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07/07/2025 | FRANCE | N°24LY03009

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 3ème chambre, 07 juillet 2025, 24LY03009


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure



Par deux requêtes distinctes, M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 22 décembre 2022 par lequel le préfet de la Drôme a refusé de l'admettre au séjour ainsi que l'arrêté du 14 mars 2024 par lequel le préfet de la Drôme l'a obligé à quitter sans délai le territoire français, a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans et a désigné la Tunisie comme pays de destination de cette mesure d'éloign

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Par un jugement n°s 2300129, 2404535 du 30 septembre 2024, le tribunal adm...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Par deux requêtes distinctes, M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 22 décembre 2022 par lequel le préfet de la Drôme a refusé de l'admettre au séjour ainsi que l'arrêté du 14 mars 2024 par lequel le préfet de la Drôme l'a obligé à quitter sans délai le territoire français, a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans et a désigné la Tunisie comme pays de destination de cette mesure d'éloignement.

Par un jugement n°s 2300129, 2404535 du 30 septembre 2024, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté ces demandes.

Procédure devant la cour

Par une requête, enregistrée le 24 octobre 2024, M. B..., représenté par Me Sabatier, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 30 septembre 2024 du tribunal administratif de Grenoble ;

2°) d'annuler les arrêtés des 22 décembre 2022 et 14 mars 2024 susvisés ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Drôme de lui délivrer un titre de séjour mention " vie privée et familiale " ou de réexaminer sa situation dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de cent euros par jour de retard, et dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision portant refus de séjour est entachée d'une insuffisance de motivation en droit et d'un défaut d'examen de sa situation personnelle ;

- cette décision aurait dû être précédée de la saisine de la commission du titre de séjour ;

- cette décision méconnaît les dispositions de l'article L. 412-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que sa présence ne constitue pas une menace pour l'ordre public ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant refus de séjour ;

- elle a été édictée en méconnaissance de la procédure de complément d'information visée à l'article R. 40-29 du code de procédure pénale et il n'a pas été invité à présenter des observations sur les éléments contenus dans le traitement des antécédents judiciaires ;

- elle méconnaît les dispositions du 5°) de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que sa présence ne constitue pas une menace pour l'ordre public ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur sa situation personnelle ;

- la décision portant refus de délai de départ volontaire est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- elle méconnaît les dispositions des 1°) et 3°) de l'article L. 612-2 du code précité ;

- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français et de celle de la décision portant refus de délai de départ volontaire ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'un défaut d'examen de sa situation personnelle ;

- elle est entachée d'une erreur d'appréciation au regard des articles L. 612-6 et L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision fixant le pays de destination est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant refus de séjour et de la décision portant obligation de quitter le territoire français.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 décembre 2024, le préfet de la Drôme conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord franco-tunisien en matière de séjour et de travail du 17 mars 1988 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la Cour ayant désigné Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure, pour présider la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative ;

La présidente de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Vanessa Rémy-Néris, première conseillère,

- et les observations de M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant tunisien né en 1959, déclare être entré en France pour la première fois en 1988. Il a fait usage d'une fausse carte de résident de 1990 à 1994, date à laquelle il a fait l'objet d'une première condamnation pénale pour séjour irrégulier et usage de faux document. Il a été éloigné une première fois vers la Tunisie en mars 1994. Il est retourné en France au mois d'avril 1994 et a fait de nouveau usage d'une fausse carte de résident. Il s'est marié le 3 juillet 1999 avec une ressortissante de nationalité française et le préfet de la Drôme lui a octroyé un titre de séjour en qualité de conjoint de Française. Il a sollicité en août 2011 le renouvellement de sa carte de résident. En l'absence de communauté de vie et eu égard à la menace pour l'ordre public qu'il représentait, le préfet de la Drôme a décidé le 11 juillet 2012, de refuser de renouveler son titre de séjour, et a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire, à l'égard de laquelle il a formé un recours définitivement rejeté par un arrêt de la cour de céans du 24 février 2015. Le 26 septembre 2016, après avoir été placé en garde à vue pour des faits d'utilisation de documents d'identité d'un tiers et de rébellion, il a fait l'objet d'une mesure d'éloignement et d'une assignation à résidence du préfet de la Drôme, à l'encontre de laquelle il a formé un recours rejeté par un jugement du tribunal administratif de Nîmes du 29 septembre 2016. Le 28 février 2018, il a fait l'objet d'une décision de refus de titre de séjour de la part du préfet de l'Isère, à l'encontre de laquelle il a formé un recours définitivement rejeté par un arrêt de la cour de céans du 2 mai 2019. Le 17 août 2018 et le 17 septembre 2018, il a fait respectivement l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, assortie d'une interdiction de retour sur le territoire français, et d'une assignation à résidence du préfet de l'Isère, à l'encontre desquelles il a formé un recours définitivement rejeté par un arrêt de la cour de céans du 2 mai 2019.

2. M. B... a présenté le 21 janvier 2021 une demande de titre de séjour en qualité de conjoint de Française. Par un arrêté du 5 mai 2021, le préfet de la Drôme a refusé de lui délivrer le titre demandé, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, cette décision étant assortie d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans, et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement. Par un jugement n° 2103342 du 10 août 2021, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté cette demande. Par un arrêt n° 21LY03069 du 30 novembre 2022, la cour a annulé l'arrêté du 5 mai 2021 en tant qu'il obligeait M. B... à quitter le territoire français sans délai, fixait le pays de destination et lui interdisait le retour sur le territoire français. Ce même arrêt a enjoint à la préfète de la Drôme de statuer à nouveau sur la situation de M. B.... Par un arrêté du 22 décembre 2022, cette autorité, réexaminant la situation de M. B... en exécution de l'arrêt de la cour, a refusé de l'admettre au séjour. Par un arrêté du 14 mars 2024, le préfet de la Drôme l'a obligé à quitter sans délai le territoire français, a fixé la Tunisie comme pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans. M. B... relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation des arrêtés des 22 décembre 2022 et 14 mars 2024.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

3. Il ressort des pièces du dossier que le préfet de la Drôme, faisant suite à l'arrêt de la cour du 30 novembre 2022 et alors même qu'il n'y était pas tenu dès lors que la décision du 5 mai 2021 portant refus de séjour n'avait pas été annulée, a à nouveau statué, par l'arrêté du 22 décembre 2022, sur la demande initiale de titre de séjour présentée par M. B... le 21 janvier 2021 en qualité de conjoint de Française et lui a opposé le même motif que celui retenu dans la décision du 5 mai 2021, tiré du défaut de production d'un visa de long séjour. Toutefois, il ressort des mêmes pièces que M. B... a présenté, par un courrier du 7 décembre 2022 reçu par les services de la préfecture de la Drôme le 9 décembre suivant, et donc antérieurement à la décision du 22 décembre 2022 portant refus de séjour, une nouvelle demande de titre de séjour fondée sur les articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ainsi que sur l'article 7 quater de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 susvisé. Le préfet de la Drôme n'a ni statué sur cette nouvelle demande de titre de séjour, ni ne l'a même visée ou mentionnée. Dès lors que le préfet de la Drôme a réexaminé la demande de titre de séjour initialement présentée, il ne pouvait, sans entacher sa décision d'un défaut d'examen, refuser de tenir compte de la nouvelle demande de titre de séjour présentée par l'intéressé. Il s'ensuit que le moyen tiré du défaut d'examen de la situation personnelle du requérant doit être accueilli et que la décision du 22 décembre 2022 portant refus de titre de séjour opposée à M. B... doit être annulée.

4. L'illégalité de cette décision entraîne par voie de conséquence l'illégalité des décisions du 14 mars 2024 portant obligation de quitter sans délai le territoire français, fixant la Tunisie comme pays de destination de la mesure d'éloignement et prononçant une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans.

5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté ses demandes.

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

6. Le présent arrêt, qui accueille les conclusions à fin d'annulation présentées par

M. B..., implique uniquement, eu égard au motif d'annulation retenu, que le préfet de la Drôme procède, sur le fondement de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, au réexamen de la situation de l'intéressé dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il y a donc lieu de l'y enjoindre sans assortir cette injonction d'une astreinte. En outre, il y a lieu d'enjoindre audit préfet de délivrer à M. B... dans l'attente et sans délai une autorisation provisoire de séjour en application de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Sur les frais liés au litige :

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'État le versement à M. B... d'une somme de 1 200 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 30 septembre 2024 du tribunal administratif de Grenoble ainsi que les arrêtés des 22 décembre 2022 et 14 mars 2024 du préfet de la Drôme sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Drôme de réexaminer la situation de M. B... dans le délai de deux mois et de lui délivrer, dans l'attente et sans délai, une autorisation provisoire de séjour.

Article 3 : L'État versera à M. B... une somme de 1 200 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et au préfet de la Drôme.

Délibéré après l'audience du 24 juin 2025 à laquelle siégeaient :

Mme Emilie Felmy, présidente de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

Mme Irène Boffy, première conseillère,

Mme Vanessa Rémy-Néris, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 juillet 2025.

La rapporteure,

Vanessa Rémy-NérisLa présidente,

Emilie Felmy

La greffière,

Michèle Daval

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière

2

N° 24LY03009


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 24LY03009
Date de la décision : 07/07/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme FELMY
Rapporteur ?: Mme Vanessa REMY-NERIS
Rapporteur public ?: Mme LORDONNE
Avocat(s) : SELARL BSG AVOCATS ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 19/08/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-07-07;24ly03009 ?
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