Vu la procédure suivante :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 6 septembre 2023, 12 septembre 2023 et 23 mars 2024, la société Innovent, représentée par Me Deldique, demande à la cour :
1°) d'annuler l'arrêté du 6 juillet 2023 du préfet de la Sarthe portant refus de déroger à l'interdiction de destruction d'espèces protégées dans le cadre de la construction de trois éoliennes sur le territoire de la commune de Saint-Longis ;
2°) de lui délivrer cette dérogation, subsidiairement, d'enjoindre au préfet de la Sarthe de lui délivrer cette dérogation ;
3°) à titre plus subsidiaire, d'enjoindre au préfet de la Sarthe de statuer à nouveau sur sa demande de dérogation ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision attaquée est entachée d'un vice de forme au regard de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration ;
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'un vice de procédure ; la procédure contradictoire prévue aux articles R. 181-40 et R. 181-45 du code de l'environnement n'a pas été respectée ;
- elle revêt un caractère superfétatoire ; aucune dérogation n'était requise pour la réalisation de son projet ;
- elle est entachée d'une erreur d'appréciation quant à l'absence de raison impérative d'intérêt majeur, au regard tant de l'article L. 411-2 du code de l'environnement que du règlement (UE) 2022/2577.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 janvier 2024, le préfet de la Sarthe conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens invoqués n'est fondé et que la décision pourrait également être légalement fondée sur l'absence de recherche de solution alternative satisfaisante.
Par un mémoire en intervention, enregistré le 11 avril 2024, l'association pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France (SPPEF), M. et Mme BV... et BN... AM..., M. et Mme B... et BX... BB..., M. et Mme C... et AC... AH..., M. et Mme AW... et BL... AL..., M. BV... AN..., Mme BS... Q..., Mme AS... Q..., M. et Mme AE... et I... BE..., M. et Mme CB... et AV... O..., M. et Mme AQ... et AD... BA..., Mme Z... BZ..., M. AT... CE..., M. B... BT..., M. et Mme BF... et CF... BT..., M. et Mme B... et BW... U..., M. et Mme AU... et AX... J..., M. et Mme K... et CD... BR..., M. AA... L..., M. AB... L..., Mme BY... BM..., M. et Mme F... et BC... G..., M. et Mme C... et AD... AK..., M. BD... AF..., M. et Mme BK... et AO... H..., M. et Mme F... et AZ... R..., M. W... AI..., M. et Mme M... et AG... AP..., M. et Mme D... et BS... AY..., M. et Mme BV... et BQ... AR..., M. V... N...,
M. BU... T..., M. et Mme BG... et BO... AJ..., M. Y... CA..., M. et Mme A... et BP... S..., Mme BI... CC..., M. P... BJ... et M. et Mme X..., représentés par Me Echezar, demandent à la cour :
1°) de rejeter la requête présentée par la société Innovent ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- les moyens invoqués ne sont pas fondés ;
- la décision attaquée pourrait également être légalement fondée sur l'absence de recherche de solution alternative satisfaisante et sur ce que le projet nuit au maintien, dans un état de conservation favorables, des populations des espèces concernées.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Mas,
- les conclusions de M. Le Brun, rapporteur public,
- et les observations de Me Deharbe, substituant Me Deldique, représentant la société Innovent, et de Me Echezar, représentant l'association SPPEF et autres.
Considérant ce qui suit :
1. La société Innovent a obtenu du préfet de la Sarthe, par arrêté du 14 juin 2016, un permis de construire valant autorisation environnementale pour la construction de trois éoliennes sur le territoire de la commune de Saint-Longis, régularisé par arrêté du 31 décembre 2019. Saisie d'une demande d'annulation de ces arrêtés par l'association Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France (SPPEF) et autres, intervenants dans la présente instance, la cour administrative d'appel de Nantes a, par un arrêt n° 20NT03390 du 7 janvier 2022, sursis à statuer sur le fondement des dispositions des articles L. 600-5-1 du code de l'urbanisme et L. 181-18 du code de l'environnement afin de permettre la régularisation des vices entachant ce permis de construire valant autorisation environnementale tirés de l'irrégularité de l'enquête publique, de l'insuffisance de l'étude chiroptérologique incluse dans l'étude d'impact et de l'absence de dérogation à l'interdiction de destruction de spécimens d'espèces protégées de chiroptères. Afin de régulariser son autorisation environnementale, la société Innovent a sollicité la délivrance d'une dérogation à l'interdiction de destruction de spécimens d'espères protégées, que le préfet de la Sarthe lui a refusée par arrêté du 6 juillet 2023. Elle demande l'annulation de cet arrêté.
Sur l'intervention :
2. L'association SPPEF et autres, parmi lesquels M. Y... CA..., ont demandé à la cour administrative d'appel de Nantes l'annulation des arrêtés du préfet de la Sarthe des 14 juin 2016 et 31 décembre 2019, dont l'arrêté en litige refuse la régularisation, ou sont intervenus au soutien de cette demande. A l'exception de M. CA... qui soutient sans en justifier résider à Louzes, commune située à plus de 7 kilomètres du projet litigieux, et dont l'intervention n'a pas été admise par la cour dans l'arrêt n° 20NT03390 du 7 janvier 2022, ils justifient d'un intérêt suffisant au maintien de la décision attaquée. Leur intervention en défense est, par suite, recevable. L'intervention de M. CA..., qui ne se prévaut d'aucun autre intérêt au maintien de la décision contestée que son intervention dans l'affaire enregistrée sous le n° 20NT03390, n'est pas recevable.
Sur la légalité de l'arrêté du 6 juillet 2023 du préfet de la Sarthe :
3. Aux termes de l'article L. 181-18 du code de l'environnement : " I. - Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre une autorisation environnementale, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés : / 1° Qu'un vice n'affecte qu'une phase de l'instruction de la demande d'autorisation environnementale, ou une partie de cette autorisation, peut limiter à cette phase ou à cette partie la portée de l'annulation qu'il prononce et demander à l'autorité administrative compétente de reprendre l'instruction à la phase ou sur la partie qui a été entachée d'irrégularité ; / 2° Qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé par une autorisation modificative peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation. Si une telle autorisation modificative est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. / II. - En cas d'annulation ou de sursis à statuer affectant une partie seulement de l'autorisation environnementale, le juge détermine s'il y a lieu de suspendre l'exécution des parties de l'autorisation non viciées. ".
4. Si, après que le juge administratif a sursis à statuer afin de permettre la régularisation d'une autorisation, aucune mesure de régularisation ne lui est notifiée, il lui appartient de prononcer l'annulation de cette autorisation, sans que puisse être contestée devant lui la légalité du refus opposé, le cas échéant, à la demande de régularisation présentée par le bénéficiaire de l'autorisation. Une telle contestation ne peut intervenir que dans le cadre d'une nouvelle instance, qui doit être regardée comme dirigée contre le refus d'autoriser le projet dans son ensemble, y compris les modifications qu'il était envisagé d'y apporter.
5. Il résulte de ce qui précède que la requête présentée par la société Innovent dirigée contre l'arrêté du préfet de la Sarthe du 6 juillet 2023 lui refusant la dérogation à l'interdiction de destruction de spécimens d'espèces protégées qu'elle avait sollicitée, afin de régulariser sur ce point l'autorisation environnementale qui lui avait été accordée par les arrêtés du préfet de la Sarthe des 14 juin 2016 et 31 décembre 2019, doit être regardée comme dirigée contre le refus d'autoriser son projet éolien dans son ensemble, y compris les modifications qu'il était envisagé d'y apporter.
6. Aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'environnement : " I. - Lorsqu'un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l'écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, d'espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, sont interdits : / 1° La destruction ou l'enlèvement des œufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle (...) d'animaux de ces espèces (...). " Aux termes de l'article L. 411-2 du même code : " I. - Un décret en Conseil d'État détermine les conditions dans lesquelles sont fixées : / (...) / 4° La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1, à condition qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l'autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle (...) ". Aux termes de l'article R. 411-6 du code de l'environnement : " Les dérogations définies au 4° de l'article L. 411-2 sont accordées par le préfet, sauf dans les cas prévus aux articles R. 411-7 et R. 411-8. / (...) Toutefois, lorsque la dérogation est sollicitée pour un projet entrant dans le champ d'application de l'article L. 181-1, l'autorisation environnementale prévue par cet article tient lieu de la dérogation définie par le 4° de l'article L. 411-2. La demande est alors instruite et délivrée dans les conditions prévues par le chapitre unique du titre VIII du livre Ier pour l'autorisation environnementale et les dispositions de la présente sous-section ne sont pas applicables. ". Aux termes de l'article R. 181-40 du même code : " Le projet d'arrêté statuant sur la demande d'autorisation environnementale est communiqué par le préfet au pétitionnaire, qui dispose de quinze jours pour présenter ses observations éventuelles par écrit. (...) ".
7. Conformément à ces dispositions, le préfet de la Sarthe était tenu, avant de refuser la dérogation sollicitée par la société Innovent sur le fondement du 4° de l'article L. 411-2 afin de régulariser son projet éolien, de communiquer à cette société un projet d'arrêté statuant sur sa demande et de lui donner un délai de quinze jours pour présenter ses observations éventuelles par écrit. Il résulte de l'instruction que cette procédure, qui constitue une garantie pour le pétitionnaire, n'a pas été mise en œuvre. La société Innovent que ce vice de procédure a ainsi privée d'une garantie est, dès lors, fondée à soutenir que l'arrêté attaqué a été pris au terme d'une procédure irrégulière.
8. Il résulte de ce qui précède et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que la société Innovent est fondée à demander l'annulation de l'arrêté du 6 juillet 2023 du préfet de la Sarthe.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
9. Eu égard au motif d'annulation de l'arrêté du 6 juillet 2023 attaqué mentionné au point 7 ci-dessus, le présent arrêt implique seulement que le préfet de la Sarthe statue à nouveau sur la demande de dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées présentée par la société Innovent. Il y a lieu de lui enjoindre d'y procéder dans un délai de trois mois.
Sur les frais liés au litige :
10. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par la société Innovent au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. L'association SPPEF et autres, intervenants, n'ayant pas la qualité de partie dans l'instance, leurs conclusions présentées au même titre ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : L'intervention de l'association Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France, M. et Mme BV... et BN... AM..., M. et Mme B... et BX... BB..., M. et Mme C... et AC... AH..., M. et Mme AW... et BL... AL..., M. BV... AN..., Mme BS... Q..., Mme AS... Q..., M. et Mme AE... et I... BE..., M. et Mme CB... et AV... O..., M. et Mme AQ... et AD... BA..., Mme Z... BZ..., M. AT... CE..., M. B... BT..., M. et Mme BF... et CF... BT..., M. et Mme B... et BW... U..., M. et Mme AU... et AX... J..., M. et Mme K... et CD... BR..., M. AA... L..., M. AB... L..., Mme BY... BM..., M. et Mme F... et BC... G..., M. et Mme C... et AD... AK..., M. BD... AF..., M. et Mme BK... et AO... H..., M. et Mme F... et AZ... R..., M. W... AI..., M. et Mme M... et AG... AP..., M. et Mme D... et BS... AY..., M. et Mme BV... et BQ... AR..., M. V... N..., M. BU... T..., M. et Mme BG... et BO... AJ..., M. et Mme A... et BP... S..., Mme BI... CC..., M. P... BJ... et M. et Mme E... X... est admise.
Article 2 : L'intervention de M. Y... CA... n'est pas admise.
Article 3 : L'arrêté du 6 juillet 2023 du préfet de la Sarthe est annulé.
Article 4 : Il est enjoint au préfet de la Sarthe de réexaminer la demande présentée par la société Innovent tendant à l'obtention d'une dérogation à l'interdiction de destruction de spécimens d'espèces protégées dans un délai de trois mois.
Article 5 : Le surplus des conclusions des parties et intervenants est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société Innovent, au préfet de la Sarthe et à Mme BN... AM..., représentante unique désignés par Me Echezar, mandataire.
Délibéré après l'audience du 17 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Buffet, présidente de chambre,
- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,
- M. Mas, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 octobre 2024.
Le rapporteur,
B. MASLa présidente,
C. BUFFET
La greffière,
M. LE REOUR
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT02699