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22/01/2025 | FRANCE | N°23MA00816

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 1ère chambre, 22 janvier 2025, 23MA00816


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. G... et Mme H... F... ont demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner la commune de Saint-Cyr-sur-Mer à leur verser la somme totale de 1 524 202,16 euros au titre des préjudices subis du fait de l'illégalité du permis de construire du 13 décembre 2001 délivré par le maire de cette commune.



Par un jugement avant-dire-droit n° 1300706 du 15 octobre 2015, le tribunal administratif de Toulon a sursis à statuer sur la demande de M. et Mme F.

.. jusqu'à ce que l'autorité judiciaire se soit prononcée sur la validité de la vente et sur les...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. G... et Mme H... F... ont demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner la commune de Saint-Cyr-sur-Mer à leur verser la somme totale de 1 524 202,16 euros au titre des préjudices subis du fait de l'illégalité du permis de construire du 13 décembre 2001 délivré par le maire de cette commune.

Par un jugement avant-dire-droit n° 1300706 du 15 octobre 2015, le tribunal administratif de Toulon a sursis à statuer sur la demande de M. et Mme F... jusqu'à ce que l'autorité judiciaire se soit prononcée sur la validité de la vente et sur les actions en responsabilité devant le juge civil.

Par un jugement n° 1300706 du 17 mars 2023, le tribunal administratif de Toulon a condamné la commune de Saint-Cyr-sur-Mer à verser à M. et Mme F... une somme de 20 392,60 euros au titre des préjudices subis.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 4 avril 2023, 17 juin et 19 août 2024, M. et Mme F..., représentés par Me Kieffer, demandent à la Cour, dans le dernier état de leurs écritures :

1°) d'annuler le jugement du 17 mars 2023 du tribunal administratif de Toulon en tant qu'il rejette la demande de sursis à statuer ;

2°) d'annuler le jugement du 17 mars 2023 du tribunal administratif de Toulon en tant qu'il limite le montant du préjudice subi à 20 392,60 euros ;

3°) à titre principal, de condamner la commune de Saint-Cyr-sur-Mer à leur verser la somme de 1 167 425 euros au titre de la perte de chance de plus-value sur terrain construit ; à titre subsidiaire, de condamner la commune de Saint-Cyr-sur-Mer à leur verser la somme de 350 499 euros au titre de la perte de chance de plus-value sur terrain construit ; à titre infiniment subsidiaire, de condamner la commune de Saint-Cyr-sur-Mer à leur verser la somme de 161 702 euros au titre de la perte de chance de plus-value sur terrain non construit mais bénéficiant d'un permis de construire ;

4°) de condamner la commune de Saint-Cyr-sur-Mer à leur verser la somme globale de 78 202,41 euros au titre des autres préjudices subis ;

5°) de surseoir à statuer sur la demande de condamnation de la commune de Saint-Cyr-sur-Mer à leur verser la somme de 136 831,58 euros au titre des frais de démolition ; dans cette attente, de réserver leurs droits ;

6°) de condamner la commune de Saint-Cyr-sur-Mer à leur verser, d'une part, la somme de 50 000 euros au titre du préjudice moral, et, d'autre part, la somme de 50 000 euros au titre des troubles dans leurs conditions d'existence ;

7°) d'assortir ces sommes des intérêts au taux légal à compter du 10 janvier 2013, date d'introduction de la réclamation préalable ;

8°) de rejeter l'appel incident présenté par la commune de Saint-Cyr-sur-Mer ;

9°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Cyr-sur-Mer la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent, dans le dernier état de leurs écritures, que :

- la commune de Saint-Cyr-sur-Mer a commis une illégalité fautive en délivrant, le 13 décembre 2001, un permis de construire illégal ;

- le tribunal aurait dû prolonger les effets du sursis à statuer en l'attente d'une décision définitive de l'autorité judiciaire ;

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé, eu égard notamment au rapport d'expertise judiciaire ;

- ils ont subi une perte de chance qui doit être évaluée, à titre principal, à hauteur de 1 167 425 euros, à titre subsidiaire, à hauteur de 350 499 euros, et, à titre infiniment subsidiaire, à hauteur de 161 702 euros ;

- ils ont subi un préjudice de remboursement anticipé du prêt, à hauteur de 6 000 euros ;

- dans l'hypothèse où l'autorité judiciaire ferait droit à la demande de démolition de l'ouvrage réalisé présentée par les époux A..., ils subiraient un préjudice lié au coût de la démolition, à hauteur de 136 831,58 euros ; un sursis à statuer doit être prononcé, dans l'attente d'un certificat de non pourvoi par Mme A... ;

- ils ont subi des préjudices liés aux frais engagés, à savoir 2 084,97 euros de frais de géomètre expert, 23 098,14 euros de frais d'avocats, 2 918 euros de taxe d'urbanisme, 875,40 euros d'expert technique et 3 762,90 euros au titre des frais adverses de procédure ;

- ils ont subi un préjudice moral à hauteur de 50 000 euros, ainsi que des troubles dans leurs conditions d'existence à hauteur de 50 000 euros.

Par des mémoires en défense enregistrés les 18 juin et 16 octobre 2024, la commune de Saint-Cyr-sur-Mer, représentée par Me Marchesini, demande à la Cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) par la voie de l'appel incident, d'annuler le jugement du 17 mars 2023 du tribunal administratif de Toulon en tant qu'il l'a condamnée à verser à M. et Mme F... une somme de 20 392,60 euros au titre des préjudices subis et une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

3°) de mettre à la charge de M. et Mme F... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- le tribunal a omis de répondre au moyen tiré de ce que le permis de construire litigieux était entaché de fraude ; cette fraude est de nature à faire obstacle à toute demande d'indemnisation ;

- le chef de préjudice tiré de la perte de valeur vénale du bien immobilier doit être rejeté, eu égard à la décision définitive de l'autorité judiciaire ; en tout état de cause, cette perte ne présente pas de lien de causalité avec le permis illégal litigieux ;

- le préjudice tiré de la perte de chance de bénéficier d'une plus-value n'est pas établi ;

- le préjudice tiré des frais de construction a déjà été indemnisé par l'autorité judiciaire ; en tout état de cause, il n'est pas établi ;

- le préjudice tiré du montant du prêt immobilier ne présente pas de lien de causalité avec le permis illégal litigieux ;

- le préjudice tiré des frais de démolition est inexistant ;

- les frais de justice ne sont pas indemnisables par une commune ; le préjudice tiré de ces frais ne peut donc qu'être rejeté ;

- le préjudice moral et celui tiré des troubles dans les conditions d'existence résultent du propre fait des victimes, et ne présentent en tout état de cause aucun lien avec le permis illégal litigieux ;

- les requérants ont commis des fautes de nature à exonérer la commune de sa responsabilité, notamment dans la mesure où ils étaient conscients du risque d'annulation du permis litigieux lors de la vente du terrain concerné ; a minima, ils ont commis des négligences et imprudences de nature à exonérer totalement la commune de sa responsabilité.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Claudé-Mougel, rapporteur ;

- les conclusions de M. Quenette, rapporteur public ;

- les observations de Me Kieffer représentant M. et Mme F..., et celles de Me Marchesini représentant la commune de Saint-Cyr-sur-Mer.

Une note en délibéré présentée par M. et Mme F... a été enregistrée le 9 janvier 2025 et n'a pas été communiquée.

Considérant ce qui suit :

1. Le 14 mai 2004, les époux F... ont acheté à Mme B... une parcelle cadastrée section EB n° 7, sise lieu-dit E... sur le territoire de la commune de Saint-Cyr-sur-Mer, sur laquelle a été autorisée l'édification d'une maison individuelle d'habitation d'une surface de plancher de 200 m², par un permis de construire délivré le 13 décembre 2001 qui leur a été transféré le 30 mars 2004. Ce permis de construire a été annulé, à la demande des époux A..., voisins du projet, par un jugement du 12 octobre 2006 du tribunal administratif de Nice, confirmé par un arrêt du 15 janvier 2009 de la Cour, devenu définitif. Par un jugement du 20 décembre 2012, le tribunal de grande instance (TGI) de Toulon a annulé la vente, condamné Mme B... à restituer aux époux F... le prix de la vente de 229 500 euros avec intérêts au taux légal et le prix de la commission versée à l'agence immobilière avec le bénéfice de l'anatocisme, et condamné in solidum l'architecte et le notaire à verser à Mme B... la somme de 150 000 euros au titre des dommages et intérêts. Par un arrêt du 10 novembre 2022, la Cour d'appel d'Aix-en-Provence a annulé ce jugement en tant qu'il a condamné l'architecte et le notaire, a condamné Mme B... à verser aux époux F... la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts, en jugeant que celle-ci serait relevée et garantie du paiement de cette somme par l'architecte et le notaire, a condamné ces deux derniers à verser à Mme B... la somme de 80 000 euros en réparation du préjudice lié à la perte de chance de conclure une vente efficace et à verser aux époux F... les sommes de 12 065,93 euros au titre du prêt immobilier et de 83 936,65 euros au titre des frais engagés pour la construction. La Cour de cassation a, par une décision du 4 avril 2024, rejeté le pourvoi formé par les époux F... contre cet arrêt. Par une réclamation indemnitaire préalable du 10 janvier 2013, les époux F... ont sollicité de la commune de Saint-Cyr-sur-Mer la somme de 2 000 000 euros au titre des préjudices subis du fait de l'illégalité du permis de construire susmentionné du 13 décembre 2001. Cette demande a été rejetée par une décision du 30 janvier 2013 du maire de cette commune. Les époux F... demandent l'annulation du jugement par lequel le tribunal administratif de Toulon a condamné la commune de Saint-Cyr-sur-Mer au titre des préjudices subis par ceux-ci, en tant qu'il a limité à 20 392,60 euros le montant desdits préjudices. Par la voie de l'appel incident, la commune de Saint-Cyr-sur-Mer demande l'annulation de ce même jugement en tant qu'il l'a condamnée à verser aux époux F... cette somme, outre la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, si les époux F... soutiennent que le tribunal aurait dû prolonger les effets du sursis à statuer prononcé par le jugement avant-dire droit susvisé du 15 octobre 2015, un tel moyen relève toutefois du bien-fondé du jugement attaqué et reste sans incidence sur sa régularité.

3. En deuxième lieu, il résulte des motifs mêmes du jugement attaqué que le tribunal a expressément et suffisamment répondu aux moyens contenus dans les mémoires produits par les requérants. En particulier, le tribunal, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments avancés par les parties, a suffisamment motivé son jugement sur l'ensemble des chefs de préjudice invoqués par les époux F.... La seule circonstance qu'il n'ait pas mentionné l'expertise réalisée par Mme D... le 27 janvier 2015, au demeurant établie dans le cadre du litige pendant devant l'autorité judiciaire, n'est pas de nature, à elle seule, à caractériser une insuffisance de motivation du jugement attaqué.

4. En dernier lieu, si la commune de Saint-Cyr-sur-Mer soutient que le tribunal a omis de répondre au moyen tiré de ce que le permis de construire litigieux était entaché de fraude, il résulte toutefois de l'examen du jugement attaqué que le tribunal a répondu à cet argument, au point 6 dudit jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la responsabilité de la commune de Saint-Cyr-sur-Mer :

5. En premier lieu, toute illégalité est constitutive d'une faute. Ainsi, la décision par laquelle l'autorité administrative délivre un permis de construire illégal constitue une faute de nature à engager sa responsabilité, à condition, notamment, que l'existence d'un lien de causalité direct et certain entre l'illégalité ainsi commise et le préjudice invoqué puisse être établi.

6. Il est constant que le permis de construire susmentionné du 13 décembre 2001, délivré à Mme B... puis transféré aux époux F... par un arrêté du 30 mars 2004, a été annulé, au motif d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 1NB 14 du règlement du plan d'occupation des sols (POS) de Saint-Cyr-sur-Mer relatives au coefficient d'occupation des sols, par un jugement n° 0405765 du 12 octobre 2006 du tribunal administratif de Nice, confirmé par un arrêt n° 06MA03449 du 15 janvier 2009 de la Cour, devenu définitif. Ainsi, l'illégalité entachant le permis de construire du 13 décembre 2001 constitue une faute susceptible d'engager la responsabilité de la commune de Saint-Cyr-sur-Mer envers les époux F....

7. En deuxième lieu, si la commune de Saint-Cyr-sur-Mer soutient que le permis litigieux était entaché de fraude, de sorte que les époux F... ne sauraient prétendre à une quelconque indemnisation, il résulte toutefois de l'instruction, et notamment des décisions juridictionnelles citées au point précédent, lesquelles se sont prononcées sur l'illégalité dudit permis, que tant le tribunal administratif de Nice que la Cour ont été saisis du moyen tiré de la fraude et l'ont écarté. En tout état de cause, il ne résulte pas de l'instruction qu'en mentionnant sur le plan de masse joint à la demande de permis de construire l'existence d'une servitude de passage de 4 m de large le pétitionnaire aurait commis une fraude pour contourner les règles d'accès du règlement du plan local d'urbanisme, alors même que la voie existante aurait eu une largeur inférieure à 4 M.

8. En dernier lieu et d'une part, si la commune de Saint-Cyr-sur-Mer se prévaut d'un courrier adressé par les requérants à l'agence ORPI Paris Mer le 27 janvier 2004 qui établirait, selon elle, que ceux-ci avaient connaissance du risque d'annulation du permis litigieux avant l'engagement des travaux, il résulte de l'instruction que ce courrier, au demeurant antérieur à la demande d'annulation du permis présentée par les époux A... devant le tribunal administratif de Nice le 30 novembre 2004, concernait un arrêté de péremption dudit permis, qui avait été pris le 9 janvier 2004 par le maire de Saint-Cyr-sur-Mer avant d'être retiré par un arrêté du 25 février 2004. La commune défenderesse ne peut donc sérieusement soutenir que ce courrier établirait la connaissance d'une demande d'annulation présentée postérieurement.

9. D'autre part, si la commune de Saint-Cyr-sur-Mer soutient que les époux F... ont fait preuve d'une négligence fautive en s'abstenant de s'assurer que le permis litigieux était purgé de tout recours, il résulte toutefois de l'instruction que la vente du terrain assorti du permis avait été réalisée via un notaire, dont les intéressés pouvaient raisonnablement espérer qu'il les aurait informés d'un tel risque. A cet égard, ledit notaire a été condamné par l'autorité judiciaire, laquelle a retenu qu'il lui appartenait " de recueillir toutes informations utiles sur le caractère définitif ou non du permis de construire ", ce qui n'avait pas été fait. La commune défenderesse ne peut donc se prévaloir d'une cause exonératoire de sa responsabilité sur ce point.

En ce qui concerne les préjudices :

10. En premier lieu, du fait de l'annulation pour excès de pouvoir de leur permis de construire, les époux F... doivent être regardés comme n'ayant jamais obtenu un droit à construire. Par suite, le bénéfice qu'ils auraient pu retirer de la construction envisagée serait résulté d'une opération elle-même illégale. Les requérants ne sauraient dès lors, en tout état de cause, prétendre à être indemnisés de leur manque à gagner sur cette opération.

11. En deuxième lieu, si les époux F... demandent une somme de 6 000 euros au titre du remboursement anticipé de leur prêt immobilier et renvoient à cet égard au rapport d'expertise judiciaire susmentionné établi par Mme D..., il résulte des termes mêmes de ce rapport que ladite somme n'a pu être vérifiée par l'experte, faute de production par les intéressés du contrat de prêt. Si les requérants se prévalent également d'une pièce intitulée " attestation de remboursement anticipé d'un prêt immobilier ", cette pièce est seulement constituée d'une attestation de remboursement intégral dudit prêt, laquelle ne précise pas même que ledit remboursement était anticipé, ni, a fortiori, le montant de l'indemnité qui aurait été infligée aux époux F... de ce fait. Dans ces conditions, en l'absence de tout élément probant permettant d'établir la réalité du préjudice subi au titre d'un éventuel remboursement anticipé de leur prêt immobilier, les requérants ne sont pas fondés à en demander l'indemnisation.

12. En troisième lieu, la réparation du préjudice financier susceptible de résulter de l'immobilisation d'un capital est, en principe, indemnisable dès lors que ce préjudice n'a pas été couvert par une plus-value réalisée à l'occasion de la cession ultérieure de ce capital. La réparation de ce préjudice consiste pour la personne publique fautive à verser une somme correspondant aux intérêts au taux légal, pour la période ainsi définie, sur les fonds effectivement engagés.

13. Les époux F... se prévalent d'une perte financière liée au financement des travaux, à hauteur de 87 233,54 euros. Toutefois, les intéressés n'établissent pas avoir financé les travaux réalisés sur capitaux propres, alors même qu'il résulte de l'instruction que ceux-ci avaient obtenu un prêt de 200 000 euros le 19 mai 2004 auprès du Crédit Mutuel.

14. En quatrième lieu, si les époux F... se prévalent de frais de géomètre-expert à hauteur de 2 084,97 euros, la seule note d'honoraires du 15 septembre 2004, faisant état de différentes opérations réalisées postérieurement à la délivrance du permis de construire litigieux, ne peut suffire à caractériser un lien de causalité direct et certain entre ces frais et l'illégalité fautive retenue au point 6.

15. En cinquième lieu, les frais utilement exposés par le bénéficiaire d'une autorisation individuelle d'urbanisme à l'occasion d'une instance judiciaire engagée par des tiers et à l'issue de laquelle le juge judiciaire ordonne, à raison de l'illégalité de cette autorisation, la démolition d'une construction ainsi que l'indemnisation des préjudices causés aux tiers par celle-ci, sont susceptibles d'être pris en compte dans le préjudice résultant de l'illégalité fautive de l'autorisation, mais à l'exclusion de ceux relatifs aux astreintes prononcées, le cas échéant, pour pallier une carence dans l'exécution de la décision juridictionnelle. Il en va de même des frais afférents à une instance en appréciation de légalité introduite, au cours du procès judiciaire, devant la juridiction administrative, afin qu'il soit statué sur la légalité de l'autorisation.

16. D'une part, il résulte de l'instruction que les factures établies par Me Guisiano le 27 septembre 2005, par Me d'Hers les 11 janvier, 7 septembre et 7 novembre 2005, par Me Ghestin le 10 mars 2005 et par Me Lefort à une date inconnue ne comportent aucune indication permettant d'établir qu'elles ont été effectivement réglées par les requérants. A cet égard, les seules annotations manuscrites portées sur ces factures par les requérants eux-mêmes ne sauraient suffire à établir la réalité des paiements dont ils se prévalent, pas plus que les extraits de relevés de compte bancaire, produits pour la première fois en appel et eux-mêmes annotés de manière manuscrite. Enfin, en ce qui concerne les trois factures des 6 mars 2007, 13 mars et 9 décembre 2008 établies par le cabinet Kieffer - Lecolier, présentées par les requérants comme émanant de Me Houlliot, il résulte de l'instruction que tant ce cabinet que Me Houlliot ont représenté les époux F... à la fois devant la juridiction administrative et devant la juridiction judiciaire. Lesdites factures ne comportant aucune indication permettant d'établir si elles concernent l'une ou l'autre de ces instances, il ne peut être regardé comme établi qu'elles se rapportent à l'instance judiciaire. Dès lors, et alors en outre que l'instance judiciaire susmentionnée n'était pas relative à des préjudices causés aux tiers par la construction litigieuse, les requérants ne sont en tout état de cause pas fondés à en demander réparation.

17. En sixième lieu, les frais de justice exposés devant le juge administratif en conséquence directe d'une faute de l'administration sont susceptibles d'être pris en compte dans le préjudice résultant de la faute imputable à celle-ci, dans les conditions suivantes. Lorsqu'une partie avait la qualité de demanderesse à l'instance à l'issue de laquelle le juge annule pour excès de pouvoir une décision administrative illégale, la part de son préjudice correspondant à des frais exposés et non compris dans les dépens est réputée intégralement réparée par la décision que prend le juge dans l'instance en cause sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Lorsqu'en revanche une partie autre que l'administration ayant pris la décision illégale avait la qualité de défenderesse à une telle instance ou relève appel du jugement rendu à l'issue de l'instance ayant annulé cette décision, les frais de justice utilement exposés par elle, ainsi que, le cas échéant, les frais mis à sa charge par le juge au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont susceptibles d'être pris en compte dans le préjudice résultant de la faute imputable à l'administration.

18. D'une part, M. et Mme F... n'établissent pas, par la seule production d'une lettre qui leur a été envoyée par l'avocat des époux A... sur laquelle ils ont ajouté une mention manuscrite selon laquelle la somme aurait été réglée par chèque ainsi que de la copie d'une lettre manuscrite qu'ils auraient envoyé à cet avocat, la réalité de cette dépense. D'autre part, si les requérants justifient avoir payé les factures établies par Me Collard le 27 avril 2005 et par Me Guisiano le 6 janvier 2006, l'intitulé des plus laconiques de ces factures ne permet pas de les rattacher aux procédures devant les juridictions administratives en lien avec le permis de construire illégalement délivré.

19. En septième lieu, si les requérants se prévalent d'une dépense de 2 918 euros au titre de la taxe d'urbanisme, ils n'établissent pas plus, par la seule production d'un extrait de relevé de compte bancaire annoté de manière manuscrite, la réalité de cette dépense, alors en outre que l'avis de paiement avait été adressé à Mme B.... En tout état de cause, le paiement de la taxe d'urbanisme ne présente pas un lien de causalité direct et certain avec l'illégalité fautive résultant de la délivrance d'un permis de construire illégal.

20. En huitième lieu, les époux F... n'établissent aucun lien de causalité entre les frais exposés dans le cadre de l'expertise réalisée par M. C... au cours du mois de mai 2008 et l'illégalité fautive établie au point 6, alors en outre que ce rapport précède de plus de 5 ans la réclamation indemnitaire préalable susvisée et qu'une seconde expertise a été réalisée dans le cadre de l'instance engagée devant l'autorité judiciaire.

21. En dernier lieu, il résulte de l'instruction que les époux F... ont connu de nombreuses difficultés durant de longues années du fait de l'illégalité du permis de construire qui leur avait été transféré, et ont dû abandonner le projet qu'ils avaient élaboré sur le terrain concerné. Il sera fait une juste appréciation des troubles dans les conditions d'existence et du préjudice moral subis par ceux-ci en condamnant la commune de Saint-Cyr-sur-Mer à les indemniser à ce titre à hauteur de 10 000 euros.

22. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de surseoir à statuer, qu'il y a lieu de ramener à 10 000 euros le montant de l'indemnité due par la commune de Saint-Cyr-sur-Mer à M. et Mme F... et de réformer en ce sens le jugement attaqué du tribunal administratif de Toulon.

Sur les intérêts :

23. Les époux F... ont droit aux intérêts au taux légal correspondant à l'indemnité de 10 000 euros à compter du 11 janvier 2013, date de réception de leur demande par la commune de Saint-Cyr-sur-Mer.

Sur les conclusions d'appel incident de la commune de Saint-Cyr-sur-Mer :

24. Il résulte de ce qui a été dit au point 16 que les appelants ne justifient pas du bien-fondé ou de la réalité des honoraires versés à leurs conseils, et qu'une partie de leur demande relève des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. La commune de Saint-Cyr-sur-Mer est ainsi fondée à faire valoir que leur demande d'indemnisation à ce titre soit rejetée. En revanche, ainsi qu'il a été dit au point 21, les époux F... sont fondés à demander l'indemnisation du préjudice moral et des troubles dans leurs conditions d'existence qu'ils ont subis, à hauteur de 10 000 euros.

Sur les frais liés au litige :

25. Par l'article 2 du jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a mis à la charge de la commune de Saint-Cyr-sur-Mer la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Le tribunal n'a pas fait une inexacte application de ces dispositions en fixant à 3 000 euros le montant de la somme due à ce titre par la commune de Saint-Cyr-sur-Mer.

26. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : La somme de 20 392,60 euros que la commune de Saint-Cyr-sur-Mer a été condamnée à verser à M. et Mme F... par le jugement n° 1300706 du 17 mars 2023 du tribunal administratif de Toulon est ramenée à 10 000 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 10 janvier 2013.

Article 2 : Le jugement n° 1300706 du 17 mars 2023 du tribunal administratif de Toulon est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. G... et à Mme H... F... et à la commune de Saint-Cyr-sur-Mer.

Délibéré après l'audience du 8 janvier 2025, où siégeaient :

- M. Portail, président,

- Mme Courbon, présidente assesseure,

- M. Claudé-Mougel, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 janvier 2025

2

N° 23MA00816


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23MA00816
Date de la décision : 22/01/2025
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. PORTAIL
Rapporteur ?: M. Arnaud CLAUDÉ-MOUGEL
Rapporteur public ?: M. QUENETTE
Avocat(s) : HOULLIOT KIEFFER LECOLIER AVOCATS ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 24/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-01-22;23ma00816 ?
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