Vu la requête, enregistrée le 31 janvier 2013, présentée pour la société Ahe Pearls Company, dont le siège social est sis Immeuble Zimmer - 2ème étage, 9 rue Paul Gauguin
BP 9013 Papeete à Motu Uta (98715), prise en la personne de son représentant légal en exercice, par MeA..., agissant pour la SELARL Fenuavocats ; la société Ahe Pearls Company demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1200358-1 du 30 octobre 2012 par lequel le Tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande tendant, d'une part, à l'annulation de la décision implicite par laquelle le ministre chargé de la perliculture de la Polynésie française a rejeté sa demande du 16 mars 2012 tendant à la restitution de ses perles déclassées et, d'autre part, à ce qu'il soit enjoint au territoire de la Polynésie française de lui remettre sans délai lesdites perles ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision implicite de rejet de sa demande du
16 mars 2012 tendant à la restitution de ses perles déclassées ;
3°) d'enjoindre à la Polynésie française de lui remettre sans délai les perles ainsi déclassées et ce, sous astreinte de 50 000 FCP par jour de retard à compter d'un délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de la Polynésie française la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
.........................................................................................................
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 modifiée portant statut d'autonomie de la Polynésie française, ensemble la loi n° 2004-193 du 27 février 2004 complétant le statut d'autonomie de la Polynésie française ;
Vu la délibération n° 2005-42 APF du 4 février 2005 portant définition des produits tirés de l'activité de la perliculture en Polynésie française et fixation des règles relatives à la classification, au transport, à la commercialisation et aux formalités d'exportation de la perle de culture de Tahiti, des ouvrages et des articles de bijouterie en comportant ;
Vu l'arrêté n° 1027/ CM du 17 novembre 2005 fixant les conditions d'indemnisation des rebuts par le service en charge de la perliculture en application de la délibération n° 20055-42 APF du 4 février 2005 portant définition des produits tirés de l'activité de la perliculture en Polynésie française et fixation des règles relatives à la classification, à la commercialisation et aux formalités d'exportation de la perle de culture de Tahiti, des ouvrages et des articles de bijouterie en comportant ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 3 février 2014 :
- le rapport de M. Romnicianu, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Ladreyt, rapporteur public ;
1. Considérant que la société Ahe Pearls Company produit et commercialise des perles de culture de Tahiti ; qu'à la suite des contrôles préalables à l'exportation effectués les 12 et
13 mars 2012, le service de la perliculture du territoire de la Polynésie française a déclassé certaines perles présentées par cette société ; que, les mêmes jours, celle-ci a signé les récépissés de dépôt de rebut en vue de leur indemnisation ; que, le 16 mars suivant, l'intéressée a demandé au service de lui restituer ses perles déclassées afin de pouvoir les utiliser dans la confection de bijoux de luxe ; que la société interjette régulièrement appel du jugement en date du
30 octobre 2012 par lequel le Tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle le ministre chargé de la perliculture de la Polynésie française a rejeté sa demande du 16 mars 2012 tendant à la restitution des perles déclassées ;
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne l'exception d'illégalité de la délibération n° 2005-42 APF du
4 février 2005 et de l'arrêté n° 1027/ CM du 17 novembre 2005 :
2. Considérant que si la décision individuelle litigieuse, qui refuse de restituer à la société requérante les perles déclassées au terme du contrôle de qualité à l'exportation institué par ladite délibération du 4 février 2005, procède de l'application de l'article 10 § 7 de cette délibération, cet article est indissociable des autres dispositions de ce texte réglementaire dont l'objet est de définir les produits tirés de l'huître perlière que constituent la perle fine de Tahiti, la perle de culture de Tahiti, le mabe de Tahiti, le keshi de Tahiti, la nacre de Tahiti et de fixer les règles relatives à la classification, au transport, à la commercialisation et aux formalités d'exportation de la perle de culture de Tahiti, des ouvrages et des articles de bijouterie en comportant ; que, par suite, contrairement à ce que soutient en défense le Gouvernement de la Polynésie française, le moyen tiré de l'exception d'illégalité de la délibération litigieuse est opérant, en ses différentes branches, à l'appui de la demande d'annulation de la décision litigieuse ;
3. Considérant, en outre, que cette exception d'illégalité se rattache à la légalité interne de la décision individuelle litigieuse, seule cause juridique soulevée en première instance contre celle-ci ; que, par suite, contrairement aux allégations du défendeur, les branches de cette exception, qui mettent en cause la légalité externe de la délibération susvisée du 4 février 2005, ne procèdent pas d'une cause juridique nouvelle en appel et sont donc recevables ;
4. Considérant, en premier lieu, que, s'il résulte de l'article 14 de la loi organique
n° 2004-192 du 27 février 2004 modifiée portant statut d'autonomie de la Polynésie française que les autorités de l'Etat sont compétentes en matière de garantie des libertés publiques, ces dispositions n'ont ni pour objet ni pour effet de réserver au seul domaine de compétence de l'Etat la totalité des matières ayant une incidence sur les libertés publiques ; qu'il résulte, en outre, de l'article 13 de cette même loi que les autorités de la Polynésie française sont compétentes dans toutes les matières qui ne sont pas dévolues à l'Etat par l'article 14 précité ; que la réglementation de l'activité de la perliculture en Polynésie française ne figure pas au nombre des matières réservées à l'Etat ; que, par suite, rien ne faisait obstacle à ce que les autorités de la Polynésie française fixent, pour l'ensemble du territoire, les conditions d'exercice de ladite activité ; que le moyen tiré de ce que la délibération du 4 février 2005 méconnaîtrait les règles de répartition des compétences entre l'Etat et le territoire de la Polynésie française ne peut donc qu'être écarté ;
5. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 140 de la loi organique susvisée : " Les actes de l'assemblée de la Polynésie française, dénommés "lois du pays", sont ceux qui relèvent du domaine de la loi." ; qu'il résulte cependant de l'intitulé même de la délibération contestée, qui porte définition des produits tirés de l'activité de la perliculture en Polynésie française et fixation des règles relatives à la classification, au transport, à la commercialisation et aux formalités d'exportation de la perle de culture de Tahiti, des ouvrages et des articles de bijouterie en comportant, qu'elle n'a pas pour objet d'encadrer la liberté du commerce et de l'industrie, mais seulement de réglementer l'activité de la perliculture sur le territoire, en fixant notamment des normes de qualité en vue de protéger l'appellation " perle de culture de Tahiti " et ainsi permettre à la filière de la perliculture tahitienne de se pérenniser ; que, par suite, le moyen tiré de ce que la matière en cause relèverait du domaine de la loi et qu'en conséquence, seule une " loi du pays " et non une simple délibération pouvait être adoptée, doit être écarté ;
6. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article 2.4 de la délibération du
4 février 2005 : " Est qualifié de rebut, même lorsqu'il est produit en Polynésie française par l'huître perlière Pinctada margaritifera var. cumingii : - la perle de culture présentant soit des dépôts de calcite, soit des dépôts organiques, ou les deux à la fois, sur plus de 20% de sa
surface ; - la perle de culture présentant des zones dévitalisées visibles sur plus de 20% de sa surface ; - la perle n'ayant pas l'épaisseur réglementaire ; - plus généralement, la perle ne répondant pas aux dispositions de l'article 2.2 insusceptible d'être classée dans l'une des catégories définies à l'article 5.4. de la présente délibération. " ; qu'aux termes de son article 8 : " La commercialisation des rebuts est interdite en Polynésie française et leur exportation prohibée. La prohibition d'exportation de rebuts mentionnée à l'alinéa précédent peut être levée pour des programmes scientifiques du service en charge de la perliculture. " ; qu'aux termes de son article 11.2 : " Tout exportateur doit soumettre le lot de perles et les ouvrages à expédier, à l'examen du service en charge de la perliculture. Un agent commissionné délivre, après contrôle, un certificat de qualité d'exportation et un tableau de classification. Les rebuts sont conservés et détruits par le service en charge de la perliculture. Les rebuts présentés par les producteurs de perles de culture de Tahiti titulaires de la carte professionnelle, dans le cadre de la procédure du présent article, sont indemnisés sur la base du poids net des rebuts conservés. Des arrêtés en conseil des ministres définissent la forme et le contenu du certificat de qualité d'exportation, du tableau de classification ainsi que les conditions d'indemnisation des rebuts par le service en charge de la perliculture. " ;
7. Considérant que les interdictions instituées par l'article 8 précité de la délibération du 4 février 2005 ont pour objet de préserver le renom de la perle de culture de Tahiti, de protéger les consommateurs et de promouvoir la production perlière de la Polynésie française ; que si la société requérante, qui ne conteste pas le caractère d'intérêt général s'attachant à cet objectif, soutient que la destruction des perles qualifiées de " rebuts " constitue une mesure disproportionnée au regard du but poursuivi, il n'est pas établi par les pièces du dossier que la mise en oeuvre de moyens alternatifs, tels que l'édiction de sanctions pénales en cas d'infraction aux interdictions de commercialisation et d'exportation des perles déclassées en rebuts ou la non délivrance des certificats d'exportation, permettrait d'atteindre l'objectif recherché, eu égard notamment aux difficultés pratiques du contrôle, à l'étendue géographique du territoire concerné, à l'ampleur de la fraude déjà constatée, et, enfin, à la facilité de tromperie ; que, par suite, le moyen tiré du caractère disproportionné de la délibération du 4 février 2005 doit être écarté ;
8. Considérant, en quatrième lieu, que le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir règlementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier ;
9. Considérant que, s'il résulte des termes de l'article 12 de la délibération susvisée du
4 février 2005 que, contrairement aux exportateurs de perles non montées, soumis à des contrôles approfondis du service de la perliculture, les exportateurs d'articles de bijouterie présentés sous forme de bracelets et de colliers comportant moins de 10 perles sont seulement invités à attester sur l'honneur que leurs perles ne sont pas susceptibles d'être qualifiées de rebuts, ceux-ci ne sont pas placés dans une situation identique à celle des exportateurs de perles non montées eu égard à la nature même des petits bijoux dont il s'agit ; qu'en tout état de cause, les exportateurs d'articles de bijouteries de moins de 10 perles devraient être amenés à n'incorporer dans leurs bijoux que des perles précédemment soumises au contrôle administratif ou à faire procéder à des contrôles de leurs perles, à leurs frais, dès lors que, selon l'article 14 de la délibération : " (...) sont punies de peines d'amendes prévues pour les contraventions de cinquième classe pour chaque infraction constatée, les personnes qui (...) enfreignent l'interdiction de commercialiser ou d'exporter des rebuts définie à l'article 8. " ; qu'ainsi la différence de traitement alléguée entre, d'une part, les exportateurs d'articles de bijouterie et, d'autre part, ceux de perles non montées n'est pas avérée, dès lors que les premiers ont nécessairement fait préalablement contrôler par le service de la perle les perles incorporées dans leurs articles de bijouterie ; qu'il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité entre les différentes catégories d'exportateurs de perles et de bijoux ne peut qu'être écarté ;
10. Considérant, en cinquième lieu, que la société requérante critique le niveau de l'indemnisation proposée aux producteurs dont les perles sont déclassées en rebuts, tel que fixé par l'arrêté susvisé n° 1027/ CM du 17 novembre 2005 fixant les conditions d'indemnisation des rebuts par le service en charge de la perliculture, lequel, selon elle, revêtirait un niveau confiscatoire ; que, toutefois, eu égard à la circonstance que les rebuts de perles déclassées ne peuvent être, sauf de manière frauduleuse, ni exportés ni commercialisés, ils n'ont aucune valeur marchande ; qu'en outre, l'indemnité accordée en application de l'arrêté n° 1027/ CM du
17 novembre 2005 susvisé fixant les conditions d'indemnisation des rebuts doit être regardée comme seulement destinée à réparer, au titre de la rupture d'égalité devant les charges publiques, le préjudice spécial et anormalement grave que subissent les producteurs de perles de Tahiti du fait de la réglementation litigieuse interdisant la commercialisation et l'exportation de certaines catégories de perles ne remplissant pas des critères de qualité donnés afin de promouvoir la réputation de la perle de culture de Tahiti ; que, dès lors, la société requérante ne saurait utilement soutenir que les conditions d'indemnisation des perles détruites, telles que fixées par l'arrêté du 17 novembre 2005 susvisé, sont constitutives d'une atteinte grave à la liberté du commerce et de l'industrie ;
11. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société requérante n'est pas fondée à exciper de l'illégalité de la délibération n° 2005-42 APF du 4 février 2005 et de l'arrêté n° 1027/ CM du 17 novembre 2005 ;
En ce qui concerne le moyen tiré de ce que l'acceptation de l'indemnisation prévue par la réglementation litigieuse ne vaut pas consentement à la destruction des perles :
12. Considérant que la société Ahe Pearls Company soutient que, pour pouvoir exporter sa production de perles de culture, elle a été contrainte d'accepter la destruction/indemnisation d'une partie de celle-ci et qu'elle n'a pas demandé à bénéficier des indemnités compensatrices instituées par l'arrêté du 17 novembre 2005 susvisé mais a demandé la restitution de ses perles ; que, toutefois, par la décision litigieuse, l'administration s'est bornée à faire application de la délibération du 4 février 2005 susvisée dont il résulte de ce qui précède qu'elle n'est entachée d'aucune illégalité ; que, dans ces conditions, la société requérante n'est pas fondée à se plaindre de la destruction des rebuts litigieux ;
En ce qui concerne le moyen tiré de ce que les modalités d'exercice du " contrôle de qualité " effectué sur les lots litigieux (contrôle par rayons X : " X-Ray ") ne sont pas celles prévues par les dispositions de l'article 5 § 4 de la délibération du 4 février 2005 qui instaurent un contrôle " à l'oeil nu " :
13. Considérant qu'aux termes de l'article 5 § 4 de la délibération du 4 février 2005 susvisée : " La codification de qualité de la surface de la perle de culture de Tahiti se définit par gradations. Les critères s'apprécient à l'oeil nu selon la combinaison de deux caractères physiques : l'état de la surface et le lustre." ; que la règle précitée, selon laquelle les critères de classement des perles de culture s'apprécient à l'oeil nu, ne faisait pas obstacle à ce que l'administration procède, en l'espèce, afin de contrôler de manière approfondie l'épaisseur de la couche perlière, à un contrôle par rayons X (" X-Ray ") des lots de perles présentés par la société Ahe Pearls Company ;
En ce qui concerne le moyen tiré de ce que les formulaires intitulés " état de contrôle des perles " utilisés par l'administration ne sont nullement prévus par la réglementation :
14. Considérant que l'intitulé des formulaires utilisés par l'administration de la perliculture en Polynésie française est sans incidence sur la légalité de la décision litigieuse ;
15. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la societe Ahe Pearls Company n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de la Polynésie Française a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite du ministre chargé de la perliculture de la Polynésie française refusant de lui restituer ses perles déclassées en rebut à la suite des contrôles effectués les 12 et 13 mars 2012 ; que, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction doivent être également rejetées ;
Sur les conclusions fondées sur l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
16. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que le Territoire de la Polynésie française soit condamné à verser à la société Ahe Pearls Company une somme au titre des frais exposés par elle dans cette instance ; qu'il y a lieu en revanche de mettre à la charge de celle-ci une somme de 1 500 euros à verser au Gouvernement de la Polynésie française sur le fondement des mêmes dispositions ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la société Ahe Pearls Company est rejetée.
Article 2 : La société Ahe Pearls Company versera au Gouvernement de la Polynésie française une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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N° 13PA00411