SCAU.
Considérant ce qui suit :
1. La société SCAU, agence d'architecture située à Paris, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle le service a remis en cause des provisions " pour services après travaux " que la société avait constituées pour couvrir des charges pour l'essentiel de personnels et de structure engagées pour le suivi des contentieux qu'elle estimait être appelées à acquitter en cas de mise en jeu de sa responsabilité décennale par ses clients, et qu'elle avait déduites de ses résultats imposables des exercices clos en 2008, 2009 et 2010. Elle a été assujettie en conséquence de la réintégration du montant de ces provisions à ses résultats à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions sociales sur l'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2008, 2009 et 2010. Par un jugement en date du 14 novembre 2014, le Tribunal administratif de Paris, saisi par la société SCAU, a réduit ses bases d'imposition et prononcé la décharge des impositions correspondantes, mis à la charge de l'État la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et rejeté le surplus des conclusions de sa demande. Par un arrêt du 29 juillet 2016, la Cour a rejeté le recours du ministre des finances et des comptes publics tendant à l'annulation de ce jugement et au rétablissement des impositions. Par une décision du 12 octobre 2018, le Conseil d'État, sur pourvoi du ministre, a annulé l'arrêt du 29 juillet 2016 et renvoyé l'affaire devant la Cour.
Sur l'appel du ministre des finances et des comptes publics :
2. Aux termes de l'article 39 du code général des impôts, applicable pour la détermination de l'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant, sous réserve des dispositions du 5,
notamment : / (...) 5° Les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables, à condition qu'elles aient été effectivement constatées dans les écritures de l'exercice (...) ".
3. Il résulte des dispositions précitées qu'une entreprise peut valablement porter en provisions et déduire des bénéfices imposables d'un exercice des sommes correspondant à des pertes ou charges qui ne seront supportées qu'ultérieurement par elle, à la condition que ces pertes ou charges soient nettement précisées quant à leur nature et susceptibles d'être évaluées avec une approximation suffisante, qu'elles apparaissent comme probables eu égard aux circonstances constatées à la date de clôture de l'exercice et qu'elles se rattachent aux opérations de toute nature déjà effectuées, à cette date, par l'entreprise. Lorsque la nature des charges ou leurs caractéristiques interdisent de procéder autrement, elles peuvent faire l'objet d'une évaluation selon une méthode statistique à la condition que cette évaluation soit faite de manière précise et suffisamment détaillée et qu'elle prenne en compte notamment la probabilité de réalisation du risque liée à l'éloignement dans le temps.
4. La responsabilité décennale d'un constructeur peut être mise en jeu, au titre d'un chantier, à compter de la réception, partielle ou totale, de l'ouvrage. Dès lors, les charges futures induites statistiquement par les contentieux liés à la garantie décennale peuvent faire l'objet de provisions déductibles à compter de l'exercice de la réception des travaux, cette dernière constituant l'événement de nature à la rendre probable au sens des dispositions citées au point 2 ci-dessus.
5. Ainsi qu'il a été dit au point 1, la société a provisionné les charges salariales qu'elle pensait devoir supporter pour la rémunération de ses salariés chargés d'assurer la gestion et le suivi des litiges futurs liés à la mise en oeuvre de la garantie décennale à laquelle elle est légalement tenue, ainsi qu'une quote-part de frais fixes d'agence. Toutefois, il résulte de l'instruction que ces charges correspondent à l'exécution des contrats de travail déjà signés par la société SCAU avec ses salariés et que leur engagement est indépendant de la survenance des contentieux de garantie décennale.
Par suite, ces charges ainsi que les frais fixes de structure ne peuvent être regardés comme probables à la date de constitution des provisions en litige mais constituent des charges futures présentant un caractère certain. Si la société requérante évoque un surcoût de dépenses du personnel lié à l'attribution du repos compensateur de remplacement auquel ont droit les salariés à raison des heures supplémentaires qu'ils ont réalisées du fait d'un surcroit d'activité trouvant son origine dans la gestion des dossiers de garantie décennale, elle n'établit pas que ces heures supplémentaires ont été consacrées à ces dossiers. Dans ces conditions, c'est à tort que les premiers juges ont admis la déduction des provisions en litige sur le fondement du 5° du 1 de l'article 39 du code général des impôts.
6. Il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la société SCAU devant la Cour et le Tribunal administratif de Paris.
7. En premier lieu, si la société SCAU fait valoir que les provisions en litige répondent aux critères fixés par l'autorité des normes comptables, il résulte de ce qui a été dit aux points précédents qu'elles ne remplissent pas les conditions posées par la loi fiscale pour être déduites de ses résultats imposables.
8. En second lieu, aux termes de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales : " Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration (...) ". Aux termes de l'article L. 80 B du même livre : " La garantie prévue au premier alinéa de l'article L. 80 A est applicable : 1° Lorsque l'administration a formellement pris position sur l'appréciation d'une situation de fait au regard d'un texte fiscal ; elle se prononce dans un délai de trois mois lorsqu'elle est saisie d'une demande écrite, précise et complète par un redevable de bonne foi. (...) ".
9. Si la société SCAU fait valoir qu'au cours de vérifications de comptabilité, qui se sont déroulées en 1994 et en 2001, les provisions qu'elle avaient constatées notamment à la clôture des exercices 1991, 1992 et 1993 et qui, selon elle, répondaient aux mêmes conditions que celles qui avaient servi à déterminer les caractéristiques des provisions en litige, n'ont pas donné lieu à des redressements, l'absence de redressement lors d'un précédent contrôle ne peut être regardé comme constituant une prise de position formelle de l'administration sur la situation de fait du contribuable au regard de la loi fiscale qui lui serait opposable sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales.
10. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'action et des comptes publics est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a réduit les bases d'imposition à l'impôt sur les sociétés et à la contribution sur l'impôt sur les sociétés assignées à la société SCAU au titre des exercices clos en 2008, 2009 et 2010 et prononcé la décharge des impositions correspondantes, et à demander l'annulation des articles 1er, 2 et 3 de ce jugement.
Sur les conclusions présentées par la société SCAU au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que la société SCAU demande au titre des frais qu'elle a exposés.
DÉCIDE :
Article 1er : Les articles 1er, 2 et 3 du jugement n° 1318096 du Tribunal administratif de Paris en date du 14 novembre 2014 sont annulés.
Article 2 : Les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions sociales sur l'impôt sur les sociétés dont la décharge a été prononcée par le tribunal sont remises à la charge de la société SCAU.
Article 3 : Les conclusions de la société SCAU présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'action et des comptes publics et à la société par actions simplifiée SCAU.
Délibéré après l'audience du 13 février 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Formery, président de chambre,
- Mme B..., président assesseur,
- M. Doré, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 25 juin 2020.
Le président de la 5ème chambre,
S.-L. FORMERY
La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18PA03375