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27/06/2019 | FRANCE | N°18NC01386

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre, 27 juin 2019, 18NC01386


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune de Fléville-devant-Nancy a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler, d'une part, l'arrêté interministériel en date du 22 novembre 2016 en tant qu'il rejette la demande de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle qu'elle avait présentée à la suite des mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols du 1er janvier au 31 décembre 2015, d'autre part, les décisions implicites du ministre de l'intérieur, du ministre de l'éco

nomie et des finances et du secrétaire d'Etat chargé du budget et des comptes pub...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune de Fléville-devant-Nancy a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler, d'une part, l'arrêté interministériel en date du 22 novembre 2016 en tant qu'il rejette la demande de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle qu'elle avait présentée à la suite des mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols du 1er janvier au 31 décembre 2015, d'autre part, les décisions implicites du ministre de l'intérieur, du ministre de l'économie et des finances et du secrétaire d'Etat chargé du budget et des comptes publics ainsi que les décisions expresses des 12 avril 2017 et 9 mai 2017 du ministre de l'intérieur rejetant les recours gracieux qu'elle avait formés contre cet arrêté.

Par un jugement n° 1701357 du 20 mars 2018, le tribunal administratif de Nancy a annulé l'arrêté interministériel du 22 novembre 2016 en tant qu'il rejette la demande de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle présentée par la commune de Fléville-devant-Nancy ainsi que les décisions implicites du ministre de l'intérieur, du ministre de l'économie et des finances et du secrétaire d'Etat chargé du budget et des comptes publics et les décisions expresses des 12 avril 2017 et 9 mai 2017 du ministre de l'intérieur de rejet des recours gracieux.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 4 mai 2018, le ministre de l'intérieur, représenté par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nancy du 20 mars 2018 ;

2°) de rejeter la demande présentée par la commune de Fléville-devant-Nancy devant le tribunal administratif de Nancy ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Fléville-devant-Nancy le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Le ministre de l'intérieur soutient que :

- c'est à tort que le tribunal administratif a annulé l'arrêté interministériel du 22 novembre 2016 au motif qu'il n'était pas établi que la composition de la commission interministérielle relative aux dégâts non assurables causés par les catastrophes naturelles lors de sa séance du 15 novembre 2016 était conforme aux textes ;

- Mme G... était compétente pour signer les décisions des 12 avril et 9 mai 2017 ;

- MM F..., A... et E... étaient compétents pour signer l'arrêté interministériel du 22 novembre 2016 ;

- la circonstance que l'arrêté interministériel du 22 novembre 2016 n'a pas été publié dans le délai de trois mois prescrit par les dispositions de l'article L. 125-1 du code des assurances est sans incidence sur la légalité de cet arrêté ;

- la lettre de notification de cet arrêté est motivée ;

- les critères retenus par la commission interministérielle pour apprécier l'anormalité et l'intensité du phénomène de sécheresse et de réhydratation des sols sont adaptés aux objectifs déterminés par le législateur ;

- l'Etat n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en rejetant la demande de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle présentée par la commune de Fléville-devant-Nancy.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 novembre 2018, la commune de Fléville-devant-Nancy, représentée par Me D..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La commune de Fléville-devant-Nancy soutient que :

- la tardiveté de la production par le ministre de l'intérieur de la feuille d'émargement de la réunion du 15 novembre 2016 de la commission interministérielle relative aux dégâts non assurables causés par les catastrophes naturelles interdit de conférer à cette pièce une valeur probante ;

- cette pièce a été établie pour les besoins de la cause postérieurement à la réunion de la commission interministérielle ;

- en tout état de cause, la composition de cette commission lors de sa séance du 15 novembre 2016 méconnaissait la circulaire du 27 mars 1984 ;

- il appartient en tout état de cause à la cour de décider une vérification d'écritures ;

- l'arrêté interministériel du 22 novembre 2016 est illégal dès lors que le courrier de notification n'est pas motivé en méconnaissance des dispositions de l'article L. 125-1 du code des assurances ;

- la motivation de ce courrier méconnaît en tout état de cause l'objectif à valeur constitutionnelle d'intelligibilité de la norme ;

- l'Etat a commis une erreur d'appréciation en rejetant sa demande de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle ;

- en ayant recours à des sous-critères pour apprécier l'intensité et l'anormalité du phénomène de sécheresse et de réhydratation des sols dont on ne sait pas s'ils sont cumulatifs ou alternatifs, l'Etat a entaché son arrêté d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation ;

- la procédure est irrégulière, l'arrêté contesté ayant été pris au vu d'un avis émis par une commission interministérielle qui n'a aucune existence légale ou règlementaire ;

- cette commission, qui s'est bornée à reprendre les données produites par Météo France, n'a pas émis un réel avis ;

- le fait pour les ministres de se fonder sur une méthodologie dont les principes n'ont pas été préalablement fixés par un texte, entache leur décision d'illégalité :

- l'arrêté contesté est entaché d'incompétence négative, les ministres s'étant estimés liés par l'avis émis par la commission interministérielle ;

- la procédure est irrégulière, les ministres s'étant prononcés au vu d'un dossier incomplet.

Par ordonnance du 20 novembre 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 10 décembre 2018.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- le code des assurances ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 82-600 du 13 juillet 1982 ;

- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Laubriat, premier conseiller,

- les conclusions de M. Favret, rapporteur public,

- et les observations de Me B..., pour la commune de Fléville-devant-Nancy.

Considérant ce qui suit :

1. A la suite de la sécheresse de 2015, de nombreuses communes, dont celle de Fléville-devant-Nancy dans le département de Meurthe-et-Moselle, ont déposé un dossier de demande de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle pour les dommages causés par les mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols. Par un arrêté du 22 novembre 2016, les ministres de l'intérieur et de l'économie et des finances ainsi que le secrétaire d'Etat chargé du budget et des comptes publics ont fixé, dans une annexe I, la liste des communes faisant l'objet d'une constatation de l'état de catastrophe naturelle, et dans une annexe II, la liste des communes dont les demandes de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle étaient rejetées, dont la commune de Fléville-devant-Nancy. A la demande de cette commune, le tribunal administratif de Nancy a, par un jugement du 20 mars 2018, annulé l'arrêté interministériel du 22 novembre 2016 en tant qu'il ne reconnaissait pas l'état de catastrophe naturelle dans cette commune. Le ministre de l'intérieur fait appel de ce jugement.

Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal administratif :

2. Le tribunal administratif a annulé l'arrêté interministériel du 22 novembre 2016 en tant qu'il rejetait la demande de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle présentée par la commune de Fléville-devant-Nancy au motif qu'il n'était pas établi que la composition de la commission interministérielle relative aux dégâts non assurables causés par les catastrophes naturelles lors de sa séance du 15 novembre 2016 était conforme aux termes de la circulaire du 27 mars 1984.

3. Aux termes de l'article 1er de la loi susvisée du 13 juillet 1982 relative à l'indemnisation des victimes de catastrophes naturelles : " (...) Sont considérés comme les effets des catastrophes naturelles, au sens de la présente loi, les dommages matériels directs ayant eu pour cause déterminante l'intensité anormale d'un agent naturel, lorsque les mesures habituelles à prendre pour prévenir ces dommages n'ont pu empêcher leur survenance ou n'ont pu être prises. L'état de catastrophe naturelle est constaté par arrêté interministériel ". L'article L. 125-1 du code des assurances dispose : " Les contrats d'assurance, souscrits par toute personne physique ou morale autre que l'Etat et garantissant les dommages d'incendie ou tous autres dommages à des biens situés en France, ainsi que les dommages aux corps de véhicules terrestres à moteur, ouvrent droit à la garantie de l'assuré contre les effets des catastrophes naturelles, (...) / Sont considérés comme les effets des catastrophes naturelles, au sens du présent chapitre, les dommages matériels directs non assurables ayant eu pour cause déterminante l'intensité anormale d'un agent naturel, lorsque les mesures habituelles à prendre pour prévenir ces dommages n'ont pu empêcher leur survenance ou n'ont pu être prises. / L'état de catastrophe naturelle est constaté par arrêté interministériel qui détermine les zones et les périodes où s'est située la catastrophe ainsi que la nature des dommages résultant de celle-ci couverts par la garantie visée au premier alinéa du présent article. Cet arrêté précise, pour chaque commune ayant demandé la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle, la décision des ministres. Cette décision est ensuite notifiée à chaque commune concernée par le représentant de l'Etat dans le département, assortie d'une motivation. L'arrêté doit être publié au Journal officiel dans un délai de trois mois à compter du dépôt des demandes à la préfecture. De manière exceptionnelle, si la durée des enquêtes diligentées par le représentant de l'Etat dans le département est supérieure à deux mois, l'arrêté est publié au plus tard deux mois après la réception du dossier par le ministre chargé de la sécurité civile. (...) ".

4. Il résulte de ces dispositions que l'état de catastrophe naturelle n'est constaté par arrêté ministériel que dans le cas où l'agent naturel en cause a revêtu un caractère d'intensité anormale sur le territoire de la commune qui a sollicité cette reconnaissance.

5. La circulaire interministérielle du 27 mars 1984 relative à l'indemnisation des victimes de catastrophes naturelles précise les conditions d'examen des demandes de reconnaissance d'une catastrophe naturelle. Aux termes de cette circulaire, la commission interministérielle relative aux dégâts non assurables causés par les catastrophes naturelles, qui est chargée d'émettre un avis sur le caractère de catastrophe naturelle, " est composée : d'un représentant du Ministère de l'Intérieur et de la Décentralisation, appartenant à la Direction de la Sécurité Civile ; d'un représentant du Ministère de l'Economie, des Finances et du Budget, appartenant à la Direction des Assurances ; d'un représentant du Secrétariat d'Etat auprès du Ministre de l'Economie, des Finances et du Budget, chargé du Budget, appartenant à la Direction du Budget ".

6. Pour la première fois en appel, le ministre de l'intérieur produit la liste d'émargement de la réunion du 15 novembre 2016 de la commission interministérielle relative aux dégâts non assurables causés par les catastrophes naturelles au cours de laquelle la demande présentée par la commune de Fléville-devant-Nancy a été examinée. Si la commune de Fléville-devant-Nancy soutient que la production tardive de cette liste laisse supposer qu'elle a été établie pour les besoins de la cause, la production tardive d'une pièce n'a, par elle-même, pas d'incidence sur sa valeur probante. Par ailleurs, la commune de Fléville-devant-Nancy ne produit aucun élément de nature à mettre en doute l'authenticité de la liste produite par le ministre. Dans ces conditions, et sans qu'il soit besoin d'ordonner une vérification d'écritures, la composition de la commission interministérielle lors de sa séance du 15 novembre 2016 doit être regardée comme suffisamment établie par la production de cette liste d'émargement.

7. Il ressort de cette liste que sur les treize personnes présentes lors de cette réunion, le ministère de l'intérieur était représenté par trois agents, tous membres de la direction générale de la sécurité civile. Le ministère de l'économie et des finances était également représenté par trois agents, dont un membre de la direction du Trésor -représentant la sous-direction des assurances- et deux membres de la direction du budget. La composition de la commission lors de sa séance du 15 novembre 2016 comprenait donc les membres prévus par la circulaire du 27 mars 1984. Par ailleurs, à supposer que la détermination des seuils caractérisant l'intensité et l'anormalité du phénomène climatique proposés par la commission aurait pris en compte des observations des agents du ministère de l'écologie et du développement durable, du ministère de l'outre-mer ou de la Caisse centrale de réassurance également présents lors de la séance de la commission, il ne ressort nullement des pièces du dossier que de telles considérations auraient, eu égard à la mission technique confiée à cette commission, affecté de partialité l'appréciation portée par les membres de la commission sur la demande de reconnaissance de catastrophe naturelle présentée par la commune de Fléville-devant-Nancy ou privé cette commune d'une garantie.

8. Par suite, c'est à tort que le tribunal administratif s'est fondé sur l'irrégularité de la composition de la commission interministérielle relative aux dégâts non assurables causés par les catastrophes naturelles lors de sa séance du 15 novembre 2016 pour annuler l'arrêté interministériel du 22 novembre 2016 en tant que cet arrêté rejetait la demande de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle présentée par la commune de Fléville-devant-Nancy.

9. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la commune de Fléville-devant-Nancy devant le tribunal administratif de Nancy et devant la cour.

Sur les autres moyens :

En ce qui concerne les moyens soulevés à l'encontre de l'arrêté interministériel du 22 novembre 2016 :

S'agissant de la légalité externe :

10. En premier lieu, aux termes de l'article 1er du décret susvisé du 27 juillet 2005 : " A compter du jour suivant la publication au Journal officiel de la République française de l'acte les nommant dans leurs fonctions ou à compter du jour où cet acte prend effet, si ce jour est postérieur, peuvent signer, au nom du ministre ou du secrétaire d'Etat et par délégation, l'ensemble des actes, à l'exception des décrets, relatifs aux affaires des services placés sous leur autorité : 1° (...) les directeurs d'administration centrale, (...) et les chefs des services que le décret d'organisation du ministère rattache directement au ministre ou au secrétaire d'Etat ; 2° Les chefs de service, directeurs adjoints, sous-directeurs (...) ; ".

11. M. F... a été nommé directeur général de la sécurité civile au ministère de l'intérieur par arrêté du 31 juillet 2014 publié au Journal officiel de la république française (JORF) du 2 août 2014, M. A... a été nommé sous-directeur des assurances au ministère de l'économie par arrêté du 12 novembre 2013 publié au JORF du 14 novembre 2013 et M. E... a été nommé sous-directeur de la 5ème sous-direction de la direction du budget par arrêté du 4 mars 2011 publié au JORF du 6 mars 2011. MM. F..., A... et E... disposaient donc, en vertu des dispositions précitées de l'article 1er du décret du 27 juillet 2005, d'une délégation générale les habilitant à signer au nom des ministres dont ils relèvent l'arrêté contesté du 22 novembre 2016. Le moyen tiré de l'incompétence des signataires de l'arrêté du 22 novembre 2016 doit donc être écarté comme manquant en fait.

12. En deuxième lieu, si la commune de Fléville-devant-Nancy soutient que les ministres se sont prononcés au vu d'un dossier incomplet, elle ne fournit aucun élément de nature à établir que le préfet de Meurthe-et-Moselle n'aurait pas transmis au ministre de l'intérieur les pièces prévues par la circulaire interministérielle du 19 mai 1998 relative à la constitution des dossiers concernant des demandes de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle.

13. En troisième lieu, les ministres, à qui il incombe de prendre les mesures nécessaires au bon fonctionnement des administrations placées sous leur autorité, ont la faculté, même en l'absence de disposition le prévoyant expressément, de s'entourer avant de prendre les décisions relevant de leur compétence, des avis qu'ils estiment utiles de recueillir. Dès lors, le moyen tiré de ce que la commission interministérielle relative aux dégâts non assurables causés par les catastrophes naturelles instituée par la circulaire du 27 mars 1984 pour donner aux ministres compétents des avis sur le caractère de catastrophe naturelle que peuvent présenter certains événements n'aurait pas été légalement créée et de ce que, par conséquent, sa consultation aurait vicié la procédure, ne peut qu'être écarté.

14. En quatrième lieu, et comme il a déjà été dit au point 7, il est établi, au vu de la liste d'émargement produite par le ministre de l'intérieur, que la commission interministérielle relative aux dégâts non assurables causés par les catastrophes naturelles a siégé lors de sa séance du 15 novembre 2016, au cours de laquelle a été examinée la situation de la commune de Fléville-devant-Nancy, dans une composition conforme aux dispositions de la circulaire interministérielle du 27 mars 1984.

15. En cinquième lieu, la circonstance que la commission interministérielle aurait repris à son compte les éléments d'appréciation proposés par Météo France pour l'analyse de l'intensité de l'agent naturel en cause, et suivi sa position sur le cas de la commune requérante, n'est pas, eu égard aux travaux préparatoires effectués nécessairement par Météo France, et nonobstant la circonstance que la séance à l'issue de laquelle cet avis a été rendu concernait de nombreuses communes, de nature à établir que la commission n'aurait pas émis un avis sur la situation particulière de la commune de Fléville-devant-Nancy.

16. En sixième lieu, les dispositions précitées de l'article L. 125-1 du code des assurances n'ont ni pour objet ni pour effet de prévoir à peine d'irrégularité de la décision la publication au Journal officiel de l'arrêté de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle dans le délai de trois mois à compter du dépôt des demandes à la préfecture. Par ailleurs, l'expiration du délai imparti par un texte à l'autorité administrative pour statuer sur une demande ne dessaisit pas cette autorité, qui demeure tenue de statuer sur la demande. Par suite, la circonstance que l'arrêté interministériel du 22 novembre 2016 a été publié au JORF le 27 décembre 2016, soit plus de trois mois après le dépôt le 4 janvier 2016 du dossier de la commune de Fléville-devant-Nancy de demande de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle est sans incidence sur la régularité de cet arrêté.

17. En septième lieu, l'arrêté constatant un état de catastrophe naturelle ne constitue pas une décision individuelle et n'a donc pas à être motivé en application du code des relations entre le public et l'administration.

18. En huitième lieu, si l'article L. 125-1 du code des assurances prévoit que " Cette décision [de reconnaissance ou de non reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle] est ensuite notifiée à chaque commune concernée par le représentant de l'Etat dans le département, assortie d'une motivation ", cette disposition ne constitue toutefois pas une condition de légalité de l'arrêté de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle. Par suite, le moyen tiré de ce que la lettre du préfet de Meurthe-et-Moselle du 27 décembre 2016 notifiant à la commune de Fléville-devant-Nancy le rejet de sa demande de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle serait insuffisamment motivée est, en tout état de cause, inopérant.

S'agissant de la légalité interne :

19. En premier lieu, l'arrêté interministériel du 22 novembre 2016 a rejeté la demande de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle présentée par la commune de Fléville-devant-Nancy au motif que l'intensité du phénomène de sécheresse et de réhydratation de sols ne revêtait pas pour cette commune un caractère anormal. Par suite, la commune de Fléville-devant-Nancy n'est pas fondée à soutenir que l'arrêté contesté aurait été édicté au vu de critères non prévus par l'article L. 125-1 du code des assurances.

20. En deuxième lieu, en vertu de l'article 21 de la Constitution, le Premier ministre " assure l'exécution des lois " et, sous réserve de la compétence conférée au Président de la République pour les décrets délibérés en Conseil des ministres par l'article 13 de la Constitution, " exerce le pouvoir réglementaire ". L'exercice du pouvoir réglementaire comporte non seulement le droit, mais aussi l'obligation de prendre dans un délai raisonnable les mesures qu'implique nécessairement l'application de la loi, hors le cas où le respect des engagements européens et internationaux de la France y ferait obstacle. Le caractère général des dispositions précitées de l'article L. 125-1 du code des assurances définissant les effets des catastrophes naturelles comme les dommages matériels directs non assurables ayant eu pour cause déterminante " l'intensité anormale d'un agent naturel " ne rend pas ces dispositions manifestement inapplicables. Dès lors, contrairement à ce que soutient la commune requérante, le Premier Ministre n'était pas tenu de prendre un décret pour préciser les critères permettant de caractériser l'intensité anormale d'un agent naturel, décret que le législateur n'a, d'ailleurs, pas prévu.

21. En troisième lieu, les ministres compétents peuvent légalement, même en l'absence de dispositions législatives ou réglementaires le prévoyant, s'appuyer sur des méthodologies et paramètres scientifiques, sous réserve que ceux-ci apparaissent appropriés, en l'état des connaissances, pour caractériser l'intensité des phénomènes en cause et leur localisation, qu'ils ne constituent pas une condition nouvelle à laquelle la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle serait subordonnée ni ne dispensent les ministres d'un examen particulier des circonstances propres à chaque commune.

22. Pour statuer sur les dossiers de demande de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle pour les dommages causés par les mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols, les ministres compétents se fondent depuis 2009 sur une nouvelle méthode de modélisation des bilans hydriques des sols argileux mise au point par Météo France qui, utilisant l'ensemble des données pluviométriques présentes dans la base de données climatologiques, modélise plus finement le bilan hydrique de l'ensemble de la France métropolitaine à l'aide d'une grille composée de 8 977 mailles carrées de seulement 8 km de côté. Les critères du modèle ont fait l'objet d'une adaptation en fonction de l'évolution des connaissances scientifiques et permettent d'intégrer avec une plus grande précision un paramètre de teneur en eau des sols mesuré par l'index SWI (Soil Wetness Index), pour ne pas s'en tenir aux seuls critères météorologiques de pluviométrie. Ainsi le phénomène de sécheresse " hivernale " est considéré comme revêtant une intensité anormale lorsque l'indice d'humidité du sol est, sur une période de dix jours pendant le 1er trimestre de l'année civile correspondant au trimestre dit de fin de recharge, inférieure à 80 % de la normale. Le phénomène de sécheresse " estivale " est, quant à lui, considéré comme revêtant une intensité anormale par application de deux critères qui sont alternatifs. Une sécheresse estivale revêt une intensité anormale lorsque l'indice moyen d'humidité du sol au cours du troisième trimestre de l'année civile est inférieure à 70 % de son niveau habituel et que le nombre de décades au cours desquelles le niveau d'humidité du sol superficiel est inférieur à ce seuil est l'une des trois périodes les plus longues constatées sur la période 1989-2015. Si ce premier critère n'est pas rempli, l'intensité anormale d'une sécheresse estivale peut également être caractérisée lorsque l'indice d'humidité du sol des neuf décades composant la période de juillet à septembre de l'année considérée est si faible que le temps de retour à la normale de la moyenne des indices SWI représente au moins 25 années. Ces critères sont de nature à identifier une sécheresse d'une intensité anormale et répondent, par suite, aux objectifs posés à l'article L. 125-1 du code des assurances.

23. La commune de Fléville-devant-Nancy ne produit aucun élément de nature à établir que les paramètres retenus par les ministres seraient inappropriés, en l'état des connaissances, pour caractériser l'intensité des phénomènes en cause et leur localisation. Par ailleurs, ces paramètres ne constituent pas une condition nouvelle à laquelle la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle serait subordonnée. Enfin, l'utilisation de ces paramètres ne dispensent pas les ministres d'un examen particulier des circonstances propres à chaque commune. Dans ces conditions, la commune de Fléville-devant-Nancy n'est pas fondée à soutenir que les ministres auraient entaché d'illégalité leur arrêté du 22 novembre 2016 en se fondant sur une méthodologie dont les principes n'ont été fixés par aucun texte.

24. En quatrième lieu, la commission interministérielle prévue par la circulaire interministérielle du 27 mars 1984 a pour seule mission d'éclairer les ministres compétents sur l'application à chaque commune des méthodologies et paramètres scientifiques permettant de caractériser les phénomènes naturels en cause, notamment ceux issus de la méthode de modélisation des bilans hydriques des sols argileux mise au point par Météo France, et les avis qu'elle émet ne lient pas les autorités dont relève la décision. Dès lors, en s'appuyant sur les résultats issus de cette méthodologie ainsi que sur l'avis émis par cette commission pour statuer sur la demande présentée par la commune de Fléville-devant-Nancy, l'autorité ministérielle n'a pas méconnu l'étendue de sa compétence.

25. En cinquième lieu, il ressort du tableau annexé au courrier du préfet de Meurthe-et-Moselle du 27 décembre 2016 notifiant à la commune de Fléville-devant-Nancy le rejet de sa demande de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle qu'elle ne remplissait pas les critères fixés, à titre indicatif, par la commission interministérielle chargée de donner un avis aux ministres statuant sur les demandes de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle. Les éléments produits par la commune, s'ils attestent de l'existence de dommages matériels imputables à la sécheresse et la réhydratation des sols, ne suffisent pas à contredire les données figurant sur ce tableau, desquelles il résulte que ce phénomène ne présentait pas, pour la période considérée, une intensité anormale.

26. En sixième lieu, la commune de Fléville-devant-Nancy ne fournit aucun élément, notamment météorologique, de nature à remettre en cause l'évaluation de l'intensité du phénomène de sécheresse résultant de l'application de la méthodologie décrite au point 22. Dans ces conditions, la commune de Fléville-devant-Nancy n'est pas fondée à soutenir que le refus de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle qui lui a été opposé serait entaché d'erreur d'appréciation.

27. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a annulé l'arrêté interministériel du 22 novembre 2016 en tant qu'il rejette la demande de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle présentée par la commune de Fléville-devant-Nancy.

En ce qui concerne les décisions implicites de rejet des recours gracieux :

28. Les moyens tirés de ce que les décisions implicites de rejet des recours gracieux adressés aux ministres de l'intérieur et de l'économie et des finances et au secrétaire d'Etat au budget et aux comptes publics seraient entachées d'incompétence négative, d'erreur de droit et d'erreur d'appréciation pouvant être écartées pour les mêmes motifs que ceux examinés aux points 19, 24 et 26, les conclusions de la demande de la commune de Fléville-devant-Nancy tendant à l'annulation de ces décisions ne peuvent qu'être rejetées.

En ce qui concerne les décisions explicites des 12 avril et 9 mai 2017 :

29. Aux termes de l'article 2 du décret n° 2005-850 : " I. - Les ministres et secrétaires d'Etat peuvent, par un arrêté publié au Journal officiel de la République française, donner délégation pour signer tous actes, à l'exception des décrets, au directeur et au chef de leur cabinet, ainsi qu'à leurs adjoints, en ce qui concerne les affaires pour lesquelles délégation n'est pas donnée à l'une des personnes mentionnées à l'article 1er. Cette délégation prend fin en même temps que les pouvoirs du ministre ou du secrétaire d'Etat qui l'a donnée ".

30. Le ministre de l'intérieur n'établit pas qu'il aurait donné délégation à sa chef de cabinet, Mme G..., pour signer les décisions des 12 avril et 9 mai 2017 rejetant les recours gracieux formés par la commune de Fléville-devant-Nancy contre l'arrêté interministériel du 22 novembre 2016 en tant que cet arrêté rejetait la demande de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle présentée par cette commune. Par suite, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens des conclusions de la demande de la commune dirigées contre ces décisions, la commune de Fléville-devant-Nancy est fondée à demander l'annulation des décisions des 12 avril et 9 mai 2017.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

31. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du ministre de l'intérieur, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la commune de Fléville-devant-Nancy demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Fléville-devant-Nancy le versement de la somme que l'Etat demande sur le fondement des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nancy du 20 mars 2018 est annulé.

Article 2 : Les décisions des 12 avril et 9 mai 2017 du ministre de l'intérieur sont annulées.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la demande présentée par la commune de Fléville-devant-Nancy devant le tribunal administratif de Nancy est rejeté.

Article 4 : Les conclusions de l'Etat et de la commune de Fléville-devant-Nancy présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à la commune de Fléville-devant-Nancy, au ministre de l'action et des comptes publics et au ministre de l'économie et des finances.

Copie en sera adressée au préfet de Meurthe-et-Moselle.

2

N° 18NC01386


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 18NC01386
Date de la décision : 27/06/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

12 Assurance et prévoyance.

Assurance et prévoyance - Contrats d'assurance.

Assurance et prévoyance - Contentieux.

Nature et environnement.


Composition du Tribunal
Président : M. MESLAY
Rapporteur ?: M. Alain LAUBRIAT
Rapporteur public ?: M. FAVRET
Avocat(s) : FERGON

Origine de la décision
Date de l'import : 26/09/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2019-06-27;18nc01386 ?
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