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22/07/2020 | FRANCE | N°16MA04141

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 2ème chambre, 22 juillet 2020, 16MA04141


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Nîmes de mettre à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) la somme de 150 000 euros en réparation des préjudices subis du fait de sa contamination par le virus de l'hépatite C (VHC) à la suite d'une transfusion de produits sanguins, et, à titre subsidiaire, d'ordonner une mesure d'expertise.

Par un jugement n° 1500975 du 15 septembre 2016, le tribunal

administratif de Nîmes a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par u...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Nîmes de mettre à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) la somme de 150 000 euros en réparation des préjudices subis du fait de sa contamination par le virus de l'hépatite C (VHC) à la suite d'une transfusion de produits sanguins, et, à titre subsidiaire, d'ordonner une mesure d'expertise.

Par un jugement n° 1500975 du 15 septembre 2016, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par un arrêt n° 16MA04141 du 6 décembre 2018, la cour a annulé le jugement attaqué et ordonné la réalisation d'une expertise afin de déterminer l'étendue des préjudices nés de la contamination de M. B... par le virus de l'hépatite C.

Par des mémoires enregistrés les 19 août, 16 octobre et 16 décembre 2019, l'ONIAM, représenté par Me D..., demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures, de limiter l'indemnisation de M. B... à la somme de 26 859 euros et de rejeter le surplus des conclusions de la requête.

Il soutient que :

- il s'en remet à la sagesse de la cour en ce qui concerne son obligation indemnitaire à l'encontre de M. B... ;

- le lien de causalité direct et certain entre le déchaussement dentaire et la contamination n'est pas établi ;

- il s'en remet à la sagesse de la cour en ce qui concerne la somme de 5 599 euros demandée au titre du déficit fonctionnel temporaire, et propose une indemnisation à hauteur de 8 500 euros au titre des souffrances endurées, de 10 760 euros au titre du déficit fonctionnel permanent de 10%, de 2 000 euros au titre du préjudice sexuel ;

- les demandes présentées au titre des frais de prothèse dentaire, des frais de déplacement, de l'assistance par une tierce personne et du préjudice professionnel doivent être rejetées au motif de l'absence, selon le cas, de lien de causalité ou d'établissement du préjudice.

Par des mémoires enregistrés le 14 novembre 2019 et 17 janvier 2020, M. B..., représenté par Me A..., demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures, de mettre à la charge de l'ONIAM la somme totale de 107 771,79 euros en réparation de ses préjudices.

Il soutient qu'il a droit au versement d'une somme de 1 553 euros au titre des frais de trajet, de 42 889,79 euros au titre des pertes de gains professionnels actuels, de 14 230 euros au titre des dépenses de santé future, de 500 euros au titre de l'assistance par une tierce personne, de 5 599 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, de 40 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent et de 3 000 euros au titre du préjudice sexuel.

La requête a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie de la Lozère qui n'a pas produit de mémoire.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 16 janvier 2017.

Vu :

- le rapport d'expertise enregistré le 12 juillet 2019 ;

- l'ordonnance de liquidation et de taxation des frais d'expertise de la présidente de la cour du 19 juillet 2019 ;

- les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme E...,

- les conclusions de M. Argoud, rapporteur public,

- et les observations de Me A..., représentant M. B....

Considérant ce qui suit :

Sur les préjudices :

1. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport de l'expertise ordonnée par la cour dans son arrêt du 6 décembre 2018, que le diagnostic de la contamination de M. B... par le virus de l'hépatite C de génotype 1a a été posé au mois de mai 1992. La biopsie hépatique réalisée au mois d'octobre 1999 a montré un stade de fibrose F3. M. B... a été traité par antiviral en 2000, 2002, 2011 et 2015. Un diabète, en rapport pour 50% avec la contamination par le VHC selon l'expert, a par ailleurs été mis en évidence en 2009, avec une aggravation en 2012 nécessitant un traitement par insuline. M. B... a, en outre, totalement perdu sa dentition. La date de consolidation de l'état de santé de M. B..., né le 21 mai 1944, a été fixée au 23 novembre 2015, soit six mois après la fin du dernier traitement antiviral, avec éradication virale et régression de la fibrose hépatique.

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :

2. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que le recours à l'assistance d'une tierce personne pour la préparation des médicaments à prendre, à raison de 15 minutes par jour pendant la durée des quatre traitements antiviraux reçus, a été nécessité par l'impossibilité pour M. B..., sans rapport avec la contamination de celui-ci par le VHC, de lire ses ordonnances. Ce besoin ne présente donc pas de lien de causalité avec la contamination. La demande présentée par le requérant à ce titre doit dès lors être rejetée.

3. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport d'expertise, que M. B... a dû effectuer, pour se rendre aux rendez-vous de consultations spécialisées liées à sa contamination, des trajets entre son domicile et le centre hospitalier universitaire de Nîmes, soit 75 kilomètres aller-retour, à raison de 6 trajets entre 1999 et fin 2003, un trajet tous les 6 mois à compter de 2004 et jusqu'au mois de novembre 2011, puis un trajet tous les trois mois jusqu'au mois de novembre 2015. Il y a lieu de mettre à la charge de l'ONIAM l'indemnisation des frais de trajet correspondants, à hauteur de la somme demandée de 1 553 euros, déterminée d'après le dernier barème kilométrique fiscal applicable pour un véhicule de 4 chevaux.

4. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport d'expertise, que les déchaussements dentaires avec perte totale de la dentition de M. B... ont été causés par les deux premiers traitements antiviraux par interférons reçus, traitements dont les résumés des caractéristiques mentionnent expressément, au titre des effets indésirables, le risque de déchaussement dentaire. Le lien de causalité est donc établi. La facture de prothèse dentaire produite fait état d'un coût de 14 230 euros, dont doit être déduite la prise en charge de la plateforme d'intervention départementale pour l'accès aux soins et à la santé (PFIDASS) à hauteur de 13 213 euros. Il y a donc lieu de mettre à la charge de l'ONIAM la somme de 1 017 euros au titre des dépenses de santé futures.

5. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que la contamination par le VHC de M. B..., qui exerçait la profession de maçon, a eu des répercussions professionnelles, dès lors qu'il a dû, avant d'être mis en invalidité, en pré-retraite puis en retraite, être placé en congé de maladie à compter du début du premier traitement antiviral au mois de septembre 2000. M. B..., qui établit avoir travaillé pour l'entreprise de travaux publics Robert du mois de février 1999 au mois de mars 2004, sollicite l'indemnisation des pertes de gains professionnels actuels au titre des années 2001 à 2004. Il produit à l'appui de cette demande les relevés de la caisse primaire d'assurance maladie de Lozère relatives aux indemnités journalières perçues lors de ses congés de maladie ainsi qu'un relevé de carrière établi par les services de l'assurance retraite Languedoc-Roussillon allant de 1958 à 2004, en précisant toutefois être dans l'impossibilité de produire ses bulletins de salaires et ses avis d'imposition à compter de l'année 1999. Le relevé de carrière, qui indique que M. B... a perçu la somme de 11 713 euros au titre de l'année 1999 au cours de laquelle il a travaillé onze mois, permet de déterminer un revenu mensuel de référence d'un montant de 1 064 euros par mois. M. B..., qui a perçu 16 702 euros au titre de l'année 2000, au cours de laquelle il a été placé en congé de maladie à compter du mois de septembre, n'a pas subi de perte de revenus au titre de cette année. Au titre des années 2001, 2002 et 2003, il a perçu des revenus à hauteur respective de 1 072 euros, 840 euros et zéro euros ainsi que des indemnités journalières d'un montant respectif de 6 582 euros, 6 289 euros et 5 347 euros. Eu égard au revenu mensuel de référence de 1 064 euros, correspondant à un revenu annuel de 12 777 euros, il a subi au titre des années 2001, 2002 et 2003 des pertes de revenus à hauteur respective de 5 123 euros, 5 648 euros et 7 430 euros. Au titre de l'année 2004 au cours de laquelle M. B... a été placé en invalidité, il a perçu des revenus à hauteur de 897 euros, mais n'établit pas, en l'absence notamment de production de justificatifs pourtant annoncés, du montant de sa pension. L'existence d'une perte de revenus n'est dès lors pas établie au titre de cette année. Il résulte de ce qui précède qu'il doit être mis à la charge de l'ONIAM une somme totale de 18 201 euros au titre des pertes de gains professionnels actuels.

En ce qui concerne les préjudices extra patrimoniaux :

6. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport d'expertise, que M. B... a subi un déficit fonctionnel temporaire partiel de 50% du mois de septembre 2000 au mois de mai 2001 ainsi que du 16 au 20 janvier 2012, de 30% du mois d'avril 2002 au mois de septembre 2002, de 10% du mois d'octobre 2002 au mois de septembre 2003 ainsi qu'aux mois d'avril et mai 2015, de 25% du mois de novembre 2011 au mois d'octobre 2012 ainsi qu'au mois de mars 2015. Il sera fait une juste appréciation du préjudice subi à ce titre en allouant à M. B... la somme de 5 560 euros.

7. Il résulte également de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que les souffrances endurées doivent être évaluées à 4,5 sur une échelle de 7. Le préjudice subi par M. B... à ce titre sera justement réparé par l'allocation de la somme de 11 900 euros.

8. Il résulte encore de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que le lien de causalité entre les déchaussements dentaires avec perte totale de la dentition et la contamination est établi, ainsi que cela a été exposé au point 4. Par ailleurs, M. B... souffre d'un diabète insulino-dépendant et de complications liés à cette affection, laquelle trouve son origine à hauteur de 50% dans la fibrose hépatique. L'ensemble de ces séquelles correspond à un déficit fonctionnel permanent de 25%. Il y a lieu, compte tenu de l'âge de M. B... à la date de la consolidation de son état de santé, de fixer l'indemnisation de ce préjudice à la somme de 30 000 euros.

9. Enfin, il résulte de l'instruction que M. B... subit depuis 2013 un préjudice sexuel en relation avec son diabète, lequel est en rapport pour 50% avec la contamination par le VHC ainsi que cela a été exposé aux points 1 et 8. Il sera fait une juste évaluation de ce préjudice en en fixant la réparation à la somme de 2 000 euros.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est fondé à demander que soit mise à la charge de l'ONIAM la somme totale de 70 231 euros.

Sur les frais liés à l'instance :

11. Les frais de l'expertise ordonnée par l'arrêt avant dire droit de la cour du 6 décembre 2018, liquidés et taxés à la somme de 1 341,90 euros, sont mis à la charge définitive de l'ONIAM en application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : Il est mis à la charge de l'ONIAM la somme de 70 231 euros à verser à M. B....

Article 2 : Les frais de l'expertise ordonnée par l'arrêt avant dire droit de la cour du 6 décembre 2018, liquidés et taxés à la somme de 1 341,90 euros, sont mis à la charge définitive de l'ONIAM.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B..., à Me A..., à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Lozère.

Copie en sera adressée à l'expert.

Délibéré après l'audience du 24 juin 2020, où siégeaient :

- M. Alfonsi, président de chambre,

- Mme E..., présidente assesseure,

- Mme F..., première conseillère.

Lu en audience publique, le 22 juillet 2020.

La rapporteure,

signé

K. E...Le président,

signé

J.-F. ALFONSI

La greffière,

signé

C. MONTENERO

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

5

N° 16MA04141


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 16MA04141
Date de la décision : 22/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé.


Composition du Tribunal
Président : M. VANHULLEBUS
Rapporteur ?: Mme Karine JORDA-LECROQ
Rapporteur public ?: M. ARGOUD
Avocat(s) : LARGIER

Origine de la décision
Date de l'import : 04/08/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2020-07-22;16ma04141 ?
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