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12/04/2024 | FRANCE | N°23MA00159

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 5ème chambre, 12 avril 2024, 23MA00159


Vu la procédure suivante :



Procédure devant la Cour :



Par une requête et un mémoire, enregistrés les 18 janvier 2023 et 16 janvier 2024, sous le n° 23MA00159, la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), représentée par Me Victoria, demande à la Cour :



1°) d'annuler l'arrêté du 27 juillet 2022 du préfet de la Haute-Corse délivrant, à la société par action simplifiée (SAS) Marseole, un permis de construire d'un parc éolien situé au lieu-dit B... sur la commune de Calenzana ainsi que la décision du 21 novemb

re 2022 rejetant son recours gracieux ;



2°) de mettre à la charge solidaire de l'Etat et de la...

Vu la procédure suivante :

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 18 janvier 2023 et 16 janvier 2024, sous le n° 23MA00159, la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), représentée par Me Victoria, demande à la Cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 27 juillet 2022 du préfet de la Haute-Corse délivrant, à la société par action simplifiée (SAS) Marseole, un permis de construire d'un parc éolien situé au lieu-dit B... sur la commune de Calenzana ainsi que la décision du 21 novembre 2022 rejetant son recours gracieux ;

2°) de mettre à la charge solidaire de l'Etat et de la SAS Marseole la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice.

Elle soutient que :

- sa requête est recevable ;

- le permis de construire ne comporte pas la mention du prénom et du nom de son auteur, en violation de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration ;

- il n'est pas établi que l'évaluation des incidences Natura 2000 a bien été versée au dossier de demande de permis de construire en litige ;

- l'évaluation des incidences Natura 2000 est insuffisante s'agissant des incidences du projet sur le Gypaète barbu, l'habitat de l'Aigle royal et du Milan royal, le risque de collision et les effets cumulés du projet ;

- le projet aurait dû faire l'objet d'une évaluation environnementale au sens des articles L. 122-1 et suivants du code de l'environnement ;

- il relève du régime de l'autorisation environnementale au sens de l'article L. 181-1 du code de l'environnement ;

- le projet aurait dû faire l'objet d'une enquête publique, conformément aux dispositions des articles L. 123-2 et R. 123-1 du code de l'environnement ;

- l'arrêté attaqué méconnaît les dispositions de l'article L. 414-4 du code de l'environnement dès lors qu'il existe un doute sur l'absence d'incidence significative sur les objectifs de conservation des ZPS alentours ;

- en l'absence de dérogation à la protection des espèces protégées, le préfet de la Haute-Corse a méconnu les dispositions de l'article L. 411-1 du code de l'environnement et les intérêts protégés par l'article L. 181-3 du même code ;

- l'arrêté attaqué est entaché d'erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 1er décembre 2023, la SAS Marseole, représentée par Me Casanova, conclut au rejet de la requête de la Ligue pour la protection des oiseaux et demande à la Cour de mettre à sa charge la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la requête est irrecevable en raison de la méconnaissance de l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme du fait du défaut de qualité donnant intérêt à agir à la LPO ;

- les moyens soulevés par la LPO ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée au préfet de la Haute-Corse qui n'a pas produit de mémoire.

Par une lettre du 21 mars 2024, les parties ont été informées de ce que la Cour était susceptible de mettre en œuvre la procédure prévue par l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme et de surseoir à statuer en vue de la régularisation des vices tirés de :

- l'absence d'évaluation environnementale, d'enquête publique d'une autorisation environnementale ;

- l'insuffisance de l'évaluation des incidences Natura 2000 concernant le Gypaète Barbu, l'habitat de l'Aigle royal et du Milan Royal ;

- l'atteinte aux objectifs de conservation de sites Natura 2000 en méconnaissance des dispositions de l'article L. 414-4 du code de l'environnement.

Des observations ont été produites le 25 mars 2024 par Me Casanova pour la SAS Marseole, et communiquées le 26 mars suivant.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- la directive n° 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 modifiée par la directive n° 2014/52/UE du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 ;

- le code de l'environnement ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- l'ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 ;

- la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 ;

- le décret n° 2012- 41 du 12 janvier 2012 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la Cour a désigné Mme Aurélia Vincent, présidente assesseure, pour présider la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Marchessaux,

- les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public,

- et les observations de Me Victoria représentant la Ligue pour la protection des oiseaux et de Me Le Gall substituant Me Casanova pour la SAS Marseole.

Considérant ce qui suit :

1. La société Marseole a déposé, le 5 juillet 2018, une déclaration d'exploiter une installation classée et, le 9 juillet 2018, une demande de permis de construire pour l'édification et l'exploitation d'un parc éolien composé d'onze aérogénérateurs et d'un poste de livraison au lieu-dit A... sur le territoire de la commune de Calenzana. Par un arrêté du 5 septembre 2018, le préfet de la Haute-Corse a prescrit la production d'une évaluation des incidences Natura 2000 sur les espèces d'intérêt communautaire susceptibles d'être impactées par la construction et l'exploitation du parc éolien de A... et a suspendu le délai d'opposition à la déclaration de ces installations pour ce motif. Le 5 novembre 2018, la société Marseole a produit une évaluation des incidences Natura 2000 pour laquelle le préfet a demandé, le 8 novembre 2018, un complément d'information. La société Marseole a déposé, le 13 février 2020, une nouvelle déclaration et, le 12 juin 2020, une évaluation des incidences Natura 2000 pour ce même parc éolien. Par un arrêté du 7 août 2020, le préfet de la Haute-Corse ne s'est pas opposé à cette déclaration pour l'exploitation de ce parc éolien et a pris des prescriptions relatives à l'évaluation des incidences Natura 2000. Par un arrêt n° 20MA04635 du 20 janvier 2023, la Cour a estimé que cet arrêté était illégal dès lors, d'une part, qu'il n'a pas été procédé à une évaluation environnementale, à une enquête publique et à une autorisation environnementale, que l'évaluation des incidences Natura 2000 est insuffisante concernant le Gypaète Barbu, l'habitat de l'Aigle royal et du Milan Royal, qu'il porte atteinte aux objectifs de conservation de sites Natura 2000 en méconnaissance des dispositions de l'article L. 414-4 du code de l'environnement, et, d'autre part, en tant qu'il n'a pas été sollicité de dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces animales non domestiques et de leurs habitats, prévue à l'article L. 411-2 du code l'environnement et que ces vices pouvaient être régularisés en application de l'article L. 181-18 du code de l'environnement. Le pourvoi de la SAS Marseole dirigé contre cet arrêt n'a pas été admis par une décision n° 472313 du 20 décembre 2023 du Conseil d'Etat. Par un autre arrêté du 27 juillet 2022, le préfet de la Haute-Corse a délivré, à la SAS Marseole, le permis de construire sollicité. La LPO demande à la Cour l'annulation de ce dernier arrêté.

Sur les fins de non-recevoir opposées par la société Marseole :

2. Aux termes de l'article L. 142-1 du code de l'environnement : " Toute association ayant pour objet la protection de la nature et de l'environnement peut engager des instances devant les juridictions administratives pour tout grief se rapportant à celle-ci. / Toute association de protection de l'environnement agréée au titre de l'article L. 141-1 (...) justifient d'un intérêt pour agir contre toute décision administrative ayant un rapport direct avec leur objet et leurs activités statutaires et produisant des effets dommageables pour l'environnement sur tout ou partie du territoire pour lequel elles bénéficient de l'agrément dès lors que cette décision est intervenue après la date de leur agrément. ". Il résulte par ailleurs de ces dispositions que toute association de protection de l'environnement agréée au titre de l'article L. 141-1 justifie d'un intérêt pour agir contre toute décision administrative ayant un rapport direct avec son objet et ses activités statutaires et produisant des effets dommageables pour l'environnement sur tout ou partie du territoire pour lequel elle bénéficie de l'agrément, dès lors que cette décision est intervenue après la date de son agrément.

3. La Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) a pour objet, aux termes de l'article 1er de ses statuts, " d'agir pour l'oiseau, la faune sauvage, la nature (...), pour cela elle travaille (...) à la défense des différentes espèces et (...) obtenir une stricte application des lois et règlements qui protègent les oiseaux et les écosystèmes dont ils dépendent. ", objet se rattachant à la protection de la nature et de l'environnement. En outre, elle bénéficiait, lors de l'introduction de son recours contentieux, d'un agrément de protection de l'environnement dans le cadre national, délivré en application des dispositions mentionnées au point 2 par un arrêté du 12 décembre 2018 du ministre de la transition écologique et solidaire, et renouvelé par arrêté du 17 janvier 2023, pour cinq ans à compter du 1er janvier 2023. En application de l'article L. 142-1 du code de l'environnement, la LPO justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour agir contre toute décision qui, relevant de son objet statutaire, produit des effets dommageables pour l'environnement au sens de l'article L. 141-1 du même code. Il en va notamment ainsi d'un permis de construire qui, comme celui délivré par le préfet de la Haute Corse à la SAS Marseole, autorise la réalisation d'un parc éolien composé d'onze aérogénérateurs et d'un poste de livraison à proximité de plusieurs zones Natura 2000 abritant notamment des espèces d'oiseaux protégés bénéficiant de protection nationale au titre de l'arrêté du 29 octobre 2009 et de la directive n° 79/409/CEE du conseil du 2 avril 1979 concernant la conservation des oiseaux sauvages. Par suite, la LPO justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour agir en l'espèce. La fin de non-recevoir opposée par la société Marseole doit donc être écartée.

4. Aux termes de l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme : " En cas de déféré du préfet ou de recours contentieux à l'encontre d'un certificat d'urbanisme, ou d'une décision relative à l'occupation ou l'utilisation du sol régie par le présent code, le préfet ou l'auteur du recours est tenu, à peine d'irrecevabilité, de notifier son recours à l'auteur de la décision et au titulaire de l'autorisation. Cette notification doit également être effectuée dans les mêmes conditions en cas de demande tendant à l'annulation ou à la réformation d'une décision juridictionnelle concernant un certificat d'urbanisme, ou une décision relative à l'occupation ou l'utilisation du sol régie par le présent code. L'auteur d'un recours administratif est également tenu de le notifier à peine d'irrecevabilité du recours contentieux qu'il pourrait intenter ultérieurement en cas de rejet du recours administratif. / La notification prévue au précédent alinéa doit intervenir par lettre recommandée avec accusé de réception, dans un délai de quinze jours francs à compter du dépôt du déféré ou du recours. / La notification du recours à l'auteur de la décision et, s'il y a lieu, au titulaire de l'autorisation est réputée accomplie à la date d'envoi de la lettre recommandée avec accusé de réception. Cette date est établie par le certificat de dépôt de la lettre recommandée auprès des services postaux ".

5. Il ressort des pièces du dossier qu'à la suite de sa requête enregistrée au greffe de la Cour le 18 janvier 2023 et de la demande de régularisation du greffe de la Cour du 19 janvier 2023, la LPO a adressé, par deux lettres recommandées avec accusé de réception au préfet de la Haute-Corse et à la SAS Marseole, la notification de ce recours dont les deux preuves de dépôt produites au dossier mentionnent la date d'envoi du 23 janvier 2023, soit dans le délai de quinze jours prévu par les dispositions de l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme.

Sur la légalité du permis de construire en litige :

6. Aux termes de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Toute décision prise par une administration comporte la signature de son auteur ainsi que la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci. ".

7. Si l'arrêté contesté ne comporte pas, en méconnaissance des dispositions précitées, l'indication du prénom et du nom de son signataire, il est revêtu d'une signature précédée de la mention " Le préfet " et porte l'entête du préfet de la Haute-Corse, de sorte qu'il n'en résulte aucune ambiguïté quant à l'identité du signataire de l'arrêté, qui est le préfet. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration doit être écarté.

8. Aux termes de l'article R. 431-16 du code de l'urbanisme dans sa version en vigueur à la date de l'arrêté contesté : " Le dossier joint à la demande de permis de construire comprend en outre, selon les cas : / a) L'étude d'impact ou la décision de l'autorité chargée de l'examen au cas par cas dispensant le projet d'évaluation environnementale ou, lorsqu'il s'agit d'une installation classée pour la protection de l'environnement pour laquelle une demande d'enregistrement a été déposée en application de l'article L. 512-7 du même code, le récépissé de la demande d'enregistrement. L'autorité compétente pour délivrer l'autorisation d'urbanisme vérifie que le projet qui lui est soumis est conforme aux mesures et caractéristiques qui ont justifié la décision de l'autorité chargée de l'examen au cas par cas de ne pas le soumettre à évaluation environnementale ; (...) / c) Le dossier d'évaluation des incidences du projet sur un site Natura 2000 prévu à l'article R. 414-23 du code de l'environnement, dans le cas où le projet doit faire l'objet d'une telle évaluation en application de l'article L. 414-4 de ce code. Toutefois, lorsque le dossier de demande comporte une étude d'impact, cette étude tient lieu de dossier d'évaluation des incidences Natura 2000 si elle satisfait aux prescriptions de l'article R. 414-23 du code de l'environnement, conformément aux dispositions prévues à l'article R. 414-22 de ce code ; (...) ".

9. La circonstance que le dossier de demande de permis de construire ne comporterait pas l'ensemble des documents exigés par les dispositions du code de l'urbanisme, ou que les documents produits seraient insuffisants, imprécis ou comporteraient des inexactitudes, n'est susceptible d'entacher d'illégalité le permis de construire qui a été accordé que dans le cas où les omissions, inexactitudes ou insuffisances entachant le dossier ont été de nature à fausser l'appréciation portée par l'autorité administrative sur la conformité du projet à la réglementation applicable.

10. Il ressort des pièces du dossier que l'évaluation des incidences Natura 2000 a été prescrite par un arrêté du 5 septembre 2018, du préfet de la Haute-Corse lequel a suspendu le délai d'opposition à la déclaration de ces installations sur ce motif. Le 5 novembre 2018, la société Marseole a produit cette évaluation des incidences Natura 2000 pour laquelle le préfet a demandé le 8 novembre 2018 un complément d'information. La société Marseole a déposé, le 13 février 2020, une nouvelle déclaration et, le 12 juin 2020, l'évaluation précitée pour ce même parc éolien. Par suite, la circonstance que cette évaluation n'ait pas été jointe au dossier de permis de construire n'a pas été de nature à fausser l'appréciation portée par le préfet dès lors que ce dernier, qui a délivré ledit permis, a bien eu connaissance de cette évaluation.

En ce qui concerne l'absence d'évaluation environnementale :

11. La transposition en droit interne des directives communautaires, qui est une obligation résultant du Traité instituant la Communauté européenne, revêt, en outre, en vertu de l'article 88-1 de la Constitution, le caractère d'une obligation constitutionnelle. Pour chacun de ces deux motifs, il appartient au juge national, juge de droit commun de l'application du droit communautaire, de garantir l'effectivité des droits que toute personne tient de cette obligation à l'égard des autorités publiques. Tout justiciable peut en conséquence demander l'annulation des dispositions règlementaires qui seraient contraires aux objectifs définis par les directives et, pour contester une décision administrative, faire valoir, par voie d'action ou par voie d'exception, qu'après l'expiration des délais impartis, les autorités nationales ne peuvent ni laisser subsister des dispositions réglementaires, ni continuer de faire application des règles, écrites ou non écrites, de droit national qui ne seraient pas compatibles avec les objectifs définis par les directives. En outre, tout justiciable peut se prévaloir, à l'appui d'un recours dirigé contre un acte administratif non réglementaire, des dispositions précises et inconditionnelles d'une directive, lorsque l'Etat n'a pas pris, dans les délais impartis par celle-ci, les mesures de transposition nécessaires.

12. Aux termes du 1. de l'article 2 de la directive du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement, dont le délai de transposition a expiré le 16 mai 2017 : " Les Etats membres prennent les dispositions nécessaires pour que, avant l'octroi de l'autorisation, les projets susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement, notamment en raison de leur nature, de leurs dimensions ou de leur localisation, soient soumis à une procédure de demande d'autorisation et à une évaluation en ce qui concerne leur incidence sur l'environnement. Ces projets sont définis à l'article 4. ". Le 2. de l'article 4 de la directive dispose que : " (...) pour les projets énumérés à l'annexe II, les Etats membres déterminent si le projet doit être soumis à une évaluation (...). Les Etats membres procèdent à cette détermination : / a) sur la base d'un examen cas par cas ; / ou / b) sur la base des seuils ou critères fixés par l'Etat membre. Les Etats membres peuvent décider d'appliquer les deux procédures visées aux points a) et b) ". Aux termes du 3. du même article : " Pour l'examen au cas par cas ou la fixation des seuils ou critères en application du paragraphe 2, il est tenu compte des critères de sélection pertinents fixés à l'annexe III. (...) ". Aux termes des deux premiers alinéas de l'article L. 122-1 du code de l'environnement : " Les projets qui, par leur nature, leur dimension ou leur localisation, sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine font l'objet d'une évaluation environnementale en fonction de critères et de seuils définis par voie réglementaire et, pour certains d'entre eux, après un examen au cas par cas. / Pour la fixation de ces critères et seuils et pour la détermination des projets relevant d'un examen au cas par cas, il est tenu compte des données mentionnées à l'annexe III de la directive 2011/92/UE modifiée du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement. ". L'annexe III de la directive définit les " critères visant à déterminer si les projets figurant à l'annexe II devraient faire l'objet d'une évaluation des incidences sur l'environnement ", à savoir " 1. Caractéristique des projets (...) considérées notamment par rapport : a) à la dimension (...) ; b) au cumul avec d'autres projets existants et/ou approuvés ; c) à l'utilisation des ressources naturelles (...) ; (...) / 2. Localisation des projets / La sensibilité environnementale des zones géographiques susceptibles d'être affectées par le projet doit être considérée en prenant notamment en compte : (...) b) la richesse relative, la disponibilité (...) des ressources naturelles de la zone (...) ; c) la capacité de charge de l'environnement naturel (...) / 3. Types et caractéristiques de l'impact potentiel / Les incidences notables probables qu'un projet pourrait avoir sur l'environnement doivent être considérées (...) en tenant compte de : a) l'ampleur et l'entendue spatiale de l'impact (...) ; b) la nature de l'impact ; (...) e) la probabilité de l'impact ; (...) ". L'article R. 122-2 du code précité dans sa version en vigueur à la date de l'arrêté contesté prévoit que : " I. - Les projets relevant d'une ou plusieurs rubriques énumérées dans le tableau annexé au présent article font l'objet d'une évaluation environnementale, de façon systématique ou après un examen au cas par cas, en application du II de l'article L. 122-1, en fonction des critères et des seuils précisés dans ce tableau. (...) ".

13. Il résulte des termes de la directive, tels qu'interprétés par la Cour de justice de l'Union européenne, que l'instauration, par les dispositions nationales, d'un seuil en-deçà duquel une catégorie de projets est exemptée d'évaluation environnementale n'est compatible avec les objectifs de cette directive que si les projets en cause, compte tenu, d'une part, de leurs caractéristiques, en particulier leur nature et leurs dimensions, d'autre part, de leur localisation, notamment la sensibilité environnementale des zones géographiques qu'ils sont susceptibles d'affecter, et, enfin, de leurs impacts potentiels, ne sont pas susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine.

14. Les dispositions de l'annexe à l'article R. 122-2 du code de l'environnement assujettissent au régime de la déclaration les installations terrestres de production d'électricité à partir de l'énergie mécanique du vent et regroupant un ou plusieurs aérogénérateurs dont la hauteur du mât et de la nacelle au-dessus du sol est inférieure à 50 m et au moins un aérogénérateur dont la hauteur du mât et de la nacelle au-dessus du sol est supérieure ou égale à 12 m, lorsque la puissance totale installée est inférieure à 20 MW. De telles installations sont exemptées d'évaluation environnementale, sans que soit prise en compte la localisation de cette installation. Le critère de la localisation du projet s'apprécie notamment au regard de la qualité et de la capacité de régénération des ressources naturelles de la zone concernée.

15. En l'espèce, le projet de parc éolien en litige étant composé d'onze aérogénérateurs d'une hauteur de 47,14 m chacun et représentant une puissance totale de 9,9 MW, il relève ainsi du régime de la déclaration prévue par l'article L. 512-8 du code de l'environnement. Toutefois, il ressort de l'évaluation des incidences Natura 2000 du projet que celui-ci se situe dans une zone de forte sensibilité environnementale, plus particulièrement dans le périmètre du parc naturel régional de Corse (PNRC) à proximité de 4 sites Natura 2000, la ZSC - Rivière et vallée du Fango (FR9400577), située à 100 m au Sud-Est du projet et traversée par la piste d'accès, la ZPS - Cirque de Bonifatu (FR9412003), située à 13 km au Sud-Est, la ZPS - Golfe de Porto et presqu'île de Scandola (FR9410023), située à 4,5 km à l'ouest et la ZPS - Forêts territoriales de Corse (FR9410113), située à 7,7 km au Sud-Est. Ces ZPS abritent, par ailleurs, des espèces protégées vulnérables comme le Gypaète barbu sensible à l'éolien sur laquelle le projet risque d'avoir des incidences importantes en raison du faible nombre de population de l'espèce. En outre, le rapport du centre d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA) inclut le site d'implantation du projet parmi les secteurs où le développement des parcs éoliens est à éviter en raison du risque d'impact sur les espèces de rapaces nicheuses en Corse telles que le Gypaète barbu, l'Aigle royal, le Milan royal et l'Autour des Palombes. Par suite, eu égard à sa localisation et à son importance, le projet porté par la société Marseole devait faire l'objet d'une évaluation environnementale par application de la directive du 31 décembre 2011. Les dispositions de l'annexe à l'article R. 122-2 du code de l'environnement applicables à la date de la demande de permis de construire, qui, en tant qu'elles se fondent exclusivement sur la nature et la dimension du projet sans prendre en compte sa localisation pour exclure toute évaluation environnementale, sont contraires aux dispositions précises et inconditionnelles de cette directive et doivent être en l'espèce écartées.

16. L'absence d'évaluation environnementale au dossier de permis de construire, a été de nature à fausser l'appréciation portée par l'autorité administrative sur la conformité du projet à la réglementation applicable alors même que le pétitionnaire aurait produit l'évaluation des incidences Natura 2000 laquelle ne saurait avoir pour effet de compenser cette omission au regard de ce qui a été dit au point 15 concernant l'impact du projet en litige sur les espèces de rapaces nicheuses en Corse dont le Gypaète barbu d'autant que selon la société Marseole, l'évaluation des incidences Natura 2000 a exclu la présence sur le site de cette espèce.

En ce qui concerne l'absence d'enquête publique et de consultation du public en violation des articles L. 123-2 et L. 123-19-2 du code de l'environnement :

17. Aux termes de l'article L. 123-1 du code de l'environnement : " L'enquête publique a pour objet d'assurer l'information et la participation du public ainsi que la prise en compte des intérêts des tiers lors de l'élaboration des décisions susceptibles d'affecter l'environnement mentionnées à l'article L. 123-2. (...) ". Selon l'article L. 123-2 du même code : " I. - Font l'objet d'une enquête publique soumise aux prescriptions du présent chapitre préalablement à leur autorisation, leur approbation ou leur adoption : / 1° Les projets de travaux, d'ouvrages ou d'aménagements exécutés par des personnes publiques ou privées devant comporter une évaluation environnementale en application de l'article L. 122-1 à l'exception : (...) / des projets de caractère temporaire ou de faible importance dont la liste est établie par décret en Conseil d'Etat ; / des demandes de permis de construire et de permis d'aménager portant sur des projets de travaux, de construction ou d'aménagement donnant lieu à la réalisation d'une évaluation environnementale après un examen au cas par cas effectué par l'autorité environnementale. Les dossiers de demande pour ces permis font l'objet d'une procédure de participation du public par voie électronique selon les modalités prévues à l'article L. 123-19 ; (...) ". L'article L. 123-19-2 du code précité dispose que : " I. - Sous réserve des dispositions de l'article L. 123-19-6, le présent article définit les conditions et limites dans lesquelles le principe de participation du public prévu à l'article 7 de la Charte de l'environnement est applicable aux décisions individuelles des autorités publiques ayant une incidence sur l'environnement qui n'appartiennent pas à une catégorie de décisions pour lesquelles des dispositions législatives particulières ont prévu les cas et conditions dans lesquels elles doivent, le cas échéant en fonction de seuils et critères, être soumises à participation du public. Les décisions qui modifient, prorogent, retirent ou abrogent une décision appartenant à une telle catégorie ne sont pas non plus soumises aux dispositions du présent article. / Ne sont pas regardées comme ayant une incidence sur l'environnement les décisions qui ont sur ce dernier un effet indirect ou non significatif. (...) ".

18. En premier lieu, le projet de parc éolien en litige devant faire l'objet d'une évaluation environnementale, ainsi qu'il vient d'être dit au point 15, il devait dès lors faire l'objet d'une enquête publique en application de l'article L. 123-2 du code de l'environnement.

19. En second lieu, si la LPO soutient que le projet de parc éolien en litige doit faire l'objet d'une consultation du public, l'enquête publique mentionnée au point 18 a pour objet d'assurer l'information et la participation du public.

En ce qui concerne l'absence d'autorisation environnementale :

20. Aux termes de l'article L. 181-1 du code de l'environnement : " L'autorisation environnementale, dont le régime est organisé par les dispositions du présent livre ainsi que par les autres dispositions législatives dans les conditions fixées par le présent titre, est applicable aux activités, installations, ouvrages et travaux suivants, lorsqu'ils ne présentent pas un caractère temporaire : (...) / 2° Installations classées pour la protection de l'environnement mentionnées à l'article L. 512-1. / Elle est également applicable aux projets mentionnés au deuxième alinéa du II de l'article L. 122-1-1 lorsque l'autorité administrative compétente pour délivrer l'autorisation est le préfet, ainsi qu'aux projets mentionnés au troisième alinéa de ce II. (...) ". L'article L. 122-1-1 du code précité dispose que : " I.- L'autorité compétente pour autoriser un projet soumis à évaluation environnementale prend en considération l'étude d'impact, l'avis des autorités mentionnées au V de l'article L. 122-1 ainsi que le résultat de la consultation du public et, le cas échéant, des consultations transfrontières. (...) / II. (...) / Lorsqu'un projet soumis à évaluation environnementale relève d'un régime déclaratif, il est autorisé par une décision de l'autorité compétente pour délivrer le récépissé de déclaration, qui contient les éléments mentionnés au I. (...) ".

21. Le projet en litige étant soumis à évaluation environnementale ainsi qu'il a été dit au point 15, il devait faire l'objet d'une autorisation environnementale en vertu de l'article L. 181-1 du code de l'environnement.

En ce qui concerne le caractère insuffisant de l'évaluation des incidences Natura 2000 et le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 414-4 du code de l'environnement :

22. Aux termes de l'article L. 414-4 du code de l'environnement : " I. - Lorsqu'ils sont susceptibles d'affecter de manière significative un site Natura 2000, individuellement ou en raison de leurs effets cumulés, doivent faire l'objet d'une évaluation de leurs incidences au regard des objectifs de conservation du site, dénommée ci-après "Évaluation des incidences Natura 2000" : / (...) 2° Les programmes ou projets d'activités, de travaux, d'aménagements, d'ouvrages ou d'installations ; / (...) VI. - L'autorité chargée d'autoriser, d'approuver ou de recevoir la déclaration s'oppose à tout (...) projet (...) si l'évaluation des incidences requise en application des III, IV et IV bis n'a pas été réalisée, si elle se révèle insuffisante ou s'il en résulte que leur réalisation porterait atteinte aux objectifs de conservation d'un site Natura 2000. / (...) VII. - Lorsqu'une évaluation conclut à une atteinte aux objectifs de conservation d'un site Natura 2000 et en l'absence de solutions alternatives, l'autorité compétente peut donner son accord pour des raisons impératives d'intérêt public majeur. Dans ce cas, elle s'assure que des mesures compensatoires sont prises pour maintenir la cohérence globale du réseau Natura 2000. Ces mesures compensatoires sont à la charge (...) du bénéficiaire du (...) projet d'activités, de travaux, d'aménagements, d'ouvrages ou d'installations, (...). La Commission européenne en est tenue informée. / VIII. - Lorsque le site abrite un type d'habitat naturel ou une espèce prioritaires qui figurent, au titre de la protection renforcée dont ils bénéficient, sur des listes arrêtées dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État, l'accord mentionné au VII ne peut être donné que pour des motifs liés à la santé ou à la sécurité publique ou tirés des avantages importants procurés à l'environnement ou, après avis de la Commission européenne, pour d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur ".

23. Ces dispositions transposent en droit français celles de l'article 6 de la directive n° 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et la flore sauvage (directive " Habitats ") et de son article 7, qui en étend l'application aux sites désignés par l'article 4 de la directive n° 79/409/CEE du Conseil, du 2 avril 1979, concernant la conservation des oiseaux sauvages, remplacée par la directive n° 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil, du 30 novembre 2009, concernant la conservation des oiseaux sauvages (directive " Oiseaux ").

24. Il résulte des dispositions de l'article L. 414-4 du code de l'environnement, éclairées par l'interprétation donnée par la Cour de justice de l'Union européenne aux dispositions de la directive européenne qu'elles transposent, que l'autorisation d'un projet entrant dans leur champ d'application ne peut être accordée qu'à la condition que les autorités compétentes, une fois identifiés tous les aspects dudit projet pouvant, par eux-mêmes ou en combinaison avec d'autres plans ou projets, affecter les objectifs de conservation du site Natura 2000 concerné, et compte tenu des meilleures connaissances scientifiques en la matière, aient acquis la certitude qu'il est dépourvu d'effets préjudiciables sur les objectifs de conservation du site. Il en est ainsi lorsqu'il ne subsiste aucun doute raisonnable d'un point de vue scientifique quant à l'absence de tels effets.

25. Aux termes de l'article R. 414-23 du même code : " Le dossier d'évaluation des incidences Natura 2000 est établi, (...) s'il s'agit (...) d'un projet (...), par le maître d'ouvrage ou le pétitionnaire (...). / Cette évaluation est proportionnée à l'importance du document ou de l'opération et aux enjeux de conservation des habitats et des espèces en présence. / (...) II. - Dans l'hypothèse où un ou plusieurs sites Natura 2000 sont susceptibles d'être affectés, le dossier comprend également une analyse des effets temporaires ou permanents, directs ou indirects, que (...) le projet (...) peut avoir, individuellement ou en raison de ses effets cumulés avec d'autres documents de planification, ou d'autres programmes, projets, manifestations ou interventions dont est responsable l'autorité chargée d'approuver le document de planification, le maître d'ouvrage, le pétitionnaire ou l'organisateur, sur l'état de conservation des habitats naturels et des espèces qui ont justifié la désignation du ou des sites. / III. - S'il résulte de l'analyse mentionnée au II que le (...) projet (...) peut avoir des effets significatifs dommageables, pendant ou après sa réalisation (...), sur l'état de conservation des habitats naturels et des espèces qui ont justifié la désignation du ou des sites, le dossier comprend un exposé des mesures qui seront prises pour supprimer ou réduire ces effets dommageables. / IV. - Lorsque, malgré les mesures prévues au III, des effets significatifs dommageables subsistent sur l'état de conservation des habitats naturels et des espèces qui ont justifié la désignation du ou des sites, le dossier d'évaluation expose, en outre : / 1° La description des solutions alternatives envisageables, les raisons pour lesquelles il n'existe pas d'autre solution que celle retenue et les éléments qui permettent de justifier (...) la réalisation (...) du projet (...), dans les conditions prévues aux VII et VIII de l'article L. 414-4 ; / 2° La description des mesures envisagées pour compenser les effets dommageables que les mesures prévues au III ci-dessus ne peuvent supprimer. Les mesures compensatoires permettent une compensation efficace et proportionnée au regard de l'atteinte portée aux objectifs de conservation du ou des sites Natura 2000 concernés et du maintien de la cohérence globale du réseau Natura 2000. (...) ; / 3° L'estimation des dépenses correspondantes et les modalités de prise en charge des mesures compensatoires (...) ".

S'agissant de l'absence d'observation du Gypaète barbu :

26. En premier lieu, selon l'annexe de l'arrêté du 4 juillet 2018 modifiant la liste des espèces d'oiseaux justifiant la désignation de sites Natura 2000 situés en région Corse, le Gypaète barbu est répertorié au titre de la ZPS FR9410107 " Haute vallée d'Asco, forêt de Tartagine et aiguilles de Popolasca ", ainsi que dans la ZPS FR 9410113 " Forêts territoriales de Corse ". En l'espèce, il ressort de l'évaluation Natura 2000 du projet que le pétitionnaire a mis en place un dispositif vidéo d'observation de l'avifaune dénommé " Bird Sentinel " permettant de déterminer les situations potentielles de risque de collision de l'avifaune sur les aérogénérateurs, pour la période du 24 août 2018 au 23 août 2019, 24 h sur 24 et 7 jours sur 7. Cette étude relève que sur les 295 jours de suivi, il n'a été constaté aucune intrusion du Gypaète barbu. Elle reconnaît toutefois que selon les observations et suivis GPS du PNRC, le Gypaète barbu ne fréquente pas ou éventuellement en passage le site, lequel s'inscrit en limite de sa zone géographique d'activité. Elle conclut ainsi à un niveau de risque sur cette espèce lié au projet faible du fait de l'absence d'observation. Cependant, la LPO remet en cause valablement ce constat en produisant l'analyse d'une étude d'observation, qui a été effectuée par le centre d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA), lequel a croisé ces résultats avec les données GPS de six Gypaètes barbus juvéniles et a pu constater que les trajets effectués par ces individus dans la zone intersectent le tracé du futur projet en litige. Par ailleurs, le rapport du CEREMA produit par la LPO indique que cette espèce est en danger critique d'extinction en Corse (liste rouge UICN - 5 couples connus), classé " en danger " au niveau national et faisant l'objet d'un plan national d'action (PNA). En outre, il mentionne que les Gypaètes ont une hauteur de vol qui les met régulièrement en risque de collision et que les juvéniles et immatures volent en grande majorité à une altitude inférieure à 200 m au-dessus du sol, les plaçant ainsi régulièrement dans la zone de danger de rotation de pales d'éoliennes. Le risque de collision en cas de développement de projets éoliens dans leur domaine vital est donc largement confirmé. Ce rapport indique également que le projet de parc éolien en litige se situe dans le domaine vital du Gypaète barbu où l'espèce passe 95 % de son temps. Par suite, l'évaluation des incidences Natura 2000 du projet de parc éolien de A... est erronée en ce qu'elle conclut à l'absence d'intrusion du Gypaète barbu dans la zone d'implantation du projet et à un niveau faible d'incidence en phase d'exploitation du fait de l'absence d'observation de l'espèce. Cette évaluation est dès lors entachée d'insuffisance au sens des dispositions précitées du VI de l'article L. 414-4 du code de l'environnement, laquelle a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise.

27. En second lieu, si l'étude d'incidence Natura 2000 prévoit une mesure MR-AV-3 consistant à équiper les éoliennes d'un dispositif Safewind repris par les prescriptions de l'arrêté contesté, une étude du CNRS réalisée en juin 2021 estime que malgré leur mise en place sur certains parcs, des mortalités par collision sont toujours constatées et que ces systèmes de détection-réaction sont considérés comme un moyen de réduction de la mortalité et non d'évitement. Ils ne permettent ainsi pas d'exclure le risque de collision avec des éoliennes. Par suite, une telle mesure n'est pas susceptible de réduire à un niveau acceptable les risques élevés d'atteinte à cette espèce eu égard à la gravité de la menace d'extinction qui pèse sur elle. Dans ces conditions, il subsiste un doute raisonnable d'un point de vue scientifique quant à la possibilité que le parc projeté, en cas de surmortalité annuelle de plusieurs individus de Gypaètes barbus provoquée par des collisions avec les éoliennes, ait des effets significatifs dommageables sur la bonne conservation de cette espèce présente dans la zone du projet. Il en résulte également que le préfet de la Haute-Corse ne pouvait autoriser le projet litigieux, à titre dérogatoire, qu'après avoir vérifié qu'étaient remplies les conditions prévues par le VII de l'article L. 414-4 du code de l'environnement. Par suite, l'arrêté attaqué méconnaît les dispositions de l'article L. 414-4 du code de l'environnement.

S'agissant de l'insuffisante évaluation des incidences du projet sur l'habitat de l'Aigle royal et du Milan royal :

28. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que le secteur d'implantation du projet se trouve à proximité de plusieurs zones de protection spéciales, FR94120007 Vallée du Regino, FR9410113 Forêts territoriales de Corse et FR9410107 Haute vallée d'Asco, forêt de Tartagine et aiguilles de Popolasca, désignées notamment pour la conservation de l'Aigle royal et du Milan royal. Par ailleurs, l'évaluation des incidences Natura 2000 et plus particulièrement l'étude " Bird Sentinel " réalisée par le pétitionnaire montre des intrusions de ces deux espèces, soit 58,61 % pour le Milan royal qui comptabilise le plus d'intrusions au cours de la période étudiée et 2,8 % pour l'Aigle royal. Toutefois, cette évaluation qui se borne à conclure que l'activité du parc ne remettra pas en cause leur périmètre de protection ni leurs objectifs de conservation, tant en termes d'habitats que d'espèces ne procède pas à l'analyse des incidences du projet sur l'habitat de ces deux espèces. Une telle insuffisance est de nature à avoir exercé une influence sur le sens de la décision prise par l'autorité administrative.

29. En deuxième lieu, l'évaluation des incidences Natura 2000 procède bien à l'analyse des risques de collisions pour l'Aigle royal et le Milan royal, laquelle est estimée comme étant faible après application des mesures de réduction. Dès lors, cette évaluation n'est pas entachée d'insuffisance sur ce point.

30. En troisième lieu, l'évaluation des incidences Natura 2000 indique que la sensibilité à l'éolien de l'Aigle royal et du Milan royal est forte et que le niveau de risque est fort pour le premier et moyen pour le second après la mise en place de la mesure d'équipement du système Bird sentinelle. Le rapport du CEREMA précise que le Milan royal est plus vulnérable que la moyenne de l'avifaune face aux parcs éoliens dès lors qu'il peut se diriger vers les éoliennes pour chercher de la nourriture au pied des mâts ou sur les chemins. Cette recherche de nourriture le place inévitablement à proximité des pales d'éoliennes en mouvement. En outre, d'après une étude dont se prévaut la LPO, 28,6 % des vols de Milan royal se font à une hauteur se trouvant dans la zone de danger, dans la couche de rotation des éoliennes soit entre 50 et 150 m, la quasi-totalité du reste des vols passant sous les cinquante mètres, ce qui correspond à la hauteur des éoliennes du parc en litige. En outre, le CEREMA conclut à la nécessité d'exclure le développement d'éoliennes dans un rayon de 2 à 4 km autour des nids d'Aigles royaux connus et établit une zone tampon de 6 kms autour de ces nids. Or, selon les données du PNRC, deux nids d'Aigles royaux se trouvent à proximité du site d'implantation du projet, l'un à 4 kilomètres au nord et l'autre à 6 kilomètres au sud-est. Selon le CEREMA, le projet de parc éolien en litige se situe dans ces zones tampons ainsi que dans une zone où l'éolien est à éviter pour ces deux espèces. Enfin, comme dit au point 27, les systèmes de détection-réaction sont considérés comme un moyen de réduction de la mortalité et non de d'évitement. Ils ne permettent ainsi pas d'exclure le risque de collision avec des éoliennes. Par suite, il subsiste un doute raisonnable d'un point de vue scientifique quant à la possibilité que le parc projeté, en cas de surmortalité annuelle de plusieurs individus provoquée par des collisions avec les éoliennes, ait des effets significatifs dommageables sur la bonne conservation des populations de ces espèces. Il en résulte également que le préfet de la Haute-Corse ne pouvait autoriser le projet litigieux, à titre dérogatoire, qu'après avoir vérifié qu'étaient remplies les conditions prévues par le VII de l'article L. 414-4 du code de l'environnement. Par suite, l'arrêté attaqué méconnaît les dispositions de l'article L. 414-4 du code de l'environnement.

S'agissant de l'absence d'analyse des effets cumulés du projet avec les autres parcs éoliens de Corse :

31. L'évaluation des incidences Natura 2000 procède à l'analyse des effets cumulés du projet de parc éolien de A... avec le parc éolien de Punta d'Aja situé à 2,9 kilomètres au Nord-Ouest, la sablière de Calenzana et l'aménagement de la route RD 81 sur les communes de Calenzana et de Galeria. Si la LPO soutient que cette évaluation aurait dû étudier ces effets avec le projet de parc éolien d'Olmi-Capella, il ressort d'une carte du rapport du CEREMA recensant les projets éoliens que ce parc était seulement à l'étude. Ainsi, l'évaluation précitée n'est pas insuffisante sur ce point.

En ce qui concerne l'atteinte aux paysages :

32. En se bornant à se prévaloir de l'avis défavorable du 7 avril 2022 du conseil scientifique du PNRC concernant le projet d'un photomontage, la LPO ne démontre pas que le parc éolien de A... porterait une atteinte aux paysages emblématiques et identitaires de la Corse. Il s'en suit que ce moyen doit être écarté.

En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance des articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l'environnement :

33. Aux termes de l'article 15 de l'ordonnance du 26 janvier 2017 relative à l'autorisation environnementale, dans sa version applicable au litige : " Les dispositions de la présente ordonnance entrent en vigueur le 1er mars 2017, sous réserve des dispositions suivantes : / 1° Les autorisations délivrées (...) avant le 1er mars 2017, ainsi que les permis de construire en cours de validité à cette même date autorisant les projets d'installation d'éoliennes terrestres sont considérées comme des autorisations environnementales relevant du chapitre unique du titre VIII du livre Ier de ce code, avec les autorisations, enregistrements, déclarations, absences d'opposition, approbations et agréments énumérés par le I de l'article L. 181-2 du même code que les projets ainsi autorisés ont le cas échéant nécessités ; les dispositions de ce chapitre leur sont dès lors applicables, notamment lorsque ces autorisations sont (...) contestées (...) ".

34. Par ailleurs, aux termes de l'article L. 181-1 du code de l'environnement, créé par l'ordonnance du 26 janvier 2017 visée ci-dessus : " L'autorisation environnementale, dont le régime est organisé par les dispositions du présent livre ainsi que par les autres dispositions législatives dans les conditions fixées par le présent titre, est applicable aux activités, installations, ouvrages et travaux suivants, lorsqu'ils ne présentent pas un caractère temporaire : / 1° Installations, ouvrages, travaux et activités mentionnés au I de l'article L. 214-3, y compris les prélèvements d'eau pour l'irrigation en faveur d'un organisme unique en application du 6° du II de l'article L. 211-3 (...) ". En vertu du I de l'article L. 181-2 du même code, créé par la même ordonnance, " L'autorisation environnementale tient lieu, y compris pour l'application des autres législations, des autorisations, enregistrements, déclarations, absences d'opposition, approbations et agréments suivants, lorsque le projet d'activités, installations, ouvrages et travaux relevant de l'article L. 181-1 y est soumis ou les nécessite : (...) 5° Dérogation aux interdictions édictées pour la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, d'espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats en application du 4° de l'article L. 411-2 (...) ". Selon l'article L. 181-3 du même code : " (...) / II. - L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent également : / (...) 4° Le respect des conditions, fixées au 4° de l'article L. 411-2, de délivrance de la dérogation aux interdictions édictées pour la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, des espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, lorsque l'autorisation environnementale tient lieu de cette dérogation ; / (...) ".

35. Enfin, l'article L. 411-2 du code de l'environnement permet d'accorder des dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1 du même code, lesquelles portent, notamment, sur la destruction et la perturbation intentionnelle des espèces animales protégées, la destruction de végétaux protégés ainsi que la destruction, l'altération ou la dégradation de leurs habitats naturels ou d'espèces, aux conditions qu'il précise.

36. Il ressort des pièces du dossier que le permis de construire en litige du 27 juillet 2022 ayant été délivré postérieurement au 1er mars 2017, il n'est pas considéré comme une autorisation environnementale. Ainsi, la LPO ne peut utilement se prévaloir de la violation des dispositions des articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l'environnement.

37. Il résulte de tout ce qui précède que l'arrêté attaqué est illégal dès lorsqu'il n'a pas été procédé à une évaluation environnementale, à une enquête publique et à une autorisation environnementale, que l'évaluation des incidences Natura 2000 est insuffisante concernant le Gypaète Barbu, l'habitat de l'Aigle royal et du Milan royal et qu'il porte atteinte aux objectifs de conservation de sites Natura 2000 en méconnaissance des dispositions de l'article L. 414-4 du code de l'environnement.

Sur l'application de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme :

38. Aux termes de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme : " Sans préjudice de la mise en œuvre de l'article L. 600-5, le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, (...) estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé, sursoit à statuer, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation, même après l'achèvement des travaux. Si une mesure de régularisation est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. Le refus par le juge de faire droit à une demande de sursis à statuer est motivé. ".

39. Il résulte de ces dispositions que lorsque le ou les vices affectant la légalité de l'autorisation d'urbanisme dont l'annulation est demandée sont susceptibles d'être régularisés, le juge doit surseoir à statuer sur les conclusions dont il est saisi contre cette autorisation. Il invite au préalable les parties à présenter leurs observations sur la possibilité de régulariser le ou les vices affectant la légalité de l'autorisation d'urbanisme. Le juge n'est toutefois pas tenu de surseoir à statuer, d'une part, si les conditions de l'article L. 600-5 du code de l'urbanisme sont réunies et qu'il fait le choix d'y recourir, d'autre part, si le bénéficiaire de l'autorisation lui a indiqué qu'il ne souhaitait pas bénéficier d'une mesure de régularisation. Un vice entachant le bien-fondé de l'autorisation d'urbanisme est susceptible d'être régularisé, même si cette régularisation implique de revoir l'économie générale du projet en cause, dès lors que les règles d'urbanisme en vigueur à la date à laquelle le juge statue permettent une mesure de régularisation qui n'implique pas d'apporter à ce projet un bouleversement tel qu'il en changerait la nature même.

40. Les vices affectant le permis de construire litigieux, relevés au point 37 du présent arrêt, apparaissant susceptibles d'être régularisés, sans que la nature même du projet ne soit modifiée, en application des dispositions de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, sous réserve que l'évaluation des incidences Natura 2000 soit complétée concernant les effets du projet sur le Gypaète Barbu, l'habitat de l'Aigle royal et du Milan royal, de la réalisation d'une évaluation environnementale et d'une enquête publique, ainsi que du respect des conditions fixées au VII de l'article L. 414-4 du code de l'environnement permettant à l'autorité compétente de donner son accord au projet, en l'absence de solutions alternatives, pour des raisons impératives d'intérêt public majeur, assorti de mesures compensatoires afin de maintenir la cohérence globale du réseau Natura 2000.

41. Dans ces conditions, il y a lieu de surseoir à statuer jusqu'au 28 février 2025, dans l'attente, le cas échéant, de la délivrance par le préfet de la Haute Corse d'une autorisation environnementale laquelle, en vertu de l'article R. 425-29-2 du code de l'urbanisme dispensera le projet d'un permis de construire, cette régularisation étant indissociable de celle ordonnée par l'arrêt n° 20MA04635 du 20 janvier 2023 concernant l'arrêté du 7 août 2020 portant non opposition à déclaration pour l'exploitation du même parc éolien.

42. Enfin, compte tenu des lacunes de l'évaluation des incidences Natura 2000 et de l'absence d'évaluation environnementale qui entachent le dossier de demande d'insuffisance, la Cour n'est pas en mesure d'apprécier le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation. Il y a dès lors lieu pour la Cour de réserver la réponse à ce moyen, lequel demeure susceptible d'être écarté ou accueilli après la régularisation du dossier de demande d'autorisation environnementale.

D É C I D E :

Article 1er : En application de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, il est sursis à statuer sur les conclusions à fin d'annulation présentées par la LPO jusqu'au 28 février 2025, tel que fixé au point 41.

Article 2 : Le préfet de la Haute-Corse fournira à la Cour (greffe de la 5ème chambre), au fur et à mesure de leur accomplissement, les actes entrepris en vue de la régularisation prévue à l'article précédent.

Article 3 : Tous droits, moyens et conclusions des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la Ligue pour la protection des oiseaux, à la SAS Marseole et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Copie en sera adressée pour information au préfet de la Haute-Corse.

Délibéré après l'audience du 29 mars 2024, où siégeaient :

- Mme Vincent, présidente assesseure, présidente de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- Mme Marchessaux, première conseillère,

- Mme Poullain, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 12 avril 2024.

N° 23MA00159 2

bb


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 23MA00159
Date de la décision : 12/04/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Energie.

Urbanisme et aménagement du territoire - Permis de construire.


Composition du Tribunal
Président : Mme VINCENT
Rapporteur ?: Mme Jacqueline MARCHESSAUX
Rapporteur public ?: M. GUILLAUMONT
Avocat(s) : CASANOVA

Origine de la décision
Date de l'import : 21/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-12;23ma00159 ?
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