Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Punch Powerglide Strasbourg a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler les articles 2 et 7 de la décision du 21 février 2013 par lesquels l'inspectrice du travail de la 7ème section de l'unité territoriale du Bas-Rhin a exigé le retrait du dernier alinéa de l'article 3 de son règlement intérieur et de la disposition relative à la " tolérance zéro alcool " figurant dans l'annexe à ce règlement intérieur relative aux contrôles d'ébriété.
Par un jugement n° 1301524 du 7 avril 2016, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 16NC01005 du 6 mars 2018, la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté l'appel formé par la société Punch Powerglide Strasbourg contre ce jugement en tant qu'il rejetait ses conclusions tendant à l'annulation de l'article 7 de la décision du 21 février 2013.
Par un arrêt n° 420434 du 8 juillet 2019, le Conseil d'Etat a, sur pourvoi de la société Punch Powerglide Strasbourg, annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy et renvoyé l'affaire à cette cour.
Procédure devant la cour après cassation :
Par un mémoire enregistré sous le n° 19NC02185 le 4 septembre 2019, complété par un mémoire enregistré le 17 janvier 2020, la société Punch Powerglide Strasbourg, représentée par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 7 avril 2016 en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de l'article 7 de la décision du 21 février 2013 par laquelle l'inspectrice du travail de la 7ème section de l'unité territoriale du Bas-Rhin a exigé le retrait de la disposition relative à la " tolérance zéro alcool " figurant dans l'annexe au règlement intérieur relative aux contrôles d'ébriété ;
2°) d'annuler l'article 7 de la décision du 21 février 2013 par laquelle l'inspectrice du travail de la 7ème section de l'unité territoriale du Bas-Rhin a exigé le retrait de la disposition relative à la " tolérance zéro alcool " figurant dans l'annexe au règlement intérieur relative aux contrôles d'ébriété ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à lui verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est au regard des seuls termes du règlement intérieur, à l'exclusion de tout autre document, que l'inspectrice du travail a considéré que la mesure d'interdiction de consommation d'alcool n'était pas fondée, alors qu'un règlement intérieur ne constitue, au sein de l'entreprise, qu'un outil de régulation et qu'aucun texte ne subordonne sa régularité à la mention, en son sein, de la justification des principes qu'il édicte, dès lors que celle-ci est disponible, dans le même périmètre, par le biais d'autres documents ;
- la disposition de l'annexe du règlement intérieur relative à la tolérance zéro alcool est circonscrite à des postes de travail exposés à une situation particulière de danger ou de risque ;
- les postes limitativement visés dans l'annexe au règlement intérieur le sont de manière justifiée ;
- l'atteinte à la liberté des travailleurs est proportionnée à la nécessité de préserver la santé et la sécurité des salariés ;
- la société a connu des accidents du travail aux conséquences parfois dramatiques.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 novembre 2019, le ministre du travail conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Par une intervention enregistrée le 19 janvier 2021, le syndicat CGT Punch Powerglide Strasbourg, représenté par Me B..., déclare s'associer aux conclusions du ministre du travail et demande à la cour de mettre à la charge de la société Punch Powerglide Strasbourg une somme de 1 500 euros à lui verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Favret, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Peton, rapporteur public,
- et les observations de Me A..., pour la société Punch Powerglide.
Considérant ce qui suit :
1. La société Punch Powerglide Strasbourg, spécialisée dans la fabrication d'équipements pour automobile, a révisé son règlement intérieur dont la nouvelle version, entrée en vigueur le 20 novembre 2012, comprend une " annexe au règlement intérieur concernant les contrôles d'état d'ébriété " dont il résulte que les salariés occupant des " postes de sûreté et de sécurité ou à risque ", tels que définis par cette annexe, sont soumis à une " tolérance zéro alcool ". En application de l'article L. 1322-1 du code du travail, qui prévoit que l'inspecteur du travail peut à tout moment exiger le retrait ou la modification des dispositions d'un règlement intérieur contraires notamment à l'article L. 1321-3 du même code, l'inspectrice du travail de la 7ème section de l'unité territoriale du Bas-Rhin a, par l'article 7 de sa décision du 21 février 2013, exigé le retrait de la disposition relative à la " tolérance zéro alcool " figurant dans cette annexe. La société a demandé l'annulation, dans cette mesure, de la décision de l'inspectrice du travail au tribunal administratif de Strasbourg, qui a rejeté sa demande par un jugement n° 1301524 du 7 avril 2016. Par un arrêt n° 16NC01005 du 6 mars 2018, la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté l'appel formé par la société Punch Powerglide Strasbourg contre ce jugement en tant qu'il rejetait ses conclusions tendant à l'annulation de l'article 7 de la décision du 21 février 2013. Par un arrêt n° 420434 du 8 juillet 2019, le Conseil d'Etat a, sur pourvoi de la société Punch Powerglide Strasbourg, annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy et renvoyé l'affaire à cette cour, au motif que le juge d'appel avait commis une erreur de droit, d'une part, en se fondant, pour estimer que la société requérante n'apportait pas la preuve du caractère justifié et proportionné de l'interdiction imposée aux salariés occupant les postes mentionnés par l'annexe au règlement intérieur, sur la circonstance qu'elle s'était bornée à établir la liste de ces postes, tels que conducteurs d'engins de certains types, utilisateurs de plates-formes élévatrices, électriciens ou mécaniciens et, d'autre part, en estimant que, pour établir le caractère proportionné de l'interdiction imposée aux salariés occupant les postes ainsi listés, la société ne pouvait se prévaloir du document unique d'évaluation des risques professionnels, dès lors que le règlement intérieur n'y comportait aucune référence.
Sur l'intervention du syndicat CGT Punch Powerglide Strasbourg :
2. Il est constant que le syndicat CGT Punch Powerglide Strasbourg a notamment pour objet de contribuer à l'extension des droits et à la défense des intérêts professionnels, sociaux, matériels et moraux des agents de la société Punch Powerglide Strasbourg. Par suite, son intervention au soutien des conclusions du ministre du travail est recevable.
Sur la légalité de l'article 7 de la décision du 21 février 2013 :
3. Aux termes de l'article L. 1321-1 du code du travail : " Le règlement intérieur est un document écrit par lequel l'employeur fixe exclusivement : / 1° Les mesures d'application de la réglementation en matière de santé et de sécurité dans l'entreprise ou l'établissement, notamment les instructions prévues à l'article L. 4122-1 (...) ". Aux termes de l'article L. 1321-3 du même code : " Le règlement intérieur ne peut contenir : (...) 2 Des dispositions apportant aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché (...) ". Aux termes de l'article L. 1121-1 du même code : " Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 4121-1 du même code : " L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ". Aux termes de l'article R. 4228-20 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable : " Aucune boisson alcoolisée autre que le vin, la bière, le cidre et le poiré n'est autorisée sur le lieu de travail ". Enfin, aux termes de l'article R. 4228-21 de ce code : " Il est interdit de laisser entrer ou séjourner dans les lieux de travail des personnes en état d'ivresse ".
4. Il résulte de ces dispositions, d'une part, que l'employeur ne peut apporter des restrictions aux droits des salariés que si elles sont justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché. Il en résulte, d'autre part, que l'employeur, qui est tenu d'une obligation générale de prévention des risques professionnels et dont la responsabilité, y compris pénale, peut être engagée en cas d'accident, doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. A ce titre, l'employeur peut, lorsque la consommation de boissons alcoolisées est susceptible de porter atteinte à la sécurité et à la santé des travailleurs, prendre des mesures, proportionnées au but recherché, limitant voire interdisant cette consommation sur le lieu de travail. En cas de danger particulièrement élevé pour les salariés ou pour les tiers, il peut également interdire toute imprégnation alcoolique des salariés concernés. Si, lorsqu'il prévoit une telle interdiction dans le règlement intérieur de l'entreprise, l'employeur doit être en mesure d'établir que cette mesure est justifiée par la nature des tâches à accomplir et proportionnée au but recherché, il n'en résulte ni que le règlement ne pourrait légalement fixer la liste des salariés concernés par référence au type de poste qu'ils occupent, ni que le règlement devrait comporter lui-même cette justification.
5. D'une part, l'annexe au règlement intérieur de la société Punch Powerglide Strasbourg relative aux contrôles d'ébriété dresse la liste limitative des catégories de postes dont les titulaires sont susceptibles d'être soumis à un tel contrôle. Y figurent, d'une part, les postes de conduite (conducteurs d'engins de type 1, 2, 3, 4, 5 et 6 ; utilisateurs de plates-formes élévatrices ; tout utilisateur de véhicules de la société : calibreurs, car audit, tests sur route, endurance, déplacements professionnels), d'autre part, les postes de maintenance (électriciens, mécaniciens, électroniciens, serruriers, hydrauliciens, frigoristes, moulistes, tourneurs, fraiseurs et ajusteurs) et, enfin, les " autres postes " : agents de sécurité, infirmier(e) et médecin du travail, personnes travaillant au laboratoire, conducteurs de fours, presses à injecter et chaudières, personnes utilisant des équipements de levage (ponts roulants, palans), procédant à des consignations (électrique, pneumatique, hydraulique), transportant, travaillant avec ou à proximité d'aluminium liquide, utilisant de l'appareillage électroportatif (meuleuse, tronçonneuse), utilisant des équipements sur lesquels il pourrait y avoir des risques de coupures graves, de brûlures, d'écrasements, d'entraînements (presses, centrifugeuses, compacteurs, cisailles), ainsi que les travaux exposant à des risques de noyade. Ainsi, la disposition relative à la " tolérance zéro alcool " figurant dans cette annexe ne présente pas un caractère général et absolu, l'ensemble du personnel administratif de l'entreprise n'étant notamment pas concerné par cette disposition.
6. D'autre part, les postes visés par la disposition relative à la " tolérance zéro alcool " figurant dans l'annexe du règlement intérieur sont présentés par celle-ci comme étant exposés à une situation particulière de danger ou de risque, compte tenu de leurs caractéristiques et des risques auxquels ils exposent, soit leurs titulaires, soit des tiers ou des biens. L'annexe précise en effet qu'" (...) il s'agit des salariés titulaires de postes de sûreté et de sécurité. Ces postes de sûreté et de sécurité ou à risque sont des postes où une défaillance humaine, ou même un simple défaut de vigilance peut entraîner des conséquences graves pour soi-même ou pour autrui ou encore peut entraîner de graves dommages aux biens de l'entreprise et / ou des postes nécessitant un haut degré de vigilance. Sont des postes de sécurité ceux de conducteurs d'engins et / ou de machines dangereuses, et ceux impliquant la manipulation de produits dangereux. Le travail en hauteur, le travail isolé, ou des activités essentielles à la sécurité d'autrui (qu'il s'agisse d'autres salariés ou de tiers) sont aussi concernés. (...) " La dangerosité des postes ainsi visés est d'ailleurs mentionnée dans le document unique d'évaluation des risques professionnels de la société requérante, document dont la société Punch Powerglide Strasbourg pouvait se prévaloir pour établir le caractère proportionné de l'interdiction imposée aux salariés occupant les postes ainsi listés, et ce quand bien même le règlement intérieur n'y comportait aucune référence.
7. A cet égard, il n'est pas sérieusement contesté que les titulaires de postes de conduite sous l'emprise de l'alcool sont susceptibles d'être à l'origine d'accidents pouvant porter atteinte à l'intégrité ou à la vie des personnes physiques, y compris la leur, au sein de l'entreprise comme hors de celle-ci. De la même façon, les titulaires de postes de maintenance ayant pour tâche de réparer ou de maintenir en état de marche les machines et installations, notamment électriques, nécessaires à la production, tout manquement dans l'exécution de ces tâches, manquement dont la probabilité de survenance serait assurément augmentée par l'état d'ébriété des intéressés, est susceptible d'entraîner de graves conséquences sur la fiabilité du matériel et des installations de l'entreprise, et donc d'exposer le titulaire du poste, mais aussi, plus largement, d'autres agents de l'entreprise à des dangers susceptibles de présenter un degré important de gravité. Enfin, il ressort de la lecture de l'annexe en cause que les " autres postes " qu'elle vise sont, d'une part, ceux pour lesquels un manque de vigilance, même limitée, est susceptible de créer un danger pour la santé et la sécurité des autres salariés de l'entreprise (agents de sécurité, infirmier et médecin du travail et, d'autre part, ceux qui exposent les salariés qui les occupent à des dangers électriques (manipulation du réseau électrique), mécaniques (manipulation des équipements de levage : ponts roulants, palans), de chute (proximité avec des cuves) ou sont liés à la manipulation de substances dangereuses (aluminium liquide en fusion à 700°C, substances manipulées en laboratoire) et sont susceptibles de porter atteinte à l'intégrité physique des salariés en raison de risques de noyade, de coupure grave, de brûlure, d'écrasement ou d'entraînement. Dès lors, compte tenu, d'une part, des risques particuliers attachés aux types de poste visés par la disposition relative à la " tolérance zéro alcool " figurant dans l'annexe au règlement intérieur relative aux contrôles d'ébriété et, d'autre part, de l'obligation qui incombe à l'employeur, en vertu des dispositions précitées de l'article L. 4121-1 du code du travail, d'assurer la sécurité et la santé des salariés dans l'entreprise, les dispositions du règlement intérieur litigieux, qui soumet les salariés occupant des " postes de sûreté et de sécurité ou à risque ", tels que définis par cette annexe, à une " tolérance zéro alcool ", ne portent pas aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives une atteinte disproportionnée par rapport au but recherché et ne méconnaissent donc pas les dispositions précitées des articles L. 1121-1 et L. 1321-3 du code du travail.
8. Par suite, c'est illégalement que l'inspectrice du travail de la 7ème section de l'unité territoriale du Bas-Rhin a, par l'article 7 de sa décision du 21 février 2013, exigé le retrait de la disposition relative à la " tolérance zéro alcool " figurant dans cette annexe.
9. Il résulte de tout ce qui précède que la société Punch Powerglide Strasbourg est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif Strasbourg a rejeté sa demande.
Sur les frais liés à l'instance :
10. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à la société Punch Powerglide Strasbourg au titre de ces dispositions.
12. Le syndicat CGT Punch Powerglide Strasbourg, intervenant en défense, n'étant pas partie à la présente instance, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à la condamnation de la société Punch Powerglide Strasbourg à payer à ce syndicat la somme qu'il demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : L'intervention du syndicat CGT Punch Powerglide Strasbourg est admise.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 7 avril 2016 est annulé, en tant qu'il a rejeté les conclusions tendant à l'annulation de l'article 7 de la décision du 21 février 2013 par laquelle l'inspectrice du travail de la 7ème section de l'unité territoriale du Bas-Rhin a exigé le retrait de la disposition relative à la " tolérance zéro alcool " figurant dans l'annexe au règlement intérieur relative aux contrôles d'ébriété.
Article 3 : L'article 7 de la décision de l'inspectrice du travail de la 7ème section de l'unité territoriale du Bas-Rhin du 21 février 2013 est annulé.
Article 4 : L'Etat versera à la société Punch Powerglide Strasbourg une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Les conclusions présentées par le syndicat CGT Punch Powerglide Strasbourg sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société Punch Powerglide Strasbourg, au ministre du travail et au syndicat CGT Punch Powerglide Strasbourg.
Copie en sera adressée au préfet du Bas-Rhin.
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N° 19NC02185