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07/03/2019 | FRANCE | N°17PA02635

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 07 mars 2019, 17PA02635


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) Raipoe International a demandé au Tribunal administratif de la Polynésie française de condamner la Polynésie française à lui verser, d'une part, une indemnité de 124 410 000 F CFP au titre de la privation de propriété de 414 700 perles retenues par le service de la perliculture entre 2007 et 2016 sur le fondement des dispositions de la délibération du 4 février 2005 portant définition des produits tirés de l'activité de la perliculture en

Polynésie française et fixation des règles relatives à la classification, au tr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) Raipoe International a demandé au Tribunal administratif de la Polynésie française de condamner la Polynésie française à lui verser, d'une part, une indemnité de 124 410 000 F CFP au titre de la privation de propriété de 414 700 perles retenues par le service de la perliculture entre 2007 et 2016 sur le fondement des dispositions de la délibération du 4 février 2005 portant définition des produits tirés de l'activité de la perliculture en Polynésie française et fixation des règles relatives à la classification, au transport, à la commercialisation et aux formalités d'exportation de la perle de culture de Tahiti, des ouvrages et des articles de bijouterie en comportant, et, d'autre part, une somme de 226 000 F CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1600484 du 30 mai 2017, le Tribunal administratif de la Polynésie française a condamné la Polynésie française à verser à l'EURL Raipoe International une indemnité de 10 297 782 F CFP (86 295 euros) en réparation de la privation de propriété des 323 080 perles détruites le 17 mai 2016 ainsi que la somme de 150 000 F CFP (1 257 euros) au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 28 juillet 2017 et un mémoire en réplique enregistré le 9 octobre 2018, l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) Raipoe International, représentée par MeA..., demande à la Cour :

1°) de réformer le jugement n° 1600484 du 30 mai 2017 du Tribunal administratif de la Polynésie française en tant que ce jugement n'a pas fait droit à l'intégralité de ses conclusions indemnitaires ;

2°) de condamner la Polynésie française à lui verser une indemnité de 96 924 000 F CFP au titre de la privation de propriété de ses 323 080 perles détruites par le service de la perliculture ;

3°) de mettre à la charge de la Polynésie française une somme de 3000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la réglementation locale n'a pas valeur de loi et la Polynésie française ne pouvait en l'absence de nécessité publique légalement constatée procéder à la saisie des perles ;

- si le tribunal a reconnu à juste titre son droit à indemnisation, il a toutefois limité à tort le montant de son indemnité à la somme de 10 297 782 F CFP dès lors que les perles en cause qualifiées de rebuts étaient celles qui paraissaient superficiellement commerciales, sans défaut apparent ; en outre, elle se trouve dans l'impossibilité matérielle de démontrer la possible reconversion de ces perles en perles sciées dès lors que l'administration a pris l'initiative de détruire ces perles malgré l'opposition qu'elle avait formulée ; la valeur marchande des perles qualifiées de rebuts est comprise entre 300 et 500 F CFP la pièce alors que le tribunal n'a retenu qu'une valeur marchande de 25 F CFP le gramme (0,2095 euros), soit une valeur très inférieure à la réalité du marché ;

- il n'y a aucun moyen de contrôler la qualité des perles lors d'une transaction entre le producteur et le négociant ;

- la rétention des perles sans indemnisation méconnaît le principe d'égalité entre les producteurs de perles dont l'indemnisation est prévue par la délibération du 4 février 2005 et les négociants ;

- la notion de rebut n'existe plus depuis la promulgation de la loi du pays du 18 juillet 2017 et toutes les perles retenues par le service de la perliculture pourraient à présent être commercialisées au prix du marché, si elles n'étaient pas détruites ; l'indemnisation de son préjudice ne peut, par conséquent, être réduite à la seule indemnisation forfaitaire prévue par l'arrêté du 17 novembre 2005 ;

- la Polynésie française a procédé dans la précipitation à la destruction des rebuts qu'elle détenait encore le 20 mars 2017 à la seule fin de faire échec à son droit à restitution ;

- son préjudice résulte du fait d'avoir payé au producteur le prix des perles dont elle a été par la suite privée et qui ne sont pas dépourvues de valeur marchande ;

- le contrat liant le producteur et le négociant est un contrat de vente dont la Polynésie française ne peut se prévaloir en application du principe de l'effet relatif des contrats ;

- elle a droit à une juste et préalable indemnité, la valeur des rebuts n'étant pas symbolique.

Par un mémoire en défense et en appel incident, enregistré le 26 septembre 2018, la Polynésie française, représentée par MeB..., conclut, par la voie de l'appel incident, à titre principal, à l'annulation du jugement n° 1600484 du 30 mai 2017 du Tribunal administratif de la Polynésie française ; à titre subsidiaire, à la réformation de ce jugement en tant que la somme de 10 297 782 F CFP (86 295 euros) mise à sa charge par celui-ci doit être ramenée à la somme de 321 817 F CFP (2 696,83 euros) ; à titre infiniment subsidiaire, à la confirmation du jugement en tant qu'il accorde à l'EURL Raipoe International une indemnisation égale à celle accordée aux producteurs de perles mais en réformant ce jugement quant au nombre de perles détruites et en le ramenant de 323 080 à 321 817 et, enfin, de mettre à la charge de l'EURL Raipoe International la somme de 150 000 F CFP (1 257 euros) au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requérante n'a pas subi de préjudice résultant de la privation du droit de propriété dès lors que les perles détruites, qualifiées de rebuts au sens de l'article 2.4 de la délibération du 4 février 2005, n'avaient pas de valeur marchande comme l'a jugé la Cour dans un précédent arrêt n° 13PA00411 du 27 février 2014 ;

- les négociants en perles ne peuvent se prévaloir d'une quelconque indemnisation dès lors que l'arrêté 1027/CM du 17 novembre 2005 a prévu une indemnisation pour les seuls producteurs du fait de la rupture d'égalité devant les charges publiques et du préjudice spécial et anormalement grave qu'ils subissent en raison des frais inhérents à leur activité ;

- la privation de propriété subie par la requérante doit être regardée comme poursuivant un motif d'intérêt général qui ne lui a causé aucun préjudice commercial ;

- la société requérante a pris le risque calculé de conclure la vente au rabais de lots de perles non encore soumis au contrôle de qualité du service de perliculture et comportant ainsi un pourcentage indéterminé de rebuts ; dans ces conditions, la Polynésie française ne peut utiliser les deniers publics pour indemniser un professionnel qui a consciemment pris un risque en achetant des lots de perles non contrôlées ;

- à titre subsidiaire, l'indemnisation de la société requérante qui exerce l'activité de négociant ne peut être identique à celle accordée légitimement aux producteurs, les négociants et les producteurs n'étant pas objectivement dans la même situation ; c'est à tort que le tribunal a octroyé à la société requérante une indemnité strictement égale à celle qui aurait été allouée à un producteur ;

- le seul préjudice subi par la société requérante découle de l'atteinte à son droit de propriété ; il est purement symbolique et ne peut ouvrir droit qu'à une indemnisation symbolique à hauteur de 1 F CFP par rebut soit la somme totale de 321 817 F CFP (2 696,86 euros ) ;

- à titre infiniment subsidiaire, si la Cour confirme le jugement attaqué en tant qu'il accorde à l'EURL Raipoe International une indemnisation égale à celle qui aurait été accordée à un producteur, il conviendra de ramener le nombre de rebuts retenu par le tribunal à celui de 321 817 correspondant au nombre de rebuts réellement saisis et détruits.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, et notamment son préambule,

- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004,

- la délibération n° 2005-42 APF du 4 février 2005,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Larsonnier,

- et les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. L'EURL Raipoe International, qui exerce l'activité de négociant en perles, a demandé à la Polynésie française, par un courrier en date du 18 juillet 2016, reçu le 20 juillet suivant, de lui verser la somme de 124 410 000 F CFP (1 042 555 euros) en réparation de la privation de propriété de 414 700 perles retenues par le service de la perliculture entre 2007 et 2016 sur le fondement des dispositions de la délibération du 4 février 2005 portant définition des produits tirés de l'activité de la perliculture en Polynésie française et fixation des règles relatives à la classification, au transport, à la commercialisation et aux formalités d'exportation de la perle de culture de Tahiti, des ouvrages et des articles de bijouterie en comportant. La Polynésie française a implicitement rejeté sa demande. Par un jugement du 30 mai 2017, le Tribunal administratif de la Polynésie française a condamné la Polynésie française a versé à l'EURL Raipoe International la somme de 10 297 782 F CFP (86 295 euros) en réparation de la privation de propriété de 323 080 perles détruites le 17 mai 2016 ainsi que la somme de 150 000 F CFP (1 257 euros) au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus de sa demande. L'EURL Raipoe International relève appel de ce jugement en tant que celui-ci n'a pas fait droit à l'intégralité de ses conclusions indemnitaires. Par la voie de l'appel incident, la Polynésie française demande à la Cour d'annuler ce jugement.

2. Aux termes de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ". Aux termes de l'article 34 de la Constitution : " La loi détermine les principes fondamentaux : (...) / du régime de la propriété (...) ". L'article 14 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française dispose que : " Les autorités de l'Etat sont compétentes dans les seules matières suivantes : (...) 2° Garantie des libertés publiques (...) ".

3. La Polynésie française a, sur le fondement des articles 10 et 11 de la délibération du 4 février 2015, saisi et détruit des perles de culture appartenant à la société Raipoe International au motif que ces perles ne remplissaient pas les conditions de qualité fixées par l'article 2 de cette délibération et que, par conséquent, elles devaient être regardées au sens de ces mêmes dispositions comme des rebuts insusceptibles d'être exposés, mis en vente ou vendus sous quelque forme que ce soit en application de l'article 3 de la délibération. Toutefois, comme le soutient à juste titre la société Raipoe International, seule une loi peut porter atteinte au droit de propriété en vertu de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Il s'ensuit que la Polynésie française ne pouvait pas sur le fondement de la délibération du 4 février 2005, dépourvue de toute base légale, saisir et détruire les perles de la société requérante et porter ainsi atteinte à son droit de propriété. Par suite, la Polynésie française a commis une faute de nature à engager sa responsabilité en procédant à la saisie des perles.

4. Il résulte de l'instruction, en particulier du tableau annexé à la lettre du 1er septembre 2014 récapitulant pour chaque saisie réalisée entre le 31 janvier 2007 et le 19 mai 2014 le nombre et le poids des perles classées en rebuts par l'administration, que la saisie réalisée le 20 août 2009 et portant sur 1 263 rebuts a été comptabilisée deux fois. Il s'ensuit que le nombre de rebuts appartenant à l'EURL Raipoe International détruits le 17 mai 2016 par le service chargé du contrôle de la perliculture s'élève à 321 817, déduction faite de 1 263 rebuts. D'une part, les éléments versés au dossier, et notamment les attestations émanant de deux négociants en perles et d'un bijoutier en date des 18 et 20 juillet 2017, ne sont pas de nature à établir la valeur commerciale des perles en cause, dont le prix d'achat est inconnu, alors en particulier que, s'agissant de ce prix d'achat, la Polynésie française fait valoir sans être contredite que les lots de perles achetés par des négociants avant d'être soumis au contrôle qualité bénéficiaient d'un prix très inférieur à celui des perles de culture déjà contrôlées, et qu'ainsi, ce prix d'achat pourrait être nul. La société requérante n'apporte aucun élément de nature à établir que les perles saisies aurait pu avoir une valeur marchande ou de nature à justifier qu'une expertise, pouvant présenter un caractère utile, soit ordonnée. D'autre part, le montant du préjudice, le cas échéant subi par l'EURL Raipoe International, ne saurait être estimé par référence, ainsi que l'a fait le tribunal administratif, au tarif de 25 F CFP par grammes par l'arrêté n° 1027 du 17 novembre 2005, dès lors que cet arrêté qui, en tout état de cause, ne concerne que les producteurs de perles, fixe un tarif d'indemnisation dont rien n'indique qu'il reposerait sur la valeur marchande des rebuts. Dans ces conditions, la Polynésie française est fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges l'ont condamnée à verser à la société la somme de 86 295 euros (10 297 782 F CFP) en réparation de la privation de propriété des 323 080 perles détruites le 17 mai 2016.

5. Il résulte des écritures de la Polynésie française devant la Cour que le 20 mars 2017, celle-ci a également procédé à la destruction, sur le fondement de la délibération du 4 février 2015, de 121 073 perles appartenant à la société Raipoe International et qualifiées de rebuts par le service de contrôle de la perliculture. Si la société requérante soutient que cette destruction est intervenue à la seule fin de faire échec à la restitution de ses perles, elle n'établit pas, en tout état de cause, pour les mêmes motifs que ceux précédemment énoncés, le préjudice financier résultant de cette destruction.

6. Enfin, en l'absence de toute justification de son préjudice financier, l'EURL Raipoe International ne peut utilement soutenir que le principe d'égalité entre les producteurs de perles dont l'indemnisation était prévue par la délibération du 4 février 2005 et les négociants a été méconnu, dès lors que les producteurs qui doivent supporter les coûts liés à la production des perles ne sont pas, en tout état de cause, placés dans une situation identique à celle des négociants.

7. Il résulte de tout ce qui précède que la Polynésie française est fondée, par la voie de l'appel incident, à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de la Polynésie française l'a condamnée à verser à l'EURL Raipoe International la somme de 86 295 euros en réparation de la privation de propriété des perles détruites le 17 mai 2016.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la Polynésie française, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que l'EURL Raipoe International demande au titre des frais liés à l'instance. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'EURL Raipoe International le versement de la somme que la Polynésie française demande sur le fondement des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1600484 du 30 mai 2017 du Tribunal administratif de la Polynésie française est annulé.

Article 2 : Les conclusions de la requête de l'EURL Raipoe International et le surplus des conclusions présentées par la Polynésie française sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'EURL Raipoe International et à la Polynésie française.

Délibéré après l'audience du 14 février 2019, à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président,

- M. Luben, président assesseur,

- Mme Larsonnier, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 7 mars 2019.

Le rapporteur,

V. LARSONNIERLe président,

J. LAPOUZADE

Le greffier,

C. POVSELa République mande et ordonne au Haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

7

N° 17PA02635


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 17PA02635
Date de la décision : 07/03/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Outre-mer - Droit applicable - Lois et règlements (hors statuts des collectivités) - Collectivités d'outre-mer et Nouvelle-Calédonie - Polynésie française.

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Responsabilité et illégalité - Illégalité engageant la responsabilité de la puissance publique.


Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: Mme Virginie LARSONNIER
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : JURISPOL

Origine de la décision
Date de l'import : 11/06/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2019-03-07;17pa02635 ?
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