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19/11/2019 | FRANCE | N°18PA03746

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 19 novembre 2019, 18PA03746


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Boucherie de la paix a demandé au tribunal administratif de Paris de la décharger de la contribution spéciale de 34 900 euros et de la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de 4 248 euros dont elle a été déclarée redevable par une décision du 21 mars 2014 du directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration.

Par un jugement n° 1413899 du 5 mai 2015, le tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande.

Par un ar

rêt n° 15PA02518 du 29 juillet 2016, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appe...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Boucherie de la paix a demandé au tribunal administratif de Paris de la décharger de la contribution spéciale de 34 900 euros et de la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de 4 248 euros dont elle a été déclarée redevable par une décision du 21 mars 2014 du directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration.

Par un jugement n° 1413899 du 5 mai 2015, le tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 15PA02518 du 29 juillet 2016, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la société Boucherie de la paix contre ce jugement.

Par une décision n° 403978 du 26 novembre 2018, saisi d'un pourvoi présenté par la société Boucherie de la Paix, le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt et a renvoyé l'affaire devant la Cour.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 25 juin 2015, la société Boucherie de la paix, représentée par Me A..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1413899 du 5 mai 2015 du tribunal administratif de Paris ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative

La société Boucherie de la paix soutient que :

- s'agissant des contributions exigées pour M. D..., il n'est pas contesté que son gérant ignorait que l'employé lui avait présenté l'original d'une fausse carte d'identité française ; il n'était dès lors pas tenu d'effectuer des vérifications auprès de la préfecture pour s'assurer de son authenticité ; le juge pénal a lui-même reconnu qu'il n'avait aucune connaissance de l'existence d'un faux ; dans de telles conditions, une sanction pénale équivalente à une accusation en matière pénale au regard de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne saurait lui être infligée ;

- s'agissant des contributions exigées pour M. C..., les faits ont été regardés comme non établis par le juge pénal ; l'intéressé ne travaillait pas au moment du contrôle et n'était pas encore salarié.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 22 mars 2016, 20 juin 2016 et 2 septembre 2019, l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFFI), représenté par Me E..., conclut dans le dernier état de ses écritures au rejet de la requête et à ce que la somme de

3 000 euros soit mise à la charge de la société Boucherie de la paix au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Par ordonnance du 16 juillet 2019, la clôture de l'instruction a été fixée au 16 septembre 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- et les conclusions de Mme Pena, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Le 19 mars 2013, lors d'un contrôle inopiné diligenté dans l'établissement exploité par la société Boucherie de la paix, situé au 91 rue de la Roquette dans le 11ème arrondissement de Paris, un inspecteur du recouvrement des cotisations et contributions de la sécurité sociale et les services de police ont constaté l'emploi par cette société de deux ressortissants étrangers démunis de titres les autorisant à séjourner et à travailler en France. Les procès-verbaux établis ont été transmis à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) et, par une décision du 21 mars 2014, le directeur général de l'Office a mis à la charge de la société Boucherie de la paix la contribution spéciale prévue par l'article L. 8253-1 du code du travail à hauteur de 34 900 euros, ainsi que la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement prévue par l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour un montant de 4 248 euros. Un recours gracieux formé par la société requérante par courrier du 15 avril 2014 reçu le 18, a été rejeté implicitement. Des titres de perception ont ensuite été émis, le 18 avril 2014. La société Boucherie de la paix a relevé appel du jugement du 5 mai 2015 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge des sommes ainsi réclamées. Par un arrêt n° 15PA02518 en date du

29 juillet 2016, la cour a rejeté la requête de la société Boucherie de la paix. Par une décision du 26 novembre 2018, le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt de la Cour et lui a renvoyé l'affaire.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 8251-1 du code du travail : " Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France. (...) ". Aux termes de l'article L. 8253-1 de ce code, dans sa rédaction alors en

vigueur : " Sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son encontre, l'employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 acquitte, pour chaque travailleur étranger sans titre de travail, une contribution spéciale. Le montant de cette contribution spéciale est déterminé dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. Il est, au plus, égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. Ce montant peut être minoré en cas de non-cumul d'infractions ou en cas de paiement spontané par l'employeur des salaires et indemnités dus au salarié étranger sans titre mentionné à l'article R. 8252-6. Il est alors, au plus, égal à 2 000 fois ce même taux. Il peut être majoré en cas de réitération et est alors, au plus, égal à 15 000 fois ce même taux . / (...) ". Enfin, aux termes du premier alinéa de l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sans préjudice des poursuites judiciaires qui pourront être engagées à son encontre et de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail, l'employeur qui aura occupé un travailleur étranger en situation de séjour irrégulier acquittera une contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine.".

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 5221-8 du code du travail : " L'employeur s'assure auprès des administrations territorialement compétentes de l'existence du titre autorisant l'étranger à exercer une activité salariée en France, sauf si cet étranger est inscrit sur la liste des demandeurs d'emploi tenue par l'institution mentionnée à l'article L. 5312-1. ". Aux termes de l'article R. 5221-41 du même code : " Pour s'assurer de l'existence de l'autorisation de travail d'un étranger qu'il se propose d'embaucher, en application de l'article L. 5221-8, l'employeur adresse au préfet du département du lieu d'embauche ou, à Paris, au préfet de police une lettre datée, signée et recommandée avec avis de réception ou un courrier électronique, comportant la transmission d'une copie du document produit par l'étranger. A la demande du préfet, il peut être exigé la production par l'étranger du document original. ". Enfin, aux termes de l'article R. 5221-42 du même code : " La demande de l'employeur est adressée au préfet au moins deux jours ouvrables avant la date d'effet de l'embauche. Le préfet notifie sa réponse à l'employeur par courrier, télécopie ou courrier électronique dans un délai de deux jours ouvrables à compter de la réception de la demande. A défaut de réponse dans ce délai, l'obligation de l'employeur de s'assurer de l'existence de l'autorisation de travail est réputée accomplie. ".

4. Les contributions prévues par les dispositions des articles L. 8253-1 du code du travail et celles de l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile constituent des sanctions administratives, fondées sur des constatations objectives de fait, et dues indépendamment, le cas échéant, de poursuites judiciaires. Si les faits constatés par le juge pénal et qui commandent nécessairement le dispositif d'un jugement ayant acquis force de chose jugée s'imposent à l'administration comme au juge administratif, la même autorité ne saurait s'attacher aux relaxes prononcées au motif que les faits reprochés ne sont pas établis ou qu'un doute subsiste sur leur réalité. Il appartient, dans ce cas, à l'autorité administrative sous le contrôle du juge, d'apprécier si les mêmes faits sont suffisamment établis et, dans l'affirmative, s'ils justifient l'application d'une sanction administrative. Par suite, la circonstance selon laquelle le tribunal correctionnel de Paris, dans son jugement du 13 juin 2013, a relaxé la société et son gérant des chefs d'exécution d'un travail dissimulé et d'emploi d'un étranger non muni d'une autorisation de travail salarié au motif qu'" il n'(était) pas établi (...) que ces personnes étaient en action de travail " est sans incidence sur le litige.

5. Pour l'application des dispositions précitées de l'article L. 8251-1 du code du travail, il appartient à l'autorité administrative de relever, sous le contrôle du juge, les indices objectifs de subordination permettant d'établir la nature salariale des liens contractuels existant entre un employeur et le travailleur qu'il emploie.

6. Enfin, il résulte des dispositions précitées de l'article L. 8253-1 du code du travail et de l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que les contributions qu'ils prévoient ont pour objet de sanctionner les faits d'emploi d'un travailleur étranger séjournant irrégulièrement sur le territoire français ou démuni de titre l'autorisant à exercer une activité salariée, sans qu'un élément intentionnel soit nécessaire à la caractérisation du manquement. Toutefois, un employeur ne saurait être sanctionné sur le fondement de ces dispositions, qui assurent la transposition des articles 3, 4 et 5 de la directive 2009/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2009 prévoyant des normes minimales concernant les sanctions et les mesures à l'encontre des employeurs de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, lorsque tout à la fois, d'une part, il s'est acquitté des obligations qui lui incombent en vertu de l'article L. 5221-8 du code du travail et, d'autre part, il n'était pas en mesure de savoir que les documents qui lui étaient présentés revêtaient un caractère frauduleux ou procédaient d'une usurpation d'identité.

S'agissant de l'embauche de M. C... :

7. La société requérant soutient que l'intéressé ne travaillait pas au moment du contrôle et n'était pas encore salarié. Cependant, M. C... se trouvait dans le sous-sol de l'établissement où travaillaient les employés et il ressort des déclarations du gérant de la société aux services de police lors de son audition, le 19 mars 2013 qu'il avait été recruté pour suppléer à l'absence d'employés en congés à une date correspondant à celle du contrôle. Il est constant que l'employeur n'avait pas satisfait à l'obligation qui lui incombe en vertu des articles R. 5221-41 et R. 5221-42 du code du travail. Dès lors, le caractère irrégulier de l'embauche de M. C... ne saurait être sérieusement contesté.

S'agissant de l'embauche de M. D... :

8. La société requérante ne conteste pas avoir employé l'intéressé, pas plus qu'elle ne conteste devant la Cour que le document d'identité que celui-ci lui a présenté s'est révélé être un faux. Elle soutient, en revanche, que M. D... lui a présenté l'original d'une carte nationale d'identité française dont l'enquête a révélé qu'il s'agissait d'un faux mais qu'elle n'était pas tenue d'effectuer des vérifications auprès de la préfecture pour s'assurer de son authenticité dès lors qu'il s'agissait d'un titre d'identité français, et que ce titre offrait toutes les apparences de l'authenticité. Si, lors de ses auditions, le gérant de la société a d'abord affirmé que M. D... lui avait présenté un titre de séjour, il a corrigé ses déclarations initiales en indiquant qu'il s'agissait en réalité d'une carte nationale d'identité dont une photocopie avait été ensuite remise au comptable de la société, ce que ce dernier a confirmé aux services de police. Si l'OFII fait valoir que sur la carte d'identité dont se prévalait M. D..., le " E " de préfecture porte fautivement un accent, que l'adresse mentionne une rue qui n'existe pas et que le numéro de l'arrondissement n'y figure pas, enfin que la police de caractères utilisée pour les chiffres n'est pas celle en usage, ces anomalies ne présentent pas un caractère suffisamment apparent pour être décelées par un employeur normalement vigilant. Dans ces conditions, la société Boucherie de la paix, qui dans les circonstances de l'espèce peut utilement se prévaloir de sa bonne foi, est fondée à faire valoir qu'elle n'était pas en mesure de savoir que ce document revêtait un caractère frauduleux ou procédait d'une usurpation d'identité. Elle ne saurait, dès lors, être sanctionnée pour avoir employé M. D....

9. Il résulte de tout ce qui précède que la société Boucherie de la paix est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à ce que soit annulée la décision de l'Office français de l'immigration et de l'intégration du 21 mars 2014 en tant qu'elle concerne l'embauche de M. D.... Le surplus des conclusions de la requête, en tant qu'elles portent sur l'embauche de M. C..., doit en revanche être rejeté. Par suite, la société requérante est fondée à solliciter une décharge partielle correspondant à l'obligation de payer les contributions spéciale et forfaitaire dues au titre de l'emploi de

M. D....

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Boucherie de la paix la somme que réclame l'OFII au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu dans les circonstances de l'espèce de faire droit aux conclusions de la société Boucherie de la paix présentées sur le fondement de ces dispositions.

D É C I D E :

Article 1er : La décision de l'Office français de l'immigration et de l'intégration du 21 mars 2014 est annulée en tant qu'elle met à la charge de la société Boucherie de la paix les contributions spéciale et forfaitaire au titre de l'emploi de M. D.... La société Boucherie de la paix est déchargée du montant de ces contributions.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Paris du 5 mai 2015 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Boucherie de la paix est rejeté.

Article 4 : Les conclusions de l'OFII présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Boucherie de la paix et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.

Délibéré après l'audience publique du 5 novembre 2019 à laquelle siégeaient :

- M. Bernier, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- Mme B..., premier conseiller,

- Mme Mornet, premier conseiller.

Lu en audience publique le 19 novembre 2019.

Le rapporteur,

M-F... B... Le président de la formation de jugement,

Ch. BERNIER

Le greffier,

E. MOULIN

La République mande et ordonne à la ministre du travail en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 10PA03855

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N° 18PA03746


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 18PA03746
Date de la décision : 19/11/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-06-02-02 Étrangers. Emploi des étrangers. Mesures individuelles. Contribution spéciale due à raison de l'emploi irrégulier d'un travailleur étranger.


Composition du Tribunal
Président : M. BERNIER
Rapporteur ?: Mme Marie-Dominique JAYER
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : CABINET F. NAIM

Origine de la décision
Date de l'import : 18/02/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2019-11-19;18pa03746 ?
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