Vu la requête, enregistrée le 6 février 2012, présentée pour l'EURL Les Mégalithes, dont le siège social est situé à le Manoir, rue du Robinet à Noirmoutier-en-l'Ile (85330), et M. et Mme C... B..., demeurant à... :
1°) d'annuler les articles 2, 3 et 4 du jugement nos 0800419 et 0801483 du 6 décembre 2011 par lesquels le tribunal administratif de Rennes n'a que partiellement fait droit à leur demande tendant à la condamnation de la commune de Monteneuf à leur payer les sommes en principal de 275 000 euros et 33 000 euros en réparation des préjudices subis du fait de la conclusion d'un bail commercial sur une dépendance du domaine public ;
2°) de condamner la commune de Monteneuf à leur payer en réparation les sommes de 275 000 euros et 33 000 euros, majorées des intérêts au taux légal à compter du 14 décembre 2007 et de la capitalisation de ces intérêts ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Monteneuf la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Ils font valoir que :
- la faute commise par la commune les a privés du fonds de commerce, sans qu'il y ait
lieu de subordonner la réparation de ce chef de préjudice à la preuve qu'il existait une autre offre qui, lors de la signature du bail en 1995, aurait été similaire à celle de la commune ;
- le nouveau bail proposé par la commune en 2007 stipule des conditions nettement moins avantageuses et faisait abstraction de l'option d'achat du bien ; ce nouveau bail est en effet très différent du bail initial ; le préjudice subi n'aurait pu être effacé que par le refus d'un bail identique au bail initial, ce qui n'est pas le cas ;
- l'EURL subit un préjudice très important en étant privée du fonds de commerce qu'elle avait elle-même constitué ;
- le préjudice financier correspondant à la perte de chance d'acquérir le bien s'établit à 135 000 euros et non à 10 000 euros ;
- le préjudice de jouissance s'établit à 20 000 euros ; il a pour cause directe la faute commise par la commune ;
- le préjudice tenant à l'obligation de rachat d'un fonds identique s'élève à 13 500 euros ;
- le préjudice né du changement d'exploitation s'établit à 17 000 euros ;
- l'évaluation des troubles dans les conditions d'existence des époux B...est insuffisante et doit être fixée à 15 000 euros ;
- le préjudice résultant de la perte de leur logement doit être évalué à 10 000 euros et celui afférent aux frais de déménagement à 5 000 euros ;
- ils sont en droit de prétendre à l'indemnisation des frais engagés dans des travaux d'aménagement des locaux d'habitation et qui s'élèvent à 3 000 euros ; ils justifient de ces frais ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 4 avril 2012, présenté pour la commune de Monteneuf, par Me Boquet, avocat au barreau de Rennes, qui conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) par la voie de l'appel incident, à l'annulation des articles 2, 3 et 5 du jugement, en ce qu'ils la condamnent à payer en réparation les sommes en principal de 10 000 et 1 000 euros et mettent à sa charge la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
3°) de rejeter la demande de l'EURL Les Mégalithes et des épouxB... ;
4°) de mettre à leur charge in solidum la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
- le rejet, définitif, de la demande dirigée contre la délibération du 11 décembre 2007
rend irrecevable la contestation par les requérants des éléments de leur préjudice ;
- ils ne peuvent solliciter que l'indemnisation du préjudice résultant des divers troubles qu'a pu causer la promesse d'une acquisition devenue impossible, à l'exclusion de la reconstitution de la situation économique et patrimoniale qui serait résultée pour eux de la réalisation d'une telle promesse ;
- les requérants invoquent en réalité le maintien d'une situation illégale ;
- ils ont refusé le bail que leur proposait la commune et qui leur aurait permis de continuer l'exploitation ;
- par la voie de l'appel incident, elle est fondée à demander la réformation du jugement ;
- en effet, la demande est irrecevable, dès lors que l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 2 octobre 2007 n'a pas été frappé de recours ;
- la commune continue de soutenir que les locaux litigieux ne faisait pas partie du domaine public ;
- la seule circonstance que la commune entendait redynamiser le tourisme local ne saurait suffire à considérer qu'elle avait affecté les locaux à une activité de service public ;
Vu le mémoire en réplique, enregistré le 22 février 2013, présenté pour l'EURL Les Mégalithes et les épouxB..., qui concluent aux mêmes fins que leur requête, par les mêmes moyens et, en outre, au rejet des conclusions d'appel incident présentées par la commune de Monteneuf ;
Ils font valoir que :
- le caractère définitif de la délibération du 11 décembre 2007 ne fait pas obstacle à leurs conclusions indemnitaires ni ne les rend irrecevables ;
- ils n'entendent nullement se prévaloir d'un droit au maintien d'une situation illégale ;
- ils n'ont refusé la nouvelle proposition de la commune que parce qu'elle était trop désavantageuse ;
- ils justifient de divers travaux d'aménagement réalisés en 1995, lors de l'entrée dans les lieux ;
- la circonstance qu'ils n'ont pas frappé de pourvoi l'arrêt du 2 octobre 2007 ne saurait leur être opposée ;
Vu le nouveau mémoire, enregistré le 24 mai 2013, présenté pour la commune de Monteneuf, qui conclut aux mêmes fins que ses précédentes écritures, par les mêmes moyens ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général de la propriété des personnes publiques ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code de commerce ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 21 juin 2013 :
- le rapport de M. Durup de Baleine, premier conseiller ;
- les conclusions de Mme Grenier, rapporteur public ;
- les observations de Me A..., substituant Me Marchand, avocat de l'EURL les Mégalithes et des épouxB... ;
- et les observations de Me Boquet, avocat de la commune de Monteneuf ;
1. Considérant que la commune de Monteneuf (Morbihan) a acheté et restauré un immeuble à usage commercial et d'habitation situé dans le centre bourg de la commune, en vue, en le donnant à bail commercial, qu'y soit exploité un restaurant ; que, le 4 janvier 1995, elle avait donné cet immeuble à bail commercial à l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) les Mégalithes, dont le gérant est M. B... ; que ce bail, stipulé pour une durée de neuf ans s'achevant le 31 janvier 2004, renfermait une promesse de vente des locaux par la commune au bénéfice du preneur ; qu'en 2003, l'EURL les Mégalithes a demandé à acquérir l'immeuble et que, par une délibération du 12 septembre 2003, le conseil municipal a autorisé le maire à le vendre au prix de 57 330,80 euros, en assortissant la mutation d'une clause garantissant pour l'avenir l'affectation des murs à usage de restaurant ; que, M. B... et l'EURL, en désaccord avec cette clause que ne prévoyait pas le bail de 1995, ont saisi le tribunal administratif de Rennes d'un recours en annulation de cette délibération ; que ce tribunal, par un jugement du 24 mai 2006, et la cour administrative d'appel de Nantes, par un arrêt du 2 octobre 2007, ont rejeté ce recours, aux motifs que l'immeuble, affecté au service public du développement économique et touristique de la commune, constitue une dépendance, inaliénable, de son domaine public et que, par suite, il ne pouvait donner lieu à la conclusion d'un bail commercial ; qu'à la suite de cet arrêt et par une délibération du 11 décembre 2007, le conseil municipal a décidé le déclassement de l'immeuble, pour le verser dans le domaine privé communal, et a mandaté le maire à l'effet de proposer à l'EURL les Mégalithes un nouveau bail commercial ; que l'EURL n'a toutefois pas accepté cette proposition et, après avoir cessé son activité le 31 décembre 2007, a quitté les lieux le 29 février 2008, M. et Mme B..., qui occupaient la partie de l'immeuble à usage d'habitation, en faisant de même ; que cette EURL et les époux B...relèvent appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Rennes, après avoir rejeté leur demande tendant à l'annulation de la délibération du 11 décembre 2007, n'a que partiellement fait droit à leur demande indemnitaire dirigée contre la commune de Monteneuf ; que cette dernière, par la voie de l'appel incident, conteste ce jugement, en ce qu'il l'a condamnée à payer respectivement à l'EURL et aux époux B...les sommes de 10 000 et 1 000 euros, majorées des intérêts et de leur capitalisation ;
Sur la responsabilité de la commune de Monteneuf :
4. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction qu'en l'absence d'une initiative privée propre à assurer dans la commune l'exploitation d'une activité de restauration, la commune de Monteneuf a, en 1994, acquis le bâtiment situé place Saint-Nicodème, dans le centre bourg, et y a réalisé des travaux en vue qu'y soit exploité un restaurant, type de commerce qui faisait alors défaut dans la commune ; que, ce faisant, la commune a eu pour objet, d'intérêt général, de redynamiser le tourisme local par la mise en valeur du domaine mégalithique des Pierres Droites, constitué d'environ 400 blocs de granit érigés durant la période néolithique ; qu'ainsi, l'acquisition de cet immeuble et la réalisation de ces travaux participaient de l'exécution par cette personne publique du service public du développement économique et touristique de la commune ;
5. Considérant, en deuxième lieu, que, dans le silence de la loi, une personne privée doit être regardée comme assurant une mission de service public lorsque, eu égard à l'intérêt général de son activité, aux conditions de sa création, de son organisation ou de son fonctionnement, aux obligations qui lui sont imposées ainsi qu'aux mesures prises pour vérifier que les objectifs qui lui sont assignés sont atteints, il apparaît que l'administration a entendu lui confier une telle mission ;
6. Considérant que, si, eu égard aux circonstances locales rappelées au point 4 du présent arrêt, l'exploitation d'une activité de restauration exercée par l'EURL les Mégalithes dans l'immeuble appartenant à la commune de Monteneuf à la faveur du bail commercial du 4 janvier 1995 présentait, dans cette commune, un caractère d'intérêt général, ni ce bail, ni aucune autre règle, n'investissait cette personne privée d'une prérogative de puissance publique ; que cette entreprise unipersonnelle a été créée par M. B..., qui en était le gérant ; que, pour l'exploitation du restaurant du même nom à Monteneuf, elle était organisée et fonctionnait dans les conditions du droit commun de ce type de société à responsabilité limitée ; qu'il ne résulte pas de l'instruction, notamment pas de la délibération du 25 novembre 1994 et des stipulations de ce bail commercial, lesquelles ne sont pas exorbitantes du droit commun en particulier la clause de spécialisation en vertu de laquelle les locaux loués devront être affectés par le preneur seulement à l'exploitation d'un restaurant et d'activités annexes, que des obligations particulières, autres que celles normalement susceptibles d'être imposées par un bailleur commercial à son preneur, étaient imposées à l'EURL les Mégalithes, notamment s'agissant des périodes et horaires d'ouverture à la clientèle, de la garniture des locaux loués en matériel et mobilier, de la décoration des locaux, des conditions d'approvisionnement, des types de cuisine proposés, des tarifs pratiqués ou des activités annexes susceptibles d'être conduites ; qu'il ne résulte pas non plus de l'instruction que des objectifs étaient imposés par la commune à l'exploitation de l'EURL les Mégalithes ou que de quelconques mesures auraient été prises pour vérifier que des objectifs assignés auraient été atteints ; que, dans ces conditions, la commune de Monteneuf, qui n'avait aucune implication dans l'exploitation, ne peut être regardée comme ayant entendu confier à l'EURL les Mégalithes une mission de service public ;
7. Considérant, en troisième lieu, qu'il résulte de ce qui précède que si, comme il a été dit, l'acquisition de l'immeuble par la commune et la réalisation sur ce dernier de travaux ont relevé d'une mission de service public, cette circonstance, en l'absence d'une mission de service public exercée par le preneur, ne suffisait en revanche pas à faire regarder ces locaux, qui avaient vocation à être loués ou, le cas échéant, cédés à leurs occupants, comme étant affectés, une fois achevés les travaux entrepris par la commune, à un service public et, sous réserve qu'ils aient fait l'objet d'un aménagement spécial ou indispensable à l'exécution d'une mission de service public, à les incorporer de ce seul fait dans le domaine public de la commune ; qu'il en résulte que, l'immeuble loué le 4 janvier 1995 ne constituant pas une dépendance du domaine public de la commune de Monteneuf, cette dernière n'a pas commis de faute en consentant sur ces locaux à l'EURL les Mégalithes un bail commercial, lequel revêtait le caractère d'un contrat de droit privé ; qu'ainsi, cette commune est, au soutien des conclusions de son appel incident, fondée à soutenir que c'est à tort que, pour faire partiellement droit aux conclusions indemnitaires de la demande de cette EURL et des épouxB..., les premiers juges ont estimé qu'elle avait commis une faute en consentant un bail commercial sur une dépendance de son domaine public ;
8. Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non recevoir opposées par la commune de Monteneuf aux demandes indemnitaires présentées par l'EURL les Mégalithes et les épouxB..., cette commune est fondée à soutenir, par la voie de l'appel incident, que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a retenu en son principe sa responsabilité et, sur cette base, partiellement accueilli ces prétentions indemnitaires ; que, par suite, les conclusions de la requête tendant à ce que les indemnités allouées par ce jugement soient portées à des montants plus importants ne peuvent être accueillies ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soient mises à la charge de la commune de Monteneuf, qui n'a pas dans la présente instance la qualité de partie perdante, les sommes demandées à ce titre par l'EURL les Mégalithes et les époux B...en première instance et en appel ; que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par cette commune au même titre ;
DÉCIDE :
Article 1er : Les articles 2, 3 et 5 du jugement du tribunal administratif de Rennes du 6 décembre 2011 sont annulés.
Article 2 : Les conclusions de la demande de première instance présentée par l'EURL les Mégalithes et M. et Mme B... sous le n° 0801483, autres que celles rejetées par l'article 4 du jugement du 6 décembre 2011, ainsi que leur requête d'appel, sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions présentées par la commune de Monteneuf au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à l'EURL les Mégalithes, à M. et Mme B... et à la commune de Monteneuf.
Délibéré après l'audience du 21 juin 2013, à laquelle siégeaient :
- M. Iselin, président de chambre,
- M. Millet, président-assesseur,
- M. Durup de Baleine, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 12 juillet 2013.
Le rapporteur,
A. DURUP de BALEINE Le président,
B. ISELIN
Le greffier,
F. PERSEHAYE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 12NT00334 2
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