Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Le préfet du Val-de-Marne a demandé au juge des référés du Tribunal administratif de Melun, sur le fondement de l'article L. 554-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 10 septembre 2019, par lequel le maire de la commune d'Alfortville a interdit l'utilisation de tout produit phytopharmaceutique contenant du glyphosate et d'autres substances chimiques, notamment ceux contenant des perturbateurs endocriniens, à l'exception des produits à faible risque, pour lutter contre les organismes considérés comme nuisibles, dans les espaces gérés par des organismes privés (parkings, espaces extérieurs de logement collectifs), dans les espaces appartenant à des structures publiques et dans les infrastructures ferroviaires.
Par une ordonnance n° 1909001 du 8 novembre 2019, les juges des référés du Tribunal administratif de Melun, statuant dans les conditions prévues au troisième alinéa de l'article L. 511-2 du code de justice administrative, ont décidé de suspendre l'exécution de cet arrêté.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 28 novembre 2019, la commune d'Alfortville, représentée par Me B..., demande à la Cour :
1°) d'annuler cette ordonnance des juges des référés du Tribunal administratif de Melun du 8 novembre 2019 ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'ordonnance attaquée est insuffisamment motivée : les premiers juges n'ont pas répondu au moyen tiré du principe de précaution protégé par l'article 5 de la Charte de l'environnement, qu'ils n'ont pas analysé, et au moyen tiré de la " clause générale de compétence " de la commune ;
- l'Etat n'a pas fait usage de ses pouvoirs de police spéciale ;
- cette carence dans l'exercice de la police spéciale autorisait le maire à faire usage de ses pouvoirs de police générale en présence d'un péril grave tel que celui représenté par les produits interdits, ou de circonstances locales particulières ;
- l'engagement de la commune en faveur de l'environnement, le niveau de la pollution atmosphérique qui y est constaté, l'obligation de traiter ses habitants de façon égale par rapport à ceux de plusieurs autres communes d'Ile-de-France, et la présence de plusieurs zones vulnérables et de zones utilisées par le grand public sur son territoire, constituent de telles circonstances ;
- c'est à tort que les juges des référés du tribunal administratif ont regardé le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'arrêté en litige comme de nature à créer un doute sérieux sur sa légalité.
Par deux mémoires en défense, enregistrés le 23 janvier et le 5 février 2020, le préfet du Val-de-Marne, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la commune ne sont pas fondés.
Par deux mémoires en réplique, enregistrés le 3 et le 5 février 2020, la commune d'Alfortville conclut aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens. Elle demande en outre à la Cour :
1°) à titre subsidiaire, de surseoir à statuer jusqu'à ce que le Conseil d'Etat se soit prononcé sur la légalité du décret n° 2019-1500 du 27 décembre 2019 relatif aux mesures de protection des personnes lors de l'utilisation de produits phytopharmaceutiques à proximité des zones d'habitation, et de l'arrêté du 27 décembre 2019 relatif aux mesures de protection des personnes lors de l'utilisation de produits phytopharmaceutiques et modifiant l'arrêté du 4 mai 2017 relatif à la mise sur le marché et à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants visés à l'article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime.
2°) à titre plus subsidiaire, de saisir le Conseil d'Etat d'une demande d'avis sur la légalité de ce décret et de cet arrêté.
Elle soutient en outre que :
- l'adoption du décret et de l'arrêté mentionnés ci-dessus est sans incidence sur la légalité de l'arrêté en litige ;
- ce décret et cet arrêté sont inutiles et illégaux ;
- le Conseil d'Etat a été saisi par plusieurs communes de demandes d'annulation de ce décret et de cet arrêté.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution, notamment son préambule ;
- la Charte de l'environnement ;
- le règlement (CE) n° 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil du 18 décembre 2006 concernant notamment l'enregistrement, l'évaluation et l'autorisation des substances chimiques ;
- le règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques ;
- la directive 2009/128/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 instaurant un cadre d'action communautaire pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable ;
- le code de l'environnement ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- l'ordonnance n° 2010-18 du 7 janvier 2010 portant création d'une agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail ;
- le décret n° 2019-1500 du 27 décembre 2019 relatif aux mesures de protection des personnes lors de l'utilisation de produits phytopharmaceutiques à proximité des zones d'habitation ;
- l'arrêté du 27 juin 2011 relatif à l'interdiction d'utilisation de certains produits mentionnés à l'article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime dans des lieux fréquentés par le grand public ou des groupes de personnes vulnérables ;
- l'arrêté du 4 mai 2017 relatif à la mise sur le marché et à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants visés à l'article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime ;
- l'arrêté du 27 décembre 2019 relatif aux mesures de protection des personnes lors de l'utilisation de produits phytopharmaceutiques et modifiant l'arrêté du 4 mai 2017 relatif à la mise sur le marché et à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants visés à l'article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime ;
- la décision du Conseil d'Etat du 26 juin 2019 n° 415426 et 415431 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C...,
- les conclusions de M. Baffray, rapporteur public,
- et les observations de Me A... pour la commune d'Alfortville.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 10 septembre 2019, le maire de la commune d'Alfortville a interdit l'utilisation de tout produit phytopharmaceutique contenant du glyphosate et d'autres substances chimiques, notamment ceux contenant des perturbateurs endocriniens, à l'exception des produits à faible risque, pour lutter contre les organismes considérés comme nuisibles, dans les espaces gérés par des organismes privés (parkings, espaces extérieurs de logement collectifs), dans les espaces appartenant à des structures publiques et dans les infrastructures ferroviaires. Le préfet du Val-de-Marne a demandé au Tribunal administratif de Melun de suspendre l'exécution de cet arrêté. La commune fait appel de l'ordonnance du 8 novembre 2019 par laquelle les juges des référés du tribunal administratif, statuant dans les conditions prévues au troisième alinéa de l'article L. 511-2 du code de justice administrative, ont fait droit à cette demande.
Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :
2. En relevant que le maire ne saurait s'immiscer dans l'exercice de la police spéciale des produits phytopharmaceutiques en édictant des mesures réglementaires à caractère général, et que l'arrêté en litige constitue une mesure d'interdiction réglementaire de portée générale, le juges des référés du tribunal administratif ont suffisamment motivé leur ordonnance. S'étant fondés sur ces motifs, ils n'étaient pas tenus de répondre expressément aux moyens inopérants par lesquels la commune avait invoqué la " clause générale de compétence " qui lui serait reconnue, le principe de précaution et la Charte de l'environnement, qu'ils ont toutefois analysés dans les visas de cette ordonnance.
Sur le bien-fondé de l'ordonnance attaquée :
3. D'une part, aux termes du premier alinéa de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales : " Le représentant de l'Etat dans le département défère au tribunal administratif les actes mentionnés à l'article L. 2131-2 qu'il estime contraires à la légalité dans les deux mois suivant leur transmission (...) ". Aux termes du troisième alinéa du même article, reproduit à l'article L. 554-1 du code de justice administrative : " Le représentant de l'Etat peut assortir son recours d'une demande de suspension. Il est fait droit à cette demande si l'un des moyens invoqués paraît, en l'état de l'instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'acte attaqué. Il est statué dans un délai d'un mois. ".
4. D'autre part, en premier lieu, aux termes de l'article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime : " Les conditions dans lesquelles la mise sur le marché et l'utilisation des produits phytopharmaceutiques et des adjuvants vendus seuls ou en mélange et leur expérimentation sont autorisées, ainsi que les conditions selon lesquelles sont approuvés les substances actives, les coformulants, les phytoprotecteurs et les synergistes contenus dans ces produits, sont définies par le règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/ CEE et 91/414/ CEE du Conseil, et par les dispositions du présent chapitre (...) ". Aux termes du I de l'article L. 253-7 du même code : " Sans préjudice des missions confiées à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail et des dispositions de l'article L. 211-1 du code de l'environnement, l'autorité administrative peut, dans l'intérêt de la santé publique ou de l'environnement, prendre toute mesure d'interdiction, de restriction ou de prescription particulière concernant la mise sur le marché, la délivrance, l'utilisation et la détention des produits mentionnés à l'article L. 253-1 du présent code et des semences traitées par ces produits. Elle en informe sans délai le directeur général de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (...) ". Aux termes de l'article R. 253-1 de ce code : " Le ministre chargé de l'agriculture est, sauf disposition contraire, l'autorité compétente mentionnée au 1 de l'article 75 du règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/ CEE et 91/414/ CEE du Conseil, ainsi que l'autorité administrative mentionnée au chapitre III du titre V du livre II du présent code (partie législative) ". Aux termes de l'article R. 253-45 de ce code : " L'autorité administrative mentionnée à l'article L. 253-7 est le ministre chargé de l'agriculture. Toutefois, lorsque les mesures visées au premier alinéa de l'article L. 253-7 concernent l'utilisation et la détention de produits visés à l'article L. 253-1, elles sont prises par arrêté conjoint des ministres chargés de l'agriculture, de la santé, de l'environnement et de la consommation ". Enfin, aux termes de l'article 5 de l'arrêté du 4 mai 2017 relatif à la mise sur le marché et à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants visés à l'article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime : " En cas de risque exceptionnel et justifié, l'utilisation des produits peut être restreinte ou interdite par arrêté préfectoral. Cet arrêté motivé doit préciser les produits, les zones et les périodes concernés ainsi que les restrictions ou interdictions d'utilisation prescrites. Il doit être soumis dans les plus brefs délais à l'approbation du ministre chargé de l'agriculture ".
5. Il résulte de ces dispositions qu'elles organisent une police spéciale des produits phytopharmaceutiques, en particulier de la mise sur le marché et de l'utilisation de ces produits, confiée à l'État, représenté notamment par les ministres chargés de l'agriculture, de la santé, de l'environnement et de la consommation. En outre, il est prévu qu'en cas de risque exceptionnel et justifié, l'utilisation de ces produits peut être restreinte ou interdite par arrêté du préfet.
6. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales : " La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : (...) 5° Le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les fléaux calamiteux ainsi que les pollutions de toute nature, tels que les incendies, les inondations, les ruptures de digues, les éboulements de terre ou de rochers, les avalanches ou autres accidents naturels, les maladies épidémiques ou contagieuses, les épizooties, de pourvoir d'urgence à toutes les mesures d'assistance et de secours et, s'il y a lieu, de provoquer l'intervention de l'administration supérieure (...) ". Aux termes de l'article L. 2212-4 du même code : " En cas de danger grave ou imminent, tel que les accidents naturels prévus au 5° de l'article L. 2212-2, le maire prescrit l'exécution des mesures de sûreté exigées par les circonstances. / Il informe d'urgence le représentant de l'Etat dans le département et lui fait connaître les mesures qu'il a prises ".
7. S'il appartient au maire, responsable de l'ordre public sur le territoire de sa commune, de prendre les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques en application des dispositions citées ci-dessus des articles L. 2212-2 et L. 2212-4 du code général des collectivités territoriales, il ne saurait, sans porter atteinte aux pouvoirs de police spéciale des produits phytopharmaceutiques conférés aux autorités de l'Etat, par les dispositions citées au point 4 du code rural et de la pêche maritime, édicter des mesures réglementaires à caractère général.
8. En troisième lieu, aux termes de l'article 5 de la Charte de l'environnement, à laquelle le préambule de la Constitution fait référence : " Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d'attributions, à la mise en oeuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ". Il résulte de ces dispositions que le principe de précaution, s'il est applicable à toute autorité publique dans ses domaines d'attributions, ne saurait avoir ni pour objet ni pour effet de permettre à une autorité publique d'excéder son champ de compétence et d'intervenir en dehors de ses domaines d'attributions. En conséquence, ces dispositions ne sauraient davantage permettre au maire de s'immiscer dans l'exercice de la police spéciale des produits phytopharmaceutiques, en édictant des mesures réglementaires à caractère général.
9. Par son arrêté du 10 septembre 2019, le maire de la commune d'Alfortville a, ainsi qu'il a été dit au point 1, interdit l'utilisation de tout produit phytopharmaceutique contenant du glyphosate et d'autres substances chimiques, notamment ceux contenant des perturbateurs endocriniens, dans les espaces gérés par des organismes privés, dans les espaces appartenant à des structures publiques et dans les infrastructures ferroviaires. Ainsi, cet arrêté constitue une mesure réglementaire d'interdiction de portée générale. La commune n'est donc pas fondée à soutenir que c'est à tort que les juges des référés du tribunal administratif ont estimé que le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de cet arrêté était de nature à créer un doute sérieux sur sa légalité.
10. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de saisir le Conseil d'Etat d'une demande d'avis sur la légalité du décret et de l'arrêté du 27 décembre 2019, visés ci-dessus, la requête de la commune d'Alfortville doit être rejetée, y compris les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la commune d'Alfortville est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la commune d'Alfortville et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Val-de-Marne.
Délibéré après l'audience du 5 février 2020, à laquelle siégeaient :
- Mme Fuchs Taugourdeau, président de chambre,
- M. C..., président-assesseur,
- M. Pagès, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 14 février 2020.
Le rapporteur,
J-C. C...Le président,
O. FUCHS TAUGOURDEAU
Le greffier,
P. TISSERAND
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 19PA03830 2