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19/07/2013 | FRANCE | N°10PA00983

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1ère chambre, 19 juillet 2013, 10PA00983


Vu la requête, enregistrée le 24 février 2010, présentée pour l'association " Action culturelle ", dont le siège social est situé à Baek Kwang Bld, 3rd floor, Gong Deok-Dong 120-10, Mapo-Gu, Séoul, Corée par Mes Kim etB... ; l'association " Action culturelle " demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0701946/7-2 en date du 18 décembre 2009 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 2 janvier 2007 par laquelle le ministre de la culture a refusé de faire droit à sa demande de déclassement du domain

e public français des archives royales coréennes de la dynastie de Chosun...

Vu la requête, enregistrée le 24 février 2010, présentée pour l'association " Action culturelle ", dont le siège social est situé à Baek Kwang Bld, 3rd floor, Gong Deok-Dong 120-10, Mapo-Gu, Séoul, Corée par Mes Kim etB... ; l'association " Action culturelle " demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0701946/7-2 en date du 18 décembre 2009 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 2 janvier 2007 par laquelle le ministre de la culture a refusé de faire droit à sa demande de déclassement du domaine public français des archives royales coréennes de la dynastie de Chosun ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir ladite décision ;

3°) d'enjoindre à l'autorité compétente de prendre toutes les mesures nécessaires pour procéder au déclassement du domaine public français des archives royales coréennes de la dynastie de Chosun, sous astreinte de 1 500 euros par jour de retard, passé un délai d'un mois à compter du jour où l'arrêt à intervenir sera passé en force de chose jugée ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

.....................................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution et notamment la déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ;

Vu la convention de La Haye pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé du 14 mai 1954 ;

Vu la convention de l'UNESCO du 14 novembre 1970 concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l'importation, l'exportation et le transfert de propriétés illicites des biens culturels ;

Vu le règlement n° 3911/92 du Conseil de l'Union européenne relatif à l'exportation de biens culturels ;

Vu la directive n° 93/7 relative à la restitution de biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d'un Etat membre ;

Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public ;

Vu le code général de la propriété des personnes publiques ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 30 mai 2013 :

- le rapport de Mme Bonneau-Mathelot, rapporteur,

- les conclusions de Mme Vidal, rapporteur public,

- et les observations de MeB..., pour l'association " Action culturelle " ;

1. Considérant qu'il ressort des pièces versées au dossier qu'à la suite d'un massacre, perpétré en 1866, de neuf prêtres missionnaires français installés en Corée, M. A...C..., chargé d'affaires, représentant la France en Chine, a donné l'ordre à l'amiral Roze, commandant la station des mers de Chine, d'engager " des hostilités " afin de s'emparer des membres de la famille royale coréenne ; que les troupes françaises ont débarqué sur l'île de Kwang-Hwa, située à l'embouchure du fleuve Han, contrôlant l'accès en direction de Séoul, et sont parvenues jusqu'à la ville de Kwang-Hwa, le 16 octobre 1866, qu'elles ont occupée et où elles ont découvert une bibliothèque contenant notamment les archives royales de la dynastie Chosun (1392-1910) ; que l'essentiel de ces archives ont été déposées au mois de juillet 1867 par le ministère de la marine à la Bibliothèque nationale, à Paris, laquelle les a conservés depuis cette date ; que, par une demande datée du 31 octobre 2006, l'association de droit coréen " Action culturelle " a sollicité du ministre de la culture et de la communication le déclassement et la restitution de ces documents et objets ; que, par une décision du 2 juin 2007, le chef de cabinet agissant au nom du ministre a opposé un refus à cette demande au motif que les archives royales de la dynastie Chosun constituent des biens du domaine public de l'Etat ; que ladite association relève appel du jugement du 18 décembre 2009 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Considérant que l'association " Action culturelle " fait valoir que les premiers juges auraient omis de répondre à plusieurs moyens tirés, d'une part, de l'existence d'une erreur de droit commise par le ministre de la culture et de la communication, lequel a considéré que les archives royales de la dynastie Chosun faisant l'objet du présent litige pouvaient être regardées comme des biens du domaine public de l'Etat français, nonobstant les conditions de leur appropriation et l'absence de lien entre ces archives et le patrimoine culturel français faisant obstacle à leur qualification comme trésor national et, d'autre part, de ce que leur déclassement et leur restitution doivent être ordonnées en vertu des règles du droit communautaire et du droit international ;

3. Considérant, en premier lieu, qu'en jugeant que les conditions d'incorporation dans le domaine public des archives royales de la dynastie Chosun étaient sans incidence sur leur appartenance à celui-ci, laquelle se déduit de l'autorité qui les détient depuis cent quarante ans et de leur mise à disposition du public, après avoir rappelé, au visa des articles L. 2112-1 et L. 2141-1 du code général de la propriété des personnes publiques, que la domanialité publique de ces archives résulte non seulement de leur conservation ab initio par la Bibliothèque nationale et de leur affectation à l'usage du public, mais également, au surplus, de la circonstance qu'ils constituent une partie essentielle d'une bibliothèque dépendant elle-même du domaine public, le tribunal administratif a répondu à la première branche du moyen tiré de l'erreur de droit ; qu'il a par ailleurs répondu à la seconde branche dudit moyen en indiquant que la circonstance que les archives royales de la dynastie Chosun avaient une origine étrangère n'excluait pas qu'elles puissent être regardées comme constituant des trésors nationaux au sens de l'article L. 111-1 du code du patrimoine ;

4. Considérant, en second lieu, qu'en estimant que les dispositions du droit de l'Union européenne transposées en droit interne visant les échanges intracommunautaires ne pouvaient être utilement invoquées et que l'Etat n'était nullement tenu par les conventions internationales invoquées eu égard à la qualité des parties signataires et à leurs champs d'application temporel et matériel, le tribunal administratif a répondu aux moyens soulevés par l'association requérante tirés de la méconnaissance du droit communautaire et international, sans qu'il soit besoin d'examiner si un effet direct pouvait s'attacher aux textes en cause ;

5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le jugement attaqué n'est entaché d'aucune omission à statuer susceptible d'entraîner son irrégularité ;

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

Sans qu'il soit besoin d'examiner la recevabilité de la requête d'appel et de statuer sur les fins de non-recevoir tirées de l'irrecevabilité de la demande de première instance soulevées par le ministre de la culture et de la communication ;

6. Considérant, en premier lieu, qu'à supposer que l'acte administratif contesté puisse être regardé comme une décision individuelle défavorable au sens des dispositions précitées de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public, il ne ressort pas des termes de la décision en litige que son signataire ait entendu opposer une prescription à l'association " Action culturelle ", et notamment la prescription acquisitive, au terme de laquelle les archives royales de la dynastie Chosun ne pourraient plus faire l'objet d'une revendication ; qu'en outre, la décision critiquée ne relève d'aucune autre catégorie de décisions énumérée par l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 imposant qu'elle soit motivée ; que, par suite, le moyen tiré du défaut de motivation de la décision litigieuse ne peut qu'être écarté ;

7. Considérant, en deuxième lieu, que, contrairement à ce que soutient l'association " Action culturelle ", la situation des archives royales de la dynastie Chosun étant régie par la lex rei sitae, c'est-à-dire la loi du lieu de la chose, le moyen tiré de ce que lesdites archives seraient toujours soumises à la protection de la loi coréenne doit être écarté ;

8. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article L. 2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques : " Sans préjudice des dispositions applicables en matière de protection des biens culturels, font partie du domaine public mobilier de la personne publique propriétaire les biens présentant un intérêt public du point de vue de l'histoire, de l'art, de l'archéologie, de la science ou de la technique, notamment : / [...] ; / 10o Les collections de documents anciens, rares ou précieux des bibliothèques ; / [...] " ; qu'aux termes de l'article L. 2141-1 du même code : " Un bien d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1, qui n'est plus affecté à un service public ou à l'usage direct du public, ne fait plus partie du domaine public à compter de l'intervention de l'acte administratif constatant son déclassement " ;

9. Considérant qu'avant l'entrée en vigueur, le 1er juillet 2006, du code général de la propriété des personnes publiques, l'appartenance d'un bien au domaine public mobilier, laquelle s'apprécie à la date d'entrée de ce bien dans ce domaine, était subordonnée au seul critère fonctionnel tiré de son affectation à l'utilité publique ;

10. Considérant, d'une part, qu'en l'absence de toute disposition en ce sens, l'entrée en vigueur de ce code n'a pu, par elle-même, avoir pour effet d'entraîner le déclassement des archives en litige, lesquelles au surplus remplissent les conditions nouvelles fixées par l'article L. 2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques, lequel exige, pour qu'un bien mobilier constitue une dépendance du domaine public, soit qu'il présente un intérêt public du point de vue de l'histoire, de l'art, de l'archéologie, de la science ou de la technique, soit qu'il constitue l'un des meubles visés par l'une des onze catégories dudit article ; que, par suite, l'association requérante ne peut utilement se prévaloir de la méconnaissance des dispositions précitées des articles L. 2112-1 et L. 2141-1 du code général de la propriété des personnes publiques ;

11. Considérant, d'autre part, qu'il ressort des pièces versées au dossier que les archives royales de la dynastie Chosun ont été affectées et conservées depuis le mois de juillet 1867 au sein de la Bibliothèque nationale ; que, si l'association requérante soutient, pour réfuter l'application du régime de la domanialité publique, que ces archives n'auraient pas fait l'objet d'une affectation effective à l'usage direct du public, ce moyen doit être écarté dès lors que cette affectation à l'utilité publique découle de ce que la conservation et la mise à disposition des collections au public sont l'objet même de la mission de service public confiée à la Bibliothèque nationale, devenue Bibliothèque nationale de France ;

12. Considérant, enfin, que les circonstances dans lesquelles les autorités françaises ont obtenu ces archives royales de la dynastie Chosun en 1866 sont sans conséquence, en droit, sur leur incorporation l'année suivante dans le domaine public mobilier de l'Etat ;

13. Considérant, en quatrième lieu, qu'aux termes de l'article L. 111-1 du code du patrimoine : " Les biens appartenant aux collections publiques et aux collections des musées de France, les biens classés en application des dispositions relatives aux monuments historiques et aux archives, ainsi que les autres biens qui présentent un intérêt majeur pour le patrimoine national au point de vue de l'histoire, de l'art ou de l'archéologie sont considérés comme trésors nationaux " ; que, si l'association requérante soutient que le fait que les archives royales de la dynastie Chosun ont été obtenues par les autorités françaises par la force leur ferait perdre leur caractère de trésor national au sens des dispositions précitées de l'article L. 111-1 du code du patrimoine, cette circonstance est, en tout état de cause, sans incidence sur leur appartenance au domaine public mobilier de l'Etat ;

14. Considérant, en cinquième lieu, que l'association " Action culturelle " ne peut utilement se prévaloir de la convention de La Haye pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé du 14 mai 1954 et de la convention de l'UNESCO du 14 novembre 1970 concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l'importation, l'exportation et le transfert de propriétés illicites des biens culturels, lesquelles sont entrées en vigueur postérieurement au transfert des archives royales de la dynastie de Chosun en France, ni de la convention d'Unidroit sur les biens culturels volés ou illicitement exportés du 24 juin 1995, que l'Etat français n'a pas ratifiée ; que l'association requérante ne peut davantage invoquer le code international de déontologie pour les négociants en biens culturels de 1999, qui est dépourvu de toute valeur juridique et inapplicable du point de vue matériel ; qu'enfin, ladite association ne peut utilement se prévaloir du règlement n° 3911/92 du Conseil de l'Union européenne relatif à l'exportation de biens culturels et de la directive n° 93/7 relative à la restitution de biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d'un Etat membre, dès lors que ces normes ne visent que les échanges intra-communautaires ; que, par suite, les moyens tirés de la méconnaissance de ces différents textes ne peuvent qu'être écartés, sans qu'y fasse obstacle, en tout état de cause, et à supposer que l'association requérante ait entendu s'en prévaloir, la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;

15. Considérant, en sixième lieu, qu'aux termes de l'article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958 : " Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie " ; que ni cet article ni aucune autre disposition de valeur constitutionnelle ne prescrit ni n'implique que le juge administratif fasse prévaloir la coutume internationale sur une loi ou une autre règle de droit interne en cas de conflit entre ces deux catégories de normes ; que les principes d'inaliénabilité, d'imprescriptibilité et d'insaisissabilité des biens appartenant au domaine public s'opposent à ce que l'association requérante puisse utilement invoquer la méconnaissance de règles coutumières internationales applicables aux pillages, butins et prises de guerre et aux documents d'archives ;

16. Considérant, en septième et dernier lieu, que l'opportunité qu'il y aurait à restituer les archives en litige à la Corée n'est pas susceptible d'être discutée devant le juge de l'excès de pouvoir ;

17. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'association " Action culturelle " n'est pas fondée à se plaindre que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ; qu'il y a lieu, par voie de conséquence, de rejeter ses conclusions à fin d'injonction, ainsi que celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête de l'association " Action culturelle " est rejetée.

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N° 10PA00983


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 10PA00983
Date de la décision : 19/07/2013
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

24 Domaine.

Domaine - Domaine public.

Domaine - Domaine public - Consistance et délimitation.

Domaine - Domaine public - Consistance et délimitation - Domaine public artificiel - Biens faisant partie du domaine public artificiel - Aménagement spécial et affectation au service public ou à l'usage du public.


Composition du Tribunal
Président : M. EVEN
Rapporteur ?: Mme Sonia BONNEAU-MATHELOT
Rapporteur public ?: Mme VIDAL
Avocat(s) : CABINET ALERION

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2013-07-19;10pa00983 ?
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