Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Cofinfo a demandé au tribunal administratif de Paris, d'une part, d'annuler la saisie à tiers détenteur du 30 juin 2014 émise par le directeur régional des finances publiques d'Île-de-France et du département de Paris pour le recouvrement de la somme de 239 243, 09 euros due en exécution de l'arrêt n° 06PA02463 de la Cour du 5 juin 2007 et la décision du 24 décembre 2015 de la même autorité rejetant sa contestation dirigée contre cette saisie à tiers détenteur et, d'autre part, de la décharger de l'obligation de payer la somme de 239 243,09 euros.
Par un jugement n° 1600988/3-1 du 27 février 2018, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 12 mars 2018, 13 juillet 2018 et 31 juillet 2018, la société Cofinfo, représentée par Me Doueb, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1600988/3-1 du 27 février 2018 du tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler la saisie à tiers détenteur du 30 juin 2014 émise par le directeur régional des finances publiques d'Île-de-France et du département de Paris ;
3°) d'annuler la décision du 24 décembre 2015 du directeur régional des finances publiques d'Île-de-France et du département de Paris rejetant sa contestation contre cette saisie à tiers détenteur ;
4°) de la décharger de l'obligation de payer la somme de 239 243,09 euros ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la saisie à tiers détenteur est entachée d'incompétence ;
- la saisie à tiers détenteur est entachée de vices de forme dès lors qu'elle ne mentionne pas la référence des textes sur lesquels est fondée la créance, ni le nom du comptable assignataire, ni même les dispositions des articles 6 et 9 du décret du 31 juillet 1992 ;
- la saisie à tiers détenteur est entachée d'un détournement de pouvoir dès lors que l'Etat a illégalement refusé de prêter le concours de la force publique afin de permettre une expropriation à moindre coût de l'immeuble lui appartenant en raison des dégradations causées par des squatters ;
- elle est fondée sur des titres de perceptions illégaux ;
- l'administration a méconnu l'autorité de la chose jugée par la Cour dans son arrêt n° 10PA04025 du 4 novembre 2011 et par le Conseil d'Etat dans sa décision n° 355556 du 30 décembre 2013 ;
- des circonstances nouvelles sont intervenues ; par un jugement du 8 juillet 2015 confirmé par un arrêt de la cour d'appel de Paris, le juge de l'expropriation a ordonné la restitution de l'immeuble en cause ;
- la saisie à tiers détenteur méconnaît l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que sa cause n'a pas été entendue de manière équitable et que le principe d'égalité des armes a été méconnu ;
- elle méconnaît l'article 1er du premier protocole à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en portant une atteinte manifeste à son droit de propriété ; la mise en demeure d'avoir à payer contestée n'aurait jamais été émise si son droit de propriété avait été respecté ;
- la décision du 23 août 2011 rejetant sa réclamation préalable est également entachée d'incompétence ; elle est signée par M.A..., directeur régional des Finances Publiques d'Île-de-France et du département de Paris, qui n'avait pas, à la date de la décision, reçu délégation pour ce faire.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 18 juin 2018 et 24 juillet 2018, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
A titre principal, en application de l'article L. 281 du livre des procédures fiscales, le juge administratif n'est pas compétent pour statuer sur la régularité d'un acte de poursuite ;
A titre subsidiaire, les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le livre des procédures fiscales,
- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Larsonnier,
- les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public,
- et les observations de Me Doueb, avocat de la société Cofinfo.
Considérant ce qui suit :
1. La société Cofinfo, venant aux droits de la société Kentucky, a acquis en 1997 un immeuble situé dans le 11ème arrondissement de Paris, afin de le rénover et de le donner en location. Les locaux ont été occupés par des squatters. Le président du tribunal de grande instance de Paris a ordonné, en 2000, leur expulsion. La société a ensuite demandé à plusieurs reprises au préfet de police, entre 2000 et 2005, le concours de la force publique. L'Etat n'a pas accordé ce concours, a fait réaliser, aux frais de la société, des travaux de rénovation de l'immeuble, puis a engagé une procédure d'expropriation. Par un jugement du 14 mars 2006, le tribunal administratif de Paris a déclaré l'Etat responsable du préjudice subi par la société jusqu'en 2006 du fait du refus de concours de la force publique, sur le fondement de la rupture d'égalité devant les charges publiques et a condamné l'Etat à verser à la société Cofinfo la somme de 1 645 358,75 euros, représentant les pertes de loyers et charges subies et les frais de procédure. Par un arrêt du 5 juin 2007 devenu définitif, la Cour a réformé ce jugement et ramené le montant de l'indemnisation à la somme de 689 424 euros. La société Cofinfo s'est vue réclamer le remboursement de la différence entre la somme de 1 645 358,75 euros, versée par l'Etat en exécution du jugement du 14 mars 2006, et la somme de 689 424 euros retenue par le juge d'appel. Un titre de perception a été émis, pour un montant de 1 187 185,54 euros, par le ministre de l'intérieur, le 4 août 2008. Par un jugement du 11 décembre 2009, confirmé par un arrêt de la cour du 20 janvier 2011, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de la société Cofinfo tendant à l'annulation de ce titre de perception. La somme due n'ayant été que partiellement recouvrée par le biais d'une saisie à tiers détenteur, une mise en demeure de payer le reliquat, soit la somme de 239 243,92 euros, a été notifiée à la société Cofinfo le 3 juin 2014 et un avis à tiers détenteur a été émis le 30 juin 2014. Après avoir formé une réclamation préalable auprès du comptable public, rejetée le 2 septembre 2014, la société Cofinfo a demandé au tribunal administratif de Paris de la décharger de l'obligation de payer cette somme. Par un jugement du 13 octobre 2015, confirmé par un arrêt de la Cour du 30 décembre 2016, le tribunal a rejeté sa demande. A la suite d'une nouvelle notification le 28 octobre 2015 de l'avis à tiers détenteur du 30 juin 2014, la société Cofinfo a formé une nouvelle réclamation préalable qui a été rejetée par une décision du 24 décembre 2015 du directeur régional des finances publiques d'Île-de-France et du département de Paris. La société Cofinfo relève appel du jugement du 27 février 2018 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la saisie à tiers détenteur du 30 juin 2014 et de la décision du 24 décembre 2015 ainsi qu'à la décharge de l'obligation de payer la somme de 239 243,09 euros.
2. Aux termes de l'article 23 du décret du 7 novembre 2012, applicable à l'Etat en vertu de son article 2 : " Les recettes comprennent les produits des impositions de toute nature, les produits résultant de conventions ou de décisions de justice et les autres produits autorisés pour chaque catégorie de personne morale mentionnée à l'article 1er par les lois et règlements en vigueur. Les impositions de toute nature et produits mentionnés ci-dessus sont liquidés et recouvrés dans les conditions prévues par le code général des impôts, le livre des procédures fiscales, le code des douanes et, le cas échéant, par les autres lois et règlements ". Aux termes de l'article 112 de ce décret : " Les ordres de recouvrer relatifs aux autres recettes comprennent : " 1° Les titres de perception mentionnés à l'article L. 252 A du livre des procédures fiscales ; (...) ". Aux termes de l'article 117 du même décret : " Les titres de perception émis en application de l'article L. 252 A du livre des procédures fiscales peuvent faire l'objet de la part des redevables : 1° Soit d'une contestation portant sur l'existence de la créance, son montant ou son exigibilité ; 2° Soit d'une contestation portant sur la régularité du titre de perception. Les contestations du titre de perception ont pour effet de suspendre le recouvrement de la créance. ". Aux termes de l'article 119 de ce décret : " Les actes de poursuites, délivrés pour le recouvrement des titres de perception émis dans le cadre de l'article L. 252 A du livre des procédures fiscales peuvent faire l'objet de la part des redevables d'une contestation conformément aux articles L. 281 et R. 281-1 et suivants du même livre. Les demandes en revendication d'objets saisis formées par des tiers sont effectuées conformément aux modalités prévues aux articles L. 283 et R. 283-1 du livre des procédures fiscales. ".
3. L'article L.252 A du livre des procédures fiscales dispose que : " Constituent des titres exécutoires les arrêtés, états, rôles, avis de mise en recouvrement, titres de perception ou de recettes que l'Etat, les collectivités territoriales ou les établissements publics dotés d'un comptable public délivrent pour le recouvrement des recettes de toute nature qu'ils sont habilités à recevoir ". Aux termes du I de l'article L. 273 A du même livre : " Les créances de l'Etat ou celles qu'il est chargé de recouvrer pour le compte de tiers sur la base d'un titre de perception délivré par lui en application de l'article L. 252 A peuvent être recouvrées par voie de saisie à tiers détenteur. / (...) / Les contestations relatives à la saisie doivent être adressées à l'administration dont dépend le comptable qui a exercé cette poursuite avant tout recours juridictionnel ". L'article L. 281 du livre des procédures fiscales dispose que : " Les contestations relatives au recouvrement des impôts, taxes, redevances et sommes quelconques dont la perception incombe aux comptables publics compétents mentionnés à l'article L. 252 doivent être adressées à l'administration dont dépend le comptable qui exerce les poursuites. / Les contestations ne peuvent porter que : / 1° Soit sur la régularité en la forme de l'acte ; / 2° Soit sur l'existence de l'obligation de payer, sur le montant de la dette compte tenu des paiements effectués, sur l'exigibilité de la somme réclamée, ou sur tout autre motif ne remettant pas en cause l'assiette et le calcul de l'impôt. / Les recours contre les décisions prises par l'administration sur ces contestations sont portés, dans le premier cas, devant le juge de l'exécution, dans le second cas, devant le juge de l'impôt tel qu'il est prévu à l'article L. 199 ".
4. En premier lieu, il résulte des dispositions précitées qu'il n'appartient pas au juge administratif de connaître des contestations portant sur la régularité en la forme des actes de recouvrement, lesquelles relèvent de la compétence du juge judiciaire. Ainsi, comme l'ont estimé à bon droit les premiers juges, doivent être écartés comme portés devant une juridiction incompétente pour en connaître, d'une part, les moyens tirés de ce que la saisie à tiers détenteur du 30 juin 2014 aurait été signée par une autorité incompétente et qu'elle ne mentionnerait ni la référence des textes sur lesquels est fondée la créance, ni le nom du comptable assignataire, ni les dispositions des articles 6 et 9 du décret du 31 juillet 1992.
5. En deuxième lieu, les vices qui peuvent entacher la décision par laquelle le directeur des finances publiques rejette une réclamation relative à un acte de recouvrement sont sans incidence sur les questions que le contribuable peut soumettre au juge de l'impôt dans le cadre défini au 2° de l'article L. 281 précité. En conséquence, le moyen tiré par la société Cofinfo de ce que le signataire de la décision du 24 décembre 2015, le directeur régional des finances publiques d'Île-de-France et du département de Paris, portant rejet de sa contestation formée le 24 novembre 2015 contre le titre exécutoire, est incompétent, ne pourra qu'être écarté comme inopérant.
6. En troisième lieu, l'illégalité d'un acte administratif non réglementaire ne peut être invoquée par la voie de l'exception que dans la mesure où, à la date à laquelle l'exception est soulevée, il n'est pas devenu définitif. A supposer que la société Cofinfo entende soutenir que la saisie à tiers détenteur du 30 juin 2014 est fondée sur un titre de perception illégal, en tant qu'il serait entaché d'un détournement de pouvoir caractérisé par la volonté de l'administration de s'emparer à moindre coût de sa propriété, il résulte de l'instruction que par un jugement du 11 décembre 2009, confirmé par un arrêt de la Cour du 20 janvier 2011, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de la société Cofinfo tendant à l'annulation de ce titre de perception du 4 août 2008 qui est, par suite, devenu définitif. Dans ces conditions, l'exception d'illégalité du titre de perception exécutoire ne peut qu'être écartée.
7. En quatrième et dernier lieu, les autres moyens soulevés par la requérante, tirés de ce que l'Etat aurait commis un détournement de pouvoir, méconnu l'autorité de la chose jugée en réclamant le remboursement de la somme en litige, et que, dans le cadre du refus de concours de la force publique pour expulser les squatters, de la rénovation de l'immeuble aux frais de Cofinfo et de la procédure d'expropriation dont a fait l'objet cet immeuble, auraient été méconnues les stipulations de l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que celles de l'article 1er du Premier protocole additionnel à cette convention ne peuvent, non plus, être utilement invoqués à l'appui d'un recours relatif à un acte de recouvrement dès lors que, en tout état de cause, le titre de perception est, ainsi qu'il a été dit, devenu définitif.
8. Il résulte de tout ce qui précède que la société Cofinfo n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Cofinfo est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Cofinfo et au ministre de l'action et des comptes public.
Copie en sera adressée au directeur régional des finances publiques d'Île-de-France et du département de Paris.
Délibéré après l'audience du 4 avril 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président,
- M. Luben, président assesseur,
- Mme Larsonnier, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 18 avril 2019.
Le rapporteur,
V. LARSONNIERLe président,
J. LAPOUZADE
Le greffier,
Y. HERBER La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18PA00848